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Lerou : l’autorité faite homme !

  • Roger Lerou, le précurseur
    Roger Lerou, le précurseur DR
Publié le Mis à jour
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L’expression « gros pardessus » a été inventée par Jean Dauger pour évoquer les patrons du rugby français. Nous avons décidé de rappeler le souvenir de ces dirigeants omnipotents et madrés d’une FFR alors toute-puissante. Une génération, une atmosphère, des tempéraments. 

Le vrai « Gros Pardessus », c’était lui. L’expression a été forgée à partir de l’image de Roger Lerou. Ce nom ne dit plus grand-chose aux jeunes générations mais il fut pourtant une figure tutélaire, un personnage incontournable et inamovible qui, pendant vingt-deux ans, de 1945 à 1967, fut le patron du XV de France. Pas vraiment entraîneur mais sélectionneur en chef, sans le titre officiel, au gré de son autorité naturelle qui savait imposer ses choix à ses pairs. Il ressemblait à un vieux sénateur, ou à un personnage d’un roman de Georges Simenon. Il y avait du commissaire Maigret en lui par sa placidité renfrognée. Quand il mettait son béret, on aurait pu aussi le prendre pour un marchand de bois ou de bestiaux madré.

Le sévérité de sa physionomie était en plus surlignée par ces deux épais sourcils, qui lui valurent le surnom de « Roger la Broussaille » ou de « Barbe aux yeux » (dixit Amédée Domenech). « Homme de caractère (parfois mauvais) et de parti pris (souvent). Il était le contraire d’un diplomate », écrivit Midi Olympique à sa mort en 1979 sous la plume d’Henri Gatineau. Il était autoritaire, presque rustre parfois. « Il n’aimait pas trop parler mais ne refusait pas de s’exprimer. Par son caractère, il avait pris l’ascendant à la section rugby du Racing, puis à la FFR où il s’occupait de plein de choses », précise Henri Garcia, ancien reporter à l’équipe. Lerou était l’homme fort d’un célèbre quatuor, associé à Adolphe Jauréguy, André Verger et René Crabos. « Mais il écrasait les autres. Si quelqu’un proposait une idée, ils répondaient : « Parlons-en à Roger », poursuit Albaladéjo.

Entraîneur très facultatif

Ecoutons aussi ce qu’en disait Jean Prat : « Bourru mais bon cœur. Il était impressionnant par son autorité, son souci de tout vérifier dans les moindres détails. Dès 1945, il était le père nourricier du XV de France. Nous, les joueurs, étions sacrés à ses yeux. Rien n’était assez parfait pour notre bien-être. »
Le nom de Roger Lerou est désormais connu des seuls historiens du rugby. Mais de son temps, il était une célébrité puisque, parfois, la foule de Colombes le vilipendait. « Lerou démission, Lerou au poteau. » Il n’avait pas été international, juste un rude numéro 8 formé au Stade athlétique bordelais et monté à Paris en 1911, pour faire son service militaire. Il avait alors épousé la cause du Racing Club de France, jusqu’à sa mort. Il avait quand même vécu deux finales, perdues, en 1912 et 1920. Puis il s’était retrouvé à la tête des Bleus après la guerre, via une fonction très floue et semblerait aujourd’hui folklorique. Mais les règles de l’amateurisme étaient draconiennes. Le XV de France ne faisait pas de stages, pas de séances vidéos.

