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Les personnages du rugby français : les mille vies de Laporte

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    Les personnages du rugby français : les mille vies de Laporte Midi Olympique
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L’actuel président de la Fédération Française de Rugby a déjà tout connu ou presque, dans le rugby et ailleurs. En trouvant généralement, derrière un échec, le rebond là où pas grand-monde ne l’attend. Fascinant pour certains, détestable pour d’autres, Bernard Laporte ne laisse personne indifférent. Et ne cherchera sûrement jamais à le faire.

Et si la deuxième vie de Bernard Laporte, celle qui a entraîné les mille autres, avait débuté le 24 juillet 1985 ? Ce jour-là, à 21 ans et alors qu’il était promis à une belle carrière de rugbyman, la fatigue a conduit la Simca dont il était au volant à aller s’encastrer dans un platane sur la route d’Agen.

Emmené d’urgence à l’hôpital militaire Robert-Piquet de Talence et plongé quelques jours dans le coma, l’intéressé était fini pour le ballon ovale. C’est du moins ce que lui ont confié les médecins. Est-ce là que Laporte a puisé cette inébranlable propension à se relever de chaque revers ? Est-là que s’est forgé en lui cette incroyable capacité à toujours aller au bout de ses ambitions, bien au-delà des limites affichées et sur des terrains où personne ne l’attend ? L’histoire ne le dit pas. Mais lui a déjà confié que cette péripétie lui a ouvert les yeux sur la vie. La sienne ne sera plus jamais la même. À compter de là, ce gamin de Gaillac, qui a grandi dans l’innocence tarnaise, naviguant entre la maison, le stade de rugby et le café des sports du village, s’est écrit un destin sans nulle autre pareille. Laporte, le joueur, s’est offert des lendemains qui chantent à ce douloureux épisode. Il est revenu sur les pelouses, plus fort, plus grand, plus affirmé surtout. Un demi de mêlée en forme de guide pour ceux qui l’entouraient, propulsé capitaine de Bordeaux-Bègles à seulement 24 ans et sacré champion de France en 1991 lorsqu’il était déjà le chef d’une bande pas comme les autres, celle des « Rapetou » et sa première ligne formée par Serge Simon, Vincent Moscato et Philippe Gimbert qui faisait fuir ceux qui osaient se présenter devant elle. « Il avait un sens tactique hors normes, s’est souvenu un jour Simon, son acolyte encore à ses côtés à la Fédération aujourd’hui. C’était un meneur d’hommes exceptionnel. Il savait nous transcender, il pouvait nous faire grimper à n’importe quels rideaux. Sur le terrain, il provoquait l’adversaire car il savait qu’on le protégerait. Il ne fallait pas toucher à notre numéro 9. En dépit de sa faiblesse physique apparente, il était tout sauf un maillon faible. C’était notre stratège. »

Séduction et rivalité

Le stratège donc. Celui dans le sillage duquel aucune montagne n’est insurmontable. Pourtant, Bernard Laporte a connu un paquet de chutes dans son parcours. Qu’elles soient sportives, commerciales ou politiques. Mais son talent, incomparable, est de toujours construire un après. Sa force de persuasion fascine certains autant que son insolence décomplexée répugne d’autres. Qu’on l’admire ou qu’on le haïsse, le président de la FFR est de ceux qui ne laissent personne indifférent. C’est peut-être d’ailleurs ce qu’il recherche. Une certaine façon de se démarquer. Une personnalité singulière qui a séduit Max Guazzini à l’hiver 1995 quand ce dernier a choisi d’en faire son entraîneur au Stade français. Le début d’une aventure qui, là encore, changerait une énième fois l’existence de Laporte. « J’ai toujours été un peu fétichiste, racontait-il lundi dans les colonnes de Midi Olympique. À l’époque, je ne quittais pas mon survêtement du CABBG. Je pensais qu’il me portait bonheur. Et puisque Max le détestait, j’étais obligé de le porter sous les costumes. Je crevais de chaud... » Une habitude vestimentaire à l’opposé des tuniques roses qui feraient bientôt le sel de ce rugby nouveau inventé par le club parisien. Là où, parti de rien ou presque, « Bernie le dingue » a bâti une équipe capable de soulever le Bouclier de Brennus trois ans plus tard. La légende, la sienne, était en marche. Celle, à tort ou à raison, d’un technicien dont la faculté à tirer l’essence d’un groupe n’a que peu d’égal. Celle de Guy Novès mise à part. La rivalité entre les deux hommes, qui a orné les vingt-cinq dernières années de ce sport, était née au cœur d’un « Clasico » monté de toutes pièces par Max Guazzini et René Bouscatel. Un antagonisme qui n’a fait que croître avec le temps et terminé devant les tribunaux avec un chèque d’un million d’euros empoché par le Toulousain après son éviction du poste de sélectionneur décidé par son ennemi. Novès qui, bien avant les affres de sa collaboration avec le successeur de Pierre Camou, ne manquait pas l’occasion de rappeler les deux titres de champion de France de Laporte comme entraîneur. Sous-entendu : en comparaison avec ses dix Brennus… « Guy Novès a beaucoup gagné, avait une fois confié Laporte en aparté. Quand je suis arrivé avec le Stade français, il a un peu moins gagné. Mais il a ensuite de nouveau beaucoup gagné. Puis je suis revenu avec Toulon et il a encore un peu moins gagné. »

