Abonnés

Garbajosa : « Les préceptes toulousains ne me quitteront jamais »

  • "Les préceptes toulousains ne me quitteront jamais"
    "Les préceptes toulousains ne me quitteront jamais"
Publié le Mis à jour
Partager :

Ancien joueur du Stade Toulousin, Xavier Garbajosa revient sur sa prise de fonction en tant qu'entraînteur à Montpellier. 

Comment définir le métier d’entraîneur ?

C’est la prolongation de ce qu’on a vécu comme joueur, une continuité, une façon de prolonger le plaisir et une transmission.

Avez-vous commencé à vous questionner en profondeur sur le jeu durant votre carrière de joueur ?

Pas du tout, j’étais davantage attiré par la cohésion et la camaraderie, ce côté du rugby qui forge les belles histoires d’hommes, que par le jeu. Non pas que ça ne m’intéressait pas mais j’étais un soldat et il y avait des garçons autrement plus qualifiés que moi à ce niveau.

Comment est venu le déclic ?

Quand j’ai arrêté, j’ai basculé à la télévision sur Eurosport, ce qui m’a permis d’aller plus loin dans l’analytique, sur des choses que j’avais vécues comme joueur sans les formaliser. Avant, j’observais des principes, qui avaient un sens commun à mes yeux et viraient au naturel. Là, cela a révélé chez moi une certaine ouverture d’esprit. Ce n’était pas une vocation. Joueur, je n’ai jamais clamé : "Je vais entraîner." C’est arrivé sur le tard et je ne savais pas si j’avais la crédibilité. Aujourd’hui, on repasse des anciennes finales et j’ai parfois honte. Je me dis : "Pourvu que mes joueurs ne le voient pas." (rires). C’est difficile de réclamer des choses quand tu n’as pas fait les bonnes !

Qui vous a convaincu, alors ?

Des amis proches m’ont encouragé. J’avais peut-être davantage de légitimité que je ne le croyais au départ. Je n’étais pas un stratège mais il n’y a pas besoin de l’avoir été pour entraîner. Il y a la partie théorique et une autre qui tend vers la posture et la manière d’être. Le but est de faire progresser les joueurs, de parvenir à entrer dans leurs têtes pour leur donner de nouvelles méthodologies.

Comment déterminer vos influences ?

Il y a eu plusieurs étapes. La première, c’est le sport-études à Jolimont (un lycée de Toulouse, N.D.L.R.), sous la houlette de Claude Debat. J’étais un garçon sans talent mais avec une grosse envie, souvent à outrance. Il m’a mis le pied à l’étrier, m’a fait grandir et m’a placé sur le bon chemin, pas forcément celui que j’empruntais. C’est facile de parler de destin aujourd’hui mais à l’époque, je jouais à Castanet, un petit club et le Stade toulousain, c’était le summum. De là à m’imaginer porter ces couleurs…

Comment vous êtes-vous approprié son identité ?

Le sport-études a été le début du façonnage, en partageant mon temps de jeu et ma chambre à l’internat avec des joueurs de Colomiers et du Stade toulousain. Puis j’ai intégré ce club et j’y ai découvert une sorte de famille d’accueil. J’étais parti tôt de la maison, je me suis élevé en tant qu’homme, de mon arrivée en cadets-juniors jusqu’à la fin, avec le Stade toulousain.

Et en tant que rugbyman…

Je me suis enrichi grâce aux hommes que j’ai eu la chance d’avoir comme entraîneurs. Guy Novès, Daniel Santamans, qui n’est malheureusement plus là, Christian Gajan, Serge Laïrle, etc. Pour moi, c’était une éducation en famille.

Qu’est-ce que la méthode toulousaine ?

Tout le monde veut comprendre mais elle est difficile à définir. La méthode, c’est une éducation, une culture, un sentiment d’appartenance. C’est très clanique en fait. J’insiste mais il y a, à Toulouse, une éducation dès le plus jeune âge. La méthode Robert Bru, portée par Skrela, Villepreux, Novès et Ugo Mola maintenant… Celle-ci est perpétuée d’année en année, en équipe première, mais tout ce qui est fait en dessous, c’est par d’anciens joueurs qui, eux-mêmes, ont été nourris à la même mamelle. Le projet de jeu n’en est pas un, c’est un référentiel commun. Nous, les garçons éduqués à Toulouse, devons avoir le même ressenti, dur à exprimer tant il est simple pour nous.

