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Blanc : le joueur mystère

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Le numéro 9 est une des révélations du début de saison. mais d’où vient-il ? Comment expliquer son éclosion si tardive, à 27 ans ? plongée dans le parcours riche en rebondissements de ce joueur atypique.

"Sous vos applaudissements, la sortie de Julien Blanc ! " Samedi 19 octobre, 71e minute de Brive - Bordeaux-Bègles : le Stadium municipal réserve une ovation générale au demi de mêlée. La quatrième consécutive à domicile. Le public corrézien n’en finit plus de s’émerveiller devant ses prouesses. De s’interroger : quand s’arrêtera-t-il ? De chercher à comprendre, aussi : mais quelle histoire peut bien se tramer derrière ce talent méconnu, apparu soudainement à 27 ans ?

L’enquête autour du parcours de Julien Blanc débute dans les Hauts-de-Seine, à la fin du siècle passé. Avec un ballon rond au pied. Son père, éric, centre mythique du Racing Club de France, sourit : "Je ne lui ai jamais forcé la main pour venir au rugby. Surtout que j’adore le foot. Il y est venu progressivement, par lui-même." D’un sport à l’autre, Julien Blanc garde un même style, avec ses éclairs et ses écueils : "Au foot, où il jouait latéral surtout, il avait une bonne vision du jeu, de la technique… Il avait un retard de croissance, alors il devait compenser avec d’autres qualités. Elles lui ont servi au rugby mais ses limites physiques étaient encore plus flagrantes." Là même où son père a brillé comme centre et régné comme président, le jeune Julien voit les portes se fermer : "Il n’a jamais été dans les papiers. Disons qu’il n’entrait pas dans les codes du moment." Le Parisien entame alors son tour de France : "Parfois, il faut accepter de prendre son sac et partir quand on ne te veut plus, philosophe Julien Blanc. Je suis de Paris mais je suis avant tout mené par la passion. Elle me porte là où l’on veut bien de moi." Brive l’accueille à bras ouverts pour trois ans. Un contrat de confiance rapidement écorné : "À la fin d’un entraînement, en novembre, Godignon lui a fait comprendre qu’il ne comptait pas sur lui, raconte son père. Il lui a dit qu’il ne serait jamais pro."

"Ce n’est pas un paillasson"

Automne 2012 : l’horizon du joueur de 20 ans s’obscurcit soudainement. "Julien venait de rentrer dans un cycle de trois ans avec un projet universitaire à côté. Il ne pouvait pas arrêter comme ça… J’ai appelé Godignon pour lui dire que ce n’était pas un paillasson qu’il pouvait jeter. Il a finalement passé ses années espoirs mais sans côtoyer les pros." Le numéro 9 suit son petit bonhomme de chemin, avec un titre de champion de France Reichel 2013 au compteur. "J’ai vécu un premier passage très intéressant à Brive mais, bon, il y avait des hommes en place avec qui ça n’est pas passé…", évoque, du bout des lèvres, l’intéressé. La rencontre avec Pierre Capdevielle, en 2014, arrive au meilleur moment : "J’en avais fait mon capitaine, raconte l’ancien pilier alors entraîneur des espoirs. Je le voyais faire une belle carrière." Quand vient l’heure d’entrer dans la cour des grands, le départ de son protégé devient inéluctable : "Il avait eu une proposition de contrat mais elle était politique, pour montrer que le club ne lâchait pas les jeunes. Reste que "Godi" n’en voulait pas. Il m’avait dit qu’il ne franchirait pas le cap, que son profil ne lui plaisait pas." "Peyo" s’improvise alors agent de joueur : "J’étais déçu car j’estimais qu’il avait une carte à jouer. Déjà, à mes yeux, il aurait dû être lancé avant… Je me suis mis à lui chercher un club. Mon pote Olivier Azam reprenait Oyonnax et cherchait un troisième demi de mêlée buteur. Je lui ai dit que j’en avais un super sous la main." Direction l’Ain, donc, pour une première expérience dans l’élite : "Cette année a été très enrichissante, estime le baroudeur. Il s’était passé tant de choses : l’entraîneur était parti après huit matchs, il y avait la grande Coupe d’Europe, j’ai enchaîné après le départ de Weepu et il y a eu la descente malheureusement." En suivant, Julien Blanc découvre le Pro D2… sous les couleurs de Béziers, où Manuel Edmonds est tombé sous son charme. Pendant deux ans, il participe, en alternance avec Josh Valentine, à l’embellie d’une équipe résolument tournée vers l’attaque. Cinquante-cinq matchs, un changement d’entraîneur et neuf essais plus tard, le Top 14 lui ouvre de nouveau ses portes. Du côté de Pau où il signe un engagement de trois saisons. Une durée comme un gage de stabilité.

