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Salviac, Bayle, Abeilhou, Lartot... Les « voix » des finales

  • Eric Bayle
    Eric Bayle
Publié le Mis à jour
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Allo ? Ici les voix des finales... Vous n’aurez pas la chance de vivre une finale de championnat en 2020. Mais nous avons choisi de donner la parole à ceux qui vous les ont fait vivre depuis plus de trente ans. Ceux dont vous conservez le timbre dans le creux de l’oreille. Récits émus et émouvants de ceux qui, à leur manière, ont touché le graal journalistique.

On imagine sans difficulté que ça doit compter dans une vie de journaliste audiovisuel que de poser sa voix sur une apothéose et sur la remise du mythique bouclier. À notre connaissance, le mythique Roger Couderc en fut le pionnier, avec pour seul habillage, une ou deux caméras et sans artifice ni protocole pour venir à son secours. La façon dont il interviewe André Boniface en 1963, porté en triomphe par la foule, est un morceau de bravoure : "André ! André !" appelle-t-il dans le brouhaha avec des apartés à la régie ("Je ne peux pas l’avoir !"). Puis Boniface en personne calme ses supporters tandis que Couderc les commande : "Approchez-le de moi !" Mais Couderc ne fut pas le seul. Entre 1968 et 1974, il fut remplacé par Christian Rives, pigiste et employé de la Chambre de Commerce de Bordeaux, l’auteur de l’impayable : "Oooh ! Cette cravate sur Cantoni !" sur l’essai décisif du Biterrois Séguier en 1971. Viré de l’ORTF en 1968, Couderc revint sur Antenne 2 à partir de 1975 jusqu’en 1983, mais en laissant des finales à Georges De Caunes en 1977 ou à Jean Raynal en 1979 et 1980, au nom de l’alternance avec TF1.

Salviac commence par un fait unique

Mais au début des années 80, la finale devient un événement médiatique majeur, presque un produit. Antenne 2 le revendique en tant que "chaîne du rugby". La télé moderne, aiguillonnée par la concurrence et soucieuse de ses exclusivités, pointe le bout de son nez. C’est à ce moment-là que Pierre Salviac s’impose comme l’autre voix du rugby, dans un style plus incisif et plus provocateur que son prestigieux prédécesseur Roger Couderc. Le contexte le servit aussi, finale en nocturne (depuis 1981), course à l’audience et la qualité de la réalisation qui n’existait pas avant. Salviac a toujours le chic pour être là où est la polémique. Pour sa première finale en 1984, il a fait très fort. Agen-Béziers : 21-21 et pour la première fois de l’histoire... un dénouement aux tirs au but. "Le plus incroyable, c’est que j’avais demandé le règlement au patron des arbitres Charles Durand sur le terrain avant le match. Il me tend la feuille, je la prends, mais lui n’en avait plus. Ce qui fait qu’à la fin de la prolongation, je suis le seul à avoir la bonne procédure et la bonne position des buteurs - face aux poteaux ou à équidistance de la touche -. Durand et Jean-Claude Yché l’arbitre du match ont dû totalement improviser. Mais je ne l’ai pas dit à l’antenne."

Pierre Salviac reconnaît que les matchs en eux-mêmes ne l’ont pas vraiment marqué : "Dans notre duo, Pierre Albaladéjo était celui qui analysait le jeu. Ce sont des faits annexes qui m’ont laissé le plus de souvenirs. Et en premier lieu, la blessure de Daniel Dubroca en 1986 qui avale sa langue et qui est secouru par Pierre Berbizier. J’ai senti le Parc des Princes glacé d’effroi, une sensation terrible. J’ai craint le pire en le voyant sortir." Plus surprenant Pierre Salviac a été marqué par l’avant-match de la finale 1992, Toulon-Biarritz pour les adieux de Serge Banco : "Il y avait un repas la veille du match avec une coutume très importante : le tirage au sort des vestiaires. Tout le monde voulait celui du XV de France, c’était capital, même si ça relevait un peu de la superstition. Toulon gagne le toss et je vois André Herrero président se lever et déclarer : "J’ai gagné mais je laisse le vestiaire des Bleus à Serge Blanco qui a tellement honoré ce maillot et qui va terminer sa carrière." Ça m’a ému. Quand je pense qu’André Herrero était associé à un "rugby de muerte". Ce jour-là, je me suis dit que les valeurs du rugby, ça voulait vraiment dire quelque chose."

