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Les grandes épopées - Au Stade Français, le roman fou des années « Max »

  • La joie des joueurs du Stade Français, après avoir soulevé le Bouclier de Brennus, en 2007. Le 5e, et dernier, de l'ère Guazzini.
    La joie des joueurs du Stade Français, après avoir soulevé le Bouclier de Brennus, en 2007. Le 5e, et dernier, de l'ère Guazzini. - Philippe Perusseau / Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Dans chaque édition du vendredi ou du lundi, nous reviendrons sur un club qui a dominé le rugby français et sur les coulisses et l’intimité de celle-ci. Le deuxième épisode raconte l’épopée du... Stade français et l’ère Max Guazzini. Au milieu des années 90, Max Guazzini et Bernard Laporte ont créé à Paris un club qui ne ressemblait alors à aucun autre. Des milliers d’anecdotes qui ont fleuri cette période, on a recueilli, sinon les meilleures, au moins les plus convenables...

Ce soir de printemps 1988, Max Guazzini boit un verre à Saint-Germain-des-Prés. Il est accompagné de quelques amis et, au hasard d’un comptoir de la rue Princesse, sa petite troupe tombe nez à nez avec un jeune homme qui se dit rugbyman. Un verre à la main, Olivier Nusse (depuis devenu le PDG d’Universal Music) apprend donc au patron de la station NRJ qu’il joue au Stade français, un petit club domicilié de l’autre côté du périph. « Moi, dit Max aujourd’hui, j’ai juste trouvé ce nom magnifique… » à l’époque, l’un des papas des radios libres a déjà un lien ténu avec le rugby : il est le colocataire de Jean-Baptiste Lafond, lequel vit, avec son épouse Anne, au domicile parisien du grand ami de Dalida, du côté de la rue de Passy ; le week-end, Guazzini va aussi voir le Racing jouer, à Colombes. « Mais je n’ai jamais souhaité être dirigeant là-bas, poursuit-il. De toute façon, le Racing avait déjà un partenaire média, Europe 1 en l’occurrence. » à l’aise dans les « soirées rugby » sans en être totalement un familier, Guazzini répond un soir à l’invitation de Christophe Mombet. L’actuel directeur du centre de formation du Racing est alors l’entraîneur en chef du Stade français. « Un jour, Christophe me demande d’aller les voir, à Sèvres. En mon for intérieur, je me dis : « Il doit penser à moi comme sponsor. Comment lui dire que NRJ ne s’associe qu’à des stars ? » Au départ, la situation était donc un peu gênante.»

Ce dimanche de 1992, Max a beau débarquer à Sèvres à reculons, il se laisse rapidement emporter par l’enthousiasme des dirigeants locaux, lesquels le nomment vice-président, puis président du Stade français. « à leurs yeux, nommer quelqu’un d’extérieur au club était une façon d’éteindre certaines tensions qui avaient pu naître ici et là, entre les gens. Pour moi, c’était une tout autre aventure qui commençait… » Dans la foulée, Max Guazzini organise donc une immense soirée au « Chalet des îles » où il mêle ses rugbymen à des personnalités du show-biz, tels Michel Drucker, le groupe Boney M ou Elie & Dieudonné, alors inséparables. Dans la foulée, il éponge la dette du club, alors estimée à 460 000 francs, impose aux joueurs le port du blazer, déménage le Stade français à l’intérieur des murs de la capitale (au stade Jean-Bouin), multiplie les campagnes de pubs dans les médias, lance la mode des pom-pom girls et, surtout, celles des marraines glamour, Mathilda May ou Madonna, pour ne citer qu’elles. Dans le Midi Olympique, Serge Manificat écrit alors : « Le Stade français est un grand club. Il y a cent vingt ans que nous le savons. »
 

« Max, je veux être gigolo pour vieilles dames ! »

Au milieu des Nineties, Guazzini se complaît volontiers dans le côté paillard du rugby français, répond « bouffeur de cul ! » lorsque les juniors du club hurlent « moustachu ! » au fond du bus et, lors d’un déplacement à Chalon-sur-Saône, découvre même l’ambiance quelque peu singulière des phases finales. « Nous affrontons Monteux. Au moment où l’arbitre siffle la fin et consacre notre victoire, les supporters adverses descendent la tribune pour envahir la pelouse. J’essaie de m’interposer. Je leur dis : « Doucement ! Moi aussi, je suis de Provence ! » Max reçoit alors un violent coup de poing au visage, le laissant le nez en sang. Furieux, son père décide aussitôt de se rendre à Monteux pour retrouver le coupable et, de bar en café, parvient même à l’identifier. Le soir, Yvan Guazzini appelle son fils : « Ce type, je le mets dans le coffre et je te le ramène à Paris ! » Exaspéré, le président du Stade français rétorque : « Reste en dehors de ça, papa… Je t’en prie… »