"Un très long tunnel noir"

À 25 ans, sa voie paraît enfin tracée : "J’étais très content d’aller à la Section mais les choses ont fait que ça s’est très mal passé", souffle l’intéressé. La première impression s’était avérée bonne, pourtant : "Le 9 septembre, il débute à Grenoble, marque et l’équipe gagne, raconte Éric Blanc. Si l’on m’avait dit que c’était sa dernière titularisation, je ne l’aurais pas cru…" Le numéro 9 pénètre alors dans "un très long tunnel noir". "C’est comme s’il avait été au pôle emploi", compare son père. Au nom de quoi ? "Je me souviens d’une discussion avec Mannix, le 22 décembre. Je lui demande quel est le problème. Est-ce que Julien est une erreur de casting ? Est-ce qu’il faut chercher un autre club ? Il me dit qu’il croit en lui. Sauf qu’il ne le faisait pas jouer. Je n’ai toujours pas compris." L’histoire se répète : abonné aux tribunes, Julien Blanc assiste à une énième valse sur le banc de touche… et voit débarquer Nicolas Godignon, le 5 janvier. Six jours après, il connaîtra sa dernière en vert et blanc… Triste coïncidence. "Même lui s’est posé des questions. Je lui disais : "Tu dois croire en toi, n’écoute pas les autres." Reste que c’est dur à vivre. On dit que ces expériences rendent plus fort mais c’est surtout une perte de temps et ça ronge mentalement." Son fils rassure : "Malgré tout, j’ai gardé confiance, j’ai toujours eu la foi. Je sais que la vérité appartient au terrain." Encore faut-il pouvoir le fouler.

Au cœur de l’hiver, la main tendue par Jérôme Daret permet au joueur de s’exprimer à nouveau. "Ça m’a vraiment relancé", sourit le septiste de passage. "Il était suivi depuis longtemps et j’étais impatient de le voir à l’œuvre avec sa vista et sa vitesse, explique le sélectionneur de France 7. Il a amené ses qualités et insufflé beaucoup d’énergie." La roue de la fortune commence à tourner, enfin : Julien Blanc et les Bleus s’offrent une finale de prestige à Hong-Kong et Jeremy Davidson le contacte. "Il était au fond du trou, reprend éric Blanc. Je ne remercierai jamais assez ceux qui ont cru en lui à ce moment-là." Quatre ans après, retour à la case départ, donc. Avec un contexte tout autre : "J’ai eu de la chance de rebondir dans un club qui ait bien voulu de moi. Je sais ce que je lui dois." Le promu n’en finit plus de se féliciter de ce choix : "Bravo aux recruteurs, ils ont fait du bon boulot ", en souriait, récemment, Jérémy Davidson. "Je suis très content de ses matchs, apprécie Pierre Capdevielle. Il a bien complété sa panoplie. C’est sur l’éjection qu’il a le plus progressé." Même Simon Mannix a envoyé un texto de félicitation à éric Blanc.

