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Lemaître : "J’ai investi pour éviter au RCT de mourir"

Par Pierrick ILIC-RUFFINATTI
  • Photo Midi Olympique - Patrick Derewiany
    Photo Midi Olympique - Patrick Derewiany
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Bernard Lemaître - actionnaire de Toulon Entrepreneur à succès, Bernard Lemaître est devenu début décembre actionnaire majoritaire du RCT. "Mais pas propriétaire, je n’aime pas ce mot. Il voudrait dire que le club m’appartient, et même si ça fait sens juridiquement, c’est faux : le RCT appartient aux Toulonnais ! Moi, je ne suis là que pour accompagner à la réussite du club". Celui qui se définit comme un preneur de risques et qui n’avait pas hésité à vendre "sa voiture et son appartement" pour fonder sa première entreprise, s’est longuement confié à Midi Olympique.

Après être entré au capital du RCT en juin 2018, vous êtes devenu actionnaire majoritaire fin 2019. Quelle est aujourd’hui votre part du capital ?

J’étais à 48 % et j’ai fait une augmentation de capital de 8 millions, il y a deux mois. Par effet de dilution des parts détenues par Mourad Boudjellal, ça m’a mené à une situation de 75 %. Qui deviendra prochainement supérieure à 99 %, le reste appartenant à l’association. C’est une conséquence du désir de Mourad Boudjellal, de se débarrasser des 25 % qui lui restent et de ma volonté d’en terminer avec ces histoires capitalistiques.

En fin de saison vous deviendrez également président. Pourquoi vouloir cette double-casquette ?

Toulon on ne peut dissocier le président du "propriétaire". Que ce soit pour l’administratif, le sportif, les partenaires ou les supporters, on a besoin d’un interlocuteur unique. C’est une résultante de la forte personnalité de Mourad. En revanche je serai entouré car la tâche est considérable. Il n’y a que le sportif, où je m’appuierai sur Patrice Collazo et Laurent Emmanuelli, qui restera sous ma supervision.

Aviez-vous mesuré à quel point votre mission au sein du RCT serait énergivore ?

Il y a une montagne de problématiques. Celles d’une entreprise, mais également celles qui incombent au sport de haut niveau, à savoir des facteurs relationnels et humains peu quantifiables. C’est d’autant plus vrai quand on connaît la résonance du club. Le RCT, à son échelle, c’est une sorte d’Olympique de Marseille. C’est énergivore, oui, mais je suis prêt à assumer. On a souvent parlé de mon âge, mais j’ai une énergie considérable. Je me lève tôt, me couche tard. Et la nuit je lis des dossiers. C’est ma vie !

Quelle est la méthode Bernard Lemaître ?

Je concentre mes employés sur ce qui semble prioritaire. Il faut donc d’abord définir les priorités, puis celles qui sont vraiment urgentes. Ensuite, je leur demande de me présenter des suggestions, des solutions. Je crois que ça leur plaît. Auparavant, ils exécutaient des ordres plutôt que de travailler en équipe.

Comment appréhendez-vous l’exposition médiatique ?

Je ne m’y suis pas préparé. Je suis quelqu’un de mesuré : je pense ce que je vais dire, j’essaye de ne blesser personne et je m’appuie sur des faits. Ainsi, à partir du moment où les faits sont travestis, je m’autorise à corriger, en réaction. Sinon je ne fais pas d’écart, je reste moi-même.

On vous dépeint souvent comme l’anti-Mourad Boudjellal, ou plutôt son exact opposé. Partagez-vous cette vision ?

Mourad a sa personnalité et son style que je respecte mais qui ne sont pas les miens. J’admire son intelligence, sa créativité et ce qu’il a fait. J’aimerais simplement relativiser certaines choses. On parle des "succès de Mourad" mais ce sont davantage les succès d’une équipe. Un trophée, c’est 75 % grâce l’équipe. Ensuite il y a le staff, le médical, etc. Le rôle du dirigeant est de créer les conditions de la réussite. Si on est champions de France un jour, je ne m’attribuerai jamais le mérite. Je serai simplement content d’avoir aidé le club à l’obtenir.

Malgré tout, plus que n’importe quel autre président, Mourad Boudjellal symbolise à lui seul le renouveau et la réussite de son club.