Ses fortunes et ses triomphes, ses polémiques et ses enquêtes

Il faudrait un roman pour s’étaler sur tous les chapitres qui ont mené Laporte jusqu’où il est aujourd’hui. Nommé sélectionneur du XV de France en 1999, à 35 ans, le premier de l’histoire du rugby hexagonal à ne jamais avoir porté le maillot de l’équipe nationale en tant que joueur, quatre fois vainqueur du Tournoi, deux fois demi-finaliste de la Coupe du monde (en 2003 et en 2007) et parti sous d’autres cieux sans que ce double-mandat ne soit ni une franche réussite ni un vrai fiasco. La suite ? Un passage remarqué, plus que remarquable, au gouvernement en tant que secrétaire d’état chargé des sports, rendu possible par sa proximité par Nicolas Sarkozy, alors élu Président de la République. La politique et ses codes auxquels cet enfant du ballon ovale, aussi caractériel et charismatique soit-il, n’était pas franchement préparé. Monde impitoyable où il a finalement pris plus de coups qu’il n’a pu en donner. Mais une page supplémentaire venue agrémenter le sort rocambolesque de ce caméléon qui, au gré de rencontres, d’amitiés ou d’opportunités, bref de hasards qui n’en sont peut-être pas tant que ça, a toujours su s’inventer un rebond. Chez lui, une idée bouscule la précédente, un projet en chasse un autre. C’est aussi le refrain de ses affaires en tous genres qui ont connu plus ou moins de succès. Laporte, ses restaurants, ses casinos, ses campings et ses sociétés diverses et variées. Laporte, ses fortunes et ses triomphes. Laporte, ses instincts et ses dérives. Laporte, ses polémiques et ses enquêtes. La dernière en date ? Celle que le lie à Mohed Altrad, président de Montpellier devenu premier sponsor maillot des Bleus, entre favoritisme présumé et contrat personnel. Une ligne, encore, pour nourrir la complexité du personnage. Celui-là même qui, derrière la risible reprise avortée du Stade français et la vraie-fausse arrivée d’un fonds canadien puis les deux mois et demi passés comme administrateur influent de l’Aviron bayonnais en 2011 avant d’être écarté par quelques hommes en place, a trouvé le moyen de se relancer à Toulon pour porter le RCT sur le toit de l’Europe à trois reprises et en faire le plus grand club de la dernière décennie. Alain Afflelou, l’argentier qui l’avait attiré sur la côte basque, en sourit jaune aujourd’hui dans Midi Olympique : « Mourad Boudjellal m’a dit un jour : « Tu remercieras pour moi les dirigeants bayonnais : ils ont eu du flair ! Parce qu'avec les moyens d’Afflelou et les compétences de Laporte, l’Aviron serait devenu presque injouable. » Je n’ai jamais oublié cette phrase. 

« Rien ne résiste à son côté hypnotique »

Après quoi Laporte court-il réellement ? L’argent ? En partie sûrement mais, si c’était seulement le cas, il aurait accepté l’énorme chèque proposé par le MHR voilà plusieurs années pour prendre en mains l’équipe héraultaise plutôt que de partir à l’assaut de la Fédération. La gloire ? Au vu de ses nombreuses inimitiés et face au plaisir presque vicieux qu’il semble prendre dans l’affrontement, que ce soit au bord du terrain ou dans une campagne électorale, il faudrait au contraire croire qu’il cherchera toujours a entretenir le doute autour de sa nature profonde. Le pouvoir alors ? Peut-être, mais force est de constater que, tel un éternel insatisfait, Laporte se contente rarement de ce qu’il possède, même quand il en est le garant. Ses détracteurs décrivent un carriériste vulgaire et brutal. Il y a forcément du vrai. Ses soutiens voient en revanche en lui un responsable proche des gens et audacieux. Cela ne peut être totalement faux. Le pire ? Serait-ce que, lancé dans l’opération réélection à la Fédé, l’avenir semble aussi et désormais le voir s’installer du côté de World Rugby ? Faut-il, après avoir essuyé tous les rouages du rugby français, l’imaginer un jour à la tête de celui mondial ? Et se souvenir de cette tirade de Serge Simon à son sujet : « Rien ne résiste au côté hypnotique de Bernard. » Alors, le pire est qu’à 55 ans, Laporte a encore toute une vie devant lui pour en dessiner mille autres, sur des terres toujours plus inattendues.        

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