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1972 : Le tournoi sans fin

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Publié le Mis à jour
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Seul précédent à l'affaire japonaise, le Tournoi 1972 qui ne se termina jamais, mais pas pour des raisons climatiques. Elles étaient politiques, au sens violent du terme.

Si l'on cherche un précédent aux matchs annulés de ce Mondial 2019, difficile de ne pas se référer aux événements de 1972 quand le Tournoi fut amputé de deux matchs, qui, jamais ne furent rejoués. Mais la tempête n'était pas climatique, mais politique. Il faut comprendre qu'à cette époque l'Irlande faisait la une des journaux à travers la province de l'Ulster. Elle était le théâtre anachronique d'un conflit religieux. Avec 500 morts, l'année 1972 fut la plus mortelle d'un conflit qui devait durer trente ans. Le 30 janvier, une manifestation pacifique catholique tourne au drame dans le Bogside. Les troupes britanniques font feu et quatorze personnes restent au sol dont cinq touchées dans le dos. L'événement est resté dans les mémoires, sous le nom de « Bloody Sunday » (John Lennon puis U2 en feront une chanson). Aux yeux du monde entier, l'Irlande devint alors synonyme de guerre civile. La veille de ce triste événement, le XV de Tom Kiernan et de Willie-John McBride (un Ulstermnan) avait gagné à Colombes (14-9). Le 12 février, il confirme en s'imposant à Twickenham (16-12), dans une ambiance dénuée de toute agressivité. Le grand Chelem est possible pour les Verts. Malgré l'onde de choc du « Bloody Sunday », l'idée que le rugby pouvait être plus fort que les tensions politiques reste solide. Le rugby se flatte d'être le seul sport qui, en Irlande, présente une sélection unifiée nord-sud, avec des citoyens britanniques sous le maillot vert alors que le football par exemple, compte deux équipes distinctes.

 

Le communiqué qui fait mal

Mais soudain, par un communiqué sec, la SRU, la fédération écossaise annonce qu'elle n'enverra pas son équipe à Dublin. C'est historique. Certes depuis 1883, le Tournoi avait connu des crises. Il ne s'était pas tenu pendant les deux conflits mondiaux et, de 31 à 40, la France avait été exclue pour fait de professionnalisme et de violence. En 1962, une épidémie de variole avait fait reporter un match, mais jamais une équipe n'avait boycotté un rendez-vous. Jamais une rencontre n'avait été annulée. Même la guerre d'indépendance de l'Irlande (1920-1922) n'avait rien perturbé. En 1920, l'Angleterre était venue gagner 14-11 à Lansdowne Road transformé en oasis de paix au milieu d'affrontements atroces.

Mais en 1972, les dirigeants irlandais assurent que rien ne va se passer. Ils se déplacent à sept à Edimbourg pour essayer de convaincre leurs homologues. Ils évoquent la période 20-22 où l'Ecosse s'était déplacé deux fois sans dommage. Ils garantissent un maximum de forces de sécurité, mais ils reviennent à Dublin avec l'impression d'avoir pissé dans un violoncelle.

Dans Midi Olympique, Roger Couderc écrit un article retentissant titré « Ivanohé maniait l'épée, pas le poison ». Il y fustige l'hypocrisie des Ecossais et de leur fédération, considérée comme la plus sectaire des unions britanniques. Elle le confirme en écartant l'idée de jouer sur terrain neutre. La France propose de prêter Colombes. Le président de la fédération belge, Teddy Lacroix parle de Bruxelles : pas de réponse ! Avec subtilité, Couderc détaille une sorte de rétorsion diplomatique camouflée. La SRU serait montée au créneau pour rappeler que la majorité des protestants d'Ulster sont d'origine écossaise et qu'elle punirait ainsi le gouvernement républicain de son soutien aux catholiques du nord. Derrière ces dirigeants frileux se cachaient des suppléants frileux du Foreign Office, des instruments cachés de la politique étrangère du gouvernement. En plus, dans les jours qui avaient suivi les attentas du « Bloody Sunday » l'ambassade de Grande-Bretagne à Dublin avait été prise d'assaut par 20 000 manifestants, débuts d'incendie et vingt blessés à la clé. Le jeune troisième ligne international Fergus Slattery qui se rendait à son travail avait assisté à la scène, éberlué. Mais le gouvernement irlandais fit tout de suite ses excuses et s'engagea à réparer les dommages : « J'aurais compris que des joueurs ne viennent pas parce que leur femme ou leur mère avait fait pression sur eux » devait déclarer Slattery, « Mais je continue de penser que la fédération écossaise aurait dû envoyer une équipe. Jamais, l'IRA n'aurait commis un attentat

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Les Gallois influencés

L'idée se répand que les joueurs du XV du Chardon craignent pour leur sécurité. D'ailleurs deux d'entre eux ne sont-ils pas militaires de carrière (et donc particulièrement exposés), le talonneur Bonny Clarke et l'ailier Billy Steele ? Mais des années plus tard, plusieurs voix éventèrent le subterfuge : « Je n'ai pas été consulté et je considère que c'est une terrible erreur de ma part de ne pas y être allé, » expliqua le pilier Ian McLauchlan, futur président de la fédération écossaise. « Je ne me sentais pas en danger. Je savais que l'Irlande était une nation unie en termes de rugby. L'ai-je dit à mes dirigeants ? Non, je n'aurais jamais plus joué sous le maillot national. »

Le centre John Frame ajouta : « Je ne me souviens pas qu'on m'ait posé la moindre question. Même si vous trouverez toujours un sélectionneur antédiluvien pour vous dire que tout le monde avait été consulté », rejoint par le deuxième ligne Ian Barnes. « Je ne me suis jamais senti menacé. Ce n'était que des bêtises... ». Pourtant, sur le moment, le capitaine Peter Broxn fut cité par toute la presse : « Je suis content de cette décision d'annuler le match. Nous n'étions pas chauds pour aller là-bas ».

