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Roman d'un club - L'USAP : une histoire de fou(s)

  • Les Perpignanais euphoriques au moment de soulever le Bouclier de Brennus (en haut à droite). Un groupe fou au milieu duquel se trouvait la superstar des All Blacks Dan Carter (aux côtés de Jérôme Porical), qui, même s’il n’a pas beaucoup joué, a permis à ses partenaires d’élever naturellement leur niveau d’exigences. Des cadres emblématiques, comme David Marty, ballon en main devant Nicolas Durand et Gavin Hume, ou l’adjoint Bernard Goutta, entraînant des éléments moins réputés mais tout aussi décisifs, comme Adrien Planté (en bas à droite). La preuve également en image (en bas à gauche), que Jacques Brunel a bel et bien honoré son pari. Photos Icon Sport
    Les Perpignanais euphoriques au moment de soulever le Bouclier de Brennus (en haut à droite). Un groupe fou au milieu duquel se trouvait la superstar des All Blacks Dan Carter (aux côtés de Jérôme Porical), qui, même s’il n’a pas beaucoup joué, a permis à ses partenaires d’élever naturellement leur niveau d’exigences. Des cadres emblématiques, comme David Marty, ballon en main devant Nicolas Durand et Gavin Hume, ou l’adjoint Bernard Goutta, entraînant des éléments moins réputés mais tout aussi décisifs, comme Adrien Planté (en bas à droite). La preuve également en image (en bas à gauche), que Jacques Brunel a bel et bien honoré son pari. Photos Icon Sport
  • Une histoire de fou(s)
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Publié le Mis à jour
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En 2009, l’Usap, éternelle outsider, change de dimension et décroche son premier bouclier de brennus depuis 1954. derrière cette consécration sportive se cache une vie de groupe détonante, faite de personnages hauts en couleurs et de moments de complicité rares. retour sur cette improbable odyssée.

Chaque blague comporte une part de vérité, paraît-il. En février 2009, le facétieux Sebastian Bozzi, alors au crépuscule de sa carrière, se hasarde à la plaisanterie ultime sur les ondes de France Bleu Roussillon. Onze ans après, l’Argentin rigole encore de sa provocation. La plus percutante de toute, assurément : "Quelques semaines avant, j’avais pris la décision d’arrêter. Je suis interrogé sur ce choix et je balance deux ou trois saucisses. Et puis je craque : "Vous voulez savoir pourquoi j’arrête ? Car l’Usap va être championne de France. D’ailleurs, je vous invite à mon jubilé, ce sera le 6 juin, au Stade de France. Dépêchez-vous de réserver vos places." Le téléphone de la radio s’est mis à sonner sans s’arrêter." Le lendemain, en débarquant à Aimé-Giral, le natif de Buenos Aires reçoit un drôle d’accueil : "Devant tout le monde, Jacques Brunel me balance : "Mais qu’est-ce que tu as dans la tête ? Tu es malade ou quoi ? C’est tabou, on ne dit jamais ça." Je me suis levé et je lui ai montré du doigt les gars : "Regarde-les. Tu ne crois pas que l’on va être champions ? Tu ne crois pas en nous ? Moi, je te le dis : on va être champions. Je parie ce que tu veux : tu peux me demander une Ferrari, dix millions… Mais si j’ai raison, tu me porteras sur tes épaules avec le Bouclier." Il m’a répondu : "Mais tu es complètement barjot." à partir de là, chaque jour, je le répétais en entrant dans le vestiaire : "On va être champions.""

Derrière la douce folie de l’énergumène se cache une sérieuse conviction, forgée par le temps. "Ce groupe avait grandi ensemble depuis 2004, raconte le pilier. Il faut le dire, nous étions une équipe de voyous. On mettait la tête où les autres ne mettaient pas les pieds. Les adversaires venaient à Aimé-Giral avec la trouille. Même Gerhard Vosloo. Il grattait le premier ballon mais n’y revenait pas après…" L’Usap s’était bâtie une solide réputation, à défaut d’un palmarès… "Nous étions un espèce d’épouvantail capable d’exploits mais qui craquait dans les moments clés face aux meilleurs : Toulouse, Biarritz, Paris", poursuit Grégory Le Corvec. Les Catalans paraissaient jusqu’alors cantonnés aux rôles de perdants magnifiques. "Puis, il y a eu une bascule : Jacques Brunel est arrivé et, même si ça a été dur au début, il est parvenu à canaliser notre énergie", se remémore Guilhem Guirado. Tous les acteurs de l’époque s’accordent sur l’acte fondateur de l’épopée victorieuse : le déplacement victorieux au Stade français, en pleine tempête, en mars 2008. "On se faisait pourrir de partout à ce moment-là, poursuit Sebastian Bozzi. Avant le match, on se demande s’il ne faudrait pas relever la première mêlée, vous voyez, pour déclencher la rébellion. Jacques Brunel n’est pas d’accord. Et puis, Adrien Planté se lève et dit : "Si, il faut la relever." Imaginez, c’est un ailier de 20 piges qui balance ça. Ça vous met dans le bain." Dans la capitale, Perpignan signe un sursaut d’orgueil remarquable. Le point de départ d’une folle remontée au classement, conclue par une demie perdue contre Clermont. Le déclic vient de retentir dans un coin des têtes : "On a commencé à se dire qu’il était possible de réaliser quelque chose de grand, résume Grégory Le Corvec. Chacun a pris conscience de la puissance de notre potentiel."

