14 juillet 1979 : le plus surréaliste des succès

  • Jérôme Gallion (à gauche) et Jean-Pierre Rives (à droite) ont accompli l’un des plus grands exploits du rugby français. Ce 14 juillet 1979, au sein d’une équipe de France pleine de surprises, ils devenaient les premiers à faire tomber les All-Blacks sur leurs terres
    Jérôme Gallion (à gauche) et Jean-Pierre Rives (à droite) ont accompli l’un des plus grands exploits du rugby français. Ce 14 juillet 1979, au sein d’une équipe de France pleine de surprises, ils devenaient les premiers à faire tomber les All-Blacks sur leurs terres Icon Sport
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Le 14 juillet 1979, le XV de France s’imposait pour la première fois en Nouvelle-Zélande avec une équipe rafistolée. Retour sur un rendez-vous légendaire. dans les sillage des Rives, Aguirre, Gallion et d’un numero 8 de fortune nommé Patrick Salas qui fit le match de sa vie...

Il paraît que certains Français ont eu le nez, et la patience de ne pas écouter la radio le matin du 14 juillet 1979, pour vivre ce test-match dans les conditions du direct sur Antenne 2 en début d’après-midi. Nous en connaissons deux ou trois, et franchement on les envie. Ils ont vécu au plus profond d’eux-mêmes le sauvetage in extremis de Frédéric Costes, venu de l’aile opposé récupérer le coup de pied à suivre de la dernière chance des All Blacks. L’ailier clermontois, taillé comme une allumette, restera le Peter Pan de ce match historique. « Costes a sauvé le match et nous avons gagné, Roger ! » s’exclama Pierre Albaladéjo au micro. Une phrase qui résonne encore à nos oreilles.

En fait, c’était la première fois que les téléspectateurs français pouvaient voir un match des Bleus aux antipodes le jour même en intégralité. « Grâce au satellite », avait expliqué Roger Couderc. Mais vu le décalage horaire énorme, Antenne 2 n’avait pas jugé bon de faire lever les gens à 5 heures du matin. En plus, les Bleus avaient été surclassés 23-9 à Christchurch lors du premier rendez-vous. Personne ne croyait à l’exploit.

Salas appelé de dernière minute

Alors, la quasi-totalité des Français s’était réveillée avec les cocoricos des matinales des radios périphériques. « L’exploit historique du XV de France » était traité à égalité avec le défilé qui se préparait sur les Champs-Élysées. Oui, les Bleus de Jean-Pierre Rives avaient gagné, pour la première fois, un test en Nouvelle-Zélande, 24-19, et quatre essais à deux. Un succès qui se suffisait à lui-même. Il fut la continuité de pas grand-chose et le commencement de rien. Il n’y avait plus que quatre survivants du grand chelem 1977.

Ce coup d’éclat isolé, on le doit en plus à une équipe largement expérimentale. Daniel Dubroca faisait ses débuts en pilier droit, les centres Codorniou et Mesny vivaient leur deuxième sélection après le premier test de Christchurch. Plus fort encore, deux joueurs, n’évoluaient pas à leur poste. Les blessures s’étaient enchaînées, au niveau du pack notamment. Alors Robert Paparemborde, 31 ans, pilier droit patenté avait accepté de passer à gauche. En numéro 8, le choix avait frôlé le gag. L’Agenais Christian Bèguerie souffrait d’une main et tentait de minimiser la chose. Le matin du match, en lui serrant la main, l’entraîneur Toto Desclaux réveille ou révèle la douleur de son joueur, on a parlé de pus qui jaillit, de points qui ont sauté. Le pauvre Bèguerie dut se rendre à l’évidence, il ne pourrait pas honorer sa deuxième cape (nous avons une pensée pour lui, son destin est cruel). Mais il n’y a plus personne pour le remplacer, Les sélectionneurs n’ont plus qu’une solution très risquée, Patrick Salas, avant de devoir narbonnais, deuxième ligne et parfois pilier. Les dés sont jetés. On le cherche, il est là, mais totalement épuisé, il est sorti toute la nuit avec les gars qui ne sont pas sur la feuille. Il est rentré très tard avec des heures de java dans les jambes. Hébété, il arrive au petit-déjeuner pour s’entendre dire qu’il va vivre sa deuxième sélection contre la meilleure équipe du monde à un poste qui n’est pas le sien.

