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Ibañez : « Je ne me suis pas trompé »

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    "Je ne me suis pas trompé"
Publié le Mis à jour
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Mercredi, après trois jours de séminaires avec les autres membres de l'encadrement du XV de France chez lui à Hossegor, le nouveau manager des Bleus Raphaël Ibañez s'est confié sur le rôle qu'il a embrassé depuis un mois. Une mission transversale, plus éloignée du terrain que lors de son passage à Bordeaux-Bègles, que son rapport fusionnel à l'équipe nationale l'a poussé à accepter. Son obsession : la ramener dans le haut du panier mondial. 

Est-ce votre attachement au maillot du XV de France qui vous a poussé à accepter la mission proposée par Bernard Laporte ?

C’était une très bonne proposition et l’équipe de France, c’est le summum que j’ai vécu en tant que joueur, que capitaine, très jeune capitaine d’ailleurs. Lorsque j’ai quitté le Stade de France en 2007 à la sortie de notre dernier match de la Coupe du monde (référence à la défaite contre l’Angleterre en demi-finale même s’il y a aussi le revers contre l’Argentine pour le match de la troisième place au Parc des Princes, N.D.L.R.), j’avais le sentiment que l’histoire ne pouvait pas se finir comme ça. J’avais la conviction que l’opportunité de m’inscrire dans un projet conquérant avec le XV de France émergerait. Elle s’est présentée et c’est la raison profonde de mon engagement.

C’est presque un projet de reconquête. En tant qu’ancien capitaine des Bleus, avez-vous souffert d’observer la chute de l’équipe de France sur l’échiquier du rugby mondial depuis huit ans ?

Notre génération a eu la chance de vivre des émotions fantastiques en sélection. On a beaucoup gagné mais il ne faut pas oublier qu’on a beaucoup perdu aussi. C’est une des choses qui m’a incité à accepter de relever ce magnifique défi avec Fabien (Galthié, N.D.L.R.). Parce qu’avec lui, nous avons connu des victoires dans le Tournoi des 6 Nations, des finales de Coupe du monde, des demi-finales exceptionnelles. Ce sont des moments forts mais, je le répète, il y en a également eu de très délicats. L’équipe de France doit s’inscrire au plus haut niveau et les dernières années ont été douloureuses pour tout le monde. Lorsqu’on échange avec les acteurs du rugby français, notamment les bénévoles dans les clubs, ils attendent un rebond favorable. Ma volonté, c’est de faire en sorte que le ballon rebondisse du bon côté cette fois.

Que vous a apporté votre première expérience de manager à Bordeaux, avec de la réussite mais aussi une fin plus douloureuse ?

Elle a été inestimable et m’a forgé dans mon parcours, dans la bascule du statut de joueur à celui d’entraîneur. Quand je regarde ces cinq années à l’UBB, je me dis que je suis très reconnaissant de la confiance qui m’a été accordée par Laurent Marti à mes débuts. Si vous lui posez la question, il répondra qu’il avait déjà en tête l’idée que je puisse occuper un jour la fonction qui est la mienne désormais. Il l’avait formulé auprès de moi et je n’y croyais pas du tout. Cela signifie qu’il faut savoir écouter parfois et croire en son destin.

Comment définissez-vous votre rôle de manager du XV de France ?

Il s’agit pour moi de créer, dans un premier temps, le lien entre les hommes. Entre le sélectionneur-entraîneur qu’est Fabien et les coentraîneurs, ensuite avec les joueurs, ce qui sera une nouvelle étape de ma fonction de manager que j’attends avec impatience et enthousiasme. Les relations humaines me passionnent. En interne, je me dois aussi d’être en lien avec les autres forces vives du rugby français, les autres équipes nationales, la direction technique nationale, de façon à renforcer cette idée d’un esprit Bleu. Elle a déjà été développée au sein de la Fédération et se décline à toutes les sélections pour permettre aux jeunes joueurs à fort potentiel de se retrouver très vite dans la dynamique du rugby national.

Et au-delà de ce qui est interne à la FFR ?

