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Lièvremont : « Cette génération doit arrêter de se victimiser... »

  • Marc Lièvremont en novembre 2011, lors de la Coupe du monde en Nouvelle-Zélande. Il était alors sélectionneur des Bleus. Marc Lièvremont en novembre 2011, lors de la Coupe du monde en Nouvelle-Zélande. Il était alors sélectionneur des Bleus.
    Marc Lièvremont en novembre 2011, lors de la Coupe du monde en Nouvelle-Zélande. Il était alors sélectionneur des Bleus. Amandine Noel / Icon Sport - Amandine Noel / Icon Sport
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En 2011, alors sélectionneur, Marc Lièvremont avait battu le pays de Galles en demi-finale du Mondial néo-zélandais. Depuis, les Bleus n’ont battu le XV du Poireau qu’à une seule reprise. C’était en 2017, au bout d’un interminable combat en mêlée. L’ancien patron des Bleus, finaliste de la Coupe du monde en Nouvelle-Zélande, porte aujourd’hui un regard sensible sur cette nouvelle génération de joueurs, mais sans concession. Pour lui, c’est une chance d’affronter à nouveau le pays de Galles.

Considérez-vous le pays de Galles comme l’adversaire le plus accessible pour le XV de France ?

Ce n’est pas un mauvais tirage. Éviter les Blacks, les Anglais, les Boks ou encore les Australiens, qui sont pour moi les quatre favoris, c’est quand même une chance. Certes, les Gallois ont battu les Wallabies, dont la charnière ce jour-là s’est faite manger par celle des Gallois. Mais je reste convaincu que l’Australie est intrinsèquement plus forte que le pays de Galles. Après, ces Gallois sont surprenants. Sur la dernière année, ils ont arraché la première place mondiale. Pourtant lors des cinq matchs du Tournoi, ils ont été en grandes difficultés sur trois d’entre eux, notamment contre le XV de France. Contre l’Écosse et l’Angleterre, ils ont été bouffés mais s’en sont sortis. À chaque fois, ils sont revenus grâce au mental mais aussi parce que le pays de Galles est une équipe très complète. Il n’y a pas vraiment d’individualités, ni un paquet d’avants gigantesque, mais collectivement c’est propre. Et, pourtant, même si on sort d’une série de huit matchs avec une seule victoire en notre faveur, le XV de France me semble capable de gagner.

Pourquoi ?

Parce qu’inconsciemment, cette équipe fait moins peur que les grandes nations du Sud. Parce qu’il y a eu cette première mi-temps dans le Tournoi des 6 Nations 2019 (le XV de France menait 16-0 à la pause, avant d’être battu 19-24). Et parce qu’on n’est jamais très loin de les battre. Il n’en reste pas moins que le XV de France va devoir montrer un autre visage que celui affiché sur les trois premiers matchs, assez pauvres dans le contenu.

Exception faite de la première période contre d’Argentine, non ?

Même sur ces quarante minutes, tout n’a pas été parfait. Je ne vais pas dire que c’est l’arbre qui cache la forêt parce qu’on a eu le talent de marquer deux essais, bien amenés collectivement. D’ailleurs, ce sont deux ballons de récupération et pas des essais venus sur des structures de jeu. Mais sur la mise en place du jeu collectif, sur l’animation, il y avait un peu plus de constance sur le premier quart d’heure de la part des Argentins. En fait, nos Français ont du mal à jouer ensemble. Sur les huit équipes présentes en quarts de finale, nous sommes la seule à souffrir autant dans la mise en place de notre animation offensive. De la stratégie "Galthié" dont tout le monde parle, très franchement, on a vu assez peu de choses.

Êtes-vous de ceux qui pensent qu’il aurait été nécessaire de jouer ce match contre l’Angleterre pour avoir plus de certitudes ?

C’était à double tranchant ! Souvenez-vous du scénario de 2015. On avait tout laissé dans le dernier match de poule contre l’Irlande. Résultat : défaite, moral au fond des chaussettes et deuxièmes lames en suivant, contre les Blacks. Ce match contre les Anglais, pour moi, c’était le France - Nouvelle-Zélande de 2011 en poule. Certes, ce n’était pas tout à fait le même scénario parce que ce n’était pas le dernier match. Malgré tout, à l’époque, nous l’avions abordé sans pression, sans stress lié à l’enjeu de la rencontre parce que les Blacks nous étaient intrinsèquement supérieurs. Et je crois que nous avions su capitaliser sur cette rencontre durant la phase finale. Personnellement, malgré le score, j’avais été rassuré sur le contenu. Les joueurs aussi. Donc, pour moi, ce France - Angleterre était une bonne opportunité pour essayer de rivaliser, pour mettre des choses en place contre une équipe de haut niveau et, ainsi, bien préparer le quart de finale.

Une qualification pour les demi-finales ne serait-elle pas encore un voile posé sur le niveau réel du rugby français ?