Certainement, mais je ne suis pas certain que dans 50 ans on s’en souviendra. Il restera des lignes de palmarès et quelques coupes dans la salle des trophées. Aujourd’hui quand on dit "Toulon a été champion de France en 1932" ça ne touche personne. 1987 et 1992 un peu plus, mais ça vieillit. Tout comme les années 2013, 2014 et 2015 qui, aussi glorieuses aient-elles été, sont désormais derrière nous. Je veux que tout le monde aille de l’avant. Tout change très vite et j’aimerais qu’on ne rate pas un virage en regardant dans le rétro.

Manage-t-on un club de rugby comme une entreprise ?

Il y a des points communs. Les deux doivent créer des ressources pour survivre. Gagner de l’argent ? L’entreprise oui, le club de rugby pas nécessairement. Il doit simplement équilibrer ses comptes. Or, si j’ai été obligé d’investir des sommes considérables en 18 mois, c’est justement pour éviter au RCT de mourir.

Vous attendiez-vous à devoir débourser de telles sommes (18 millions d’euros) quand vous êtes entré dans le capital ?

Absolument pas. Quand j’ai investi pour permettre le démarrage du projet centre d’entraînement, j’ai procédé à un audit sans prendre la mesure de la situation… Le club a connu un train de vie très élevé, mais avec un niveau de ressources également élevé. Tout d’un coup, les ressources ont baissé à cause des résultats, pendant que club continuait de vivre au même rythme. C’est ce qu’on appelle l’effet ciseau : les dépenses sont stables et les ressources baissent. Ça a créé un déficit.

Mourad Boudjellal parlait d’"économie réelle". Quel modèle économique souhaitez-vous installer ?

Un modèle identique, sans avoir à le travestir et en me conformant aux règles émises par la LNR. Ça veut dire que les ressources du club doivent couvrir les dépenses, quitte à réduire ces dernières. Si l’actionnaire remet sans arrêt la main à la poche, c’est que le modèle ne fonctionne pas ! Quand le propriétaire du Stade français dit : "Je suis prêt à mettre 100 millions en cinq ans", je crois qu’il se trompe : s’il est obligé de le faire, c’est que son modèle n’est pas viable et que ça recommencera dans cinq ans. Ce qu’il y a de commun avec l’entreprise, c’est ce besoin de créer des ressources. Pour cela, il faut que l’équipe remporte des succès et joue bien pour attirer du public, des partenaires et des sponsors. On ne peut pas se permettre d’avoir le niveau qu’à eu Toulon entre 2012 et 2016, et s’écrouler d’un coup. Il faut anticiper et être prudent dans les années de gloire.

Pensez-vous avoir assaini les finances du RCT ?

En majeure partie, mais le travail n’est pas terminé. Par exemple, je ne sais pas si l’exercice 2020-2021 pourra être équilibré. Ça dépendra d’une inconnue : jouera-t-on des phases finales ?

Devrez-vous encore en être de votre poche ?

Je n’ai pas l’intention de mettre la main à la poche de manière illimitée. Ce n’est pas que je n’ai pas les moyens, mais ça voudrait dire que je n’arrive pas à pérenniser notre modèle économique. Je sais aussi que je ne suis pas éternel et je veux laisser derrière moi une situation propre, contraire à celle que j’ai trouvé.

Justement, comment se passerait une éventuelle succession…

(il coupe) N’ayez pas peur de le dire : comment ça se passera après mon départ ou mon décès ? Je comprends la question, j’ai 81 ans et je me la suis également posé. C’est simple : au sein de la holding financière, l’actionnaire principal est ma fondation. Elle a des statuts qui la rendent pérenne ad vitam æternam tant qu’on veut la faire fonctionner. C’est cette fondation qui prendrait le relais et nommerait un président.

Pourquoi avoir attendu vos 79 ans pour investir dans un club de Top 14, et vos 80 ans pour en devenir propriétaire ?

Pendant quarante années, je suis passé du statut de cadre d’entreprise dans l’industrie pharmaceutique à celui de fondateur d’entreprise dans un domaine de haute technologie. Ça a été une véritable success story et j’ai pu valoriser mon entreprise. J’ai décidé de passer la main à 68-69 ans, car je me sentais en situation d’asymptote. J’ai alors réalisé un gros capital que j’ai investi dans une holding patrimoniale, financière. On a développé nos capitaux et ça a cessé de m’amuser. Faire de l’argent c’est fun mais ce n’est pas une finalité. À partir de là, m’intéressant au rugby - moi qui ait toujours été un fidèle du Midi Olympique - j’ai appris que Toulon avait des besoins en infrastructures. Mon étincelle d’entrepreneur a ressurgi : j’ai proposé mes services. Sans autre ambition. Puis les besoins du club se sont faits sentir et je me suis pris au jeu.

