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Conrad Smith, le confinement d'un All Black en Béarn

  • Conrad Smith - Ancien centre des All Blacks et responsable de la haute performance de la Section paloise.
    Conrad Smith - Ancien centre des All Blacks et responsable de la haute performance de la Section paloise. Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Comme beaucoup d’autres étrangers dans son cas, le double champion du monde se trouve confiné en France, à Pau où il entraîne depuis 2018. Juste avant de faire la classe à ses enfants il a accepté de nous raconter son quotidien ainsi que ses inquiétudes, ses moments de ras-le-bol, de joies simples et ses espoirs pour la suite.

En temps normal, ce sont les réunions et les séances d’entraînement qui rythment les journées de Conrad Smith. Arrivé dans les Pyrénées en 2015 après douze années passées avec les Hurricanes de Wellington et deux Coupes du monde remportées avec les Blacks, "Snake" est passé de l’autre côté de la main courante en 2018, intégrant le staff de la Section paloise pour occuper aujourd’hui le poste de responsable de la haute performance. Mais aujourd’hui, ce sont les devoirs de ses deux jeunes enfants âgés de 5 et 3 ans qui rythment ses journées, comme en a témoigné sa réponse à notre première sollicitation : "Pourriez-vous m’appeler avant 9 heures ? Car après je dois faire l’école à mes enfants…" Comme tous les parents, Conrad Smith a donc endossé le costume d’instituteur à plein temps.

Présent dans le staff de la Section paloise depuis sa retraite sportive en 2018, Conrad Smith est aussi, à 38 ans, un papa heureux et en ce moment très sollicité par ses deux enfants de 5 et 3 ans.
Présent dans le staff de la Section paloise depuis sa retraite sportive en 2018, Conrad Smith est aussi, à 38 ans, un papa heureux et en ce moment très sollicité par ses deux enfants de 5 et 3 ans.

Un métier que l’avocat de Wellington n’avait pas songé à exercer : "Au début, j’ai beaucoup aimé faire la classe à mes enfants mais vous savez, je crois qu’après tout ce temps, les parents arrivent tous dans la même situation et les semaines sont de plus en plus délicates ! plaisante-t-il. Avec ma femme on se répartit les devoirs des enfants pour laisser du temps à l’autre de travailler. Chacun fait trois heures, donc les enfants ont en gros six heures d’école par jour, sans compter le temps que l’on passe tous ensemble. L’école nous envoie des devoirs, et j’en profite aussi pour faire moi-même leurs exercices de français, en plus des leçons que je continue à prendre deux fois par semaine avec le club."

"Je réalise enfin à quel point nous sommes loin de chez nous"

Au début, le confinement avait du bon : "J’ai pu faire des tas de choses que je reportais depuis des lustres, notamment dans la maison, dans le garage et au jardin. Avec ma femme, nous avons fait un potager. J’ai aussi un home-trainer dernière génération qui me permet de faire du vélo sans bouger de chez moi. Grâce à une application, je peux faire des courses contre des amis, on se marre bien. Je cours essentiellement avec des amis en France car il y a trop de décalage horaire avec la Nouvelle-Zélande pour le faire. J’essaye de convaincre des membres de la Section paloise de s’y mettre, mais j’ai du mal !"

"Je ressens plus le mal du pays que d’habitude, oui."

Coureur à pied invétéré, Smith a logiquement mis de côté sa passion pour le running et se console en enchaînant les étapes du Tour du France dans son garage. Une façon comme une autre de se défouler, mais aussi de soigner un sentiment de mal du pays plus aigu : "Je le ressens plus que d’habitude, oui. Nous sommes heureux ici, mais c’est un moment particulier. Quand le boulot vous occupe l’esprit, vous n’avez pas le temps de penser. En temps normal, je sais que vis très loin de chez moi. Mais on prend un avion et c’est réglé. Là, c’est différent. Je réalise à quel point on est loin de chez nous… Et le pire, c’est que l’on ne pourrait même pas y retourner en cas d’urgence. Ce n’est pas facile. Et on a aucune visibilité sur la reprise du trafic aérien. Ce n’est pas évident d’expliquer tout cela aux enfants." Fort heureusement pour eux, les Smith n’ont pas d’inquiétudes quant à la santé de leurs proches restés au pays : "L’épidémie n’a pas causé les mêmes ravages en Nouvelle-Zélande qu’en Europe (à l’heure où nous écrivons ces lignes, l’île au long nuage blanc a connu 1 472 cas confirmés dont 1 214 guéris et 19 décès, N.D.L.R.)

