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Roman d'un club : À Toulon, la magie de Mayol

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Mythique dans le rugby français, le stade Mayol de Toulon est aussi un endroit à part, coincé entre les traditions de sa culture locale, son histoire riche et le rugby mondialisé et ses stars internationales qu’il a vu défiler. Mais il reste aussi une formidable machine universelle à produire des émotions. Immersion.

Il est certains patronymes qui résonnent dans l’histoire du rugby. Des noms de famille que l’on a donnés à des stades, lesquels sont devenus si fameux qu’ils ont occulté les individus que l’on a immortalisés en prêtant leur nom. Mayol est de ceux-là. Aujourd’hui, l’écrin varois est tellement mythique qu’il en ferait presque oublier son premier propriétaire, Félix Antoine Henry Mayol, né le 18 novembre 1872 à Toulon et mort 68 ans plus tard au même endroit. Chanteur de music-hall, c’est lui qui offrit le terrain et des droits de ses chansons afin de payer les installations. Une dotation estimée à environ 60 000 francs-or, que le chanteur évoqua dans ses mémoires : « À Toulon, où la jeunesse est particulièrement active et vigoureuse, nous n’avions pas le moindre terrain utilisable… Seul demeurait un vélodrome désaffecté, où nul n’allait jamais, qui ne servait plus à rien et qui me paraissait s’ennuyer autant que nos aspirants sportsmen… Alors, mon Dieu, c’était tout simple, j’ai acheté le vieux vélodrome ! J’y donnai moi-même le premier coup de pioche… » Celui-ci fut donné le 26 juillet 1919. Quelques milliers de coups de pioche plus tard, le Stade Mayol voyait enfin le jour, avant d’être inauguré le 28 mars de l’année suivante par un événement multisports : un cross, un match de foot et un autre de rugby opposant le RCT à un club toulousain du TOEC, ancêtre de l’actuel FCTT, qui vient de se voir promu en Fédérale 1. Quand il donna ce coup de pioche, Félix Mayol ne se doutait pas qu’il était sur le point d’offrir au rugby français l’un de ses plus fameux antres. Un de ceux que les joueurs défendraient avec férocité et fierté, un de ceux que les supporters investiraient avec ferveur et passion, un de ceux où les adversaires se présenteraient avec la boule au ventre.

« Des cris et des bruits bizarres » venant du vestiaire de l’équipe première…

Quand on évoque ce stade, il faut déjà parler de son contexte, de sa ville : Toulon. Une ville portuaire, située entre Marseille et Nice, les deux plus grandes villes de la région Paca. Toulon est la troisième. Ce qui reviendrait à dire qu’elle est « coincée » entre ces deux grandes agglomérations. Géographiquement donc, la cité varoise semble déjà faire de la résistance. Et quand on pose la question d’une éventuelle « paranoïa toulonnaise » à Thierry Louvet, l’emblématique flanker du RCT sacré champion de France en 1987 et 1992, l’Indien de la rade pose le décor ainsi : « Ce n’est pas de la paranoïa. Chez nous, c’est un ancien bagne. La ville est coincée entre la montagne et la mer. Il n’y a que peu d’accès. On est seuls ici, et on a une identité dont on est fiers et que l’on revendique. » Même écho du côté de Fabio Pedri, restaurateur et toulonnais pur souche, ancien joueur du RCT et fils de Loris, qui fut le président du RCT de 1994 à 1996 : « Ce fameux « On nous veut du mal », ou « On dérange », a toujours été notre moteur à Toulon. » Le décor est posé. Mayol s’insère en plein cœur de celui-ci, en son centre. Dans le quartier Besagne, pour être précis : « Un quartier populaire, peuplé de travailleurs, de besogneux, où l’on trouve le marché de poissons. Les gens de Besagne étaient les supporters les plus virulents, les plus passionnés. »

La passion. C’est, et de loin, le mot qui revient le plus souvent quand on évoque Mayol. Une passion qui rend fou, aussi. Qui provoque des comportements inhabituels. Fabio Pedri, alors à l’école de rugby du RCT n’a rien perdu de ses premiers souvenirs des vestiaires de Mayol les jours de matchs : « J’étais minot. Avec mon équipe poussins, on venait de jouer un match en lever de rideau. Notre vestiaire était juste en face de celui de l’équipe première. On nous demandait de rester silencieux, parce que les seniors se préparaient. Mais de ce vestiaire, on entendait des cris, des bruits bizarres et dehors, comme des bruits de guerre qui venaient des tribunes. En tant que gamins, cela nous faisait bizarre. Cela nous a profondément marqués aussi. Et stimulés bien sûr. » Louvet abonde : « Cette sortie des vestiaires, c’était un moment à part. Dès que l’on ouvrait notre porte, on entendait un grondement qui s’intensifiait à mesure que l’on avançait dans le couloir : « Tou-lon, Tou-lon, Tou-lon… » Pour moi, c’était le battement du cœur du stade, et de toute la ville. Cela nous galvanisait, au point de vouloir traverser n’importe qui. On voulait être craints, et le public nous y aidait. » Pedri reprend : « C’est la tribune Bonnus qui donnait le tempo. Celle située en face de la présidentielle, donc la plus populaire. C’est là où l’on trouvait les supporters les plus virulents. Un jour, Bruno Motteroz (ancien deuxième ligne du RCT, sacré champion de France en 1992, N.D.L.R.) m’a expliqué que c’est au moment où les supporters de la Bonnus apercevaient les chaussettes rouges des joueurs dans le couloir menant au stade que ce dernier s’embrasait d’un coup. C’était le signal. »