"Personne ne croyait en nous"

Quand débute la saison suivante, l’Usap se sent plus forte, soudée, confiante. Plus que jamais seule contre tous, aussi : "Je ne pense que l’on n’avait pas la meilleure équipe du championnat mais nous étions habités par la volonté d’aller chercher quelque chose qui ne nous était pas promis", témoigne Julien Candelon. "Personne ne croyait en nous. On était toujours les bourricots, confirme Sebastian Bozzi. Ça générait une forme de colère." Une énergie rare, entre rage et désinvolture, se dégage alors de ce "groupe de fous". Une atypique association de produits locaux - les Mas, Marty, Porical, d’illustres méconnus à quelques sélections - les Candelon, Le Corvec, Olibeau, et de voyageurs au long cours - les Tuilagi, Tincu, Bozzi et autres Tonita. Tous unis par un pacte implicite : "Les gars bandaient pour ce club, pour ce qu’il représentait, c’est aussi simple que ça, confirme Grégory Le Corvec. Il n’y a rien de plus fort que l’attachement à une identité. En fait, nous étions heureux d’être là, tous ensemble." Guilhem Guirado, avec ses yeux de jeune catalan, se souvient : "Le plus beau, dans tout ça, c’est que les Marius (Tincu), Perry (Freshwater), Rimas (Alvarez Kairelis) et d’autres encore sont devenus des enfants de la région, au même titre que Nico (Mas) ou David (Marty). Ils voulaient tout donner pour le club et ce n’était pas des paroles en l’air." Julien Candelon complète le portrait de cette famille unique, haute en couleurs et riche en talents : "Il y avait de très bons joueurs mais notre plus grande force était que tout le monde était prêt à laisser sa peau sur le terrain, appuie l’ailier. Devant, les mecs étaient craints par tous les adversaires mais, en tant que coéquipiers, tu savais que c’étaient les compagnons les plus fiables qui existent. Les trois-quarts, aussi, étaient prêts à se sacrifier sans compter : les Sid, Hume, Planté…" Un engagement total comme une garantie de réussite. L’exercice 2008-2009 tient ses promesses avec une Usap rapidement installée dans les hauteurs du classement : "Cette année-là, l’arrivée de Maxime (Mermoz) avait permis d’ajouter de la variété derrière et la signature de Dan avait incité tout le monde à hausser son niveau d’exigence", reprend l’ailier. En cours de route, le groupe s’endurcit encore plus au contact de l’adversité : "Il y avait eu un paquet de galères : l’histoire de la fourchette de Marius, des blessés en pagaille, Dan qui joue quatre matchs et se pète, énumère Guilhem Guirado. Les feuilles de matchs étaient dures à remplir, parfois. Mais ça a créé une émulation qui a permis de tirer le meilleur de tous. Peu importe qui était sur le terrain, l’équipe gardait son niveau."

