1954, les Bleus remportent leur premier 6 Nations... ex-aequo !

  • Rencontre entre France et Italie au Stade des Cent mille (maintenant Stade Olympique) à Rome
    Rencontre entre France et Italie au Stade des Cent mille (maintenant Stade Olympique) à Rome Corriere dello Sport, April 1954 - Corriere dello Sport, April 1954
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Pour la première fois de son histoire, le XV de France parvenait à terminer à la première place du Tournoi, mais pas tout seul. Alors ce moment historique n’eut pas l’éclat qu’il aurait mérité. 

Pour tout dire, quand en 2014, certains journaux avaient rappelé cette date, on l’avait trouvé surfaite. « J’ai terminé le match en ignorant que nous venions de vivre une première historique », reconnaît Pierre Albaladéjo. Ça fait donc un peu drôle de parler de cet événement. D’ailleurs ceux qui l’ont connu témoignent que le capitaine Jean Prat lui-même n’en gardait pas un souvenir marquant. Mais les faits sont là : le 10 avril 1954, la France battait l’Angleterre 11 à 3 à Colombes. Les mathématiques rendirent donc leur verdict, les Coqs se retrouvaient à la première place du Tournoi des 5 Nations, ce qui n’était jamais arrivé auparavant. Trophée symbolique, mais un peu brinquebalant. Victoire dans le tournoi OK, mais à égalité avec l’Angleterre et le pays de Galles… Dans une compétition à cinq, ça manquait un peu de panache et de clarté. Ancien reporter à L’Équipe, Henri Garcia fut témoin direct de ce moment. D’histoire ? « évidemment, cette égalité à trois n’a pas servi l’événement. Ça n’a pas été une grande célébration, même si la presse a bien sûr salué cette première. »

Des « minots » nommés Domenech, Boniface et Albaladéjo

Ceci dit, trois victoires en quatre matchs en 1954, ce n’était pas rien. L’Irlande notamment n’avait plus perdu à Colombes depuis… 1931 (suspension et guerre aidant). Cette fois, elle avait cédé 8-0 avec tous les points inscrits par la famille Prat : Jean et Maurice. Mais si l’on prend en compte la balance attaque-défense, comme on le ferait aujourd’hui, les Bleus auraient terminé troisièmes. C’est aussi pourquoi, ce succès de 1954 fut surtout célébré après coup par les médias, dans une perspective historique. Sur le terrain, on n’y pensait pas. André Boniface, ailier de 19 ans, narre : « Il n’y a pas eu de grande émotion sur le moment ça s’est sûr, on avait quand même touché une petite médaille très banale qui ne signifiait pas grand-chose. De toute façon, j’étais trop jeune, je ne réalisais pas. Je crois que j’étais content pour les anciens, pas pour moi, même si j’avais marqué un essai contre les Anglais. Mais je l’avais trouvé nul sur le moment. Je n’avais fait que courir derrière un coup de pied. Je jouais à l’aile à ce moment-là, avec de très bons centres pour me servir, Maurice Prat et Roger Martine. Mais j’espérais un jour que je pourrais moi aussi être à ce poste pour pratiquer le rugby que j’avais envie de jouer. C’était mon état d’esprit. J’avais confiance en l’avenir car je me sentais « pistonné » par Jean Prat. »

Et au milieu, une victoire face aux All Blacks, peu célébrée


Mais tout compte fait, en examinant tout ça à la loupe, on se rend compte que ce résultat marqua une vraie borne dans l’histoire : comme si 1954 avait été une année charnière, celle qui avait vu la France s’installer à l’étage des nations majeures. Car si l’on observe d’encore plus près la saison, on peut considérer que ce Tournoi comptait en fait… cinq matchs pour les Français. Puisqu’au milieu, figurait un « petit » rendez-vous contre les All Blacks en tournée, le 27 février, gagné lui aussi (3-0). Autre première historique. « Mais ça n’avait pas eu un très grand retentissement, pas comme si ça se passait maintenant », reprend André Boniface. Lucien Mias aussi nous avait fait la même réflexion voici quelques années. « La presse en avait parlé, mais sans plus. À cette époque, le Tournoi avait plus d’importance que les matchs face aux nations en tournée. » André Boniface ajoute même une touche de modestie pour minorer l’exploit : « J’ai toujours pensé qu’ils étaient fatigués en fin de tournée et qu’ils étaient sortis s’amuser dans les jours qui avaient précédé le test. » Belle honnêteté car c’est vrai que les Français, privés de ballons, avaient gagné par miracle après avoir subi un wagon d’occasions. Boniface avait d’ailleurs sauvé in extremis un essai en prenant le ballon, après rebond, au-dessus de la tête de son adversaire direct. Si l’on rajoute pourtant le match face aux All Blacks au bilan du Tournoi, les Français auraient encore terminé premiers, mais à égalité à deux seulement (avec le pays de Galles). Quatre victoires en cinq matchs.

Et ce tournoi proprement dit, justement, il avait été quand même porté par des rêves de grand chelem. Deux victoires initiales contre l’Écosse et l’Irlande, mais la défaite de Cardiff 19-13 avait douché tout le monde. Deux essais à deux quand même, avec un XV de France qui avait débarqué à son hôtel de Penarth à… 3 heures du matin, la veille de la rencontre. Le score n’était pas si lourd mais le pack français, c’est vrai, avait été dominé. Sans possibilité de carton plein, le France — Angleterre en cloture avait perdu de son attrait. Les Anglais jouaient bien le grand chelem à Colombes, mais le public français n’en avait pas grand-chose à faire.

Henri Garcia reprend : « Il faut bien comprendre que Colombes n’était pas plein. Il n’y avait que trente mille personnes ou un peu plus, les virages étaient vides. En fait, le premier engouement date du fameux France — Galles de 1955, match final du grand chelem et des adieux de Jean-Prat. Pour la première fois, Colombes fit le plein avec des trains spéciaux venus de toute la province. »

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