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Smith : « Mon nez est déformé à cause de la moto »

  • Champion du monde cet automne au Japon (photo ci-contre), Kwagga Smith était de passage à Toulouse la semaine dernière (ci-dessous).
    Champion du monde cet automne au Japon (photo ci-contre), Kwagga Smith était de passage à Toulouse la semaine dernière (ci-dessous). PA Images / Icon Sport - PA Images / Icon Sport
  • "Mon nez est déformé à cause de la moto"
    "Mon nez est déformé à cause de la moto" Emilie Coutheillas - emilie
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Troisième ligne des Springboks et des Yamaha Jubilo de passage en occitanie pour une tournée avec son équipe japonaise des Jubilo, le flanker de poche récemment sacré champion du monde nous a accordé un entretien exclusif. Il raconte sa folle année, la mutation des boks, sa vie au Japon, les prochains jeux olympiques, ainsi que la surprenante origine de son prénom pas comme les autres...

Racontez-nous vos dernières semaines ?

Elles ont été complètement dingues, à l’image de l’année que je viens de vivre ! J’ai commencé par jouer en Top League avec Yamaha, puis en Super Rugby avec les Lions de Johannesburg. J’ai enchaîné sur le Rugby Championship avec les Boks et là tout est allé très vite : il y a eu les camps de préparation à la Coupe du monde en Afrique du Sud puis au Japon, puis le Mondial qui est passé en un clin d’œil, le retour au pays et notre tournée de six villes en cinq jours avec le trophée durant laquelle on a pas dormi, et enfin le voyage vers la France où j’ai retrouvé mes coéquipiers de club à Bagnères-de-Luchon dans les Pyrénées… à notre arrivée, il y avait dix centimètres de neige partout, nous n’avons pas pu nous entraîner sur le terrain. Donc oui, ce fut un programme complètement dingue. Mais je suis heureux de retrouver mes coéquipiers.

Comment vous sentez-vous physiquement après tous ces voyages et ces célébrations ?

Ce fut intense c’est vrai. J’en ai parlé avec mon manager Takanobu Horikawa : je lui ai dit que je pouvais encore me donner à 100 % pour les matchs de notre tournée en France mais que j’aurais besoin de souffler ensuite. Il m’a donc accordé deux semaines et demi de repos avant la reprise de la Top League pendant lesquelles je ne veux plus entendre parler de rugby ! (rires) Avec mon épouse, on veut aller dans notre petite maison au Mozambique, près de l’océan. Après toute cette agitation, j’ai envie de pêche, de calme et des grands espaces vides…

Racontez-nous les célébrations en Afrique du Sud…

Du Japon, nous n’avons pas pris conscience de ce qu’il se passait. C’est à notre arrivée à l’aéroport que l’on a tous pris une grande claque. C’était plein. Il y avait des gens à perte de vue. Notre hôtel était de l’autre côté de la rue, mais il nous a quand même fallu une escorte pour faire cent mètres. Pareil pour la tournée du pays sur notre bus : une foule à perte de vue, dans toutes les villes. Des gens heureux qui dansaient, qui chantaient. C’était fabuleux.

Que représente le fait que pour la première fois de son histoire, l’Afrique du Sud a été sacrée championne du monde avec à sa tête un capitaine noir ?

C’est immense. Dès que Rassie Erasmus nous a réunis, il nous a dit à quel point notre pays avait besoin de ce titre, et à quel point l’Afrique du Sud avait besoin de ce puissant symbole. Alors, on a tous bossé très dur pour l’offrir à notre pays. Siya a été un très bon capitaine tout au long de la compétition. Sa simple présence tenait déjà presque du miracle puisqu’il s’est gravement blessé à un genou en mai, soit quelques mois avant le Mondial.

Qu’a fait Rassie Erasmus pour redresser les Springboks en moins de deux ans ?

Je pense d’abord que Rassie est un mec bien. Un mec sain et qui est très compétent sur le plan technique et tactique. Mais surtout, il a réussi à réunir tout le monde, à unir toutes les individualités de cette équipe. C’est ça qui a fait une énorme différence. Quand il n’y a plus d’ego dans le groupe, chacun peut bosser pour l’autre. Je ne peux pas dire comment cela se passait avant car j’ai débuté avec les Springboks exactement en même temps que Rassie en tant que sélectionneur. Mais ce fut son tout premier discours et j’ai constaté depuis que son honnêteté sans faille a permis de créer une ambiance très saine dans le groupe. Il n’y a pas de discours par derrière. Et cela change tout : quand les joueurs deviennent des amis, ils s’entraident, ils restent entre eux quand c’est dur, ils croient au plan de jeu quand cela ne va pas sur le terrain.