Cela semble régi par des idées très fortes sur le jeu, notamment l’obsession d’être maître du ballon…

C’est excessif, jusqu’au-boutiste et extrême. À un moment, on entend : "On ne peut pas gagner de titres en répétant : soutien permanent, reste debout et ne va jamais au sol, jette les ballons et il y aura toujours un mec derrière…" Mais tous les ans, c’est comme ça. C’est la capacité à faire vivre le ballon, à te déplacer pour ton partenaire. C’est aussi le sens du sacrifice.

En quel sens ?

Sans solidarité, il n’y aurait eu aucun titre. C’est ce qui fait du jeu du Stade toulousain une référence, ce qui lui permet aussi de ne jamais s’épuiser. Il a eu des hauts et des bas mais il renaît tout le temps. Son point d’orgue, c’est sa formation. Parce qu’il y aurait de bons jeunes ? Non, il éduque ses joueurs de demain. Le procédé est simple : détecter, recruter, former et performer. Les gamins champions de France aujourd’hui, je les ai vus passer quand j’ai entraîné les jeunes à Toulouse. Ils ont grandi avec les mêmes préceptes. Pas ceux d’une personne mais d’un club.

Ces préceptes continuent-ils encore de vous guider ?

Non seulement à me guider mais ils ne me quitteront jamais. Je m’enrichis de mes autres expériences, à La Rochelle et à Montpellier, mais on m’a élevé ainsi. J’y crois. J’ai eu la chance, comme tant d’autres, de beaucoup gagner avec Toulouse. Ce référentiel est donc validé. Je sais ce que la formation veut dire et ce que nous mettons en place à Montpellier a du sens. Mais ce n’est pas faire du mimétisme. Toulouse reste Toulouse.

Le modèle toulousain n’est donc pas transposable ?

Il l’est sur certains points. Mais Toulouse a une économie réelle qui n’est pas la même ailleurs. Son bassin est aussi différent. Il est inspirant, pas transposable partout. Guy Novès, il n’y en a qu’un. Ugo Mola, il n’y en a qu’un. Mais on se rend compte que la formation est de plus en plus au cœur des projets, avec des éducateurs passés par le club, qui sont les garants de son histoire et les meilleurs commerciaux pour créer un ADN.

Est-ce le cas à Montpellier ?

Oui, c’est un club encore jeune même s’il a sorti des Picamoles ou Trinh-Duc. Faire revenir un Joan Caudullo à la formation, c’est le sens du projet porté par tous, pas que Xavier Garbajosa. Je plante des jalons car c’est ma vision mais je n’ai rien inventé. Je crois en ce socle dans lequel j’ai grandi. Pour autant, je ne vais pas dire bêtement : "On va faire comme Toulouse."

C’est aussi l’éternel débat de l’entraîneur qui s’adapte aux joueurs ou des joueurs qui s’adaptent à l’entraîneur. Vous l’avez connu en arrivant au MHR…

Je dois m’adapter aux profils que j’ai mais aussi les faire progresser, peut-être dans un autre modèle que celui dans lequel ils évoluaient. Il n’est pas mieux ou moins bien, juste différent. Cela peut faire sortir les joueurs de leur zone de confort : soit ça marche et les mecs adhèrent immédiatement, soit tu casses la dynamique et tu leur enlèves un peu de confiance. Le risque, c’est qu’ils soient moins spontanés et moins dans la prise d’initiative.

Le talent d’un entraîneur est-il donc de savoir placer la jauge selon le contexte ?

Disons qu’il y a un projet dans le projet. Au moment où tu arrives, tu fais l’audit des garçons à ta disposition : sont-ils capables ou pas ? C’est comme un robinet avec un filet d’eau que tu accélères, ralentis ou coupes. Même si, dès lors que tu inities quelque chose de nouveau, tu ne peux pas le couper complètement mais juste faire du goutte à goutte. Si jamais tu sens une adhésion, alors tu ouvres la vanne et le débit va plus vite. Il faut faire ta propre symphonie avec les joueurs que tu as, ce que tu peux mettre en place mais, inexorablement, tu entraînes selon l’homme que tu es. Dans un souci de cohérence, je suis peut-être plus compétent en transmettant les valeurs qui m’ont été inculquées. Il y a aussi le recrutement, pour que les joueurs que tu vas chercher soient adaptables au projet de jeu et d’équipe, capables de jouer debout, avec du soutien permanent, du déplacement, de la vitesse, de la recherche d’espaces. ça, c’est mon dada ; chacun le sien. Mais il faut des mecs qui s’intègrent dans l’état d’esprit général. Si ton projet porte sur la cohésion et les hommes, c’est dur de prendre un profil nombriliste. Il peut être le meilleur du monde, ça ne fonctionnera pas.