Début 1995, le rugby français est encore amateur et, à Paris, Max Guazzini se sert de son carnet d’adresses pour trouver du travail à ses joueurs. Celui-ci est plombier, celui-là éboueur et tel autre étudiant. « Un matin, un joueur m’annonce qu’il a un diplôme de coiffeur. Rapidement, je lui trouve une place dans un grand salon de coiffure parisien et lui annonce la bonne nouvelle. Lui me répond : « Je ne veux pas être coiffeur, Max ! Je veux être gigolo pour vieilles dames ! » « Et moi, je ne suis pas proxénète ! », ai-je aussitôt conclu le dialogue. » C’est peu ou prou à cette époque que Philippe Oustric, journaliste au Midi Olympique, lui parle de Bernard Laporte, que le microcosme lui a néanmoins dépeint comme « un agité ». Entre Max et « Bernie », la première fois aura lieu dans l’appartement parisien du président. Laporte se souvient : « J’arrivais de province et au milieu de tous ces disques d’or, je n’étais pas très à l’aise. La deuxième fois, c’était beaucoup mieux. » Au Fouquet’s, Max Guazzini en mit ainsi plein la vue à son futur coach, présentant « Bernie » à l’idole des jeunes en ces termes : « Johnny, tu connais Bernard Laporte ? C’est notre nouvel entraîneur ! » à l’hiver 1995, la personnalité de Laporte plaît à Guazzini. Sa tenue vestimentaire, moins : « J’ai toujours été un peu fétichiste, confesse le président de la FFR. à l’époque, je ne quittais pas mon vieux survêtement du CABBG. Je pensais qu’il me portait bonheur. Et puisque Max le détestait, j’étais obligé de le porter sous les costumes. Je crevais de chaud… »

Très vite, « Bernie » convainc son président d’embaucher les « Rapetous », Vincent Moscato, Serge Simon et Philippe Gimbert. En 1996, la première ligne béglaise, qui fait les allers-retours entre Paris et la Gironde toutes les semaines, est logée dans un hôtel situé près de la Porte de Saint-Cloud. Guazzini se souvient, amusé : « Ils n’y résident que trois nuits par semaine mais les factures révèlent que les chambres sont utilisées en permanence : après une rapide enquête, je me rends compte que les piaules servent en fait de garçonnières aux autres joueurs de l’équipe… »

Laporte, le « dépeceur » et son mariage…

Lorsque Bernard Laporte débarque à Paris au printemps 1995, tout reste encore à construire. « Nous partagions le terrain d’entraînement avec l’école de rugby, poursuit l’actuel patron de la Fédé. Les jours de repos, je prenais la voiture pour chercher des terrains libres et, au hasard de mes promenades, j’ai trouvé celui de Marcel-Bec, perdu dans la forêt de Meudon. » à l’époque, « Bernie » est déjà « curieux de tout », friand de tout ce qui peut s’apparenter à de nouvelles méthodes d’entraînement. Il se souvient : « Un jour, un type m’appelle en me disant être un spécialiste de la défense. Il me demande de le recevoir. » Le coach du Stade français accepte et voit alors débarquer à Marcel-Bec un jeune homme âgé d’une trentaine d’années. « On démarre la séance et, au moment où Vincent (Moscato, N.D.L.R.) se lance balle en mains, le mec hurle et lui dit : « Arrête ! Ta position n’est pas bonne ! Si je me place en face, je te retourne ! » Le mec faisait 70 kg tout mouillé… Les joueurs se retenaient de rire, le tout était catastrophique. » La collaboration entre le Stade français et cet étrange invité s’arrêta là.

