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« Ça fait mal d'entendre des cris de singe », Djibril Camara témoigne du racisme dans le rugby

  • Djibril Camara, actuellement ailier de l’Aviron Bayonnais, raconte les injures racistes qu’il a subies tout au long de sa carrière.
    Djibril Camara, actuellement ailier de l’Aviron Bayonnais, raconte les injures racistes qu’il a subies tout au long de sa carrière. JF Sanchez / Icon Sport - JF Sanchez / Icon Sport
  • Djibril Camara, actuellement ailier de l’Aviron Bayonnais, raconte les injures racistes qu’il a subies tout au long de sa carrière. Djibril Camara, actuellement ailier de l’Aviron Bayonnais, raconte les injures racistes qu’il a subies tout au long de sa carrière.
    Djibril Camara, actuellement ailier de l’Aviron Bayonnais, raconte les injures racistes qu’il a subies tout au long de sa carrière. Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Très touché, au même titre que de nombreuses personnalités du sport, par l’affaire George Floyd ayant mis la ville de Minneapolis et une grande partie des Etats-unis à feu et à sang, l’international français (4 sélections) a accepté d’évoquer la discrimination dont il a parfois été victime dans le rugby. Évidemment, comme souvent avec l’ancien joueur du Stade français, le propos est fort, intense. Un entretien teinté d’émotions, mais sans filtre. Pour faire évoluer les mentalités…

Le monde du sport a fortement réagi à l’affaire George Floyd ayant mis la ville de Minneapolis à feu et à sang. Quelle a été votre réaction ?

Je ne suis pas du genre à donner mon avis sur les réseaux sociaux comme d’autres mais j’ai évidemment été choqué par les images. Quand ma sœur m’a envoyé la vidéo, je suis resté bloqué dessus. Je me suis dit que ce n’était possible, qu’on ne pouvait pas décemment traiter les gens de cette façon. Je me souviens avoir pensé qu’à la fin le flic allait finir par retirer son genou. Mais finalement, non… C’est juste un scandale.

Olivier Missoup, ancien troisième ligne du Stade français, du Racing 92 ou encore de Toulon, a publié sur les réseaux sociaux un long texte et répondu à une interview sur Rugbyrama pour raconter le racisme qu’il a subi dans le milieu du rugby. Avez-vous eu de votre côté à souffrir du racisme depuis vos débuts au rugby ?

(Il se marre) À votre avis ?

Je ne sais pas…

Le racisme est quand même bien présent dans notre société. Pourquoi ne le serait-il pas dans le monde du rugby ?

Peut-être parce que ce sport véhicule des valeurs de tolérance ?

Je ne dis pas le contraire. Mais je vais vous raconter une anecdote pour vous faire comprendre ce que j’ai vécu tout au long de ma carrière. C’était en 2006, l’année où nous avons été champions de France avec les cadets du Stade français. Lors d’un match à Bellegarde, je me suis fait insulter durant toute la partie par les parents des joueurs de l’équipe adverse. Ce jour-là, j’ai entendu de tout. « Sale noir, rentre chez toi », « espèce de singe, va manger des bananes. » Je vous laisse imaginer ce que j’ai pu ressentir. Je n’avais alors que 16 ans…

Comment aviez-vous réagi ?

À force d’entendre ces insultes, c’est un de mes coéquipiers, suspendu ce jour-là, qui est allé voir ces parents présents sur le bord de la touche pour leur demander d’arrêter. Seulement, ça a fini en bagarre générale. Je me souviens au début de la bagarre, l’arbitre m’a dit : « Si vous allez vous battre, ce sera carton rouge contre vous. » Ça m’a rendu dingue parce qu’il avait très bien entendu les insultes dont j’avais été victime. Je me suis donc retrouvé tout seul au milieu du terrain alors que tout le monde était en train de se battre le long de la main courante.

Avez-vous mis du temps à vous remettre de cet incident ?

Non, car c’est malheureusement une question d’habitude. Dans la vie de tous les jours, c’est monnaie courante de se faire traiter de « sale noir ». Et puis, à ce moment-là, j’avais l’âge de l’insouciance. Entre nous, nous en avions plaisanté. Mais avec le recul, je me dis que c’était vraiment grave. Et ce qui m’avait le plus choqué, c’est que les insultes étaient venues des parents, non pas de mes adversaires sur le terrain.

Est-ce un évènement isolé ou avez-vous eu à subir d’autres insultes dans ce genre ?

Tout au long de ma carrière, je savais qu’en allant jouer dans certains stades, je me ferais traiter de « sale noir ». Et ça continue. Ça m’est arrivé à Brive ou à Clermont notamment. Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Souvent, ce n’est que la bêtise de quelques mecs isolés. Mais ça fait mal d’entendre des cris de singes. Avec le temps, j’ai appris à ne pas écouter, à me détourner de ces abrutis, à garder mon sang-froid.

