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En 1950, naissaient les Lions

  • En 1950, les Lions n’ont pas gagné le moindre test face aux All Blacks mais ont marqué l’histoire du ballon ovale. En bas à gauche, un extrait de journal anglais au moment du départ des joueurs en bateau pour la Nouvelle-Zélande. En bas à droite, le redoutable ailier gallois Ken Jones, médaillé d’argent olympique sur 4x100 mètres, a inscrit 16 essais en 16 matchs lors de cette tournée.
    En 1950, les Lions n’ont pas gagné le moindre test face aux All Blacks mais ont marqué l’histoire du ballon ovale. En bas à gauche, un extrait de journal anglais au moment du départ des joueurs en bateau pour la Nouvelle-Zélande. En bas à droite, le redoutable ailier gallois Ken Jones, médaillé d’argent olympique sur 4x100 mètres, a inscrit 16 essais en 16 matchs lors de cette tournée. Lions
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Il y a 70 ans, en 1950, les Lions accomplissaient leur première "vraie" tournée en Nouvelle-Zélande dans une atmosphère de liesse et de reconnaissance jamais égalée. Après l’interruption de la guerre, l’isolement des All Blacks était terminé et le phénomène "lions" était lancé. Son onde se propage encore.

1950 : 29 matchs, 30 joueurs. 2017 : 10 matchs, 41 joueurs. En 1950, la tournée des Lions aux antipodes dura quatre mois et huit jours ; en 2017, un mois et cinq jours. Cette comparaison à 67 ans de distance est si limpide, elle dit tout de l’évolution du rugby international et du rugby tout court. Les joueurs d’alors ne craignaient ni la fatigue ni la blessure. Si on ajoute la durée des voyages, le décalage est encore plus vertigineux. En 2017, on reliait l’Europe à la Nouvelle-Zélande en 17 heures environ. En 1950, il fallait passer deux mois, aller-retour, sur un bateau. Les photos en font foi. On voit des joueurs britanniques désœuvrés qui cherchent à s’occuper sur le pont. Ils jouent au croquet, au volley-ball et puis, surprise, des mousses vinrent leur offrir des figurines sculptées avec un terrain miniature. Elles devaient leur servir à réviser les schémas tactiques. Il y eut quand même des entraînements en bonne et due forme : tour du pont à petites foulées, pompes et séances de mêlées malgré le roulis. "Nous étions trois par cabine. Dès les premiers jours, il fallut affronter du gros temps et un terrible mal de mer pour tout le monde, y compris Macolm Thomas, le seul d’entre nous qui avait déjà navigué" expliqua Jack Kyle, demi d’ouverture irlandais. C’était la star de l’équipe : "Un maître à jouer hors pair avec un jeu au pied magistral. Le Dan Carter de l’époque. Face aux Français, Jean Prat recommandait à Henri Domecq de le surveiller comme le lait sur le feu" confie Henri Garcia, ancien grand reporter, l’un des derniers à l’avoir vu jouer. "Dans notre équipe, les rois des crochets et des feintes, c’était les Gallois. Ils sont nés avec un Side Step, en Irlande personne n’en faisait. Jack Kyle était un homme honnête et pur, il pensait que faire une feinte de passe était un péché mortel et qu’il fallait se confesser si ça arrivait. Il faisait des accélérations soudaines ou de larges courbes" narra son coéquipier Jim McCarthy.

Un surnom assumé, un maillot rouge officialisé

Cette tournée de 1950 fut un vrai moment charnière. La dernière à voyager par la mer et en même temps, la première d’une ère, moderne, voire moderniste. Déjà parce qu’elle fut bien filmée et bien photographiée. C’est aussi cette année-là que son surnom de "Lions" fut officiellement adopté comme une marque. Avant on se contentait d’un simple "British Isles". Le mot "Lions" était apparu sous la plume de journalistes en 1924, mais comme un sobriquet, il fit son chemin pendant trente ans avant d’être gravé dans le marbre. C’est aussi cette année-là qu’on opta pour un maillot de couleur rouge, la couleur par excellence, celle de la force et de la puissance, même si elle rappelait la tunique galloise. L’Angleterre avait le blanc des montants, l’Irlande et l’écosse se partageaient les chaussettes vertes et bleu marine. Tout le monde était servi. Auparavant, les "British Isles" avaient joué dans diverses tenues rayées avec du bleu foncé, du blanc et du rouge, des marinières et même une panoplie très proche de celle du XV de France. 1950, fut aussi l’année où les quatre fédérations prirent les choses en main avec la création d’un comité officiel qui contrôlait les recettes et les dépenses. En 1950 encore, les Lions deviennent une vraie sélection censée représenter l’élite du Royaume-Uni et de l’Irlande. Pour la première fois, tous les joueurs sont internationaux. Auparavant, les "British Isles" prenaient des joueurs de bon niveau disponibles, en espérant que l’équipe tienne la route, les talents les plus éclatants n’étant pas toujours là. En 1950, la tournée fut donc préparée avec l’idée que les Lions devaient représenter l’excellence du rugby nordiste : "J’étais passé à la RFU à Twickenham et on m’a demandé expressément de pratiquer un rugby offensif, expliqua le capitaine et talonneur irlandais Karl Mullen. Ça tombait bien, nous avions la meilleure ligne de trois-quarts de l’histoire des Lions, avec les Gallois Jack Matthews et Bleddyn Williams au centre, et les deux ailiers Ken et Lewis Jones, eux aussi Gallois. Sans compter Jack Kyle à l’ouverture évidemment." Sur les six noms cités, il y avait trois médecins : Karl Mullen lui-même, Jack Kyle et Jack Matthews. Bleddyn Williams avait fait la guerre comme pilote. Quant à Ken Jones, il avait été deux ans auparavant médaillé d’argent sur 4x100 mètres aux JO de Londres. Les rugbymen de l’époque avaient plusieurs cordes à leur arc.