Vous revenez à cet aspect humain qui vous définissait donc en tant que joueur…

Les plus belles victoires sont celles arrachées ensemble. À Toulouse, il y avait un ou deux joueurs au-dessus, souvent à la charnière, entourés par treize mecs habités par un côté sacrificiel. Ils avaient les qualités stratégiques pour nous emmener à la victoire finale mais avaient besoin d’une armée toute la saison pour les rapprocher du dernier match. Le jeu toulousain, oui, certes… Mais, à chaque titre, notre pack a été dominant.

Dans le rugby moderne, qu’on dit aseptisé, le coach a-t-il toujours la place pour la gestion émotionnelle ?

En tout cas, j’essaie de l’entretenir mais elle doit entrer dans les règles de vie et de jeu. Le but n’est pas de jouer le père fouettard. Il faut poser un cadre : "Vous pouvez vous exprimer dedans mais celui qui en sort met en péril le chef-d’œuvre." Ça fait partie du management mais je joue la transparence et la responsabilité. Je ne veux pas être assis sur une chaise d’arbitre de tennis, à siffler le début et la fin. J’ai besoin de vivre des émotions avec les joueurs, de ressentir que l’entraînement n’était pas bon, qu’ils n’ont pas adhéré ou, au contraire, qu’ils étaient excités et qu’on a touché un truc. Si les règles sont claires, celui qui se manque doit assumer. Le cadre, c’est comme le terrain : il y a des lignes. On a le droit de se tromper mais si tu sors en touche, t’es mort. Après, à l’intérieur, libre à toi de t’exprimer dans un seul objectif : la performance.

En schématisant, il y a trois catégories d’entraîneurs : les romantiques à la philosophie de jeu presque théorisée, les pragmatiques, et ceux à l’inspiration anglo-saxonne. Peut-on vous placer dans la première ?

Mettez-moi où vous voulez, ça m’indiquera comment on me perçoit (rires). Quelle est la meilleure ? Celle qui gagne. L’influence anglo-saxonne a fait gagner, le pragmatisme et le jeu, disons plus poétique, également. Où est donc la vérité ? On dit souvent que les planètes doivent être alignées. Rien n’est dû au hasard car il n’existe pas dans le sport de haut niveau. Mais il y a des saisons comme ça… Prenez Toulouse l’an dernier.

Oui ?

Trois défaites, je crois. Tu les sentais intouchables. D’autres fois, le champion n’est pas celui que tu crois. Castres l’a été en ayant perdu trois ou quatre fois à la maison. Il y a toujours une raison mais, parfois, on ne la voit ou ne la maîtrise pas. On se donne les moyens de tout mettre en œuvre pour réussir mais on oublie des choses. Et quand ça gagne, on n’est pas toujours capables d’identifier ce qu’on a fait de mieux. C’est une forme de magie même si je répète que le hasard ne peut pas exister.

On a l’impression que le jeu suit parfois une mode…

Certains s’adaptent à ce qui se fait ailleurs, d’autres sont prêts à mourir avec leurs idées. C’est quoi le mieux ? Peu importe. Il y a un intérêt à regarder les autres quand ça gagne : "Comment a-t-il fait ? Quelle était sa circulation offensive ?" C’est un enrichissement mais je me dis aussi : "il l’a fait avec ces joueurs-là. Est-ce adaptable chez nous ?" C’est là qu’il faut bien connaître son groupe. Si tu as un doute, il vaut peut-être mieux s’abstenir. Sur certains points, je ne lâcherai pas car j’y crois dur comme fer. Sur d’autres, on peut avancer sans avoir les résultats escomptés. Tu n’es pas loin mais ça ne gagne pas. Alors tu peux avoir tendance à revenir à l’ancien système, quand il aurait suffi d’attendre une semaine de plus pour que ça bascule. Ce n’est pas de la science. Tout ne répond pas à quelque chose de rationnel. C’est ce qui fait le charme de notre métier, non ?

Et du nôtre aussi d’ailleurs…

Sinon, vous écririez : "Ils ont fait ça l’autre fois. S’ils le refont, ils gagneront." Ce n’est pas ça le rugby. Il y a quinze mecs sur le terrain, vingt-trois en tout, et chaque action individuelle peut amener quelque chose de bien ou de mauvais. Je ne suis pas assez compétent pour savoir tout ce qui va se passer (sourires).

"Je dois m’adapter aux profils que j’ai, mais aussi les faire progresser, peut-être dans un autre modèle que celui dans lequel ils évoluaient. Cela peut faire sortir les joueurs de leur zone de confort."

Vous êtes hors-jeu !

Cet article est réservé aux abonnés.

Profitez de notre offre pour lire la suite.

Abonnement SANS ENGAGEMENT à partir de

0,99€ le premier mois

Je m'abonne
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?