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Lacroix : « Le Stade toulousain ne déposera pas le bilan demain matin »

  • Didier Lacroix, président du Stade toulousain.
    Didier Lacroix, président du Stade toulousain. Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Discret dans les médias depuis le début de la crise et alors qu'on dit son club au plus mal financièrement, le président du Stade toulousain a choisi Midi Olympique pour s'exprimer en exclusivité. L'occasion d'évoquer tous les sujets chauds du moment, de son club au rugby mondial en passant par le Top 14. Un entretien dont voici la seconde partie.

Face à la crise, faut-il en appeler au soutien financier du gouvernement ?

Il faut réfléchir aux appuis que doit avoir le monde du rugby, expliquer la spécificité de notre sport aux gens qui sont en charge des décisions politiques et économiques, son implantation dans le territoire et le rôle de divertissement qu’il aura au moment du déconfinement. Puis l’économie que nous représentons dans nos villes et nos régions. Dans le rugby, les droits télé sont beaucoup moins importants que dans le football et cela nous rend différent. On se rapproche plus du domaine du tourisme ou de l’événementiel qui sont aussi touchés par les annulations et l’incapacité à faire venir du public. Si nous ne pouvons pas regrouper les gens dans nos stades, il faudra aller chercher des solutions auprès de l’État, et des aides qui sont rattachées à ce type de secteurs d’activité.

Faut-il, pour cela, une prise de position de la FFR ?

Je veux éviter d’être donneur de leçons pour les uns ou les autres. Ces problématiques concernent la Fédération, la Ligue, les présidents de club et l’ensemble du rugby amateur. Quand on est dans une révision, qu’on comprend qu’on va devoir réinventer un modèle économique, il faut tous les acteurs : joueurs, agents, présidents, LNR, FFR, presse, diffuseurs. Il est complexe de coordonner tout ça. Croire qu’on peut décider seuls de l’issue de notre championnat est une erreur.

Les enjeux politiques ne biaisent-ils pas les débats ? On vous dit par exemple proche de Bernard Laporte, ce qui fait grincer quelques présidents…

J’ai sur mon bureau, depuis jeudi matin, une lettre ouverte à Paul Goze et à Bernard Laporte, dans laquelle j’explique ma prise de parole dans vos colonnes. La première phrase réclame de se mettre à la place du lecteur et d’éviter de regarder pour qui Didier Lacroix parle. Pour la Ligue ? Pour la Fédé ? Pour lui-même et son avenir ? Pour défendre les intérêts du Stade toulousain ? Vous croyez que c’est défendre les intérêts du club que d’avoir le discours que l’on a eu depuis le début de saison, à savoir écouter au maximum les besoins de l’équipe de France ? On a réussi à avoir des discussions constructives même si elles sont plus ou moins tendues parfois parce qu’il y a de la passion. Ce n’est pas facile mais aller dans le sens commun n’est pas utopique. Je ne suis ni l’homme de Bernard Laporte, ni l’homme de Paul Goze. Quand je défends l’intérêt du Stade toulousain, je dois comprendre que mes joueurs ont envie d’évoluer en équipe de France. Mais ils veulent également gagner des titres en club. Ce n’est pas antinomique.

En clair, il faut dépasser ces clivages, surtout quand on est à la tête plus gros pourvoyeur du XV de France…

Personne ne peut dire que c’est le combat de la Fédé contre la Ligue ou le combat des clubs contre l’équipe de France. On peut ne pas être d’accord tout le temps mais on doit discuter. Nous avons été parmi les plus compréhensifs et participatifs pour ne pas mettre le joueur dans l’embarras face à une sélection de l’équipe de France qui doit être un joyau. L’intérêt majeur du rugby français est de réussir sa Coupe du monde en 2023 et on oublie presque d’en parler…

 

 Je ne suis ni l’homme de Laporte, ni l’homme de Goze 

Quel rapport avec la situation actuelle ?

C’est peut-être cet événement, si on n’est pas morts demain matin, qui va nous permettre de relancer un objectif commun. On se doit d’avoir une équipe de France performante. Tout est entaché par cette crise sanitaire mais la satisfaction était là de la voir ainsi pendant le Tournoi, de voir nos joueurs rentrer avec de l’enthousiasme pour finir le Top 14 avec le Stade toulousain et continuer sur la lancée des six victoires en six matchs en Champions Cup. Notre réflexion n’est pas de comparer le temps de jeu d’Antoine Dupont en club et en sélection, mais de savoir comment on fait naître le Dupont de demain. Il va apparaître dans un club amateur, qui sera relayé par un centre de formation de club professionnel, qui va ensuite l’emmener jusqu’aux portes du XV de France. Voilà l’ensemble du système. Nous sommes fiers d’avoir formé les Cros, Marchand, Baille, Aldegheri, Ntamack, Ramos ou le dernier, Tolofua, j’en passe et des meilleurs, qui sont appelés pour la première fois, comme Maxime Médard et d’autres auparavant, en étant joueurs du Stade toulousain. On ne veut pas être victimes d’avoir des internationaux, mais en être heureux.

Êtes-vous favorable à une discussion sur l’harmonisation des calendriers du nord et du sud ?

Auprès de mes équipes, dans mon entreprise ou au club, je réclame, quand l’espace-temps est donné, de démonter le moteur et de se demander si on le remonte de la même façon. Si on le fait, c’est qu’on a confirmé nos raisons d’avoir ce moteur. Mais il faut se poser la question. C’est le moment de le faire. Quand la vie nous oblige à nous arrêter, pourquoi ne pas avoir une réflexion globale ? Si on a l’opportunité de remonter le moteur différemment pour le rendre plus performant, je ne vois pas pourquoi on s’en empêcherait.