Vous êtes pourtant connu pour avoir le sang chaud…

J’ai vieilli (rires). Mais je vais être franc : il m’est arrivé de regarder ces mecs-là et de répondre à leur insulte avec l’envie de les démonter. Le pire, c’est que parfois les mêmes personnes ayant proféré ce genre d’insultes venaient à la fin du match pour me demander un autographe. J’ai vécu ça une fois à Brive. C’était juste improbable.

Aviez-vous accepté de répondre à la demande ?

J’ai voulu prouver à ce mec que j’étais plus intelligent que lui, tout en lui glissant deux mots.

Lesquels ?

Je lui ai simplement dit que le « sale noir » était très heureux de lui signer un autographe et que j’espérais qu’à l’avenir il réfléchirait un peu plus à son comportement. C’était incroyable. Après cet incident, j’avais reçu un message sur twitter encore pour m’insulter avec des émoticônes tels que des bananes, des singes ou même une belle crotte de chien.

Vous êtes-vous servi de ce sentiment de rage pour avancer dans votre carrière ?

J’ai toujours pensé que je ne devais rien à personne. Que je n’avais rien à prouver. Seulement, il m’est arrivé parfois d’être le seul noir de l’équipe et d’avoir envie de montrer que je pouvais être le meilleur, que je pouvais faire gagner mon club. Juste pour que certaines bouches se ferment à jamais. Mais c’est un sentiment inconscient. Quelque chose de très profond en moi. Et j’en parle aujourd’hui uniquement parce que j’ai un peu plus de maturité et de recul sur ce que j’ai vécu.

Avez-vous le sentiment que le rugby est raciste ?

Le racisme s’est banalisé dans le rugby. Mais avant de développer sur ce thème, je tiens à dire que j’ai souvent rencontré de belles personnes dans le rugby. J’ai plus souvent eu affaire à des gens qui m’ont tendu la main qu’à des gens racistes. Malheureusement, personne ne peut nier le racisme dans notre sport. Il est présent sous forme d’humour pour certains, mais c’est franchement pesant. Quand un de mes partenaires me sort en voyant un balayeur noir dans la rue : « oh il y a le cousin de Djibril », ça ne me fait pas marrer du tout. Au contraire. Est-ce que lorsqu’un blanc fait le ménage je vais aller dire ça à un de mes coéquipiers ? Bah non ! On me répond souvent que c’est de l’humour. Mais non, ce n’est pas drôle. Ça fait mal. Je suis français et fier de l’être, même si, une fois ma carrière terminée, j’essaierai d’aller plus souvent au Sénégal.

Mais selon vous ces faits sont-ils à la marge ?

À mon avis, c’est pareil dans tous les clubs. Personnellement, j’en ai ras le bol d’entendre : « mais vous les blacks vous êtes plus costauds naturellement et vous courrez plus vite ». C’est choquant, non ? Pour moi, c’est de la connerie. Pour ceux qui disent ça, ce n’est pas du racisme. Mais en fait, c’est du racisme ordinaire. Et c’est toujours les mêmes blagues. C’est lassant. Pourtant, j’ai de l’humour. J’avoue même rigoler de certaines vannes. Mais à un moment, il faut arrêter les conneries.

Avez-vous parfois eu le sentiment de pâtir de votre couleur de peau avec certains entraîneurs ?

Non, je n’ai pas eu ce ressenti. Jamais. Lorsque je jouais au Stade français, certains ont voulu faire croire que je ne jouais pas parce que Heyneke Meyer, notre manager sud-africain, était raciste. Je n’y crois pas. Je pense vraiment que je ne rentrais pas dans les plans de Meyer. Pour lui, j’étais moins bon que d’autres joueurs. Ce n’était pas un choix raciste. Et puis, je peux vous dire que j’ai souvent été défendu par mes coéquipiers. Quand une insulte raciste était balancée à mon encontre depuis les tribunes ou sur un terrain, j’avais les Julien Dupuy, les Antoine Burban, les Sergio Parisse qui dégainaient avant même que je n’aie le temps de répondre.

Olivier Missoup a dénoncé notamment qu’aucun entraîneur de couleur noire n’exerce dans le rugby français, ni même aucun consultant, à l’exception de Thierry Dusautoir, à la télévision. Qu’en pensez-vous ?

Je ne me suis jamais posé la question. Peut-être est-ce aussi de notre faute, peut-être que nous nous sommes habitués à cette situation. C’est à nous de bousculer les codes, d’enfoncer les portes, pour faire changer toutes ces choses. Dans le football, des consultants à la télévision et des entraîneurs noirs, il y en a de plus en plus. Et tant mieux.

Puisque vous parlez de football, pensez-vous, comme dans ce sport, qu’un arbitre de rugby doit arrêter un match si des insultes racistes viennent des tribunes ?

Jusqu’à présent, ces insultes racistes, les joueurs s’en sont toujours servis comme une source de motivation. Mais effectivement, je pense qu’un arbitre devrait arrêter le match. Le football est en passe de montrer l’exemple. Maintenant, il faut reconnaître qu’en termes de racisme dans les stades, le football est bien plus gangrené que le rugby. Ce sont des stades entiers qui hurlent des propos racistes. On n’a jamais vu ça dans le rugby. Et j’espère qu’on ne le verra jamais.

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