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Les personnages du rugby français : Daniel Herrero, gardien du temple

Par Pierrick Ilic-Ruffinatti
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    Les personnages du rugby français : Daniel Herrero, gardien du temple Midi Olympique
Publié le Mis à jour
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Que ce soit en qualité de joueur d'abord, d'entraîneur ensuite ou de fin penseur tout au long de sa vie, Daniel Herrero a défendu les valeurs d'un RCT qu'il a toujours eu viscéralement ancré en lui.

Prenez quelques minutes de votre temps, un jour de balade à Toulon, et remontez le cours Lafayette, à quelques encablures de Mayol. Trouvez alors un supporter du RCT et demandez lui son podium des plus grands personnages de l'histoire du club. Certains citeront Eric Champ, Jonny Wilkinson, Joe Van Niekerk, Matt Giteau, Mourad Boudjellal, Bernard Laporte, Eric Melville, Jérôme Gallion ou encore Manu Diaz ; mais quasiment tous vous parleront de Daniel Herrero. Comme une présence mystique, le barbu le plus célèbre de la rade a marqué le club toulonnais de son empreinte.

« Daniel était le garçon de la famille le moins attiré par la violence du rugby »

L'histoire d'amour entre le club rouge et noir et la natif de Puysserguier, arrivé à un an et quelques mois dans le Var, démarre dans les années 50. Issu d'une «famille rugby», le petit Daniel rejoint ses grands frères, André et Bernard au RCT dès son plus jeune âge. De 10 ans son ainé, André -international tricolore à 22 reprises- se rappelle : «Daniel était bon élève et doué en sport. Quand il eut 14 ans, son professeur me convoqua. Conscient que Daniel venait d'une famille rugby, il m'a demandé de l'orienter vers le football... Mais quand j'en ai parlé à Daniel, il n'a rien voulu savoir. Il voulait jouer au rugby, basta. C'était le sport de la famille. D'aussi loin que je me souvienne il a toujours été inspiré par ce sport.» Doté d'un physique «intéressant, même si ce n'était pas un golgoth» le jeune Herrero développe un «coup d'oeil et un sens du jeu supérieur» et se fait rapidement remarquer. Mieux, il devient capitaine de l'équipe de France Juniors, alors même qu'il mène en parallèle des études pour devenir professeur d'éducation sportive. «Sa force, c'est qu'il comprenait le sport. Il avait une intuition et une adresse exceptionnelle, couplées à un sens de l'anticipation.» Habile ballon en mains, le jeune troisième ligne découvre alors la première division, à un poste pourtant inhabituel : « Il a démarré en Une au centre. Il a notamment fait un quart de finale contre les frères Boniface. Ça l'a marqué, il en a souvent parlé. Daniel était le garçon de la famille le moins attiré par la violence du rugby. Il préférait la finesse, l'esthétique de ce sport.»

« C'était un «sportif littéraire» »

À 20 ans, alors privé de la finale de première division contre Lourdes -car suspecté d'avoir caillassé une voiture de police lors de mai 68- Herrero décide de découvrir l'Amérique du Sud, accompagné d'un ami. «Dani» se découvre alors deux passions, qui ne l'abandonneront plus jamais : l'écriture et le voyage. «Ç'a été une révélation pour lui : il avait toujours été intéressé par la littérature, mais ç'a pris une nouvelle ampleur. Coucher ses pensées à l'écrit lui a permis de prendre encore plus de hauteur sur son sport. Et c'est là que j'ai senti que Daniel prenait une nouvelle dimension populaire : c'était un «sportif littéraire», un personnage qui plaisait énormément. De l'extérieur, j'ai eu le sentiment que ça le poussait à avoir un avis et ç'a développé en lui un œil critique sur le monde qui l'entourait». En parallèle, Herrero connaît le sommet de sa carrière sportive en 1970 quand le RCT remporte le Challenge Yves du Manoir contre Agen, rencontre durant laquelle le troisième ligne inscrit un essai sur interception. La saison suivante, une révolution intervient dans la vie du jeune Herrero. «Lors des phases finales du championnat, en 1971, les joueurs avaient décidé de se laisser pousser les cheveux. Malgré la défaite contre Béziers nous avions vécu des phases finales homériques, c'était symbolique.» Sauf qu'une fois le championnat terminé, tous les joueurs se libèrent de leur tignasse. Tous ? Sauf l'irréductible Daniel Herrero. Apparaissent alors barbe, cheveux longs et ce qui deviendra à terme sa marque de fabrique : le bandeau rouge.