Le Stade toulousain connaît de fortes difficultés financières face à cette crise. Pouvez-vous les chiffrer ?

Absolument pas. Aujourd’hui, l’ensemble des championnats, dont la Coupe d’Europe, sont suspendus. On ne sait pas si elle va reprendre ou être annulée. C’est une première donnée économique. On ne sait pas quel championnat on va finir, ni quel championnat on va reprendre. On ne sait pas dans quel état économique le pays sera. On a ouvert des voies et cela intéresse fortement de savoir comment on peut négocier les salaires des joueurs parce que c’est la première charge d’un club.

Où en êtes-vous sur cette question ?

Le budget d’un club comme le Stade toulousain repose essentiellement sur le sponsoring, là où on ne sait pas vers quoi on va tendre, et sur la billetterie et les abonnements, mais on ne sait pas combien de matchs il y aura. Alors dire qu’on va baisser les salaires de 10, 20, 40 ou 50 %… Si on ne rejoue pas jusqu’en janvier, ce qu’on ne peut pas exclure, on n’a aucune rentrée. Affirmer quelle sera l’incidence est impossible. Mais dire qu’on est en train de réfléchir à baisser l’ensemble des charges du club pour vivre différemment et que, dans ces charges-là, il y aura une négociation avec les joueurs, bien sûr. Elle est ouverte, d’autant plus que j’ai la chance d’avoir des joueurs à l’écoute de nos problèmes. Ils sont enclins à la discussion. Mais savoir à quel niveau on va mettre le curseur, nous en sommes aujourd’hui incapables.

Le paradoxe étant que votre modèle est vertueux mais qu’il vous place parmi les plus fragiles…

Oui mais, même si ce n’est pas ce qui remplit nos caisses, je suis à l’aise quand je vois les joueurs du Stade toulousain, de leur propre initiative, faire un certain nombre d’actions parce qu’ils ont envie d’aider ceux qui sont le plus dans le besoin. Cette semaine encore, ils se sont engagés dans une campagne pour lutter contre les violences faites à la maison. La vraie vertu de ce club est d’être un acteur d’utilité publique. C’est celle qui nous permettra de continuer à exister et de trouver des gens qui nous aideront. On ne sera peut-être pas sur le même régime mais, quelles que soient les difficultés économiques, je ne suis pas persuadé que le Stade toulousain soit voué à disparaître. Je peux vous dire qu’on n’ira pas au tribunal de commerce demain matin pour déposer le bilan et qu’on va tout faire pour construire un budget en phase avec l’avenir du club. Le dire, c’est une forme de lucidité. L’inquiétude alimente notre combativité, y compris sur le plan économique.

Mais avez-vous des craintes pour le modèle de demain ? Un club comme Toulouse serait une aubaine pour certains argentiers…

Ouvrez les journaux de 2017, quand on se demandait si le Stade toulousain était invité dans le concert du rugby moderne après la douzième place en Top 14. C’était la fin du monde annoncée pour nous. Qui misait alors sur un titre deux ans plus tard ? La réponse est peut-être là. Il ne faut pas renier notre éthique. L’avenir passe par là et, même si ça peut paraître prétentieux, Toulouse est certainement un club différent. Chaque fois qu’on lui démontre qu’il est à la traîne et inscrit dans le passé, il sait aller chercher de la créativité, issue de sa politique de formation. Si, demain, nous sommes dépouillés car certains de nos joueurs auront été achetés par d’autres clubs, on se posera les questions. Mais nous sommes convaincus qu’il reste de la place pour cette économie, même si toucher le public est actuellement compliqué. Nous réfléchissons d’ailleurs à solliciter tous ces aficionados du Stade qui, au-delà les frontières de Toulouse et dans le monde entier, nous témoignent régulièrement leur soutien. On réfléchit à être créatif et à les solliciter. Ce qui fait notre force, c’est notre attractivité. Si on ne peut pas la transformer en formule économique, on sera embêtés.

Deux campagnes électorales sont ouvertes, à la Ligue pour succéder à Paul Goze, et à la Fédération. Allez-vous vous engager dans une des campagnes ?

À titre personnel, non. Pour la bonne et simple raison que, plus que jamais, le rôle que j’ai accepté de prendre au Stade toulousain nécessite un total engagement pour le club. Pour autant, le Stade toulousain a besoin d’exister au travers de l’ensemble des structures qui dirigent le rugby. Il doit avoir un droit de parole et la capacité à orienter un certain nombre de décisions vers le rugby qu’il prône. Je ne pense pas être le seul dans ce cas. Même si je n’ai pas parlé dans la presse, j’ai eu beaucoup de discussions avec d’autres présidents de Top 14 ou Pro D2. Il est devenu à la mode d’avoir un club qui forme des joueurs, cela a toujours été notre conviction. On sera donc attentifs à ces élections pour regarder comment elles vont tendre dans cette direction et on essaiera d’accompagner les gens qui prônent les mêmes convictions que nous.

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Les commentaires (2)
viking Il y a 3 années Le 24/04/2020 à 22:50

C'est un grand Monsieur.
Quelle hauteur de vue et de recul sur la situation . Il fait Honneur aux valeurs de notre sport.

Krisovalie Il y a 3 années Le 24/04/2020 à 08:39

Que d'énergie gaspillée pour tenter de boucler cette fin de saison alors qu'il eut été bien plus simple d'y mettre un terme immédiatement pour ne se consacrer qu'à la nouvelle. il me parait aberrant d'oser croire qu'on pourra entasser des milliers de personnes pour une finale qui n'intéresse plus personne.