Il y a un an, les Boks rentraient à jamais dans l’histoire

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Publié le Mis à jour
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Douze ans après leur dernier titre remporté au Stade de France et environ 600 jours après la prise de fonction de Rassie Erasmus, les Springboks ont retouché au Graal du rugby mondial le 2 novembre 2019. Comme un symbole, ils l’ont fait sous l’égide de Siya Kolisi, premier capitaine de couleur à soulever le trophée William Webb Ellis. Récit d’un voyage menant à un titre pas comme les autres.

Même le président sud-africain avait pris des mesures exceptionnelles afin de s’assurer que toute sa nation soutiendrait ses Springboks. Cette semaine, en face du parlement de la nation au drapeau arc-en-ciel, Cyril Ramaphosa avait demandé expressément à chaque citoyen de porter samedi un maillot des Springboks. Et à ceux qui n’en possédaient pas, il a demandé de klaxonner ou de faire du bruit par n’importe quel moyen que ce soit à 13 heures précises, heure locale du coup d’envoi que frappa Handré Pollard à des milliers de kilomètres de là, ou pendant la rencontre. Il faut dire que ces Boks avaient là une occasion unique de marquer l’histoire du rugby: toutes les foutues statistiques et autres records présageaient leur défaite ! Vous voulez des exemples ? Jamais, au grand jamais une équipe défaite en poule n’avait soulevé le trophée William-Webb-Ellis. Les Boks, eux, ont perdu d’emblée contre les Blacks pour leur premier match. Vous en voulez un autre ? Jamais une équipe n’était parvenue à faire le doublé Rugby Championship-Coupe du monde la même année. Avant cette rencontre, les cotes des bookmakers ne disaient pas autre chose. Les Boks étaient bien les grands outsiders de cette finale, face à une Angleterre qui avait signé l’un des plus grands (le plus grand ?) match de son histoire la semaine précédente face à ce que l’on croyait être la meilleure équipe du monde, les All Blacks.

Eh bien non. La meilleure équipe du monde, ce sont les Boks. Et pour une fois, ces derniers étaient menés par un homme de couleur, Siya Kolisi. Samedi soir, le flanker de la Western Province n’est pas seulement entré dans l’histoire de son équipe en atteignant les 50 sélections.

Il ne suffit pas d’envoyer un magnifique tweet pour créer de l’espoir

Il a marché dans les pas de ses glorieux prédécesseurs François Pienaar en 1995 et John Smit en 2007. Lors du premier titre, il avait 4 ans et ignorait encore tout de l’histoire de son pays, de ce que lui réservait cette société, et encore moins de ce que le fait de voir Nelson Mandela libre et soulevant la Coupe du monde représentait : "J’ai davantage profité du moment en 2007 car j’avais 16 ans. J’avais regardé cette finale dans un bar car nous n’avions pas la télé à la maison. Je me souviens de ce que ce titre a changé pour nous, pour la nation. Je n’ai jamais vécu une telle ferveur dans les rues depuis que je joue avec les Springboks. Je donnerais tout pour le vivre." Et son vœu s’est réalisé, pour le plus grand bien de ses idéaux et de son pays : "Il y a beaucoup de problèmes dans notre pays, et une équipe comme celle-ci — avec différents parcours, différentes races — a su se réunir pour atteindre un même objectif. J’espère vraiment qu’on a montré à notre peuple qu’il était possible d’accomplir de grandes choses à condition d’avancer dans la même direction." Celle que devaient prendre les Boks était tout indiquée : droit devant vers les bouchers anglais, vers un affrontement frontal voire violent, mais crucial.

