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O'Connor : « J’ai merdé, voilà tout... »

  • James O'Connor (Australie) James O'Connor (Australie)
    James O'Connor (Australie) Patrick Derewiany / Midi Olympique
Publié le Mis à jour
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Odawara est une superbe station balnéaire, nichée à l’abri du monde, postée à 80 km de Tokyo. L’hôtel où les Australiens ont provisoirement posé leurs bagages semble comme accroché à la montagne et domine Honshu, cette petite île inlassablement frappée par les rouleaux du Pacifique. C’est ici, dans un jardin japonais protégé du monde, une étendue d’herbe rase où seuls chantaient quelques merles, que l’on a rencontré James O’Connor, de retour chez les Wallabies et titulaire d’entrée contre les Fidji après avoir vécu un enfer. Une heure durant, l’ancien Toulonnais est revenu sur la dépression qu’il a traversée, affronté les démons qui le hantent, évoqué l’affaire de la cocaïne et, surtout, la récente rencontre avec un homme ayant changé sa vie.

Vous êtes revenu de nulle part pour arracher votre sélection et une place dans le groupe australien. Comment avez-vous fait ?

C’est une longue histoire… Le 3 juin dernier, je me suis levé avec en tête une drôle d’idée : je ne pouvais me résigner à voir cette Coupe du monde à la télé. C’était impossible.

Alors ?

Il me restait un an de contrat avec Sale (Premiership). Le lendemain, j’ai donc appelé le coach Steve Diamond et je lui ai dit que je rentrais en Australie. Le 9 juin, on est parti.

Vous n’avez pas traîné…

Oui, ma petite amie était très en colère. Elle a même failli me quitter. (rires) Mais j’ai brisé mon contrat, rangé tous mes trucs dans des cartons et on est parti. Excepté mes parents, personne ne m’attendait en Australie. Je n’avais rien, là-bas.

Qu’avez-vous fait ?

J’ai d’abord demandé un entretien avec Scott Johnson (le directeur sportif de la Fédération australienne). On a parlé des heures, tous les deux. Il m’a dit que j’étais dingue, que j’avais pris un risque incommensurable et que je ne pourrais intégrer le groupe des Wallabies sans contrat.

Qu’avez-vous répondu ?

Je lui ai dit que c’était mon problème et que je faisais confiance à l’univers. (rires) Derrière ça, on a néanmoins fait le tour des franchises pour voir si l’une d’entre-elles était prête à me recruter. J’ai vu les Rebels, les Brumbies, les Waratahs et les Reds, lesquels m’ont finalement fait signer un tout petit contrat. Peu après, Michaël Cheika m’a appelé. Il a été très clair : "Tu vas venir t’entraîner avec nous, James. Si tu es encore un bon joueur, je te garderai peut-être ." Je l’ai visiblement convaincu lors des matchs du Rugby Championship (Afrique du Sud et Argentine). Et voilà, je suis de retour !

C’est assez dingue…

Peut-être. Mais je voulais montrer que j’avais encore le niveau pour disputer des matchs internationaux. Ma reconstruction passait par là.

Que pouvez-vous apporter à cette équipe australienne ?

Regardez cette ligne de trois-quarts : Kerevi (centre) est une bombe, Koroibete (ailier) est un cheval de course et Beale (arrière) peut battre n’importe quel défenseur avec ses appuis… Mon job, c’est donc de mettre du liant entre ces mecs, d’être un deuxième ouvreur en quelque sorte.

Vous surgissez toujours là où on ne vous attend pas. En 2011, vous aviez raté l’annonce du squad australien pour la Coupe du monde parce que vous ne vous étiez pas réveillé. Que vous avait alors dit Robbie Deans ?

Pas grand-chose… Robbie m’aimait beaucoup. Il m’a regardé, il a secoué la tête et il est parti. Je me suis senti très mal, ce jour-là. J’avais déçu quelqu’un qui comptait beaucoup pour moi.