C’est l’avantage de l’éloignement et de l’insularité. Ils ont réduit le niveau d’alerte lundi. Mes proches vont bien, ainsi que ceux de ma femme. On reste inquiets tout de même alors on leur parle très souvent. Avec le recul, on regrette un peu de ne pas être rentrés car les temps sont durs en ce moment. Mais encore une fois nous avons une belle vie ici, et nous sommes heureux. On espère que la situation s’améliorera d’ici à l’été."

 

Technicien en manque

L’été. Cette période où, jusqu’à mardi après-midi, on espérait encore que nos clubs de Top 14 disputeraient des phases finales, histoire de terminer convenablement la saison. Mais avant même l’annonce du Premier ministre édouard Philippe, l’ancien centre des All Blacks se montrait pessimiste face à ce scénario : "Avec tout le staff, on travaille sur une possible reprise. Mais quand je parle de reprise, je ne parle que d’entraînements. À mon avis, cela va être délicat de rejouer des matchs." Ne serait-ce que sur le plan de la réathlétisation : "Cela va être très long pour remettre les joueurs en forme, croyez-moi. Cette coupure est bien pire que des vacances. Déjà parce qu’elle est plus longue, mais aussi parce qu’elle force à l’inactivité, à l’immobilité. En vacances, on peut courir, on n’est pas enfermé chez soi ! Pas là. Même moi je n’ai jamais été dans cet état physique, à ne pouvoir faire quasiment rien d’autre que du home-trainer."

Toujours est-il qu’avec le reste du staff, l’ancien centre aux 94 sélections tente de dessiner les contours de cette possible reprise même si, comme beaucoup, il avoue commencer à saturer des visio-conférence : "J’en ai marre de Zoom ! Je n’en peux plus de parler à un ordinateur… J’aimerais être sur le terrain, avec les joueurs, échanger, les voir jouer au rugby. Cette période est un challenge pour tout le monde. Mais on bosse sur toutes les choses que l’on pourrait améliorer en vue de la saison prochaine, et surtout d’une possible reprise des entraînements. Nos présidents se réunissent et Bernard (Pontneau, le président) nous tient au courant. Nicolas (Godignon) et Fred (Manca) échangent avec les autres entraîneurs de Top 14. Mais de notre côté, on ne pense qu’à des entraînements. On réfléchit à notre organisation, nos règles sanitaires, nos procédés, ce que l’on peut faire… Tout est nouveau, on a jamais fait ça ! On ne sait même pas encore si on devra constituer des petits groupes ou non… C’est très bizarre. On se prépare, mais on ne sait pas à quoi l’on doit se préparer ! "

"J’en ai marre de Zoom ! Je n’en peux plus de parler à un ordinateur… J’aimerais être sur le terrain, avec les joueurs, échanger, les voir jouer au rugby."

Barrista en devenir, ou futur pro de la soupe à l’oignon ?

Vous l’aurez compris, l’ancien All Black est comme vous et moi. Il est occupé, prend son mal en patience, mais commence un peu à tourner en rond. Alors il a décidé de développer de nouvelles compétences, et notamment en matière de cuisine française : "J’ai vraiment progressé sur ma soupe à l’oignon ! Elle est très bonne maintenant, j’adore ça." Et si cette dernière ne suffit certainement pas à lui faire envisager une reconversion de cuisinier, Conrad Smith pourra toujours tenter de devenir barista : "Je bosse pas mal mon café aussi. Nous avons une machine professionnelle à la maison, et je m’exerce à faire des "flat white", un type d’expresso servi avec une micro-mousse qui est très populaire en Nouvelle-Zélande. Le summum, c’est quand tu arrives à faire des dessins dessus grâce à la mousse… J’en suis justement à cette étape !" Sur son temps libre, Conrad Smith aime aussi regarder la télévision : "Pas de rugby, ma femme ne le supporterait pas ! se marre-t-il. En revanche je regarde la série intitulée "The Last Dance" sur Netflix, qui parle de la grande époque des Chicago Bulls avec Michael Jordan, Scottie Pippen, Dennis Rodman et le coach Phil Jackson. J’adore cette série."

Peu avant que la sonnerie annonçant le début de la classe donnée par Mr. Smith ne retentisse en ce mardi matin, on a demandé à Monsieur l’Instituteur s’il avait eu des nouvelles de son ancien coéquipier de club et de sélection, Ma’a Nonu : "Je l’ai eu au téléphone il y a trois semaines, quand il a quitté les Etats-Unis après l’arrêt du championnat américain. Mais Ma’a va bien, il est chez lui au pays." Reste à savoir quand ces deux amis, qui ont été associés à 72 reprises au centre de l’attaque noire, pourront se revoir en vrai. Comme avant…

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