L’année suivante, en 1993, Pierre Salviac commente le Castres-Grenoble marqué par le célèbre essai litigieux de Whetton avec en toile de fond les guerres de clans à la FFR (Ferrasse-Lapasset-Fouroux-Fabre, toute une histoire). "Dans la semaine, Fouroux alors manager de Grenoble m’avait dit : "T’as vu l’arbitre ? Il est du Périgord-Agenais comme Ferrasse. On va se faire baiser." Sur le coup je ne l’ai pas cru, peut-être étais-je encore naïf ? Mais au fil du match en commentant, je repensais à ce qu’il m’avait dit et quand j’ai vu le résultat, j’ai été vraiment secoué…"

Pierre Salviac fut l’observateur privilégié des facéties du Racing des années 80-90, le show bizz. "Les joueurs les ont créées, et imaginées. Je les accompagnais via mes comptes rendus et j’avoue que j’ai été sidéré quand Jean-Baptiste Lafond a remis un nœud papillon à François Mitterrand, le président le plus intimidant qui soit. Quel culot ! Je n’ai qu’un regret, que les Racingmen n’aient pas joué avec des lettres plutôt que des chiffres dans le dos comme certains clubs anglais, ils voulaient le faire, on en avait parlé. Mais le président Labro n’a pas voulu." Avec son indépendance d’esprit légendaire Pierre Salviac n’était pas un homme à vivre sereinement la prise de pouvoir de Canal +. À partir de 2000, il reconnaît que la finale le fit moins monter au plafond : "Ce n’était plus notre produit, on était comme des locataires, ce n’était plus notre œuvre qui se finissait là."

Éric Bayle : au centre du barnum de Canal +

En 2000, changement d’époque, la finale n’est plus diffusée uniquement par France Télévisions. Canal +, la chaîne payante a acquis les droits exclusifs du championnat depuis 1998. Elle a enfin accès à la finale, même si elle doit - c’est la loi - laisser la chaîne en clair, France Télévisions, la diffuser en même temps. Une autre voix teintée de l’accent du Sud-Ouest, apparaît, celle d’éric Bayle, chef du service rugby. "J’ai commencé en 2000 avec Stade français-Colomiers, la plus tardive de l’Histoire, à la mi-juillet, dans un Stade de France qui n’avait pas fait le plein. Mais enfin, je pouvais travailler sur l’intégralité du championnat après sept ans de phases finales, sans apothéose." Lui si maître de lui dans son expression. "Je ne vous le cache pas : pour moi, c’est très émotionnel. Je n’échangerais pas un baril de finale de championnat contre deux barils de finale de Coupe du monde. Notre finale française a une dimension querelle de clochers qui m’a toujours fait dresser le poil. Peut-être parce que mon père me parlait des finales de l’Aviron bayonnais, peut-être aussi parce qu‘adolescent, en 1982, je suis monté au Parc des Princes pour supporter mon équipe. J’étais derrière les poteaux. Peut-être parce qu’en 1963, l’année de ma naissance, il y a eu ce Mont-de-Marsan-Dax de légende, la querelle de clochers par excellence. Commenter cet événement, c’est pour moi plus fort qu’un France-Angleterre. La première fois, j’étais tellement marqué que je me suis mordu la langue"

L’arrivée de Canal + c’est pour les téléspectateurs la découverte d’une autre démarche, celle d‘une chaîne payante pour qui le rugby est un produit d’appel et qui doit en donner au maximum à ses abonnés. La finale n’est plus simplement un match, mais une journée particulière : "Pour nous, la finale c’est un énorme barnum, un dispositif exceptionnel à gérer. C’est une prise d’antenne très précoce avec plusieurs sujets. Certaines années, la finale coïncidait avec la période des tests estivaux, on a parfois réussi à commencer la journée à 9 heures avec des matchs néo-zélandais."