Vous voulez rapprocher la SASP et l’Association. Dans quel objectif ?

Je ne veux plus qu’il y ait deux entités qui se font la guerre. Je souhaite qu’on se retrouve au sein d’une politique sportive cohérente sur la formation, le rôle des coachs, la façon d’entraîner… Toulouse est un excellent exemple : tout le monde parle le même langage et les résultats de l’équipe première sont la résultante de ce mouvement ascendant.

Votre côté méthodique rassure certains supporters et inquiètent d’autres, qui craignent que le RCT rentre dans le rang. Que leur répondez-vous ?

Que je ne peux pas être un clone de Mourad Boudjellal, d’autant que j’ai 20 ans de plus (sourire). Travailler avec méthode, de façon réfléchie, organisée, sera bénéfique pour le RCT.

Mourad Boudjellal aimait la métaphore du cinéma, expliquant qu’il préférait proposer des films exceptionnels dans des sièges moyens, que des films moyens dans des sièges exceptionnels. Pensez-vous que c’était le moment pour Toulon de changer d’optique ?

Il n’y a plus de grand club sans installations ultra-modernes. Dire "on a été champions d’Europe dans des algécos" c’est bien, mais c’est la réalité d’hier. Quand on recrute Etzebeth ou Whitelock, que nous aurions pu signer, et que nous leur montrons les installations, ils se posent des questions. C’est pareil pour les jeunes. Quand vous faites visiter les installations actuelles à un joueur de 17-18 ans accompagné de ses parents, ça surprend. C’était une véritable problématique. Aujourd’hui un club doit être capable d’accueillir, d’entraîner, de soigner et d’assurer une logistique de manière optimale.

Reverra-t-on des stars, au RCT ?

Il y a Etzebeth, Serin, Ollivon… Mais il n’y aura pas une politique de multi-stars comme ç’a pu être le cas. On ne peut pas additionner 4-5 stars car on en n’a pas les moyens. Désormais, l’idée est de former la star de demain plutôt que faire signer celle d’aujourd’hui.

Beaucoup de joueurs sont en fin de contrat. Comment allez vous gérer leurs cas ?

On doit prendre des décisions prochainement. On sait déjà que certains ne seront pas renouvelés. Nous sommes dans une politique qui vise à favoriser les jeunes et nous en avons de qualité. Certains joueurs vont donc partir. Patrice décidera lesquels et j’arbitrerai financièrement.

Quid du cas Rhys Webb ?

On a rencontré le joueur et on a senti une certaine confusion, une incompréhension. On lui a fait une faveur énorme en l’ôtant de sa dernière année de contrat, contre la promesse de se donner à fond sur les six derniers mois et on nous annonce qu’il sera sélectionnable pour le 6 Nations. C’est un coup porté au club par rapport à l’éthique et aux valeurs que l’on veut maintenir.

Peut-on envisager un licenciement ?

Un licenciement non, des pénalités oui. Nous cherchons actuellement un demi de mêlée qui puisse occuper le rôle de numéro 2. Serin risque d’être absent deux mois et demi, Méric revient d’une longue blessure et on ne sait pas quand il retrouvera ses sensations. Il ne nous reste alors que le jeune Cottin qui a de grandes qualités mais ne peut assurer seul la charge d’un poste aussi important.

Enfin, que peut-on vous souhaiter pour 2020 ?

Un titre. Le plus beau serait le Brennus. Quand l’équipe joue comme elle le fait ces dernières semaines, elle peut lutter contre n’importe quel autre club en France. On se sent au niveau. Le Challenge Européen serait également superbe, pour renouer avec l’histoire continentale du club, et parce que la finale est à Marseille.

"Si on est champions de France

un jour, je ne m’attribuerai jamais

le mérite. Je serai simplement content d’avoir aidé le club à l’obtenir."

Bernard LEMAÎTRE

Actionnaire du RCT

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