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Bagarre de légende : Cocktail explosif à Sydney

  • La bataille féroce entre Australiens et Français fut retransmise du début à la fin en direct à la télévision.
    La bataille féroce entre Australiens et Français fut retransmise du début à la fin en direct à la télévision.
Publié le Mis à jour
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Le 9 juin 1990, le test Australie - France commence par une énorme bagarre générale, dont la télé n’a pas loupé grand-chose. Ce fut là un cocktail détonnant entre plusieurs éléments, les remontées de Fouroux, le dépassement de soi de Devergie, les sacrifices de Sella et de Gallart, les premiers pas maladroits de Benazzi.

 

9 juin 1990. Premier test Australie - France, théâtre de la bagarre internationale la plus violente dont nous ayons été témoins. Et là, pas de légende, pas de récits fantasmés ou de mémoires qui embellissent ou diabolisent. Parce que cette énorme échauffourée, elle a été filmée et bien filmée. On peut la détailler en toute sérénité et en toute objectivité. Et c’est vrai qu’il en jette ce règlement de compte sans pitié entre les Bleus de Serge Blanco (premier capitanat) et les Wallabies de Nick Farr-Jones futurs champions du monde. Un vrai match de boxe poids lourd collectif.

Ce premier test fut riche en émotions, puisqu’il marquait aussi les débuts d’Abdelatif Benazzi, qui sera expulsé, pour un stamping dont on ne discerne rien à la vidéo. Un néophyte que se fait virer, c’est déjà, un événement en soi. Mais c’était dix minutes après la grosse bagarre initiale qui prit naissance sur une touche. Un vrai déferlement, pas si long, c’est vrai, mais vraiment intense : vingt secondes environ d’engagement total. Des rafales rares, même à l’époque, au niveau international. De cet épisode, la mémoire collective a retenu un mauvais génie : Peter FitzSimons, deuxième ligne australien, qui jouait à Brive. Il parlait bien, en anglais comme en français et il est devenu depuis un écrivain prolifique. « Désolé, mais j’ai beaucoup appris en France », commenta-t-il après coup. C’est vrai qu’il raconta souvent les diverses embuscades du championnat français, les accueils à Mayol et tutti quanti. Il en avait fait le thème de chroniques acides dans la presse sur ce sujet, et les Bleus se sentaient un peu énervés d’être amalgamés à cette image. « Oui, il en faisait beaucoup. Il parlait de notre rugby comme un sport de sauvage, il nous assassinait, il nous chambrait », détaille Benazzi. « En championnat, je ne le trouvais pas spécialement méchant, ni guerrier, mais avec le maillot national, il se prenait un peu pour un autre », poursuit le pilier droit Philippe Gallart.

Devergie remonté, contre-nature, par Fouroux

C’était aussi le crépuscule de l’ère Jacques Fouroux, entraîneur. La fin d’une certaine époque, celle des préparations façon commando, des séances d’entraînements réputées plus dures que les matchs eux-mêmes. Le « petit caporal » adorait faire s’affronter ses hommes dans un couloir de quinze mètres, durant de longs moments de rentre-dedans. Après, il organisait des mêlées jusqu’à pas d’heure. « Il avait fait venir Topo Rodriguez, l’Argentin qui avait joué pour l’Australie dans les années 80. On révisait la « Bajadita », l’un de ses dadas. Oui, Jacques Fouroux savait nous faire monter aux arbres, et c’est vrai FitzSimons était provocateur », enchaîne le talonneur Louis Armary. Un gars comme Fouroux était prêt à sacrifier un peu de discipline en échange d’un esprit de corps soudé. Les arbitres de l’époque acceptaient beaucoup de choses, les joueurs aussi d’ailleurs, y compris que la justice « immanente » puisse frapper souvent au détour d’un ruck. « Il faut savoir que Jacques Fouroux était très énervé, il était attaqué sur le plan sportif et sur le plan personnel. Il se faisait adresser par fax des articles qui lui étaient hostiles. Il reportait son agressivité sur les séances d’entraînements. Si la presse avait été dure, on savait qu’on allait charger en suivant », reconnaît le deuxième ligne Thierry Devergie. Le deuxième ligne de Nîmes avait de gros moyens physiques : « Je poussais, je plaquais, je courrais, je touchais le ballon aussi. Mais c’est vrai la bagarre n’était pas dans mon ADN. Je ne comprenais pas qu’on puisse mettre une mandale à un gars qui ne m’avait rien fait. »