Éric Bayle n’est pas à l’ouvrage micro en main, du matin au soir. "Non, vous imaginez la fatigue à 21 heures ? Et l’état de ma voix ?" Plusieurs émissions et reportages s’enchaînent avec divers sujets autour des finalistes. "Du genre les images de l’hôtel des équipes. Je ne vous raconte pas les discussions homériques avec Guy Novès pour approcher à moins de 500 mètres de l’hôtel des Toulousains. Mais on a réussi." On imagine le travail préparatoire et la pression ressentie par la "voix" de la chaîne cryptée pour que le "spectacle" soit parfaitement huilé. Il n’est pas le seul à travailler, mais il est forcément la figure de proue de son média, celui qui absorbe tous les commentaires, c’est la loi du genre : "Il faut gérer les caméras privatives, s’occuper de la spider-cam qui passe au-dessus de la pelouse, ce n’est pas évident car on ne s’en sert qu’une fois par an. Nos réalisateurs, Laurent Daum puis Samy Chatti ont une grosse pression sur les épaules." On comprend que la spécificité de Canal + joue à fond sur un match d’une telle importance, avec les images des vestiaires, la grande exclusivité de Canal +, que les co-diffuseurs n’ont pas le droit d’utiliser. "Pas facile à faire admettre au début, mais les entraîneurs sont de plus en plus souples." Des friandises visuelles et sonores qui offrent un vrai avantage à ses téléspectateurs avec un travail des sondiers, artistes de la perche : "On a bien perçu des moments comme celui de Jacques Chirac qui dit à Michalak : "Je sens que vous allez faire une grande carrière !" ou à Roumat : "Combien vous mesurez ?" sans parler de Maks Van Dyk qui demande une naturalisation à Emmanuel Macron. On avait aussi mis un micro directement sur des joueurs qui allaient chercher le Bouclier. C’est comme ça qu’on a chopé un fameux cri primal de Jean Bouilhou. On a aussi chopé de belles images, une causerie de Laporte en 2016 et le moment de recueillement de Jacky Lorenzetti dans la chapelle du Camp Nou."

Sur le commentaire lui-même, éric Bayle détaille son arsenal de professionnel consciencieux : le règlement en cas d’égalité épinglé devant lui. "Avec la procédure des tirs au but, sur laquelle circulent des versions fausses. Mais aussi le "synthé", c’est-à-dire la hiérarchie des critères en cas d’égalité en phase finale : le plus d’essais, de pénalités, de drops, et enfin, les moins de cartons rouges." Ce n’est qu’après qu’on passe aux tirs au but. Sur les matchs en soi, il reconnaît que les finales ne donnent pas toujours les matchs les plus spectaculaires. "Mais je suis toujours très ému par les clubs qui sont sacrés pour la première fois ou pour la première fois depuis longtemps. Clermont en 2010 bien sûr, mais aussi Perpignan en 2009 et même pour moi, Bayonnais, Biarritz en 2002. Devant les supporteurs en joie, dans mon cœur, ça fonctionne toujours. Mes plus beaux moments." Une fois, un impondéable est venu perturber la mise en scène. "Un énorme incendie s’est déclaré dans le tunnel qui mène au Stade de Fance. Un consultant a été retardé. Depuis, on a fixé la règle : tout le monde sur place à 16 heures."