Ceux qui ont le plaisir d’y jouer un jour s’en souviennent aussi. Surtout quand ils ont eu la chance d’y marquer un essai. Ancien troisième ligne alors âgé de 16 ans, Fabio Pedri avait eu l’honneur d’y disputer un match en jeunes en lever de rideau face à Nice, un samedi soir en ouverture d’un Toulon - Racing : « Mon père m’avait dit : « économise-toi en première mi-temps, et fais le match de ta vie en deuxième. » C’était pour attendre que les spectateurs arrivent ! Je n’en avais pas dormi de la nuit, mais j’avais finalement marqué en fin de match. Le stade s’était soulevé et j’avais ressenti, à mon tout petit niveau, quelque chose d’indescriptible. Si ce sentiment m’a autant marqué alors que j’étais enfant, alors je me dis qu’il doit transcender les hommes. »

Quatre fois champion de France, le RCT a connu une première période de domination sur le rugby hexagonal dans les années 80 et 90, avec deux titres en 1987 et 1992, et deux finales en 1985 et 1989 (auxquelles il faut ajouter deux titres en Challenge Yves-du-Manoir en 1934 et 1970). De cette époque dorée, les Toulonnais d’innombrables grands matchs disputés à Mayol. Pêle-mêle, Louvet se souvient de matchs épiques contre le Stade toulousain, Agen, Bègles, Lourdes, Auch ou Brive, à l’occasion d’un huitième de finale retour après une défaite 12-0 en Corrèze : « Le contexte était houleux », rappelle le flanker. « Les Brivistes nous avait fait vraiment mal à l’aller », se remémore Pedri. « L’ambiance dans le stade était électrique et Brive marqua d’entrée trois points. Le RCT devait donc en marquer 18 pour se qualifier. Tout le monde s’attendait à un match d’avant mais contre toute attente, les Toulonnais se sont mis à développer un jeu de mouvement. Résultat final : 42 à 3. Je me souviens de ce match comme si c’était hier », s’enthousiasme encore le restaurateur.

Le jour où Bob Marley y improvisa un match de foot…

Mayol fut aussi le théâtre d’autres spectacles, bien plus « pacifiques » mais tout aussi populaires. Saviez-vous qu’à ce jour la plus grande affluence enregistrée à Mayol fut lors d’un concert de Bob Marley, le 26 juin 1980 qui attira plus de 22 000 personnes ? « J’étais trop petit pour y aller malheureusement, regrette Pedri. En revanche, je sais que, dans l’après-midi qui précédait le concert, Marley, en grand passionné de ballon rond, a organisé un match de foot opposant son groupe et ses techniciens aux organisateurs du concert… Donc Bob Marley, Peter Tosh et les Wailers ont joué au foot à Mayol ! C’est un mélange des genres absolument fou. Ce stade a tout connu. » Louvet n’y était pas non plus mais n’a pas de regret : « Ce n’était pas mon genre de musique, je préférais le rock. En revanche, je peux vous dire qu’ils ont retrouvé tout un tas de substances bizarres sur la pelouse le lendemain ! » s’amuse le troisième ligne.

Ce concert était là les prémices de l’internationalisation de Mayol. Un rayonnement qui devint mondial dans les années 2010, après le formidable effort de redressement opéré par Mourad Boudjellal, arrivé aux commandes en 2006 et qui fit venir au RCT les plus grands joueurs du monde : Umaga, Gregan, Matfield, Wilkinson, Botha, Giteau, Mitchell, Habana, Nonu, Van Niekerk, George Smith, Shaw, Sheridan ou encore Juan Smith pour ne citer qu’eux… Avec ses « Galactiques » et Bernard Laporte en manager, Boudjellal rafla trois Coupes d’Europe de suite (2013, 2014, 2015) et signa en 2014 un doublé avec le championnat de France que l’on croyait impossible.