Mais pourquoi ne vous étiez-vous pas réveillé ?

Mais parce que j’étais trop saoul, pardi ! (rires) J’avais 21 ans et j’étais encore un petit garçon. Je voulais juste jouer au ballon et, quand le rugby était terminé, draguer des filles !

On a néanmoins du mal à comprendre pourquoi il était si important que vous soyez présent à l’annonce du groupe…

En Australie, l’annonce est super importante. On fait ça à la télé : chaque mec porte un costume cravate, descend de l’avion Qantas (le sponsor des Wallabies) et se présente face caméra. Mais voilà, quand James O’Connor a dû saluer l’Australie, il n’était pas là… Il dormait…

Que saviez-vous du Japon avant d’atterrir à Odawara, où les Wallabies ont posé leurs valises ?

En 2009, j’avais disputé un match avec l’Australie à Tokyo, contre les All Blacks. J’avais trouvé cette ville dingue, pleine d’énergie. J’avais l’impression que les lumières ne s’éteindraient jamais. Mais je préfère de loin cette petite campagne d’Odawara. (il tend la main devant lui) C’est le Japon tel que je le rêvais, plus jeune. On est au milieu de nulle part, et cet après-midi (l’entretien a été réalisé le 15 septembre), j’irai me promener dans les montagnes, méditer dans un monastère et peut-être discuter de rugby avec un moine, qui sait ! (rires)

En tant qu’ancien Toulonnais, comprenez-vous que Mathieu Bastareaud n’ait pas été retenu en équipe de France ?

J’ai joué deux ans avec "Basta" et, franchement, le choix des Français m’a surpris. Au RCT, dès qu’on était emmerdé, on donnait le ballon à Mathieu pour qu’il avance ! Ou alors, on le laissait mettre un gros tampon pour détruire un adversaire et renverser le rapport de force psychologique ! Si j’avais été sélectionneur, j’aurais pris Mathieu Bastareaud.

Il est un peu lent, tout de même…

Ah bon ? Vous en savez quoi, vous ? À l’entraînement, je ne l’ai jamais pris de vitesse en un contre un. "Basta" est intelligent en défense, il glisse bien.

Ok, ok… Et quel Français retiendriez-vous dans votre équipe mondiale, alors ?

Antoine Dupont, sans nul doute possible.

Chris Ashton a dit beaucoup de mal du Top 14, qu’il juge "lent et pauvre". Êtes-vous d’accord avec lui ?

Le Top 14 est à la fois la meilleure compétition du monde et la pire. En plein hiver, quand on allait de mêlées en touches et de touches en mêlées, je me disais toujours : "Putain, mais qu’est-ce que je fous là ? J’ai les mains gelées !"

Michael Cheika dit que vous avez énormément changé ces derniers mois. Pourquoi ?

C’est juste le fruit d’une rencontre. Il y a quelques années, à l’époque où je faisais toutes mes conneries, j’ai rencontré un type au Royaume-Uni. Je savais qu’il était une sorte de coach personnel chez Saviour World et qu’il s’occupait de footballeurs de Premier League, de stars de la NBA ou de NFL. Après notre première rencontre, nous sommes un peu restés en contacts. Je me tâtais. Je ne savais pas si ses méthodes pourraient m’être bénéfiques ou pas. Et puis, quand j’ai signé à Sale, je l’ai rappelé.

Et ?

Il m’est aussitôt rentré dedans, m’a parlé comme on ne m’avait jamais parlé : "Tu es prêt à stopper tes conneries, James ? Tu es prêt à arrêter les mensonges ?" J’ai été pris de court, j’ai bafouillé comme un bébé mais j’ai accepté de le suivre. Et j’ai bien fait : il a changé l’homme que j’étais.

De quelle manière ?

J’ai arrêté l’alcool. Je ne bois plus la moindre goutte. On a ensuite opéré sur moi un énorme travail psychologique. […] Car j’étais perdu, à une certaine époque de ma vie. J’étais perdu et cet homme-là m’a sauvé. Il m’a surtout fait comprendre une chose.