Il ne s'en est toujours pas remis : « Mais je n'ai pas dit ça. Mes propos ont été déformés par un journaliste d'une agence de presse qui m'a téléphoné. Vous pensez bien que personne ne m'avait demandé mon avis à la fédération. Quand le gars m'a appelé, j'ai éludé toutes ses questions comme le secrétaire de la SRU me l'avait conseillé. Mais j'ai fini par répondre par ces fameuses paroles qui devaient me hanter. J'ai dit : « Je suis content qu'une décision ait enfin été prise. » car l'attente du communiqué de la SRU avait été interminable. Le lendemain, les titres des journaux disaient « les joueurs ravis de la décision » et mon nom fut traîné dans la boue en Irlande. Je n'ai jamais pardonné cette trahison et je n'ai plus reparlé à cette agence. »

La manœuvre est bien enclenchée. Même l'IRA le comprend et fait savoir qu'elle n’a jamais prévu le moindre attentat à Dublin . Mais que vaut la parole d'une organisation clandestine et violente ?

Le coup de la SRU est donc une réussite totale puisqu'en plus d'avoir soustrait ses propres joueurs au Tournoi elle entraîne aussi …. les Gallois. Coup de maître car les Gareth Edwards et les Barry John étaient les têtes d'affiche du rugby européen de l'époque. Tout s'est fait après le Galles-Ecosse du 5 février (35-12, le fameux essai de Gareth Edwards dans la boue). Les dirigeants écossais persuadent les Gallois que, soit les risques de grabuge sont trop forts, soit que l'intérêt supérieur du Royaume Uni est en jeu. Les dirigeants de la principauté se retournent vers leurs talentueux joueurs pour une longue discussion. Visiblement, les mœurs étaient plus démocratiques à Cardiff qu'à Edimbourg. L'équipe au maillot rouge en ressort partagée. Neuf joueurs semblaient prêts à chausser les crampons mais quelques voix prestigieuses se font entendre.

« Il suffirait d'une étincelle pour faire éclater le drame, d'une seule personne stupide dans la foule. Des gens sont morts pour moins bien que ça et même pour rien du tout à cause d'une foule aveuglée, » expliqua Gerald Davies, l'ailier des Lions. JPR Williams poursuivit : « Peut-être que la sécurité des joueurs serait assurée. Mais celle des supporteurs ? ».

Le pilier Barry Llewellyn insiste : « Quand on est marié et qu'on a deux enfants, on ne peut plus ignorer le risque. »

 

La France à la rescousse

Le numéro 8 Mervyn Davies évoque la possibilité de jouer à Murrayfield ou à Twickenham. L'hésitant Barry John, lui, place le boycott sur un terrain carrément sportif. « Étant donné les défections certaines, il vaut mieux déclarer forfait que d'envoyer une équipe diminuée et sans moral. »

Puis la WRU sort un argument imparable. Elle annonce qu'elle n'a pas trouvé d'agence de voyages pour assurer le transport à Dublin. Les dés sont jetés. Les joueurs irlandais, dont trois viennent de l'Ulster comprennent que leur rêve de grand chelem vient de s'évanouir. Avec deux victoires à l'extérieur, ils n'avaient pas été aussi bien placés depuis 24 ans. Le capitaine du GrandChelem 1948 prend la parole. « En tant qu'ancien capitaine des Lions, je peux dire que je n'ai jamais fait passer la politique et la religion avant le sport. Et que le rugby irlandais n'a jamais eu à en souffrir. Je veux exprimer ma colère. Les dirigeants écossais n'ont visiblement pas compris les implications de leur décision. »

Les pages des journaux de Dublin se couvrent de lettres de lecteurs indignés : « ça voudrait dire que l'Irlande n'est pas capable d'assurer la sécurité de ses invités » écrit l'un. Pendant qu'un autre, Ecossais émigré à Dublin s'excuse : « Honteux pour les sportifs de mon pays. » Tout le monde comprend que les deux rencontres ne seront pas reportées plus tard dans la saison. Pour la première fois dans l'Histoire, la politique prend le pas sur la magie du Tournoi. La fédération irlandaise annonce un manque à gagner d'un million de francs de recette aux guichets, somme énorme pour l'époque (les droits télé étaient insignifiants). À aucun moment, la WRU et la SRU ne propose de la dédommager, même partiellement. La FFR d'Albert Ferrasse vole à son secours et accepte d'envoyer le XV de France à Dublin le 29 avril pour un match supplémentaire. Les tricolores commandés par Walter Spanghéro poussent la politesse jusqu'à perdre (24-14). Ce n'est pas de la diplomatie, ça ?

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