« Il a gardé cette image de barbu post 68ard »

«Il avait un look tranché, qui notait d'un côté rebelle, anticonformiste. C'était les conséquences de 68.» La période est faste pour l'homme. «Sa personnalité s'est avérée marquante quand il a joint ses idées de toujours à ce look de baroudeur. C'est devenu une personnalité à succès, de par son discours, ses écrits et son comportement. Là, il s'est mis à côtoyer des chercheurs, des littéraires, etc. Il a découvert une nouvelle dimension de la société, tout en gardant cette image de barbu post 68ard.» Gourmandise quelque peu mégalo d'un personnage en quête de reconnaissance de la part d'un autre milieu que celui du ballon ovale ? Que nenni, Daniel Herrero a des convictions depuis son plus jeune, et se sert simplement de son charisme et de sa gouaille pour s'affirmer idéologiquement. «Il allait au bout de ses idées. Il a traversé l'Amazonie, l'Amérique du Sud, l'Inde, la Bolivie le lendemain de la mort du Ché. Il était également en Roumanie pour l'avènement de la capitulation du pays avec Nicolae Ceausescu... Il s'est souvent retrouvé dans des circonstances qui dépassaient le cadre du rugby, mais qui correspondaient à ses idées et son état d'esprit. Dans les années 70, j'ai vu Daniel grandir. Il avait des idées assez précises sur le jeu, mais plus encore sur les hommes, la vie. Sa personnalité s'est développée au contact des humains. C'est quelque chose qu'il appréciait et il s'est enrichi.»

« Daniel, c'était un chef de meute ! »

Le joueur termine sa carrière, du côté de Nice, et raccroche les crampons en 1976. En 1983, le barbu toulonnais fait son retour au RCT en prenant les rênes de l'équipe varoise. Le défi est alors immense : réussir à fédérer une talentueuse génération, pour la mener à un bouclier de Brennus après lequel le club Rouge et Noir court depuis 1931. Arrière historique des années 80, Jérôme Bianchi raconte : «On parlait de Toulon comme d'une équipe culturellement violente et Daniel voyait lui une équipe capable de produire un rugby total, un rugby de mouvement. Il voyait en nous des choses que personne n'imaginait... Ses discours étaient hypers engageants, et tout au long de son mandat il n'a eu de cesse de croire en son idée du rugby, à savoir : être imprenable devant, tout en mettant de la vitesse derrière. Il était en avance sur ce qui deviendra le «rugby moderne».» Préparation physique, mentale et approche psychologique, le mentor toulonnais croit en son équipe et n'hésite pas à bousculer les codes de l'époque. «Daniel était un coach en avance, confirme en ce sens Thierry Louvet. Il était dans la parole constante, la communication. Sa botte secrète, c'était l'humain. Il nous a changé des coachs à l'ancienne qui criaient. Il était dans la pédagogie et la manière de nous emmener par l'adhésion à un projet... Daniel, c'était un chef de meute ! Nous étions des hommes caractériels, particuliers, mais le «Bubar» a su mettre notre violence naturelle au profit du jeu, de l'équipe. Nous étions capables de faire des choses extraordinaires, avions peur de rien, étions capable d'aller très loin dans la souffrance, le don de soi, mais il fallait que ça se traduise dans le jeu, ce que Daniel a réussi.» On parle alors d'une tribu, d'un «clan Herrero», dixit Louvet, à qui il ne peut rien arriver.

