La valeur d'un titre

  • L'Afrique du Sud soulève le Trophée Webb Ellis après la victoire contre l'Angleterre
    L'Afrique du Sud soulève le Trophée Webb Ellis après la victoire contre l'Angleterre PA Images / Icon Sport - PA Images / Icon Sport
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L'édito d'Emmanuel Massicard... La neuvième Coupe du monde de l'histoire du rugby s'est terminée, samedi soir, par un double triomphe. Celui du Japon d'abord, magnifique pays hôte d'une compétition qui fait basculer le rugby dans une nouvelle dimension : à la conquête de l'Est, il s'est renforcé. Celui de l'Afrique du Sud, ensuite. La victoire des Boks est nette et sans bavure, arrachée par la force aux favoris Anglais qui, à nos yeux, furent victimes leur succès face aux All Blacks en demi-finale. Rien d'anodin : de 1999 à 2019 en passant par 2003 et 2007, la saga des Coupes du monde témoigne de l'incapacité des tombeurs de Néo-Zélandais à maîtriser le match d'après en phase finale ; n'était l'Australie en 1991, ils ont tous été battus quatre-vingt minutes plus tard.

Voilà très clairement le prix de l'exploit. Le retour de bâton, la malédiction « NZ » ou le coup de pied de l'âne, vous n'avez qu'à faire votre choix. Les Springboks, durs sur l'homme comme jamais, ont ainsi directement profité de cette victoire anglaise en demie, bien plus coûteuse qu'Eddie Jones n'avait jamais osé l'imaginer. L'Afrique du Sud n'a finalement eu « qu'à » se baisser - au plaquage, en mêlée et dans les duels au plus près du sol - pour emporter un troisième trophée en sept participations au Mondial.

Ce succès sans bavure a immédiatement soulevé une vague d'émotion générale autour de la nation arc-en-ciel, qui s'accroche toujours aux exploits des Boks pour porter ses rêves d'unité nationale et sa quête de jours meilleurs. Ce fut le cas en 1995, puis en 2007. 2019 bégaye encore. Sur ce point, il n'y a pas de surprise : qui d'autres que les partenaires de l'exemplaire Siya Kolisi pourraient prétendre mieux incarner la promesse d'une union sacrée ? Franchement, pas grand monde...

Mais ne soyons pas dupes. La grande liesse qui porte l'équipe d'Afrique du Sud a beau être une chance fantastique pour le pays tout entier, un trophée brodé sur le maillot n'a jamais rempli un frigo ; jamais gommé la souffrance, si ce n'est de manière éphémère. Demain matin, soyez en sûrs, les gens de Soweto ne gagneront pas de meilleurs salaires grâce aux essais de Kolbe et compagnie. De la même manière, un succès anglais n'aurait en rien solutionné le dossier du Brexit.

Aussi symbolique soit-il, chargé de ces émotions qui nous brouillent la vue, le titre remporté par les Springboks risque de ne jamais porter toute la valeur que l'on veut bien lui prêter à chaud, sous le coup du grand frisson collectif. Parce que le sport reste tout simplement le sport, comme dirait l'autre. Et qu'il n'aura jamais le pouvoir magique de changer le destin des gens sur la seule – bonne - foi d'une liesse populaire, avec des promesses d'héritage à partager telles qu'elles sont accrochées au cœur des champions les soirs de consécration. Même Mandela, en 1995, n'a pas tout changé du destin des sud-africains...

La vérité ? Si le rugby a clairement un message à porter qui dépasserait les limites des terrains ce ne sera jamais au prix de la seule performance sportive. Mais bien davantage, croyez-nous, au travers de son engagement quotidien à défendre et transmettre des valeurs si souvent brocardées, par jalousie ou dépit amoureux. Ce sont ces valeurs qui ont d'ailleurs fait la réussite du Mondial japonais, avec une armée de bénévoles pour accueillir le Monde et une population qui s'est largement mobilisée pour enchanter les stades. Ce sont aussi ces valeurs qui ont fait danser et chanter les supporters des Boks, noirs et blancs réunis, pendant de longues heures aux abords du Nissan Stadium pour célébrer la gloire de leur équipe et, plus encore, celle de leur pays.

Le défi de l'Afrique du Sud est là, devant elle. Ouvert par les hommes de Duane Vermeulen qui ont démontré toute la force d'un collectif uni. Ce message comme une promesse reste désormais à concrétiser dans les faits, au quotidien.

Nous pourrions également y voir le défi du rugby tout entier. Ouvert au monde, enfin, et déterminé à partager ses émotions. Prêt à combattre le repli sur soi qui nous guette et le défi des autres qui nous ronge. Prêt à repousser la part grandissante de l'individualisme au nom du vivre ensemble qui fait la grandeur de ce jeu.

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