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Il était une fois... Françis Rui, capitaine du CO au destin tragique

  • Ci-contre, le capitaine castrais brandit le Bouclier de Brennus 1993.Ci-dessus, au côté d’Alain Gaillard passé au rôle d’entraîneur. Ci-contre, le capitaine castrais brandit le Bouclier de Brennus 1993.Ci-dessus, au côté d’Alain Gaillard passé au rôle d’entraîneur.
    Ci-contre, le capitaine castrais brandit le Bouclier de Brennus 1993.Ci-dessus, au côté d’Alain Gaillard passé au rôle d’entraîneur. Midi Olympique - Bernard Garcia
Publié le Mis à jour
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Capitaine du castres champion de France en 1993, l’ouvreur Francis Rui s’est imposé emblème du CO. Ce club auquel il était resté fidèle durant les douloureuses années 80. Dix-neuf ans après sa mort dans un terrible accident de la route, l’émotion est toujours palpable quand il s’agit d’évoquer l’homme…

Les premiers mots qui viennent à l’esprit d’Alain Gaillard, l’entraîneur du CO champion de France en 1993, au moment d’évoquer son ouvreur et capitaine d’alors Francis Rui ? "Je pourrais lui construire une statue." Et pour son ancien coéquipier Laurent Labit ? "C’est un monument." Une tribune du stade Pierre-Fabre (feu Pierre-Antoine) porte déjà le nom de celui qui a brutalement disparu dans la nuit du 20 au 21 septembre 2001 à l’hôpital Rangueil de Toulouse, quelques heures avant l’explosion de l’usine AZF. Un homme, avant même le joueur, qui a laissé une trace indélébile dans ce club où il a débarqué à 17 ans en provenance de Gimont. "Il était d’abord loyal et aimait le CO au point d’y être resté dans une période difficile, dans les années 80, alors qu’il était sollicité par la plupart des grandes écuries", avoue Gaillard. Ce qui lui a donné une aura singulière sur place. "Il aurait été plus simple pour lui de partir, renchérit Labit. À ce moment-là, le CO fut le 72e club français sur 80. On l’oublie parce que, cinq ans après, on a gagné le Bouclier mais voilà pourquoi il était le leader charismatique de l’équipe, celui qui la tenait et avait assumé dans les instants délicats. C’était le patron." À tel point que son influence dépassait largement le cadre du terrain. "Quand je suis devenu entraîneur de Castres, j’arrivais d’un niveau bien inférieur et j’avais juste fait une année avec les Juniors, raconte Gaillard. Francis, avec la place qui était la sienne, aurait pu réclamer autre chose, un technicien plus reconnu mais il m’a toujours laissé travailler, ne m’a jamais mis de pression, n’a jamais interféré dans ce qu’on proposait et il adhérait dans la mesure où ça lui semblait convenir au groupe. J’ai découvert un garçon au service du collectif." Et un relais pour le staff : "à l’époque, les mi-temps duraient cinq minutes et les entraîneurs étaient peu présents." D’où la nécessité de se reposer sur des joueurs de la trempe de Rui. "C’était un leader aussi par sa qualité, reprend Gaillard. Lorsque ça se passait mal, il ne se cachait pas et il était capable de prendre les choses en mains, de faire en sorte que les autres le suivent. Il n’y avait pas besoin de le chercher." Labit admiratif : "Grâce à son expertise, il possédait cette faculté à orienter tout de suite le jeu. Aujourd’hui, on a un peu délaissé cette responsabilisation et on cherche ce genre de joueurs."