On a aussi l’impression qu’Erasmus a étoffé l’arsenal offensif des Springboks…

C’est vrai. La puissance est toujours la qualité principale de l’Afrique du Sud mais Rassie a équilibré les choses. Il n’a pas sélectionné que des monstres physiques mais aussi des joueurs très mobiles, rapides ou agiles. Cheslin Kolbe en est l’exemple même et il a été l’un des meilleurs joueurs de la Coupe du monde alors qu’il n’est pas le plus gros d’entre eux. Rassie a donc demandé à chacun d’entre nous d’apporter ce qu’il faisait de mieux.

Idem pour vous : on doute qu’il y a cinq ou dix ans, un sélectionneur sud-africain aurait appelé un flanker de moins de 100 kg. Partagez-vous ce sentiment ?

Vous avez raison. Il y a cinq ans, le seul joueur qui me ressemblait sur le plan physique était Heinrich Brussöw. Mais il était le seul. Rassie a ouvert les portes de la sélection à tous les joueurs susceptibles d’apporter quelque chose au Boks et je pense que cela a renforcé l’équipe.

Étiez-vous surpris d’être appelé en sélection ?

J’ai connu ma première sélection contre le pays de Galles lors d’un test délocalisé à Washington, c’était donc un contexte spécial, d’autant que nous n’étions arrivés que la veille au soir tard. Je n’ai pas très bien joué et derrière, je n’ai plus été rappelé pendant presque un an. J’ai cru que mes rêves de carrière internationale s’étaient envolés. Mais à mon retour de ma première saison avec Yamaha, j’ai été performant en Super Rugby et Rassie m’a appelé quand Siya s’est blessé pour que j’intègre le groupe en vue du Rugby Championship. J’y suis allé sans me faire de trop grandes illusions et finalement… Rassie m’a titularisé en 6 pour affronter la Nouvelle-Zélande et on a fait match nul là-bas (16-16). J’ai ensuite débuté tous les autres matchs de la compétition, et j’ai fini par être appelé pour le Mondial…

On ne vous a pas posé la question de votre étonnant prénom : d’où vient-il ?

(Rires) En réalité ce n’est pas un nom mais un surnom. Il m’a été donné le jour de ma naissance, par mon grand frère qui a trois ans de plus que moi. Mes parents avaient l’habitude de recevoir des touristes à la ferme, façon chambre d’hôte. Ce jour-là, nous avions des chasseurs américains en visite qui demandèrent à mon grand frère mon prénom. Sauf qu’il n’avait que 3 ans, que mes parents ne lui avaient pas encore dit comme je m’appellerais et qu’il ne connaissait que les noms d’animaux car il les adoraient. Alors il a répondu "kwagga", qui est une sorte de zèbre dont l’espèce est éteinte depuis en Afrique du Sud. Et c’est resté. Je ne sais pas comment d’ailleurs mais je me suis vraiment approprié Kwagga. C’est le nom que j’inscrivais sur mes livres à l’école. Et encore aujourd’hui, très peu de gens connaissent mon vrai prénom (Albertus Stephanus, N.D.L.R.). Mais ça me va !

Pourquoi avez-vous décidé de partir au Japon alors que vous n’aviez que 24 ans et étiez en pleine réussite avec les Lions ?

Après quatre saisons de Currie Cup et de Super Rugby avec les Lions, j’ai eu envie de voir autre chose, vivre une autre aventure. L’avantage du Japon, c’est que la Top League me permettait de continuer à disputer le Super Rugby. Ce championnat m’intriguait, alors j’ai voulu aller voir comment les Japonais pratiquaient le rugby, comment ils le vivaient, à quoi ressemblait ce championnat, ses stades… J’ai été impressionné par le niveau. Ceux qui disent que c’est un championnat facile se trompent. Et puis les rares étrangers qui y figurent sont l’élite de l’élite, comme Matt Giteau ou Dan Carter. Ces mecs-là tirent les joueurs vers le haut car ils apprennent beaucoup d’eux. La saison dernière, on a perdu de trois points dans les arrêts de jeu de la demi-finale contre Suntory, qui a perdu en finale. La Top League n’est pas aussi longue que le Top 14, c’est sûr, mais cette saison, on aura tout de même seize rencontres, ce qui est comparable au Super Rugby.

Pourquoi avez-vous choisi Yamaha ? Vous êtes motard ?

Je le suis, en effet ! Du moins… je l’ai été. En vérité, c’est d’ailleurs à cause de la moto que mon nez est déformé !

Cela ne vient pas d’une blessure au rugby ?

C’est ce que tout le monde croit en effet mais pas du tout. Quand j’avais 13 ans, je pratiquais l’enduro en compétition et j’ai eu un gros accident. J’ai été éjecté de la selle et la moto m’est retombée dessus. Elle a fracassé mon casque, ma pommette et mon nez. J’étais dévisagé. C’était tellement gonflé que le chirurgien n’a pas pu opérer pour me redresser le nez. Et je suis resté comme ça. J’ai continué la compétition mais peu après, mon père m’a demandé de choisir entre l’enduro et le rugby. Et j’ai choisi le rugby… Mais je reviendrai à la course un jour, c’est sûr. Peut-être pas moto mais voiture pourquoi pas…

Revenons-en à notre question initiale : pourquoi Yamaha ?