Laquelle ?

Quand j’ai quitté l’Australie pour venir en Europe, je racontais partout que le rugby international et les Wallabies ne me manquaient pas : mais je mentais à tout le monde et surtout à moi-même. Ce maillot, ce pays, tout ça était ma vie et je ne pouvais être heureux sans eux. […] Le problème, c’est que je n’avais pas le courage de dire aux Australiens : "Ok, j’ai fait le con et j’en suis désolé. Je suis parti comme un petit garçon mais veux revenir comme un homme." Maintenant, c’est fait.

Quelle fut la clé du travail psychologique effectué ?

Mon coach m’a demandé d’affronter mes démons. Il m’a amené en Islande, m’a fait marcher dix heures dans le froid avec un sac de 20 kg sur les épaules. Il a fait ça pour briser mon ego, pour que je cesse de me comporter en gamin capricieux. Puis il m’a posé cette question : "Quel est ton but, dans la vie, James ?" Je n’ai pas su quoi répondre. En fait, je ne savais plus pourquoi je jouais au rugby.

Depuis quand ?

J’ai connu mes plus belles années de rugbyman de 18 à 23 ans. Je n’avais jamais travaillé mais j’avais de l’argent, j’avais battu les All Blacks et j’étais devenu l’un des meilleurs joueurs du monde. Le matin, on s’entraînait. L’après-midi, on allait à la plage ou on jouait à la Play Station. Et le soir, on sortait.

Et puis ?

Un jour, tout ça est devenu une habitude, une routine. J’avais perdu de vue que je faisais un métier merveilleux. Je me disais : "Merde, il faut encore s’entraîner… Putain, on doit encore aller en Nouvelle-Zélande…" Mes yeux s’étaient fermés. J’étais devenu une victime, je pleurais sur mon sort et j’en étais devenu ridicule.

Vous avez passé deux saisons à Toulon. Que retenez-vous de cette période de votre vie ?

Le jour où j’ai signé au RCT, j’ai voulu voir ce que le monde avait à offrir. En ce sens, Toulon fut pour moi une expérience extraordinaire. Trois ans plus tard, il m’arrive encore de rêver en français.

Que dites-vous dans vos rêves ? "Merci Mourad" ?

(il éclate de rire) Non, non. Mais j’ai toujours apprécié le fait qu’à Toulon, personne ne me juge sur mes erreurs passées. Le Var, c’était bien… On buvait le café à Carqueiranne, on chassait dans les montagnes de Calabre, on visitait des châteaux… Pfff, Toulon et Mayol, c’était dingue quand j’y repense…

Finalement, parmi les stars toulonnaises, vous n’étiez qu’un joueur parmi d’autres…

Oui et ça m’a beaucoup aidé. Quand j’étais jeune, je me mettais une pression de dingue. J’avais l’impression que le sort du match reposait sur ma seule personne ; si on perdait, j’étais au fond du gouffre. À l’époque, si quelqu’un me donnait un conseil sur une orientation de jeu, je l’envoyais paître : "Va chier ! Tu crois que j’ai besoin de toi pour savoir ce qu’il faut faire ?"

Vous étiez insupportable…

Peut-être, oui… Je prenais les défaites pour moi et me mettais dans des états terribles après les défaites. L’alcool était ma bouée de sauvetage. Je buvais pour me détruire. Je buvais pour oublier, me relaxer et m’enlever cette foutue pression.

Vous avez semble-t-il fait quelques sacrifices, à l’époque où vous jouiez au RCT. Pouvez-vous en parler ?

La dernière année (2017), j’ai joué blessé pendant trois mois. Jusqu’à la finale de championnat contre Clermont, en fait. En gros, je ne m’entraînais pas de la semaine, je strappais ma cheville avant les matchs et je jouais.

Pourquoi ?