Je serai un interlocuteur de la presse et on va aussi chercher à développer le secteur de l’arbitrage. Nous avons la chance d’avoir des arbitres internationaux de grande qualité et nous sommes même champions du monde à ce niveau. C’est un point positif pour le rugby français et je me suis rapproché de Jérôme Garcès, qui est aujourd’hui le manager des arbitres internationaux, pour définir ensemble une nouvelle approche avec le corps arbitral au niveau international. Je pense que nous avons perdu du terrain sur ce plan et il est temps de retrouver un peu plus, si ce n’est de considération, au moins de présence auprès des instances. Je vais porter ce projet au sein du XV de France masculin et on va le décliner aux autres équipes nationales. Cela va démarrer rapidement puisque, la semaine prochaine, nous aurons la visite d’Alain Rolland, le directeur des arbitres à Wolrd Rugby. Ce sera un premier pas vers un rapprochement qui devrait nous aider.

La distance avec le terrain a-t-elle pu vous faire hésiter au moment de vous engager dans cette nouvelle fonction ?

Nous insistons beaucoup sur la notion de finalité et dans les buts que nous nous sommes fixés pour l’atteindre, il y a le chemin à suivre. Il peut être parsemé d’obstacles ou d’embûches. On peut faire demi-tour, on peut aussi s’en écarter un peu… Mais je suis quelqu’un de persévérant et il y a tellement de détermination en moi que je savais, en mon for intérieur, qu’il était temps de me lancer dans cette aventure. Surtout avec des garçons de ma génération, qui possèdent des compétences reconnues. Je peux vous assurer une chose à l’issue de notre deuxième séminaire qui s’est effectué sur mes terres landaises : j’ai la conviction qu’il y a une vraie force de travail et, grâce à l’énergie qui se dégage, je sais que je ne me suis pas trompé. C’est sans doute le challenge d’une vie pour nous tous. Je compte bien y mettre tout mon engagement.

Il n’empêche qu’il y a un volet technicien dans votre après carrière. Quel sera votre positionnement par rapport à Fabien et à ses décisions ?

C’est très clair. Il y a assez de complicité entre Fabien et moi pour que nous parvenions à nous comprendre. Il est le sélectionneur-entraîneur, le stratège en chef, l’homme de terrain qui va devoir harmoniser le travail de tous les entraîneurs. Ma position est à ses côtés, et je ne suis évidemment pas insensible aux réflexions d’ordre technique qui sont développées lors de nos réunions. Mais on doit d’abord être à l’écoute et respecter les compétences de chacun. Fabien me connaît assez bien pour me faire confiance et savoir que je peux de temps en temps interroger et alimenter la réflexion tout en restant à ma place. Ma passion pour ce jeu est toujours là et c’est à moi de trouver le bon degré d’intervention.

Vous n’aurez donc peut-être pas votre mot à dire sur la composition d’équipe mais pourrez émettre des avis…

(Fabien Galthié, assis à côté de lui, intervient : "Il a bien sûr son mot à dire tout le temps. Notre organisation est très claire et, dans celle-ci, Raphaël est présent partout. Vous le verrez parfois sur le terrain pour les entraînements où il pourra être dans l’exécution à mes côtés ou l’organisation.") Ibanez reprend : L’important, c’est notre finalité, celle qu’on a définie lors de notre premier séminaire, à savoir redevenir une nation majeure du rugby mondial. Il faut des victoires et des titres, rapidement, pour s’inscrire à nouveau dans le top 3 mondial. Cela doit être une obsession pour nous tous.

Comment y parvenir alors que la France a accumulé du retard ?

On a défini cinq piliers qui seront le socle de cette réussite. D’abord notre rugby, que l’on veut intelligent, puis notre projet, notre chemin, notre identité et notre exigence. Pour ce qui est du projet, le processus a démarré depuis notre prise de fonction, avec la visite des clubs pour aller à la rencontre des joueurs, des présidents, des managers qui ont été en connexion permanente avec nous.

Et comment fut l’accueil ?