Je ne peux pas penser ça. Depuis que le rugby est passé professionnel, des gifles, on en a prises quelques-unes. Ce n’est pas pour autant qu’il y a eu un changement radical de notre organisation. Ce n’est pas pour ça qu’on a réussi à s’entendre sur un consensus autour du XV de France. Pourtant, on a eu les états généraux du rugby, les assises du rugby, les trucs du rugby… Et, même s’il y a eu quelques timides avancées, on ne peut pas dire qu’il y a eu une révolution. Une Coupe du monde, ça ne se galvaude pas. Maintenant qu’ils sont en quart, il faut que les Bleus se prennent en mains, qu’ils jouent sans arrière-pensée, qu’ils se mobilisent s’ils veulent autour du climat de défiance qu’ils ressentent comme d’autres générations avant eux, et qu’ils écrivent enfin leur histoire. À leur place, je me fixerais comme objectif de faire au moins une demi-finale ce qui, compte tenu des dernières saisons, serait exceptionnel. Et ce sera aussi le meilleur moyen pour ceux qui joueront 2023 d’envoyer un signal fort pour qu’on croie en eux.

Pour moi, la sortie de Wenceslas Lauret, que j’aime bien pourtant, en conférence de presse après le match contre le Tonga (il n’a répondu aux questions que par une phrase : "Je s’appelle Groot"), c’est symbolique de l’état de stress dans lequel se trouvent les joueurs.

Ne craigniez-vous pas, comme avec la finale du Mondial de 2011, que cela soit encore l’arbre qui cache la forêt…

Mais aujourd’hui, on s’en fout ! Le passif, il est là. Évidemment, le danger, ce serait de dire, en cas de victoire, que tout va bien. Mais on sait bien que ce n’est pas le cas. Notre modèle est bancal. Tout le monde sait que le Top 14 est un championnat qui joue au-dessus de ses moyens, qu’il est anxiogène, qu’il consomme trop de dates, qu’il ne prépare pas au rugby international. Je ne dis pas que tout est mal, mais notre modèle propre à nos contraintes et à notre identité, on ne l’a pas encore trouvé. Mais ce n’est pas un bon résultat ou une Bérézina qui doivent modifier les comportements. Il ne doit pas y avoir de corrélation entre un résultat, bon ou mauvais, et des décisions futures. C’est pourquoi cette génération doit se prendre en mains, arrêter de se victimiser et essayer de faire preuve d’autocritique. Ils ont une chance extraordinaire : jouer un quart de finale, ce n’est que du bonheur.

Vous dites que les joueurs doivent arrêter de se victimiser. Pourquoi ?

Même si je m’en foutais un peu, j’ai connu ça en tant que joueur. Quand tu es un peu acculé, que tu accuses la presse de se réjouir des défaites, ce sont des trucs déjà vécus. Aujourd’hui, il y a en plus les réseaux sociaux, un environnement médiatique peut-être plus fort et un contexte politique assez lourd. Mais j’ai envie de dire : "On s’en fout les gars." Il faut que les joueurs comprennent que la quasi-totalité des supporters n’attendent qu’une chose : les voir gagner. Qui va se réjouir, à part quelques aigris, d’une défaite du XV de France ? Tout le monde a envie de bander derrière eux. Si la victimisation peut les aider à se prendre en main, à se fédérer, tant mieux. Mais attention à ne pas tomber dans la connerie. Pour moi, la sortie de Wenceslas Lauret, que j’aime bien pourtant, en conférence de presse après le match contre le Tonga (il n’a répondu aux questions que par une phrase : "Je s’appelle Groot"), c’est symbolique de l’état de stress dans lequel se trouvent les joueurs.

Est-ce ce que vous ressentez depuis la France ?

C’est une de mes inquiétudes. Mais, depuis Paris, je ne sais pas tout ce qui se passe dans le groupe. Je me fais une opinion à travers la presse, à travers quelques discussions avec les uns ou les autres. Et puis, je suis passé par là, notamment lorsque j’étais sélectionneur. Je sais donc un peu comment ça se passe. Seulement, pour moi, le propre d’un champion, c’est d’abord de savoir faire son autocritique. Et je n’en vois pas beaucoup dans ce groupe. En 2011, ce supplément d’âme était arrivé après le match contre le Tonga. Jusque-là, le groupe vivait bien. Et ce groupe aujourd’hui vit peut-être trop bien, je n’en sais rien… C’est ce que les joueurs disent. Seulement, je sais par expérience que quelques conflits permettent parfois de bouger les lignes. D’une manière ou d’une autre, ce groupe a besoin d’une rébellion. Sans parler, évidemment, de hausser le niveau de jeu avec une meilleure discipline, une meilleure conquête, une gestion des temps faibles plus performante, une animation offensive mieux en place. Ces choses qui nous ont manqué jusque-là.

Une victoire des Bleus en quart de finale serait-elle aussi une victoire politique pour Bernard Laporte et son équipe ?

(Il souffle longuement) Ça n’a rien à voir ! En aucun cas, et même si j’étais impliqué dans la campagne électorale comme je l’ai envisagé à un moment, je ne pourrais me résoudre à souhaiter une défaite de l’équipe de France. C’est impensable. Jamais je ne me réjouirai d’un échec pour que ça serve une issue politique. Pour moi, la seule victoire de Laporte et son équipe, c’est d’avoir obtenu l’organisation de la Coupe du monde en 2023. Il a sauvé en grande partie sa peau grâce à ça. Mais ce ne sont pas les hommes de la situation et j’espère qu’ils seront battus en 2020, aux prochaines élections.

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