L’affaire Penaud le matin de la finale

Son grand jour, Francis Rui l’a donc vécu le 5 juin 1993, en montant les marches du Parc des Princes pour aller soulever le Brennus. Mais le conte aurait pu prendre une autre tournure le matin même… "Nous étions à l’hôtel et je suis descendu prendre mon petit-déjeuner, raconte Gaillard. Là, j’ai vu Francis avec un journal dans les mains et je sentais une ambiance bizarre avec les autres joueurs qui me regardaient. Il y avait un trouble et je ne comprenais pas… J’ai commencé à manger et Jacques Cauquil, qui entraînait avec moi, m’a dit : "Tu devrais lire l’article dans L’Equipe." J’ai attendu que Francis pose le journal, je l’ai pris et on y annonçait l’arrivée de Penaud à Castres." Il y avait de quoi être troublé. "Francis était blindé, corrige l’entraîneur des trois-quarts du XV de France. Le club voulait se renforcer, l’avait déjà fait avec Carminati, Urios ou Whetton. Il avait 34 ans et les dirigeants pensaient à la suite. Mais, vu sa position, il avait été déçu de l’apprendre dans les journaux, comme nous." Gaillard avait essayé d’éteindre l’incendie sur le coup : "Il était parti à l’écart sans un mot. Je suis allé le voir pour en discuter et il m’a dit : "Si tu veux bien, on en parlera plus tard parce que j’ai d’abord une finale à jouer." Beaucoup auraient été déstabilisés quelques heures avant une rencontre de cette importance mais il avait su rester lucide. Quand on voit sa prestation en suivant, il était très fort mentalement." Encore décisif, jusque sur la fameuse action qui a créé la polémique, quand il a tapé à suivre avant de plaquer Franck Hueber dans l’en-but sur l’essai de Gary Whetton. Le motif est-il à trouver du côté des contacts avec Penaud qu’il pouvait juger comme une trahison ? "Je n’ai pas eu l’impression que cela l’avait gêné le jour même, sourit Labit. Cela l’a même sûrement aidé tant il était un compétiteur hors pair. Il a pris un malin plaisir à montrer qu’il laisserait la place quand il l’aurait décidé." Le grand bonhomme de la finale. "Heureusement car j’avais été nul, poursuit Labit. Dans le jeu et dans les tirs au but où j’avais fait un deux sur sept. Mais Francis avait préparé ce rendez-vous comme le match de sa vie, comme s’il devait finir ce dont il avait toujours rêvé. Je me souviens qu’au coup de sifflet final, lui était prêt à refaire un autre match derrière. On ne l’avait jamais vu aussi bien physiquement." Une sorte de plénitude ce soir-là pour celui qui n’a jamais été appelé en sélection. "Il n’était pas placé dans les meilleures conditions car on avait perdu Frédéric Séguier, le demi de mêlée avec qui il évoluait depuis des années, note Gaillard. Ils pouvaient se trouver les yeux fermés. Frédéric avait une passe magnifique et mettait Francis dans un fauteuil. Ce n’était pas l’idéal sur le plan stratégique, et donc psychologique, mais il a encore assumé en passant notamment un drop quand nous étions menés." Et l’affaire Penaud, lequel n’a jamais signé dans le Tarn ? "Quand l’information est sortie, nous n’étions pas du tout au courant avec Jacques (Cauquil), affirme Gaillard. On l’a dit ensuite à Francis mais je me demande encore aujourd’hui s’il nous a crus. Il avait juste répondu : "Pas de soucis, qu’il vienne."

Gaillard : "C’est lourd à porter"

Si Gaillard avait quitté Castres en 1994, leurs chemins se sont de nouveau croisés quatre ans plus tard. Dans un nouveau rôle. "Je voulais construire un staff avec des gens que je connaissais. Francis venait d’arrêter et souhaitait se lancer dans l’entraînement. Il avait fini par une saison comme entraîneur-joueur à Castelnaudary. On en a parlé avec Pierre-Yves Revol et cette idée m’enchantait. Il a été à mes côtés pendant deux ans et j’en ai été heureux. Puis des événements l’ont poussé à partir…" à compter de cette seconde, la voix du technicien fut plus grave à l’autre bout du fil. Et de reprendre : "J’ai dû le supporter sur mes épaules. Et il faut parfois les avoir larges. J’ai beaucoup regretté son départ. Il était en apprentissage, proche des joueurs. Mais, à l’époque, il y avait des difficultés à l’intérieur du groupe et il en a pâti." Rui est donc reparti à Castelnaudary afin de poursuivre son parcours de coach. Jusqu’à l’impensable. Ce jeudi soir funeste, sa voiture en panne, il était monté dans celle d’un de ses joueurs pour rentrer de l’entraînement. Elle a fini sa course dans un platane du Lauragais, à côté de Revel. "Il y a parfois des signes douloureux, tremble Labit. Cet accident s’est produit dans ma ville, à Revel, d’où j’arrivais quand j’ai débarqué à Castres à la fin des années 80. Francis était alors tellement impressionnant et tout le monde ne parlait que de lui au CO. Mais il m’avait accueilli, comme les autres jeunes de ma génération, à bras ouverts. Par sa bienveillance et ses conseils, il m’a mis sur le bon chemin. On dit que les meilleurs partent souvent en premiers et ce fut très difficile pour moi. J’ai tant de fois pensé à sa femme Christine et à ses deux garçons, à cette famille formidable, à son image. Quand on se retrouve avec les anciens, il nous est impossible de ne pas parler de lui." Pour Gaillard, la cicatrice reste ouverte : "C’est quelque chose dont je n’avais encore jamais parlé. C’est la première fois que je m’exprime dessus et c’est lourd à porter. Ce fut un choc. D’autant qu’il a été obligé d’arrêter à Castres, parce qu’il n’a pas arrêté selon moi, on l’a obligé… (Il coupe) C’est pourquoi je dis qu’il m’a fallu avoir les épaules larges. Certains ont cru que c’était de mon fait. Alors, qu’il soit parti à Castelnaudary et qu’il lui soit arrivé cette tragédie en revenant d’un entraînement alors qu’il ne conduisait pas… C’est la vie mais c’est toujours lourd à porter." Il marque une pause. Et de souffler : "Je crois beaucoup au destin et on n’est pas maître de celui des autres mais cela m’a marqué car il était avec nous à Castres quelques mois plus tôt. C’est terrible."

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