Il n’avait même pas d’entraîneur officiel ni de staff. D’ailleurs, Roger Lerou n’avait rien d’un technicien, ni même d’un théoricien. « Je ne me souviens pas qu’il soit une fois venu me parler de jeu », explique Pierre Albaladéjo. Une fois, André Boniface nous avait lâché, assez sèchement : « Je n’ai jamais compris quel était son rôle. »
On peut imaginer que patron des Bleus formait quand même une sélection, guidé par quelques idées générales, mais il n’était pas homme à entrer dans les détails. Henri Gatineau se souvient tout de même de quelques incursions à l’unique entraînement du vendredi après-midi, veille de match, en tenue et en chaussures de ville sur la pelouse. En « gros pardessus » donc ! ; « Roger Lerou entraînait pendant un quart d’heure environ. Ensuite, il laissait faire le capitaine, Jean Prat ou Lucien Mias. C’était eux les vrais entraîneurs du XV de France. J’ai entendu Lucien Mias dire à ses joueurs, après le quart d’heure de Lerou : « Maintenant, on oublie tout. Et l’on se met aux choses sérieuses. »
Roger Lerou choisissait d’abord des hommes en espérant qu’ils trouveraient ensemble des points communs. Mais il n’était pas si obtus.Il avait quand même perçu le talent des attaquants lourdais et la science du jeu d’avants de Lucien Mias. Henri Garcia raconte : « Il ne voyait pas beaucoup de matchs. Il ne se déplaçait guère. Les quatre sélectionneurs étaient à Paris. Lerou voyait surtout les joueurs du Racing et ceux de ses adversaires. C’est sûr, il y avait des injustices. » Lerou était accusé de privilégier son club de cœur. « Je ne parle pas des Crauste, Moncla ou Marquesuza, qui étaient des cadors. Mais il y eut une série de joueurs du Racing à quelques sélections, de bons joueurs qui avaient reçu un coup de pouce (Vignes, Rébujent, Plantey, Varenne, N.D.L.R.) », poursuit Henri Garcia. Le cas de Claude Laborde, demi de mêlée, avait poussé Lerou à apostropher Henri Gatineau après un France-Roumanie à Toulouse : « Vous êtes un assassin. J’aurais pu être malmené… » Le reporter de notre journal avait critiqué son choix et le public l’avait pris pour cible. Il avait aussi, un jour, laissé échapper un mouvement d’humeur vis à vis d’un jeune pigiste, futur ponte de la profession (édouard Seidler), dont le seul tort était de travailler avec Emile Thoulouze, fameuse voix de la radio. « Je l’ai aussi vu virer, avec pertes et fracas, de l’hôtel Louvois… la chanteuse France Gall, son père et une équipe de télé! Ils voulaient faire un sujet avant un match France-Galles, évidemment », poursuit Henri Gatineau. Dans la vie, il était pourtant courtier en vins, métier subtil et discret, propre aux ambiances feutrées.

La hantise de l’exclusion des années 30

Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, Roger Lerou avait sans doute trouvé la consécration de toute une vie avec la réintégration du XV de France dans le Tournoi. Il l’avait reçue comme un cadeau du ciel, alors qu’il avait déjà 55 ans. Sa génération avait été très marquée par la terrible crise des années 30, la France virée du Tournoi par les Britanniques (pour violence et professionnalisme), le XIII qui prend son essor. Avec le retour sur la scène internationale, il y avait de quoi, pour Roger Lerou et ses acolytes, se sentir détenteurs d’un trésor fragile. « Nous les sentions très marqués par ça. Il ne fallait surtout pas donner de mauvais coups aux Britanniques car la sanction pouvait revenir », explique Albaladéjo. Guy Basquet aussi, dans ses mémoires, cite des discours d’avant match bien peu guerriers : « Mes chers camarades, vous allaient en prendre plein la pipe, leurs arbitres vont vous persécuter mais il faudra encaisser et se taire. C’est à ce prix que vos héritiers pourront jouer le Tournoi eux aussi et peut-être le gagner un jour. » Robert Soro l’avait supplié, à la mi-temps d’un France-Angleterre, de pouvoir répliquer à des avants anglais qui l’asticotaient avec cynisme. « Juste un coup ! Laissez-moi leur donner juste un coup… » Un peu paniqué, mais en homme du métier, Lerou accepta. « Mais surtout, tu ne te fais pas voir ! » Pour Henri Garcia, « il avait une vision très britannique du rugby. Il ne cherchait pas la modernité, ni l’amélioration de la préparation de la sélection. » Pour lui, l’équipe de France devait s’inscrire dans une immuable tradition. Il était conservateur par essence. Lors de la fameuse « crise des 465 », en 1952, lorsque les Britanniques réitérèrent des accusations envers le rugby français et une menace d’exclusion du Tournoi, la hantise de la génération Lerou, il resta légaliste aux côtés du président de la FFR (Eluère). Il fournit même une « liste noire » de joueurs un peu professionnels, sur les bords, pour calmer les esprits.

Roger Lerou était d’un autre temps, c’est sûr. Derrière son masque impavide, il n’était pas forcément insensible aux honneurs. Diriger la sélection avait forcément flatté son ego, comme le fait de ramener le Bouclier de Brennus au Racing en 1959, après cinquante-sept ans de disette. Il avait largement servi son club avec, entre autres, la fameuse filière de l’école de métiers d’EDF de Gurcy-le-Châtel et ses talents venus du Sud-Ouest (Crauste, Moncla, Marquesuza…) : son chef d’œuvre. Il avait aussi présidé la commission de contrôle du Du-Manoir jusqu’en 1976, un poste important, qu’il abandonna à… 86 ans. Un an avant, il avait rendu hommage à Georges Magendie, pilier du Racing, victime d’une fracture des cervicales sur le terrain. Il avait pris la parole au cimetière de Peyrehorade : « Georges, tu resteras un exemple. » C’était au soir de sa vie, et il était encore là pour affronter un drame. Il était né la même année que le général De Gaulle, et comme lui, à son niveau, il avait traversé le siècle.

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