Je culpabilisais vis-à-vis de l’équipe. D’une certaine manière, j’avais trahi le club et mes coéquipiers avec cette sale histoire à Paris (à l’hiver 2017, il était arrêté avec Ali Williams en possession de cocaïne, N.D.L.R.). En un sens, je leur devais quelque chose. Mais c’était une folie. En faisant ça, j’ai totalement détruit ma cheville. Les mois qui ont suivi, elle s’est totalement brisée, j’ai dû subir trois opérations.

Vous avez donc joué deux finales avec Toulon, n’est-ce pas ?

Non. La première année (2015-2016), Bernard (Laporte) ne m’a pas retenu dans le groupe pour jouer celle de Barcelone (contre le Racing 92, N.D.L.R.). Ce jour-là, j’étais en tribunes avec Quade Cooper, Drew Mitchell, Juan Smith, Ma’a Nonu… Je n’étais pas au mieux de ma forme à l’époque. J’étais en dépression.

À ce point ?

Les gens qui me connaissent n’auraient pu l’imaginer. Je bougeais, je riais, je faisais la fête et n’étais jamais chez moi. Mais en réalité, je me tenais occupé pour ne pas laisser mes pensées les plus noires m’envahir. La nuit, dès que je m’arrêtais et me retrouvais seul dans mon lit, toutes ces questions ressurgissaient : "Qu’est-ce que je fous ? C’est ça, ma vie ? Où est passé mon rugby ? Est-ce que je vaux encore quelque chose ? Pourquoi Bernard (Laporte) ne me retient jamais dans le XV de départ ?" C’était l’enfer.

On imagine, oui…

Pour éviter de souffrir, j’étais dans la surmédication permanente : anti-douleurs, anti-inflammatoires et toutes ces conneries… À 16 ans, j’ai eu un accident sur un terrain de rugby et depuis, ma rate fonctionne mal. Du coup, j’ai trop souvent compensé ce manque en absorbant de la pénicilline.

De quel accident parlez-vous ?

Quand je n’étais qu’un adolescent, alors que nous jouions au rugby avec des copains de l’internat, j’ai été violemment plaqué au ventre et la rate a explosé. J’ai failli mourir, sur le coup, et après ça, j’ai toujours dû m’adapter. Sans rate, tu es beaucoup plus fragile. Ton sang n’est plus vraiment filtré. Tu attrapes toutes les saloperies qui traînent, les rhumes, les grippes, les rhinos…

Et depuis cet accident ? Vous n’avez pas peur, sur le terrain ?

Non. Pour ma mère en revanche, c’est plus pénible. L’an passé, quand j’ai changé ma façon de vivre, j’ai arrêté les médicaments et revu mon alimentation de A à Z. Après ça, on m’a fait des lavages d’estomac et les docteurs se sont aperçus que la pénicilline avait détruit toutes les bonnes bactéries de mon organisme. De toute façon, on voyait sur mon visage que je n’étais pas en forme. Rappelez-vous de moi quand j’étais à Toulon : j’étais cerné, ma peau était jaunâtre, je faisais plus vieux… Vous savez, les anti-inflammatoires et tous les médicaments qu’on refile aux rugbymen en permanence, ce sont juste des pansements. Au bout d’un moment, le corps lâche.

En 2017, vous étiez arrêté avec Ali Williams à Paris en possession de cocaïne. Pourquoi avoir parlé d’un "appel au secours" à ce sujet ?

(il soupire) J’étais déchiré entre des volontés disparates. D’un côté, je voulais redevenir un grand joueur. De l’autre, je me refusais à abandonner ce rôle de noceur, de "party boy". Mais au fond de moi, je savais que les deux ne pourraient jamais cohabiter. […] Le rugby ne me comblait pas, la vie non plus. Je n’étais pas heureux, je n’avais personne à qui parler et j’ai merdé, voilà tout. Mais on a tous droit à une seconde chance, non ?

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