Je ne sais pas si on peut parler de révolution mais c’est une révélation pour nous à travers les échanges qu’on a pu avoir. J’ai reçu énormément de messages d’encouragement, des mots chaleureux et on sent qu’il y a une dynamique. Les présidents sont les premiers concernés. Il y a chez eux eux une véritable ouverture d’esprit, relayée par les managers de Top 14 et pour certains de Pro D2. Ils sont issus de la même génération que la nôtre. J’ai apprécié la facilité avec laquelle ils ont ouvert leurs portes et la bienveillance avec laquelle ils nous ont accueillis. On apprend beaucoup d’eux car ils sont au quotidien avec les joueurs. Nous sommes sur la bonne voie.

C’est souvent le cas en début de mandat mais les intérêts sont tellement multiples dans le rugby français qu’il est difficile de toujours mettre celui du joueur et de sa progression au centre. Est-ce une mission périlleuse ?

Ce n’est pas du tout insurmontable. On a la possibilité aujourd’hui, dans la dynamique qui existe, de faire du joueur l’élément central de notre système. Je le répète, grâce à l’appui des managers et des présidents, il y a une fenêtre pour y parvenir. Bien sûr, il y a une part d’inconnue dans notre aventure. Cela peut être source de stress ou d’excitation. Pour ma part, je penche plutôt pour la deuxième solution et je suis très impatient à l’idée de me lancer.

Fabien Galthié n’a pas caché qu’il y aurait des moments de tensions avec les clubs. Vous serez alors en première ligne. Vous y êtes-vous préparé ?

Oui, je m’y suis préparé et nous nous y sommes préparés avec sérénité. On va avancer en équipe et c’est pour ça qu’on multiplie nos rendez-vous entre membres de l’encadrement technique. On renforce nos liens et on connaît le système qui peut être parfois contre-productif. Lorsque les difficultés apparaîtront, il s’agira d’être souples, flexibles et persévérants, avec une même ligne de conduite. Sans oublier qu’on doit rester force de proposition pour ne pas tomber dans le conflit direct et l’affrontement.

Pendant dix mois sur douze, le joueur sera en club. Quelle maîtrise aurez-vous matériellement sur lui ? Aurez-vous une prise directe sur leurs entraînements par exemple ?

Nous sommes en plein développement de ce côté-là, notamment au niveau de la performance puisque, avec le concours de la Ligue, les clubs vont progressivement adopter le même système de base de données que nous. C’est une véritable ressource qui n’est pas non plus très innovante car les autres nations du rugby mondial se sont dotées de ces outils depuis bien longtemps. On sera simplement à l’équilibre avec elles. Mais, ce qui sera essentiel pour faire du joueur l’élément central, c’est de continuer la connexion qui s’est établie avec les clubs. Il faut la maintenir. On parle de rugby 2.0. Voilà, on y est. On veut casser les codes et cet ancien réflexe de vouloir conserver ses secrets, pour partager en toute transparence. À titre personnel, j’ai eu le bonheur de vivre quatre mois en Nouvelle-Zélande récemment. Sur place, j’ai entendu que Steve Hansen, l’entraîneur en chef des All Blacks, qui avait un souci sur un la conquête en touche, a convoqué l’an dernier dans son bureau les quatre ou cinq spécialistes de ce secteur dont certains étaient entraîneurs en troisième ou quatrième division du pays. Même les Néo-Zélandais ont cette capacité à partager les compétences. Si je dois retenir un élément majeur de mon expérience vécue à l’étranger, c’est celui-ci. On a envie nous aussi de franchir ce cap.

Laurent Labit disait qu’il a été marqué par les barrières qui pouvaient exister entre les joueurs de différents clubs quand ils sont en sélection. Comment les faire sauter ?

Je suis toujours attaché aux mots et cela fait partie de ma personnalité. Ils peuvent avoir du sens et, quand on parle de l’équipe de France, on ne parle pas forcément de concurrence en interne. J’aimerais qu’on utilise plutôt les termes d’émulation, de coéquipiers. Ces garçons doivent être membres du XV de France et avoir une forme de fraternité. Cela va au-delà du fait de vivre un match de rugby ensemble. J’ai souvenir de joueurs qui sont parvenus à développer cette fraternité. Quand on évoque les frères de la première ligne, ce n’est pas anodin. En tant qu’ancien talonneur, ça signifie quelque chose pour moi.

