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Carte blanche à Claude Askolovitch, footballer qui se rêvait rugbyman

Par Midi Olympique
  • Au nom d’un père
    Au nom d’un père
Publié le Mis à jour
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Le rugby se loge dans un en-avant de ma mémoire. Il est ce ballon qui glisse de mes mains et l’action n’aboutira pas, mais pourtant l’action existe, précieuse d’avoir été une espérance.

Quand je me suis marié, en 1990, à Valérie qui était de Narbonne, mon père Roger et moi nous sommes éclipsés dans le département d’à-côté. Papa voulait revoir Perpignan où, petit juif parisien, il avait vécu abrité des nazis. Il m’a montré au centre-ville la rue de l’Enfer où il avait habité. Il m’a parlé de rugby, ce n’était pas la première fois, et de l’Usap qu’il avait découverte en protégeant sa vie. Papa m’avait souvent évoqué Jep Desclaux, la vedette du club ces années-là, me parla-t-il aussi de Gilbert Brutus, joueur puis dirigeant, résistant, qui mourut prisonnier de la milice ?

Papa n’est pas resté assez longtemps à Perpignan pour voir le titre de 1944, ni la débandade de l’Usap cette même année, quand le XIII se vengea d’avoir été interdit en séduisant l’arrière Puig-Aubert. Papa a-t-il vu jouer Puig-Aubert, dont on dit qu’il était un bijou ? Ses années de guerre sont une suite de caches dans le Sud du pays, et à la fin, il est remonté vers Paris où l’attendait le football des pingouins du Racing et du Red star à Saint-Ouen. Mais l’Usap est restée notre club dans ce sport qui n’était pas le nôtre. Enfant sage, parmi les vainqueurs du grand chelem de 77, je préférais Imbernon ; cette année-là l’Usap perdit le championnat contre Béziers (tout le monde sauf Agen perdait contre Béziers), et j’en fus désolé.

J’ai grandi dans cette piété. Dans mes confusions d’homme s’est installé ceci : l’Usap et le rugby ont permis la vie de mon père. Sans eux, nous n’existerions plus. Le rugby est une mêlée solide, elle protège son ballon avant de le rendre au soleil. Au cœur du pack, que peut-il m’arriver ?

L’historien Alain Corbin enseigne que nos sentiments témoignent de nos idéologies. Mon idée d’un rugby salvateur rencontre la légende d’un sport d’hommes vaillants, dont on nous dit, footballeurs, qu’ils témoignent d’une virilité supérieure. J’ai souvent éprouvé cette confiance chez mes amis rugbymen, et chez les manchots une fébrilité respectueuse devant les héritiers de William Webb-Ellis. Nous avons Cruijff et Pelé et récitons Camus, qui avait appris la morale sur les terrains de football. Mais une étincelle nous manque, que je cherche dans les décalages de Blondin, de Lalanne ou de Cormier, qui savaient quels diamants on taille de la boue d’un stade de village ou de l’Arms Park, que n’ai-je vécu au présent le temps des Boni ?

Le rugby me manque. Je n’en ai pas eu le corps ni le courage. Je ne suis pas doué pour les jeux de balle, mes mains ne savent pas faire vriller un ovale. Mes faiblesses de footballeur m’ont longtemps attristé : c’était chez moi que j’étais défaillant. Mon incapacité au rugby est d’une autre nature. Je l’accepte, puisqu’en Ovalie vivent les demi-dieux qui ne craignent pas les coups.

L’Usap fut champion en 2009. Papa s’en est-il réjoui en dépit du brouillard d’Alzheimer qui l’emprisonnait déjà ? La fête venait trop tard. Cette même année 2009, ma femme Valérie mourut, le 24 juillet, dont j’ai vu que c’était la date de naissance du superbe et maudit Jacques Fouroux. Tout fait un peu sens dans nos songes. Jeune marié, j’avais découvert avec ravissement qu’un concessionnaire automobile de Narbonne s’appelait Spanghero. Quel pays merveilleux où les immortels vivent au milieu des hommes ! Nos fantômes ainsi, nous regardent jouer.

Je montre parfois sur youtube à mes plus jeunes enfants des actions d’autrefois, un essai du bout du monde de Sadourny, qu’ils sachent que près de nous existent ces chevauchées fantastiques. J’ai à Narbonne deux neveux adolescents, Gabriel et Sasha de chez Atlan, le premier un colosse à la jambe déjà décorée de la cicatrice des croisés, le second plus fin, et tous deux rubgymen au Racing dont la gloire est immuable. Ils sont, merveilleux, mon précieux témoignage : nous en sommes.

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