"C’est un profil atypique avec son côté romantique"

L’état de grâce actuel de Julien donne - enfin - raison à son père, convaincu de la première heure : "J’avais senti qu’il avait ce truc en plus qui lui permettrait d’arriver au haut niveau. Il m’a toujours donné des frissons. Je ne dis pas ça parce que c’est mon fils." Et l’ancien centre d’insister : "Richard Astre et Fabien Galthié ne m’ont pas dit que c’était le Aaron Smith français mais ils lui trouvaient des qualités, ils aimaient sa façon de voir le jeu, de déceler les coups…" Alors, comment expliquer cette éclosion aussi tardive ? Les sceptiques Nicolas Godignon et Simon Mannix n’ont pas souhaité s’exprimer. Éric Blanc se lance : "C’est un profil atypique avec un côté romantique très marqué. Je sais que ça lui a joué des tours. Il a toujours eu des détracteurs. Au début, on lui a reproché ses limites athlétiques et, après, qu’il était trop individualiste, qu’il ne savait pas gérer les temps faibles… Je sais bien qu’il n’est pas parfait mais certains coachs font des fixettes sur un point négatif et ne voient plus tout le reste." Peyo Capdevielle s’interroge : "Peut-être que sa gentillesse l’a desservi face à des joueurs au fort caractère. Certains préfèrent les demis de mêlée à poigne." L’actuel entraîneur de Vichy prend du recul : "à des postes aussi stratégiques que 9 ou 10, ça passe ou ça casse entre un joueur et son coach. Ça ne veut pas dire que les personnes qui n’ont pas cru en lui sont des mauvais techniciens ou des mauvais mecs." À chacun ses idées et ses idéaux. Éric Blanc étaye les siens : "On ne devrait jamais écarter complètement un joueur qui a du talent, sous prétexte qu’il n’est pas prêt. Heureusement, on a revu notre façon de penser : ce sont les rugbymen qui doivent devenir des athlètes désormais et plus l’inverse. Quand je vois que Rattez non plus n’avait pas été conservé par le Racing… Il faut juste laisser plus de temps à certains potentiels." Julien Blanc est finalement parvenu à se frayer un chemin : "Je suis fier de la manière dont il s’est accroché dans l’adversité. Le monde pro est une lessiveuse. Sans sa passion folle, il aurait lâché." "Ce qui me plaît beaucoup, c’est qu’il n’a jamais eu peur de se mettre en danger et qu’il a toujours su où il voulait aller", souligne Peyo Capdevielle.

Le plus étonnant, dans tout ça ? Les raffuts et rebonds défavorables n’ont pas égratigné le personnage : Julien Blanc reste cet amoureux transi de ballon, déconcertant d’innocence. "Il a énormément d’enthousiasme, confirme Jérôme Daret. Il est un peu perché par moments mais c’est un chouette gars à entraîner." Sans remords tenaces ni rancœur apparente. "Malgré tout ce qu’il a connu, il n’a pas de venin en lui, assure son père. Je n’ai jamais entendu de mal à propos de son attitude." Lui avance sans se retourner ni se projeter : "Je n’ai pas de plan de carrière. Je veux profiter, jouer à l’instinct, prendre du plaisir." En donner, aussi. À ce sujet, le meilleur reste peut-être à venir pour les supporters de Brive : "Je connais trop bien les pièges du haut niveau pour m’enflammer, conclut Éric Blanc. Il doit confirmer, avant tout. Mais je suis convaincu qu’il n’est qu’à 50 ou 60 % de son potentiel."

Photo Icon Sport

"Richard Astre et Fabien Galthié ne m’ont pas dit que c’était le Aaron Smith français mais ils lui trouvaient des qualités. "

éric BLANC

Ancien trois-quarts centre

et père de Julien Blanc

Né le : 4 octobre 1992.

Mensurations : 1,75 m, 81 kg

Poste : Demi de mêlée

Clubs successifs : Brive (2012-2015), Oyonnax Rugby (2015-2016),

Béziers (2016-2018), Pau (2018-2019), Brive (2019 - 2020).

Sélections nationales : 18 matchs avec France VII.

Palmarès : champion de France Reichel (2013).

"Parfois, il faut accepter de prendre son sac et partir quand on ne te veut plus."

Julien BLANC

Demi de mêlée de Brive

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