Jérôme Gallion se souvient. « Il était affolé. Il n’avait jamais joué à ce poste. Je l’ai rassuré, je lui ai expliqué deux combinaisons simples, style 89 pour ne pas l’embrouiller. Je lui ai expliqué où se placer en touche, et en défense sur les mêlées, je lui ai dit, je prendrai le premier porteur de balle au lieu de m’écarter, tu prendras le second. C’était contraire aux usages, mais pour un huit débutant pas habitué à se relever rapidement, ça me paraissait un peu difficile, il aurait pu se faire prendre par-derrière. Je lui ai demandé juste une chose, : dès que tu vois un All Black, tu le plaques. Et il a très bien plaqué. Pour lui, ce fut un défouloir, il se sentait juste en numéro 8. Alors, il a tout donné… ». Patrick Salas, a combattu comme un gladiateur, surtout face à des All Blacks qui insistaient dans l’axe. Il n’a pas cherché à porter ou à manier les ballons, il est resté lui-même dans un jour exceptionnel. Comme un acteur occasionnel qui décroche un prix à Cannes ou un personnage d’un film optimiste de Franck Capra. Au sens propre du terme, il fut le héros de ce match. On peut analyser ce match sous bien des aspects, La partie démoniaque des trois-quarts par exemple, avec cet essai de l’ailier Jean-Luc Averous, au prix d’une jonglerie de cirque, l’image la plus saisissante du match. « Alain Caussade courait en travers, j’attendais, la passe croisée encore et encore. Il me l’a jeté en l’air en hauteur, je l’ai chopé comme j’ai pu, heureusement que j’étais assez grand, Didier Codorniou n’aurait pas pu la prendre. » C’est vrai que les attaquants ont fait un match de folie, des courses incisives, des passes dans le temps juste, un vrai récital avec un ouvreur aussi léger qu’un papillon nommé Alain Caussade. « On était dans un esprit commando, ce jour-là, on ne voulait absolument pas fermer le jeu. » Gallion ajoute : « Jamais je n’ai joué avec un ouvreur aussi inspiré que lui ce jour-là ».

Rives et Aguirre préparateurs, entraîneurs, joueurs

On peut aussi écouter l’arrière Jean-Michel Aguirre, vice-capitaine des Bleus et préparateur physique officieux. Il était prof de gym, intellectuel, de gauche et se posait beaucoup de questions. Pour lui, ce succès fut celui d’un jeu qui du début à la fin recherchait la vitesse, il fut aussi le fruit de la vidéo, outil très nouveau : « Nous avions revu le premier test et nous nous étions rendu compte que nous n’avions pas été si mauvais que ça. Nous avions en fait surtout pêché en défense. Nous avions donc réglé des choses quant à nos plaquages. Ce match fut préparé avec un vrai professionnalisme. Et puis, le jour du match, pour la première fois, les trois-quarts français sont sortis s’échauffer avant un match à l’extérieur. J’avais repéré un terrain à proximité de l’Eden Park, nous sommes allés répéter nos gammes. J’ai senti les gars très sereins. Quand nous sommes revenus aux vestiaires, nous avons traversé la foule et les gens nous ont applaudis… »

Jérôme Gallion confirme : « Il faut comprendre après plus d’un mois passé ensemble, à nous entraîner tous les jours, nous avions la condition physique de notre côté. C’est ce qui a tout changé pour le final, même si après le premier test nous étions très bas moralement En plus, nous avions perdu le dernier match de semaine à Invercargill (12-11). En plus en juillet en Nouvelle-Zélande, il faisait froid, il pleuvait. Quand on téléphonait, nos familles nous parlaient de la plage. La presse locale prédisait une grosse valise. Nous avions alors ressenti une forme de rébellion sous l’influence de la préparation de Jean-Pierre Rives. »

L’autre facette de ce succès de légende, c’est donc la « prise de pouvoir » d’un capitaine. Rives avait été ulcéré par les défaites de Christchurch et d’Invercargill pimentée d’un arbitrage assassin. Lui, qu’on brocardait parfois pour son indolence et son étourderie se métamorphosa. Il supplanta son coach Toto Desclaux (avec l’accord de celui-ci) et se mit à diriger les derniers entraînements. « Vous en avez marre d’être ici, moi aussi. » Il impose alors un footing d’enfer à ses hommes : « Je me souviens d’un parc. Il n’y a pas eu un brin d’herbe que nous n’avons pas foulé », rappelle Daniel Dubroca. Tout le monde comprend qu’il se passe quelque chose. Le rythme est ahurissant, pompes, abdos, sprints, sauts n’en finissent plus. C’est une préparation commando. Chaque joueur a compris le message, pas question de lâcher prise pour rester au diapason d’un capitaine aussi exemplaire. Les minutes passent et à chaque goutte de sueur, Rives communique aux autres sa frustration face aux commentaires vachards suscités par les résultats. Lui, l’indolent se transforme en sorte de sergent instructeur sadique. Un grand capitaine, peut-être le plus grand de l’Histoire venait de naître. « On s’est resserré autour de lui, c’était viscéral », raconte Didier Codorniou. Le jour du match, une récente révision nous l’a confirmé. Par son engagement, Rives fut le seigneur de la rencontre. Le Midol titra plus tard : « Le jour où le XV de France a marché sur la lune. » Francis Haget, deuxième ligne de devoir impeccable au physique de cow-boy, eut vraiment le sentiment de vivre une faille spatio-temporelle : « Mon meilleur souvenir, c’est qu’après ce succès, nous avons pris l’avion le 15 juillet pour Tahiti. Mais quand nous avons retrouvé ce territoire français, c’était encore le 14 juillet. Nous avons vécu deux 14 juillet. »

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