Un pilou-pilou qui divise autant qu’il popularise

Cette période fut aussi celle des grands changements et d’une médiatisation qui ne fut pas forcément du goût de tous, à l’image du fameux « pilou-pilou », systématisé à partir de 2005 sous la présidence d’Éric Champ et mis en scène médiatiquement l’année suivante par Mourad Boudjellal : « Le pilou-pilou fait partie des chansons du bus pour les minots, pose Louvet, cela m’a gonflé de le voir mis en avant de la sorte. Une carte d’identité vous dites ? Vous croyez franchement que ce club, avec toute son histoire avait besoin du pilou-pilou en guise de carte d’identité ? » Jérôme Bianchi, l’arrière international du RCT dans les années 80, le rejoint : « Avec l’évolution professionnelle du sport et l’internationalisme, nous avons perdu notre identité. Et maintenant on y revient, en faisant un pilou-pilou, par exemple. De notre temps ça n’existait pas. Jamais. Enfin si, mais c’était l’œuvre de vingt inconditionnels dans les tribunes, pas de tout le stade. Et à une certaine époque, je ne dis pas que c’est mal, mais il a fallu créer un cri de ralliement pour ceux qui s’intéressaient au rugby de plus loin… En fin de compte, c’était pour le grand public. Le rugby avait changé. Mourad Boudjellal a fait choses immenses, en créant quelque chose qui n’existait pas à Toulon. Mais ce nouveau rugby était très loin de notre vision. Nous, à l’époque la star c’était le RCT, et la région. Nous étions dépositaires des valeurs de la région. »

Fabio Pedri se montre plus nuancé : « Cela a été mal vécu, oui. C’est un chant du bus et cela n’avait pas grand-chose à faire dans un stade. Et dans un sens, on nous l’a volé », regrette le restaurateur qui, dans le même temps, reconnaît que ce rituel d’avant-match a contribué à diffuser l’aura du RCT dans le monde : « Mourad a créé un concept, et celui-ci a marché. Et puis de toute façon, on n’en serait pas là aujourd’hui s’il n’avait pas été là. C’est un enfant de Toulon, qui a mis des millions de sa poche quand personne ne voulait investir sur le club. Et à mon sens, il n’a pas eu l’au revoir qu’il méritait. » Au-delà de l’exemple du « terrible cri de guerre », on pourrait aussi citer la fameuse « descente du bus », qui a depuis été mille fois copiée et reprise dans les clubs de l’Hexagone voire bien au-delà…

Entre mercenaires et naturalisés

Qu’on y souscrive ou pas, les stratégies de Mourad Boudjellal ont offert à Mayol un rayonnement international. Et les témoignages des stars qui y sont passées sont à ce titre édifiants. En dépit de leurs incroyables carrières, des matchs internationaux qu’ils ont disputés dans des stades plus immenses les uns que les autres, les recrues mondiales du RCT placent toujours Mayol à part. En septembre dernier, le centre anglais Ben Te’O nous confiait ceci : « Jouer dans ce stade mythique avec le maillot du RCT était une expérience dont je me souviendrai longtemps. Le soir j’ai appelé tous mes proches pour leur raconter. C’était dingue. Entre l’arrivée en bus, la marche au milieu des fans, les drapeaux quand nous sommes entrés sur la pelouse… Puis l’ambiance, la chanson en début de match, c’est complètement dément ! J’ai la chance d’avoir joué à travers le monde, devant différents publics, différentes cultures, mais avec ce que j’ai vu ici, l’ambiance de Mayol s’est classée directement dans mon top 1. Je ne savais pas que ça existait pour être honnête. » Des propos qui ressemblaient à ceux tenus quelques mois plus tard du deuxième ligne sud-africain Eben Etzebeth, qui venait pourtant d’une tournée nationale en Afrique du Sud pour fêter le titre de champion du monde : « La foule de Mayol, les chants, l’ambiance… C’était dingue. Je retiens également la marche, du bus aux vestiaires : on m’avait dit que ces 80 mètres resteraient dans ma mémoire, j’ai compris pourquoi ! Mon entrée en jeu ? J’étais nerveux. C’était un match de rugby comme j’en ai joué des centaines, mais c’était le premier avec Toulon. J’ai profité sans compter des quelques secondes entre mon entrée et la première action. J’ai entendu les fans, c’était incroyable. Ça ne se voit pas à la télé, mais ça m’a mis le sourire aux lèvres. »

Toutes ces recrues n’ont pas laissé la même empreinte à Mayol. Certaines, grâce à leur engagement sans faille, ont été adoptées voire naturalisées : « Aujourd’hui, je n’ai pas peur de dire qu’un mec comme Joe Van Niekerk est aussi toulonnais que moi », insiste Pedri. « Certains comme Jonny Wilkinson ou autres Bakkies Botha ont joué le jeu et se sont appropriés cet ADN », reconnaît Louvet. Tous, en tout cas, ont été marqués à vie par leur passage à Mayol. Et c’est bien là que l’on reconnaît bien qu’il s’agit décidément d’un stade pas comme les autres. Pourquoi ? Parce que Toulon… et Mayol. 

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