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Lacroix : un destin animé

  • Top 14 - Gabriel Lacroix (La Rochelle) contre le Stade français le 2 septembre 2017
    Top 14 - Gabriel Lacroix (La Rochelle) contre le Stade français le 2 septembre 2017 Icon Sport
Publié le Mis à jour
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La crise sanitaire actuelle a contraint les autorités à stopper toutes les compétitions de rugby en Europe. L'occasion de ressortir les matchs les plus beaux, les portraits de joueurs. De son enfance endeuillée à son explosion sportive, le Gersois a suivi une trajectoire aussi déroutante que ses appuis. Ses entraîneurs d’avant nous le racontent, sous toutes les coutures.

Semaine après semaine, le "compte" féerique de Gabriel Lacroix n’en finit plus de s’écrire, de s’embellir : un doublé face au Racing, début décembre, un second contre Gloucester, quinze jours après, un quadruplé express à Bayonne, à la veille de Noël, et un essai d’école devant Grenoble, le jour de l’an. En l’espace d’un mois, le joueur frisson du Stade rochelais est devenu le meilleur marqueur du championnat. Une attraction à sensations et sa nouvelle coqueluche. Éculé, le récit du petit poucet au royaume de grands musclés n’en reste pas moins un succès assuré.

Cette version gersoise du conte se distingue par sa dimension dramatique. Pour avoir été émaillée par une tragédie majeure dans son premier acte. Henry Broncan, un des mentors de l’ailier, raconte, en toute sobriété, ce jour où la vie de Gabriel, 3 ans, et de sa famille a basculé : "Son enfance a été douloureuse. Son père, un médecin, est décédé quand il était tout petit en se rendant sur une urgence. C’était un docteur très apprécié de la population rurale. Sa mort a été un choc pour les gens du coin, je m’en souviens." L’incident remonte aux premières gelées de l’hiver 1997. Le 12 février de cette année, le docteur Michel Lacroix est cité à l’ordre de la nation par le Premier ministre de l’époque, Alain Juppé. Dans le journal officiel, son "dévouement exemplaire" et sa "grande conscience professionnelle" sont portés à la postérité. Depuis, à Simorre, village d’enfance de "Gaby", le centre de secours a été renommé à son nom.

Le responsable du pôle l’avait incité à partir

Une fois la triste parenthèse refermée, le soupir laisse place au sourire dans la voix de Henry Broncan. De sa rencontre avec Gabriel Lacroix, une dizaine d’années plus tard, il garde un souvenir heureux. L’image d’un adolescent pétillant et pétri de talent. "C’était une exception, il faut le signaler tout d’abord. Il venait de Simorre où le foot est roi. Heureusement, il avait, entre-temps, été attiré à Lombez-Samatan et s’était consacré au rugby. Nous étions à un championnat UNSS, à Dole, dans le Jura. Ça ne s’invente pas. J’étais manager à Auch et j’accompagnais les élèves du collège. Au premier regard, je me suis rendu compte qu’il était extrêmement doué. Je savais que ça allait être une vedette." Le sorcier gersois avait été devancé dans sa prédiction : "J’ai appris qu’il était déjà en contacts avec Toulouse. Je pensais bien qu’on ne le reverrait jamais chez nous."

À seulement 15 ans, "Gaby" marche dans les pas des plus grands et s’invite au Stade toulousain. Sans complexe : "Je m’occupais des cadets deuxième année et il a été surclassé avec nous dès son arrivée, se remémore Joël Dupuy, un des entraîneurs de l’association. Il me rappelait tellement Vincent Clerc avec ses grosses qualités d’appui, de finisseur, de tonicité… Il avait le potentiel pour jouer en Top 14, c’était une évidence. C’est le contraire qui m’aurait étonné…" Son destin paraît alors cousu de fil rouge et noir. Mais après deux ans à Ernest-Wallon, il revient à la maison. Contre toute attente : "Il y a deux éléments qui ont conduit à son départ, reprend l’arrière devenu éducateur. Le premier tient à sa situation familiale particulière, à l’éloignement avec ses proches, ses copains… Sur le terrain, ça ne se ressentait pas mais cela a pesé. Le second vient du fait qu’au pôle espoirs de Jolimont, le responsable l’avait incité à partir du Stade en lui disant qu’il n’aurait pas de temps de jeu chez nous. J’en avais pourtant discuté avec "Gaby". Je lui avais dit : "Tu joueras en Top 14 sur la pelouse des Sept-Deniers, c’est une certitude." Il était d’accord pour rester mais, au dernier moment, il a changé d’avis. C’est comme ça… Il était loin des siens et influençable." Michel Marfaing, directeur historique du centre de formation, se remémore ce départ précipité. Avec une pointe de regret et de fatalité : "J’adorais ce joueur. Mais Toulouse, c’est une grande maison. Il avait alors un côté foufou, insaisissable. Chez nous, il n’a pas pu avoir ce soutien permanent dont il avait besoin et qu’il pouvait plus facilement avoir par chez lui. Sans ça, il serait peut-être resté et jouerait actuellement avec nos pros."