J’avais plusieurs propositions, mais les dirigeants de Yamaha ont été les plus prompts à me rencontrer. Ils sont venus jusqu’en Afrique du Sud pour le faire. Ils n’avaient pas la meilleure proposition mais les autres clubs n’ont pas fait ce mètre de plus qui a tout changé. Ils m’ont expliqué le fonctionnement du club, ses objectifs, ainsi que son plan de jeu et tout me convenait. Et puis je voulais vivre à la campagne, comme je l’ai toujours fait en Afrique du Sud. Iwata, où nous sommes basés, est une ville parfaite pour mon épouse et moi.

Quelles ont été vos premières impressions des entraînements à la japonaise ?

J’en ai bavé. Les Nippons passent leur vie dans la salle de musculation et sur le terrain. En Afrique du Sud, une longue session muscu ou terrain dure à peine une heure. Au Japon, la norme est le double, au moins. C’est leur façon de faire : plus on répète, plus on progresse. Et ils n’ont pas tort. Ici, tu ne peux pas te cacher car tout le monde vit comme ça. J’ai progressé grâce au rugby japonais.

Comment expliquez-vous que les joueurs japonais ne se blessent pas davantage avec ces cadences infernales ?

Je l’ignore… C’est peut-être parce qu’ils ont procédé ainsi toute leur vie. Ils sont habitués. Et puis quand on s’entraîne aussi dur, les matchs deviennent plus faciles. Mais c’est vrai que de l’extérieur, on ne peut pas comprendre ces cadences. Un entraîneur ne pourrait pas proposer de telles semaines d’entraînement en Afrique du Sud : les joueurs le prendraient pour un fou. Mais c’est comme ça que ça marche ici.

Venant du VII et étant très mobile, on imagine que le style de jeu vous a plutôt convenu ?

Tout à fait. Cela va aussi vite qu’en Super Rugby, voire plus vite car les joueurs sont encore plus rapides. C’est parfait pour moi. Et puis j’aime jouer aux côtés de joueurs japonais car ils créent beaucoup d’opportunités. à Yamaha, nous avons une bonne structure de jeu mais celle-ci nous laisse beaucoup de libertés.

Alors pourquoi votre équipe a marqué autant d’essais sur des ballons portés lors de cette tournée en France ?

Disons que Yamaha est une équipe qui est très fière de son pack, de sa conquête et de son jeu d’avant. Au Japon, les autres équipes ne font qu’une séance de mêlée par semaine. Nous, on en fait trois et des séances de ballons portés. On combine cela avec des joueurs rapides derrière et cela fait une bon mélange. Un peu comme l’Afrique du Sud en fait !

Voulez-vous participer au JO de Tokyo avec l’équipe à VII d’Afrique du Sud ?

C’est l’un de mes objectifs principaux. Nous verrons avec Yamaha si c’est possible. La Top League se termine à fin du mois de mai, ce qui laisse deux mois et demi avant les Jeux. J’espère avoir assez d’opportunités pour avoir une chance de réintégrer les Blitzboks. Mais je sais déjà qu’il me sera très dur de retrouver le niveau mondial du rugby à VII.

Pensez-vous que Cheslin Kolbe y participera ?

Je l’ignore, en tout cas il aimerait y participer. Sauf que son calendrier avec Toulouse est déjà bien rempli… De toute façon, il n’aura pas beaucoup de niveau à rattraper vu ses dernières performances !

Quid de l’avenir ?

Mon contrat court jusqu’à la fin de la prochaine Top League. Nous allons commencer à négocier avec Yamaha au mois de janvier, quand je rentrerai. Je ne sais pas encore ce que je vais faire. Je vais consulter le club, mais aussi les Springboks pour voir connaître leur opinion.

Kolbe a prolongé son contrat avec le Stade toulousain tandis que Kolisi a déclaré qu’il aimerait jouer en France. Vous verriez-vous les imiter ?

Pourquoi pas ? à Toulouse, je connais très bien Rynhardt Elstadt aussi, c’est un ami proche. Nous avons dîné ensemble hier soir d’ailleurs (l’entretien a été réalisé mardi dernier, N.D.L.R.) Je l’ai connu il y a plusieurs années, quand je jouais à VII et lui jouait aux Stormers. Le courant est tout de suite passé entre nous. J’étais ravi de le revoir hier soir.

Il est un autre symbole de cette ouverture prônée par Rassie Erasmus…

C’est vrai. Il y a quelques années, il n’aurait pas été sélectionné parce qu’il ne jouait pas en Afrique du Sud. Rassie a dépassé cela en convoquant les meilleurs joueurs possibles dans le monde, sans se soucier du pays dans lequel ils jouent. Je suis assez d’accord avec cela : peu importe l’identité du club, si on est assez performant, on mérite d’être sélectionné.

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