C’est indéniable, ces Boks ont souffert ensemble. La télé peut bien ne rendre qu’un aperçu partiel de la vérité d’un match mais au Yokohama Stadium, ça tapait dur. Très dur, même. Trop dur pour certains, qui sont pourtant de véritables colosses. Dès la 3e minute, la brute Kyle Sinckler quittait le terrain, sonné. Peu après, son coéquipier Sam Underhill découpait Willie le Roux. Sept minutes plus tard, Damian de Allende manquait d’assommer deux adversaires d’un coup. À la 20e, c’était au tour du talonneur Bongi Mbonambi de quitter ses coéquipiers, groggy. Dans le même temps, Lood de Jager regagnait difficilement le bord du terrain, l’épaule gauche totalement déboîtée. Non loin de là, Billy Vunipola restait à terre, le maillot taché de sang. Cette finale promettait des sommets d’intensité, elle a tenu parole. Les amateurs des arts défensifs retiendront cette inoubliable séquence survenue à la demi-heure de jeu, quand l’Angleterre pilonna la ligne d’en-but sud-africaine avec toute la puissance de feu dont elle disposait pendant 25 temps de jeu sans jamais réussir à marquer. Ce moment où les frères Vunipola, Tuilagi, Itoje ou Lawes n’ont, pour une fois, rien pu faire : "Beaucoup de gens nous voyaient perdants mais les Sud-Africains sont comme ça. Ils sont forts et fiers, donc on a voulu montrer de quoi nous étions capables", souriait après le match le sélectionneur Rassie Erasmus qui, au passage, a réussi l’exploit d’être sacré champion du monde dès sa première Coupe du monde…

Un titre mérité pour un technicien qui a su reprendre en main un groupe à la dérive : "Dès notre premier rendez-vous à Johannesburg, Rassie a été très direct, racontait Kolisi. Il nous a dit que l’on gagnait beaucoup d’argent pour passer autant de temps sur les réseaux sociaux ou à faire toutes ces choses en dehors du terrain. Il a donc remis le rugby au centre de nos vies. On a éteint nos téléphones, on s’est mis à bosser dur, et on est devenus honnêtes envers nous-mêmes."

Vers un avenir radieux

Honnêtes, ils l’ont été dans la semaine suivant leur défaite face aux Blacks : "Nous avons connu une semaine terrible après ce match, rappelait Erasmus, mais nous avons parlé entre nous de ce qu’était la pression. En Afrique du Sud la vraie pression vient du chômage ou d’un meurtre d’un proche. Ça, c’est avoir la pression. On s’est dit que le rugby ne pouvait pas créer ce genre de pression, mais qu’il devait créer de l’espoir. Et pour cela, il ne suffit pas d’en parler et d’envoyer un magnifique tweet. Il vient si l’on joue bien le samedi et que nos supporters célèbrent notre victoire autour d’un bon "braaivleis" (barbecue traditionnel sud-africain, N.D.L.R.). Peu importe nos désaccords politiques ou religieux. Pendant quatre-vingt minutes au moins, on est tous d’accord. Nous avons vu cette Coupe du monde comme un privilège, une opportunité de changer les choses. Et c’est ce qui nous a guidés tout au long de la compétition."

Et comme tous les autres insatiables managers de son espèce, Erasmus était déjà tourné vers l’avenir avant même de quitter le majestueux stade de Yokohama : "Quand j’ai pris mes fonctions nous étions à 618 jours de la Coupe du monde. Aujourd’hui, nous sommes à 614 jours de la tournée des Lions britanniques en Afrique du Sud. Il y a aussi le Rugby Championship l’année prochaine. Tout le monde oublie la Coupe du monde si vous perdez votre premier test derrière ! Les Springboks n’ont jamais été bons dans les années qui ont suivi les titres. Quand il a pris les commandes de l’Angleterre, Eddie Jones a remporté 23 victoires en 24 tests. Gatland a fait du pays de Galles une équipe constante, régulière. On doit atteindre cela. Nous étions nuls en 2018, et meilleurs en 2019. Mais j’ai le sentiment que cette équipe réserve encore bien des choses pour l’avenir." Aujourd’hui et plus que jamais, le peuple sud-africain peut se dire "Vivement demain". Et de là où il contemple sa nation arc-en-ciel, Nelson Mandela doit être fier de ses Springboks…

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