Quel était le contenu de vos entretiens avec les joueurs ?

Concrètement, lors de nos visites, nous avons rencontré environ quatre-vingt-dix joueurs à raison de trente minutes d’entretien individuel, ce qui fait quarante-cinq heures au total depuis six semaines. D’ici les deux prochaines semaines, nous aurons vu tous les clubs de Top 14. On a mis en place une méthodologie à travers une série de questions et des discussions directes. J’ai constaté une grosse honnêteté et une sincérité de leur part dans ces échanges. Il y a une forte détermination chez tous. Ils sont conscients de l’enjeu, de leurs responsabilités.

Vous avez répété mettre entre les mains des joueurs une sorte de pacte et de charte de vie…

Il y a l’identité que les joueurs vont s’approprier sur le terrain, car ce sont eux qui vont la créer en étant acteurs, mais il y a aussi la partie hors terrain sur laquelle on se penche à l’heure actuelle. L’idée, c’est de les amener à comprendre un cadre qui est cher à Fabien, ce que l’on peut appeler la zone rouge, à savoir les choses non négociables. Puis une zone bleue qu’on va construire avec eux, là où il y a un espace de liberté et de réflexion. Ces deux pôles réunis vont nous permettre d’asseoir notre identité au fil du temps et en fonction des scénarios de match que nous allons connaître. Au-delà, ce n’est un secret pour personne que l’on prend en compte dans le processus de sélection la performance sportive mais aussi la capacité à prendre la mesure de ce que représente le maillot de l’équipe de France. Il y a un devoir d’exemplarité et la personnalité de l’homme est aussi importante que le joueur.

Même si un joueur est exceptionnel sur le terrain ?

S’il l’est à nos yeux, c’est qu’il aura rempli tous les critères qui sont attendus pour être le meilleur à son poste. Généralement, les meilleurs joueurs du monde sont d’excellents rugbymen mais aussi de fortes personnalités, respectées et reconnues.

Avez-vous abordé la question du futur capitaine à Hossegor et la réflexion a-t-elle avancé ?

Nous avons bien sûr évoqué le sujet et le capitanat en équipe de France est une telle responsabilité qu’il s’agit de définir la personne qui peut, pour le Tournoi des 6 Nations, incarner ce statut-là. Il y a eu des capitaines en sélection dans ce staff, comme William (Servat), Fabien ou moi-même, et on sait que c’est une tâche fantastique et valorisante mais aussi pesante. On va chercher le meilleur profil mais l’essentiel est déjà d’identifier des leaders.

Vous avez parlé de capitaine pour le Tournoi des 6 Nations, pas forcément pour les prochaines années ?

Pour le Tournoi mais aussi la tournée de juillet en Argentine puis celle de novembre. Cela fera donc une saison. On va essayer d’inscrire le capitaine du XV de France, comme les 42 joueurs de la liste, dans la continuité.

Les deux derniers titres de champions du monde moins de 20 ans sont une aubaine mais n’est-ce pas aussi une pression ? Le grand public ne comprendrait pas que ces succès ne se transposent pas à l’étage supérieur…

Bien sûr. Mais l’idée, qu’on répète à l’ensemble des joueurs, c’est qu’on les suit et s’habituer à gagner, c’est quand même mieux que s’habituer à perdre. Donc ces titres-là ne sont que du bonheur.

Vous insistez sur ce besoin de s’habituer à gagner. Est-ce une façon de valoriser de nouveau le Tournoi des 6 Nations et de ne plus être obsédé seulement par la Coupe du monde ?

C’est un fondement de notre finalité. D’un point de vue statistique, pour être champion du monde dans n’importe quel sport collectif, il faut avoir effectué au moins une ou deux saisons précédentes sur le podium. C’est la réalité. Quand on parle de progression, le Tournoi des 6 Nations reste la compétition sur laquelle nous sommes principalement focalisés. Il faut gagner, et vite.

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