Bernard Laporte, lui, entendit néanmoins parler de l’intéressé quelques temps plus tard, dans de bien macabres circonstances : Germain Gaiffe, après avoir supposément dépecé et jeté les membres de l’entrepreneur montalbanais André Dursus dans la Garonne, était condamné à trente ans de réclusion. « L’histoire ne s’est pas arrêtée là, poursuit Laporte. Une poignée de temps plus tard, j’ai reçu au club une lettre, cachetée de la prison, où ce type me faisait le débrief, sur trente pages, du dernier France - Afrique du Sud : sur cette action, Benazzi est mal positionné sur ses appuis ; sur telle autre, le pilier a un temps de retard… Tout n’était pas dénué de sens. Mais c’était dingue, quand j’y repense. » Vous savez quoi ? Germain Gaiffe (53 ans), qui a depuis épousé Alfredo Stranieri (le « tueur aux petites annonces », à qui le magazine « Faites entrer l’accusé » a consacré un sujet pour le moins glaçant…) à la maison d’arrêt de Poissy, comptait au matin de ses noces (juillet 2013) deux témoins relativement connus : le terroriste international Carlos et… Dieudonné. Deux ans plus tôt, Gaiffe et Stranieri avaient également été condamnés à six mois de prison supplémentaires pour avoir envoyé deux lettres au domicile de Rachida Dati, des courriers au fil desquels ils revendiquaient la paternité de Zohra, la fille de l’ancienne garde des Sceaux.

De Dalida à Denise

Même le macabre destin de Germain Gaiffe, qui endossa donc une heure durant la tenue d’entraîneur de la défense du club, ne saurait faire oublier que le Stade français version « Belle époque » fut un ode à la légèreté, à la gaudriole et au frisson. Un exemple parmi d’autres ? Ce soir de noces, Bernard Laporte et Max Guazzini cherchent une bonne table et font route commune, entre le carrefour de l’Odéon et la rue Guisarde. Dans le 6e arrondissement de Paris, le président et son entraîneur parlent de Dalida, que le premier admire, que l’autre apprécie beaucoup.

Au moment où les deux hommes prennent place à cette table de restaurant, résonne alors dans la salle « Pour en arriver là », l’une des chansons de l’artiste. Guazzini y voit un signe du destin et, pour rendre hommage à son amie disparue dix ans plus tôt, il propose aussi sec à Laporte de passer la chanson dimanche avant le match, dans les vestiaires. Plutôt amusé, « Bernie » n’y voit aucun inconvénient. « Mais ce qu’il ne savait pas, sourit Guazzini, c’est que je ne comptais pas en rester là. Dans la foulée, j’ai donc appelé Orlando pour lui demander une des robes de sa sœur. Il a lui aussi trouvé l’idée séduisante. » D’un simple dîner entre amis à Saint-Germain-des-Prés naquit trois jours plus tard, devant les caméras de Canal + et dans une ambiance irréelle, la séquence la plus culte du rugby contemporain. Passé l’hommage à Dalida, l’histoire ne dit pas où ceux qui deviendraient quelques années plus tard les « Soldats roses » passèrent la nuit. On a, malgré tout, une petite idée sur la question…

Dans les années 90, le « 41 » est donc une boîte olé olé du cœur de Paris, située rue Quincampoix, quelque part entre le marché des Halles et le centre Pompidou. La patronne, Denise, est l’une des plus proches amies de Max Guazzini. Native du Limousin, elle a aussi une certaine affection pour Patrick Sébastien, alors président du CA Brive. Denise ? Au « 41 », les fidèles l’appellent « Maman » et là-bas, les juniors du Stade français ont même une carte VIP leur accordant les faveurs de l’open bar… et pas que. De la tenancière, on raconte aussi qu’elle fut en quelque sorte à l’origine de la carrière de Rocco Siffredi, le plus célèbre hardeur de la planète. « Un jour, rigole Max, nous avons vu débarquer ce jeune homme à Paris. Il cherchait un boulot et voulait être serveur dans l’établissement. Plus tard, dans la soirée, quelqu’un a rapporté à Denise les prouesses du jeune Italien ; elle lui a donc conseillé de se lancer dans le cinéma. » à cheval entre deux mondes, à contre-courant des codes régissant jusque-là le rugby français, parfois en guerre ouverte avec ceux que Max avait appelés « les mangeurs de magret », le Stade français de cette fin de siècle avait pour lui l’avantage de nourrir tous les fantasmes. La plupart étaient vrais… 

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Les commentaires (1)
Etourneau Il y a 3 années Le 27/04/2020 à 15:28

J'ai eu la chance de partager ces moments inoubliables!