La mano de dios, hymne officieux

De l’extérieur, l’épopée sang et or paraît s’être écrite à coups de casques et de boutoirs. En coulisses, la fabuleuse destinée s’est enrichie de moments de partage uniques en leur genre. Des perles d’anecdotes comme autant de témoignages d’un supplément d’âme. Julien Candelon : "Sur le tard, j’ai compris ce qui s’était vraiment passé et je me suis rendu compte que les petits trucs du quotidien avaient sûrement tout déclenché", évoque l’ailier. À commencer par la fameuse promesse de Sebastian Bozzi et le couronnement-jubilé annoncé à Saint-Denis. "Au début, quand il te sort ça, tu n’y prêtes pas attention. Tu rigoles. Et puis, au bout d’un moment, à force de l’entendre tous les jours, ça te rentre dans la tête et tu intègres l’idée. L’Usap n’avait jamais affiché ses ambitions de titre… Il avait été le premier à mettre un mot sur quelque chose d’interdit, il avait pris le contre-pied. Et ça trottait dans les têtes. Comme la chanson qu’il passait tout le temps." "La Mano de Dios", l’hymne à la joie de l’Argentine, en l’honneur de sa sainteté Diego Maradona. Les "Marado, marado" exultés par Rodrigo Bueno, n’en finissent plus de résonner dans le vestiaire, avec son prophétique refrain : "Son rêve avait une étoile""On prenait l’enceinte avec Nico Durand et l’on mettait cette musique après chaque victoire, se marre Sebastian Bozzi. Il y avait un boucan. Je me souviens qu’un journaliste télé nous avait demandé de baisser le son une fois. On lui avait répondu qu’il n’avait qu’ à sortir. On était chez nous. C’était notre rituel. Comme la vidéo de Maradona que je passais dans le bus. C’est moi qui me chargeais de ça. Plein de mecs s’étaient plaints, au début : "Mais c’est quoi ce que tu nous passes ? Tu ne vas pas mettre ça à chaque fois." Ils n’avaient qu’à apporter un autre film… Ils ne l’ont pas fait. Alors j’ai continué." À force d’obstination, cette préparation mentale par le son et l’image finit par convaincre même les plus sceptiques : "On a tous fini par se prendre au jeu, reconnaît Grégory Le Corvec. Les chansons, tout ça, ça aidait quand il y avait un coup de blues. Et ça jouait sur la confiance." "C’était juste pour décontracter les gars, reprend "Papi". Je voulais juste leur faire prendre conscience de notre chance : on était payé pour jouer à la balle au soleil. Il fallait en profiter un maximum et s’amuser, c’est tout." Diego Maradona, compagnon de route désormais incontournable, devient même le 16e homme du vestiaire. Une recrue porte-bonheur : "Après une défaite à Clermont, tout le monde avait la tête au fond du seau dans le vestiaire. Et là je me lève et déclare : "Vous savez pourquoi l’on a perdu ? C’est parce que l’on n’avait pas le DVD pour ce déplacement. C’est tout." Quelque temps après, on part à Brive et j’oublie de le prendre. David Mélé me dit : "Hé, papi, on ne bouge pas tant qu’on n’a pas le DVD." J’ai dû appeler Damien Chouly qui habitait à côté de chez moi pour qu’il passe le chercher." En ce 4 janvier 2009, Dan Carter célèbre son baptême à l’extérieur. "J’étais allé lui parler dans le bus, poursuit l’Argentin. Je lui avais dit : "Regarde bien la vidéo. Tu es gaucher, comme lui ? Mais tu vois, lui il a tout gagné. Tu as intérêt à être bon à Brive pour commencer." Il avait été énorme." Bienvenue chez les fous, M. Carter : "Il disait que l’on était un groupe de barjots."

"zaza, c’était le boss de la bande"

Au printemps, l’Usap se qualifie sans trembler avec le meilleur bilan de la phase régulière. En vue des phases finales, l’effectif s’autorise une parenthèse d’une semaine, à Matemale, à 1 500 mètres d’altitude. "Bernard (Goutta) avait connu les finales de 2003 et 2004 et il savait que tout l’engouement autour pouvait aspirer tout l’influx, évoque Greg Le Corvec. Quitter la ferveur de Perpignan à ce moment-là nous a permis de garder notre énergie." Et d’écrire un chapitre clé de l’histoire. L’avant-dernier : "C’était le stage parfait, avec ce qu’il fallait de travail et de conneries à côté", sourit Guilhem Guirado. à un mois du rendez-vous le plus important de toute une carrière, les Sang et Or improvisent une préparation déroutante. Une colonie de vacances pour champion en devenir : "Ça avait été d’un très haut niveau, rigole encore Julien Candelon. Je faisais partie d’une bande qui ne manquait pas d’imagination. Zaza (Marty), c’était le boss, Christophe Manas était son meilleur complice, David Mélé n’était pas mal placé non plus…" La petite troupe réalise, à cette occasion, un de ses plus fameux numéros : celui dit, de la chèvre. L’ailier revient sur cette mémorable inspiration : "Il y avait une chèvrerie à côté de l’hôtel et nous étions devenus bien copains avec les proprios. On s’était mis en tête de mettre une chèvre dans la chambre de Franck (Azéma). Il y avait eu un commando pour récupérer un chevreau et l’emmener sous une couverture. Nous avions récupéré un pass de l’hôtel et on l’avait installé. Mais Franck n’arrivait pas. Le chevreau a commencé à être bruyant et il a même fait ses besoins. Franck est finalement remonté dans sa chambre et quand il nous a rejoints pour le repas, il épiait tout le monde, afin de trouver les coupables. Il n’était pas fier. C’était dur de ne pas exploser de rire en le voyant scruter la salle." Un sketch parmi tant d’autres, entre les feux d’artifice en pleine sieste, l’incursion de Candelon sur le terrain déguisé en lapin ou encore la livraison surprise de fromage dans les chambres… "Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’on ne s’ennuyait pas, sourit Guilhem Guirado. Il fallait faire attention à fermer sa chambre et constamment regarder dans le rétro." "Il en faut des boute-en-train comme ça, confirme Grégory Le Corvec. Ça rappelle que le rugby reste avant tout un plaisir."

