Denis Lalanne, adieu au premier chantre du rugby français

  • Denis Lalanne, figure du journalisme sportif s'est éteint ce dimanche 7 décembre, à l'âge de 93 ans.
    Denis Lalanne, figure du journalisme sportif s'est éteint ce dimanche 7 décembre, à l'âge de 93 ans. ©Wikimedia Commons
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Il vient de nous quitter à 93 ans, Denis Lalanne créa dans les années 50, un nouveau style de journalisme sportif. Il aura su magnifier le rugby comme personne avant lui.

Il aura changé presque à lui seul le journalisme sportif. Denis Lalanne s'en est allé vendredi dernier à l'âge de 93 ans, nous lui avions encore parlé voici quinze jours. Il s'était excusé de ne pas nous avoir répondu tout de suite car il était au cinéma. Rien dans son élocution si délicieuse ne laissait craindre son prochain départ. Il avait pris sa retraite en 1991 après une extraordinaire carrière au quotidien l'Equipe, puis il nous avait fait l'amitié d'écrire des chroniques dans les colonnes de Midi olympique à l'initiative de Jacques Verdier.

Denis Lalanne restera dans l'histoire du journalisme, car il avait surpassé le compte rendu de match sobrement factuel pour basculer dans le récit épique. Les matchs et les tournées du XV de France devinrent des moments de grâce, de tragédie ou de farce et dans les meilleurs jours, des chants de l'odyssée d'Homère. Bien sûr, on ne peut retracer le parcours de cette plume sans citer son œuvre majeure : « Le Grand Combat du XV de France », un livre magistral sur la première tournée du XV de France en Afrique du Sud. A l'époque, l'événement n'était pas télévisé, ni même radio diffusé. Les articles des envoyés spéciaux étaient les seuls témoignages des exploits de Lucien Mias et de ses hommes (un match nul et une victoire lors des deux tests). De retour en France, il avait passé son été, à Saint-Jean-de-Luz à rassembler ses notes souvent inutilisées sur le moment pour en tirer un long récit qui fit voyager des milliers de lecteurs et qui fonda un genre, la littérature sportive.

Ce livre était né d'une frustration car durant son séjour en Afrique du Sud, il n'avait pu envoyer que de petits câbles à son journal, vu les coûts des transmissions. C'est son ami Robert Roy qui avait repris ses écrits minimalistes par force, en les enjolivant. Denis Lalanne avait donc tenu à s'exprimer avec son lyrisme propre à la descente de l'avion, et le résultat fut stupéfiant. Il avait le sens de la formule, l'amour des mots justes et inattendus, et le goût de la métaphore historique. Denis Lalanne n'était pas un technicien hors pair, ni un historien pointilleux, mais un vrai chantre. Il le reconnut plus atrd : « Oui, j'ai sublimé à mon insu ».

« Le Grand Combat du XV de France » fut traduit en anglais et vendu dans tous les pays qui pratiquaient le rugby. On a même dit qu'il servit de dictée aux élèves néo-zélandais et sud-africains... Trois ans après, il récidiva avec un autre ouvrage : « La mêlée fantastique ». Récit halluciné provoqué par un match unique : le fameux France-Afrique du Sud de 1961 terminé par un …. zéro-zéro, mais vécu sur le moment comme un Everest du rugby et un acte de bravoure insensé des Tricolores de François Moncla, tant ces Springboks-là étaient effrayants.

Denis Lalanne incarna une vision bien particulière de la culture du rugby français. Il était clairement dans un clan, celui du Jeu avec un grand J. Du rugby vécu comme une esthétique, vouée à la prise de risque et à l'offensive, un credo qui l'amena à soutenir contre vents et marées le style dit « basco-landais », celui de Jean Dauger à Bayonne, puis des frères Boniface à Mont-de-Marsan avec des crochets par Agen ou par Lourdes évidemment. Dans les années 60, Lalanne mit son talent au service de multiples passes d'armes avec la FFR, celle des « Gros Pardessus » de Roger Lerou, d'abord, puis de Guy Basquet et d'Albert Ferrasse. Il les accusait de privilégier un rugby restrictif qui bridait les talents individuels.

Dans la légende de Denis Lalanne, il y avait un match-phare, le fameux France-Galles de 1965 ou plutôt sa première mi-temps éclatante, sommet du parcours d'André et de Guy Boniface, ses vrais chouchous. Par sa verve, Lalanne savait rendre « branchée » la province la plus alanguie, ce fut sans doute son plus bel exploit. Sous sa plume, Mont-de-Marsan devenait ainsi une sorte de Mecque du rugby mondial. Il avait ce don de rendre merveilleuses les situations que d'autres auraient trouvé simplement jolies et très jolies, celles que les esprit chagrins auraient pensé passables.

Denis Lalanne était d'un autre siècle, celui où le parler aristocratique se pratiquait même dans les milieux simples, celui où les simples bacheliers exprimaient sans forcer une culture historique et littéraire dignes d'un agrégé de maintenant. Sa conversation était magnifique, dépourvue de toute grossièreté, et même de toute facilité. Quelques formules nous sont revenus en mémoire : « Une défaite comme ça, on en redemande.,» ou « Lucien Mias, une grande intelligence avec des effets puérils, gros tas pachydermique contenant une inimaginable réserve de santé.» ou « Les rugbymen en arrivant au-dessus du Cap, ont poussé le « thalassa » des 10 000 Grecs de Xénophon. »

On allait oublier, avant Roger Couderc, il fut le premier à être surnommé « Le seizième homme du XV de France. »

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