« Il nous manageait en tant qu'équipe mais nous montrait un par un nous étions précieux »

Au troisième ligne de poursuivre : «Daniel est de très loin le coach qui m'a le plus marqué, mais c'est également une personnalité, un homme qui m'a inspiré.» De Singapour à Jakarta, Bali, l'Australie ou la Nouvelle-Zélande, le «Bubar» veut faire grandir ses joueurs, développer leur curiosité et ouvrir leur esprit, convaincu qu'ils n'en seront que meilleurs sur le terrain, et dans la vie. «Quand tu vis des voyages comme cela à 18 balais tu reviens différent. Tu ne peux pas faire comme si tu n'avais rien vécu. Ton esprit change, évolue et tu ne peux plus rester sur tes petites certitudes d'adolescents. Tu découvres que le monde est vaste et multiple. C'était un entraîneur, mais également un coach de vie.» Dans le vestiaire, le discours fonctionne et le RCT redevient l'un des mastodontes du championnat. «La différence entre Daniel et le reste du monde, c'était son approche psychologique, reprend à son tour Bianchi. Toujours accompagné de Marcel Rufo, le pédopsychiatre, et de François Grisoli, neurochirurgien de Marseille, Daniel échangeait, observait, et savait nous parler, nous mettre en valeur, tout en sublimant sa muse : le collectif. Il avait un mot pour chacun, afin qu'on se sente concerné et qu'on sache qu'on ne risquait rien. Il savait quel mot utiliser pour que chacun donne 101%. Daniel rendait l'impossible possible. On croyait en lui. Et puis avant les matchs...». Avant de rentrer sur le pré, le dimanche, Herrero harangue, monte dans les tons, n'hésite pas à piquer les joueurs qui en ont besoin ; «Il nous mettait dans un état tel qu'on se serait sacrifié pour les autres, reprend Bianchi. J'étais le dernier à sortir du vestiaire, et bien souvent je me retournais et je voyais qu'il était vidé. Tellement il s'était investit dans la parole, l'exemple, l'envie de combat, de détruire, de jouer... Daniel, c'était un passionné. Il était éreinté après une causerie. Ç'a été le meilleur entraîneur que je n'ai jamais eu. Il m'a donné confiance en moi. Il nous manageait en tant qu'équipe mais nous montrait un par un nous étions précieux.» La suite, tout le monde la connaît : deux finales de championnat, en 1985 et 1989, mais surtout une inoubliable bouclier de Brennus, en 1987.

« Daniel veille sur le RCT, il est une sorte de garant des valeurs du club »

Joueur émérite, entraîneur à succès et penseur reconnu, Daniel Herrero a -tout au long de ses 71 bougies qui deviendront 72 en juin prochain- su gagner le respect de ses pairs et des personnes qui ont croisé sa route. En sus, le «Bubar» n'a eu de cesse de développer son goût de l'ailleurs. Et l'aventurier au «tempérament vagabond», comme le décrivent ses proches, aura su entretenir cette admiration qui lui vouent toutes les franges du rugby français. Capable de véhiculer des valeurs qui lui sont propres, et de croire coûte que coûte en en ses idées, le Herrero s'est imposé comme l'un des personnages indissociables de l'histoire du Rugby Club Toulonnais. «Daniel, c'était, et ça demeure le gardien du temple. Il veille sur le RCT, et est une sorte de garant des valeurs du club.», détaille parfaitement Jérôme Bianchi. En ce sens, les supporters toulonnais ont tendance à dire que «Toulon, c'est Daniel Herrero, et que Daniel Herrero, c'est Toulon», comme pour marteler à qui en douterait encore que Dani l'anticonformiste, le révolutionnaire, l'indomptable, a bel et bien gravé au fer rouge et noir son nom dans les manuels d'histoire du rugby français.  

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