Jean Abeilhou et ses madeleines de Proust

La puissance de Canal + n’empêchait pas France Télévisions de vivre sa vie et d’engranger une grosse audience pour le point final du championnat. La loi imposée à la LNR de laisser la finale à une chaîne gratuite, accessible à tous. Salviac parti… fâché (lire Midi Olympique du 22 mai), Jean Abeilhou a commenté pour le service public quatre finales de rang entre 2005 et 2008. Il a donc posé sa voix sur deux titres consécutifs de Biarritz, un sacre du Stade français et un couronnement de Toulouse. Pour lui, ce fut une vraie madeleine de Proust : "La première fois, je le reconnais, j’ai été pris par l’émotion. J’ai pensé à cette finale de 1967 où mon père m’avait amené pour soutenir Montauban, ma ville, qui avait battu Bègles à Bordeaux. J’avais aussi été marqué par l’enfilade de titre de Béziers car ma maman était d’origine biterroise." J’ai repensé à tout ça quand je me suis retrouvé au micro au Stade de France à une place où je n’aurais jamais officier un jour "La performance de Biarritz en 2006 m’a marqué. Le BO avait fait exploser Toulouse en fin de match avec un essai d’August sur un saut peu orthodoxe." La finale 2007 fut pour lui particulière, car son consultant habituel, Fabien Galthié, était l’entraîneur d’une des deux équipes : "Ça m’a permis d’avoir des discussions privilégiées avant le match, et surtout d’entrer dans les vestiaires très tôt parmi les premiers. Pour le commentaire en direct, je me suis retrouvé avec Jérôme Cazalbou, mon partenaire le plus fréquent. Ça ne m’a pas déplu car j’avais de gros automatismes avec lui, je me sentais vraiment dans un fauteuil."

Matthieu Lartot adapte son style

Matthieu Lartot a commenté sa première finale en 2009 avec le Perpignan-Clermont. Le rugby du club n’est qu’un éclair dans sa vie professionnelle car l’essentiel de son temps, il le consacre au XV de France et aux matchs du Tournoi : "Je prépare ce match de mai-juin comme les autres, mais il est évident qu’il est un peu particulier. Les souvenirs d’enfance remontent, les parfums sont différents, tout est plus chaud, plus coloré. Comme c’est Canal + qui donne le signal et qui réalise, on récupère des images, qu’on ne produit pas. Nous devons faire nos propres habillages, parce que nous n’avons pas accès aux images du vestiaire avant le coup d’envoi par exemple. Notre organisation est donc différente de celle du Tournoi. La finale, c’est aussi le seul match où nous avons deux personnes en bord de terrain."

Avant d’être au fauteuil suprême, il a joué les hommes de banc dans les années 2000. "Ça m’a donné l’un des souvenirs les plus forts. J’étais à côté du banc des Biarrots en 2002 quand Laurent Mazas a réussi le drop décisif. Ça reste mon moment le plus fort, je ne saurais dire pourquoi exactement." Mais la dernière finale, le Toulouse-Clermont de 2019 l’a aussi profondément marqué : "Elle avait une grande valeur sportive, avec ce retour du Stade toulousain au premier plan. C’était aussi la dernière de nos deux consultants Raphaël Ibanez et Fabien Galthié qui nous quittaient pour rejoindre l’équipe de France, un moment très émouvant. Nous avions d’ailleurs installé notre pupitre sur la pelouse à cette occasion, ce qu’on ne fait pas toujours pour la finale, à la différence des matchs internationaux."

Si sa chaîne n’est pas le partenaire privilégié et payant de la Ligue, elle célèbre aussi l’événement avec le plus de soin possible. Le service public se met en mode "soirée spéciale" avec ses moyens. "Je n’ai pas de crainte particulière pour l’après-match. Ce serait inconcevable de manquer la remise du Bouclier de Brennus, de toute façon, la soirée est construite autour de la finale. Elle est modulable. Le programme qui suit, "On n’est pas couché" de Laurent Ruquier est une émission enregistrée, on peut la faire démarrer quand on veut. Après la remise du Bouclier, il y a le tour d’honneur. Et c’est seulement après qu’on songe à rendre l’antenne." Évidemment, Matthieu Lartot commente avec le règlement devant lui, pour ne surtout pas se faire "surprendre" par un match nul à la fin des prolongations, éternelle hantise du commentateur en direct. "Je me suis fait piéger une fois, il y a longtemps en Coupe d’Europe. Pas question que ça m’arrive en finale."

Finalement, le changement le plus significatif, de sa technique et de son style se situe dans le ton employé : "Il ne peut pas être le même que celui utilisé pour le XV de France où l’on est censé être partisan a priori. Pour la finale, je dois être le plus neutre et le plus objectif possible. C’est le match où le "supporterisme" est le plus exacerbé. Après la rencontre, je regarde ce que ça a donné sur les réseaux sociaux. Si je suis attaqué à égalité par les supporters des deux camps, c’est que j’ai fait à peu près mon travail."

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