On a cru un instant que Thierry allait se glisser dans la peau de la victime de « l’affreux » FitzSimons. À bien regarder les images, c’est entre les deux que démarre la bagarre, juste hors du champ de la caméra. Leur explication provoque un reflux des joueurs vers le premier foyer. Mais le bon samaritain Thierry Devergie joue carte sur table : « Fouroux m’avait remonté toute la semaine en parlant de lui, FitzSimons ceci, FitzSimons cela. Il était très fort pour s’adresser à chaque joueur individuellement et trouver la bonne motivation. » Et le gourou Fouroux réussit à faire bouillir le cerveau de son agneau : « D’entrée de jeu, je lui ai donné un coup de coude dans le visage sur une touche. Il y a eu une première échauffourée. Puis la deuxième touche est venue, le coup de coude et la bagarre a éclaté. »

Les Australiens ont l’avantage d’être dans le sens de l’avancée, alors que les Français sont obligés de reculer pour faire face. Pour sa première bagarre, Devergie donne le meilleur de lui-même. FitzSimons lui fait signe d’y revenir d’un geste des avant-bras. La colonne australienne charge mais les Français amortissent et ripostent. Le demi de mêlée Henri Sanz fait une démonstration de son art pugilistique, d’un maître crochet, il « couche » Phil Kearns, talonneur de fort tonnage. « On ne s’est pas rendu compte de l’énormité de la bagarre dans un contexte de test-match en direct à la télé, c’est parti comme ça. Ça se faisait à l’époque », poursuit Armary. Philippe Gallart ajoute : « Le rugby n’était pas notre fonds de commerce. Ce n’était qu’un jeu. On ne pensait pas à protéger un contrat. Le maître-mot, c’était la solidarité, on se serrait les coudes, on allait défendre le copain. »

Le deuxième ligne Peter FitzSimons est aujourd'hui journaliste et écrivain
Le deuxième ligne Peter FitzSimons est aujourd'hui journaliste et écrivain

La bagarre se poursuit, FitzSimons est toujours debout et le voilà qui fonce sur le jeune Benazzi, encore un peu intimidé. « Oui, il est venu droit sur moi, mais Philippe Sella a surgi pour lui balancer un coup de poing. Un coup à la Tyson. » C’est vrai le centre français est arrivé par derrière, pas l’action la plus glorieuse de sa carrière, on en convient. Mais il n’a pas supporté de voir son cadet se faire provoquer par un grognard. Le public n’apprécie pas, il hue copieusement mais cette fois, le colosse des antipodes est à terre. « Philippe est venu à mon secours. Il m’a toujours protégé depuis mes débuts à Agen. Quand je subissais des provocations, il était là pour me remonter le moral, poursuit Benazzi. Mais je l’affirme, nous étions à fleur de peau, mais nous ne sommes pas entrés pour déclencher des bagarres générales. » Mais l’ambiance était spéciale aussi parce que Jacques Fouroux vivait ses derniers mois à la tête des Bleus, après un mandat de neuf ans. Ses rapports avec Ferrasse s’étaient tendus, les deux hommes allaient se déchirer pour la tête de la FFR. « Et puis, n’oubliez pas que la France venait de perdre à domicile face à la Roumanie, à Auch en plus chez lui. Il avait vécu ça comme une humiliation, rajoute Devergie. On a senti qu’il voulait une revanche dès qu’on est montés dans l’avion pour la tournée. Il était d’une humeur terrible, dès l’atterrissage, on avait dû prendre nos affaires pour aller s’entraîner. Jacques était incroyable dans ma motivation, dès qu’on était dans les vestiaires, il se mettait torse nu et s’adressait à chacun, c’était très impressionnant. »