Les harley-davidson de Clermont

Ce bizutage épisodique est soumis à un règlement tacite : "C’était souvent le jeu du chat et la souris, il n’y avait rien de méchant, explique Julien Candelon. Et on savait qui l’on pouvait embêter ou non. Il y a deux gars qu’il fallait éviter à tout prix : c’est Henry Tuilagi et Gavin Hume. Perry et Greg Le Corvec étaient au deuxième rang." "Il y avait du respect dans tout ce manège, appuie Sebastian Bozzi. Chacun savait quand rire et quand se montrer sérieux. Le fait que l’on se connaisse aussi bien, c’est ce qui nous faisait avancer. Le moment venu, on savait que l’on pouvait aller à la guerre ensemble." "Si tu enchaînes les bêtises en dehors mais que tu assumes sur le terrain, il n’y a pas de problème, prolonge "Candel". Il y a même quelque chose qui se crée en plus." Comme à Matemale, en ce printemps 2009. Même si tout avait commencé par un moment déchirant : "Les entraîneurs avaient été intelligents dans la gestion humaine, reprend le pilier argentin. D’entrée, ils avaient donné le groupe pour les phases finales afin d’évacuer le problème. Ceux qui n’étaient pas retenus, et il y avait du beau monde dans le lot, étaient dégoûtés sur le moment. Mais ils ont pu se remobiliser pour pousser derrière l’équipe quand elle en a eu besoin."

Dans la dernière ligne droite, la bande continue son étrange bonhomme de chemin, poursuivant sa quête ultime sur fond de déconne. "J’ai bouffé le cerveau de tout le monde dans les dernières semaines, s’esclaffe l’inévitable Bozzi. Tous les jours, je leur répétais qu’on allait être champions. Une fois, je leur ai balancé : "J’ai bien regardé la vidéo de la finale de l’an passé. Je suis prêt. J’ai bien vu par où monter l’escalier pour soulever le Bouclier, où commencer le tour d’honneur…" Vous auriez vu les têtes." Entre cette intime conviction et les pronostics du plus grand nombre, les Sang et Or fourbissent leurs armes, mentalement parlant. "Tout le monde ne parlait que de Clermont dont ça devait enfin être la bonne année", se souvient l’Argentin. Un motif de colère, et donc, de mobilisation : "Le jour de la finale, "L’Equipe magazine" sort un sujet sur les avants de l’ASM. Les types sont sur une Harley et il y a écrit : "Ça y est, on a compris, on va être plus méchants." Avec les trois-quarts, on a balancé les photos sur la table des avants au petit-déjeuner. Imaginez les regards… On fonctionnait à l’affect, avec des petits trucs comme ça."

Quelques instants plus tard, Jacques Brunel tient le premier de ses nombreux discours du jour. Au passage, le technicien rend un hommage appuyé à l’énergumène ayant donné rendez-vous à toute la Catalogne, quatre mois plus tôt, à ce même endroit. "Jacques avait sorti un super speech, se remémore Sebastian Bozzi. Il avait fini par dire : "J’ai fait un pari avec un joueur qui va arrêter sa carrière. S’il vous plaît, donnez tout sur le terrain pour que je puisse le tenir." Tout le monde avait les larmes aux yeux." Elles couleront abondamment, le soir même. De joie, cette fois, après quatre-vingts minutes d’une bataille remportée de main de maître. En ce 6 juin, après cinquante-cinq ans d’attente, Perpignan soulève de nouveau le plus fameux Bout de Bois. Dans la nuit de Saint-Denis, un autre monument est péniblement porté au ciel : "Jacques avait tenu parole, hallucine encore Grégory Le Corvec. Je le revois encore dans l’en-but en train de porter "papy" sur dix mètres. Il avait failli exploser en route, avec les 130 plombes sur le dos." Le dénouement insolite d’une épopée improbable. Une vraie histoire de fou(s).

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