Gendarme, la fausse vocation

Son mentor de Jolimont, Julien Sarraute, l’accueille à bras ouverts à Auch, à l’été 2010 : "Je le connaissais de Samatan. Je n’étais pas parvenu à le dérouter du Stade toulousain. Mais je suis pugnace et j’ai réussi à l’avoir deux ans après." Cet aller-retour aux sources, au cœur du Gers, se révèle bénéfique pour le gamin de Simorre, membre phare du groupe espoirs : "Il voulait retrouver sa famille, ses copains, le rugby convivial, les valeurs du sérail. Il était resté sur un sentiment mitigé au Stade toulousain. Il a toujours eu un grand besoin d’affection et de reconnaissance, de par ce qui lui est arrivé dans son enfance, sûrement. À Auch, il a, en tout cas, repris confiance en son rugby et en lui-même." Sans pour autant se départir de sa bougeotte aiguë. Un an après, il met de nouveau le cap à l’Est. Direction Albi, cette fois. "Il a été ensorcelé par un autre Gersois, à mon grand désarroi, souffle Julien Sarraute. J’avais pour idée de l’intégrer en Pro D2 à ce moment…"

Le premier à le propulser dans la cour des grands se nomme Henry Broncan. Douce ironie de l’histoire. "Je l’ai convaincu de venir avec un contrat espoir, à 700 € par mois", se souvient-il. Gabriel Lacroix effectue sa première apparition en décembre 2011, deux mois après avoir soufflé ses dix-huit bougies et quelques semaines après avoir intégré le pôle France, aux côtés des Paul Jedrasiak et Gaël Fickou. Il se trouve alors à la croisée des chemins : "À ses yeux, le rugby est longtemps resté un loisir. Il mordait dans la vie à pleines dents. Il a fait les quatre cents coups et même davantage en dehors du terrain. J’en ai eu quelques cheveux blancs… Mais personne ne lui en voulait. Il était tellement gentil et bien intentionné. En plus, il était assidu aux entraînements et investi sur le terrain. Progressivement, il s’est stabilisé." Après avoir écarté son ambition première, au passage. "Il voulait être gendarme, s’en amuse encore Henry Broncan. Il s’était même rendu à quelques stages. Mais tout le monde s’est vite rendu compte que c’était une fausse vocation."

Il n’y a pas que les Fidjiens…

La véritable se révèle entre Albi et Marcoussis. Gérald Bastide, l’actuel spécialiste de la défense des Bleus, alors responsable du pôle France, brosse le portrait de cet élève - presque - modèle : "J’en garde l’image d’un jeune consciencieux, travailleur, qui avait la tête sur les épaules. C’était surtout un vrai joueur de match, très compétitif, qui gérait bien la pression. Il l’avait prouvé lors de la Coupe du monde face aux Anglais et aux Sud-Africains. Il était déjà très rapide et fort en un contre un. Il avait une bonne prise d’informations, était rarement pris en défaut en défense, solide au contact avec cette capacité à pivoter, à s’extraire des plaquages, à s’arracher… Il s’en sortait toujours. C’était un profil très intéressant. Ses points forts sortaient de l’ordinaire."

Demandez-donc à ses adversaires de l’époque : en février 2013, il inscrit son premier essai en Pro D2 avant de porter son total à six lors de la saison suivante. À son arrivée dans le Tarn, en juillet 2014, Ugo Mola le promeut cadre de l’équipe : "Il sortait d’une saison difficile avec deux K.-O. et était sous le coup d’un long arrêt en cas de troisième. Malgré tout, il m’a très vite donné satisfaction et s’est imposé comme notre meilleur marqueur." En vingt-quatre apparitions, il signe neuf réalisations. Logiquement, les portes du Top 14 s’ouvrent devant lui. Le 5 juin 2015, il signe un contrat avec La Rochelle. Auteur de quatre essais pour sa première saison à Marcel-Deflandre, il a d’ores et déjà triplé ce total en seulement cinq mois. L’homme change de dimension, pas d’approche. Julien Sarraute apprécie : "Il est resté ce joueur simple et passionné qui vit tout à 100 %. Son tempérament se retrouve à travers ses prestations. Au-delà de son talent intrinsèque, la clé de sa réussite vient du fait qu’il a trouvé une nouvelle famille à La Rochelle avec Pierre Aguillon en grand-frère. C’est indispensable pour qu’il soit épanoui. "

Son explosion inspire une belle leçon en cette ère du tout physique. "Sa réussite récompense un ailier atypique, avec un gabarit différent. Il prouve qu’il n’y a pas que des Fidjiens à son poste capables de s’imposer au haut niveau", note Ugo Mola. "On n’est pas obligé de faire 1,90 mètre et 120 kilos pour devenir le meilleur marqueur du Top 14", appuie Michel Marfaing. Jusqu’où le destin animé de Gabriel Lacroix peut-il le mener ? Le poids coq peut-il rééditer ses exploits en Bleu ? "J’entends aujourd’hui les mêmes questionnements qu’il y a deux ans quand était mise en doute sa capacité à passer du Pro D2 au Top 14, évoque Ugo Mola. Je crois surtout que la principale qualité de ce garçon est de s’adapter au niveau auquel il évolue. Pour savoir s’il peut s’affirmer sur la scène internationale, il n’y a qu’un moyen : il faut l’essayer." À bon entendeur…

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