Abdel paye les pots cassés

Cette bagarre allait avoir des suites car M. Speadbury, l’arbitre anglais, s’était montré plutôt laxiste sur ce coup. « C’était son premier match à lui aussi. C’est devenu un ami en plus. Sur la bagarre générale, il n’a pas su désigner de coupable, c’était difficile car il n’y avait pas de vidéo, même si le stade était muni d’un écran géant, mais je pense qu’il ne diffusait que le direct », contextualise le troisième ligne d’Agen. Thierry Devergie le reconnaît : « Si ça se passait maintenant, j’aurais pris un carton rouge et Philippe Sella aussi. » Alors, M. Spreadbury continua le match avec un sentiment d’inachevé derrière la tête. Il n’avait pas été tout à fait à la hauteur de la gravité de l’événement et ressentait l’envie malsaine de se rattraper, ce qui n’est jamais bon. À la 13e, donc, sur un regroupement qui semblait anodin, il montre la porte à Abdelatif Benazzi. « Stamping, coup de pied à joueur à terre », mime-t-il à l’endroit du joueur médusé. « En reculant, j’avais heurté malencontreusement le visage de McCall. M. Speadbury a voulu compenser. » Expulsé pour sa première sélection, Benazzi regagne les vestiaires dévasté : « J’avais honte évidemment. J’ai donné mon maillot à un supporter après le match car je m’estimais indigne de le garder. »

Le jeune Abdelatif Benazzi, 21 ans à l'époque, fut expulsé pour sa première sélection.
Le jeune Abdelatif Benazzi, 21 ans à l'époque, fut expulsé pour sa première sélection. Allstar / Icon Sport - Allstar / Icon Sport

À quatorze, la France s’incline 21-9. Abdelatif Benazzi sera sauvé du pire par un Jacques Fouroux magistral. Face au tribunal, au lieu de défendre son joueur, il le chargera sévèrement et la commission de discipline le jugera assez puni ainsi. Deux petits matchs de suspension, les deux matchs de province suivants. Et Benazzi pourra jouer les deuxième et troisième tests. Mais l’ombre de FitzSimons continuera de planer : « Il continuait à nous humilier, c’était énervant. » Alors à Sydney encore pour le troisième test, Benazzi recraqua : un vrai coup de pompe sur FitzSimons à terre. Les images sont limpides. « Il avait insulté Philippe Sella, je ne le supportais pas. J’assume totalement mon geste. » Abdel aurait pu, aurait dû charger gravement, Gavin le numéro 8 s’avance vers lui, sans chercher à le frapper. « Alors Philippe Gallart m’a sauvé. » Oui, le pilier de Béziers surgit sur la droite et décroche à froid un bourre-pif à Gavin, agression qui fait diversion et qui oblige M. Norling à l’expulser, à lui et lui seul. « Oui, il s’est sacrifié pour moi. » Gallart reprend : « Je vous le répète, je n’avais pas de salaire à protéger. Je ne vivais pas du rugby. »

Peter FitzSimons arrêtera sa carrière un mois plus tard, après sept sélections. Il ne résistera pas à l’éclosion d’un certain John Eales. Il avait sans doute donné tout ce qu’il pouvait donner avec les Wallabies, pour s’offrir son tour de piste international. Thierry Devergie ajoute : « À la fin de la tournée, on a échangé nos blazers. Il y a dix ans environ, quand Serge Kampf a invité plein de monde pour son anniversaire. On s’est retrouvé dans la même boucle de courriels mais il n’a pas pu se rendre disponible. Il en a profité pour m’inviter, moi et ma famille, en Australie, si la situation se présentait. » Dernier clin d’œil surgi du passé. Ça vaut mieux qu’un coup de coude au visage.

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