Les romantiques nordistes matés par le rugueux pack des All Blacks

Et puis, dans le contexte de l’après-guerre, ce rendez-vous prit une dimension inégalée. La sélection avait été mise en sommeil depuis douze ans à cause de la guerre. Les stades néo-zélandais n’avaient plus accueilli d’équipe européenne depuis… 20 ans. Le demi de mêlée écossais Gus Black, encore un étudiant en médecine, expliqua : "Le succès de cette tournée, car ce fut un grand succès, a sans doute lancé le phénomène des Lions pour le futur. Ce succès vint de notre impact social, non pas en tant que groupe, mais en tant qu’individus qui chacun firent énormément de rencontres." Dans chaque ville visitée, l’engouement fut saisissant avec orchestres à la descente du bateau ou du train. Invitations à gogo, stades archicombles, recettes impressionnantes. "Nous recevions douze livres par semaine. Mais nous avions dû nous acheter avant de partir un costume pour les repas officiels" reprend Gus Black. Les Lions furent donc gâtés comme des princes alors que l’économie était encore rationnée. "On nous offrit pourtant des œufs, du beurre, du chocolat et des cigarettes à volonté" ajouta le Gallois Malcolm Thomas. "Je recevais 5 shillings par jour, je crois que les joueurs actuels touchent un minimum de 20 000 livres. Mais je me dis que j’y réfléchirais à deux fois si j’étais sélectionné de nos jours. Partir aussi nombreux pour faire si peu de matchs… Que font certains de leurs journées ? Ce n’est pas une critique, juste une observation. Je regarde tous les matchs à la télé" dit-il en 2005.

"Je me souviens de ces petits villages miniers où je rencontrais plein de gars originaires de la même région que moi. L’ambiance était extraordinaire" poursuit Gus Black, décédé en 2018 avec le rang de plus vieux Lion encore vivant.

Ce séjour fut une vraie fête, une épiphanie… sauf sur le terrain. Les Lions gagnèrent 22 matchs sur 29 mais aucun des quatre tests face aux All Blacks, ils en perdirent trois et firent match nul lors du premier. Face aux Wallabies en fin de parcours, ils s’imposèrent tout de même deux fois sur deux, mais les Australiens n’étaient pas ceux d’aujourd’hui. Les quatre tests néo-zélandais furent très disputés, serrés et rudes. Les Lions auraient pu en gagner deux, c’est vrai. Mais cette tournée marqua une vraie opposition de style, elle sanctionna la supériorité du rugby "réaliste" des All Blacks face au "romantisme" des Lions. Les All Blacks n’étaient pas ceux d’aujourd’hui, ils étaient peu inspirés sur le plan offensif. Mais leur pack était dur, puissant, et bien organisé. Les brillants trois-quarts britanniques furent trop peu approvisionnés pour donner la pleine mesure de leur talent. La série se joua là-dessus. Les Néo-Zélandais étaient plus forts sur les bases. "Les matchs étaient d’une telle intensité physique. À Whangarei, j’avais pris un ballon sur un renvoi avant de recevoir un terrible choc, j’ai bien cru que toutes mes côtes y étaient passées. On m’a dit au passage : "Si tu gardes la balle, on va te sortir rapidement du terrain" " avoua Karl Mullen, capitaine trop bien élevé. Il était enthousiaste, vaillant, mais pas assez vicieux, pas assez tacticien sans doute aussi. "Nous n’étions pas assez forts en touche, pas assez bon sauteurs, pas assez bon contreurs. Nous n’avons pas eu de ballons lors des tests" reconnut-il plus tard. Tous les Lions l’ont dit, le problème de cette équipe, c’est qu’elle n’avait pas d’entraîneur, tout simplement. Ça ne se faisait pas. Elle n’était accompagnée que d’un simple manager, l’Anglais Ginger Osborne, ancien médecin de marine. "Entraîneurs, nous l’étions tous un peu, Karl Mullen s’occupait des avants, moi des trois-quarts" observa Bleddyn Williams. "Ginger Osborne était un homme charmant, parfait dans son rôle de manager. Mais il ne connaissait pas grand-chose au rugby. Karl ne pouvait s’occuper de trente joueurs à lui seul. Alors on s’entraînait mais trop basiquement, on manquait de travail technique" diagnostiqua Jimmy Nelson, deuxième ligne de l’Ulster et de l’Irlande. Les All Blacks, vexés par une humiliation en Afrique du Sud en 1949, s’étaient préparés comme il faut, même sans talents supérieurs, ils étaient déjà les meilleurs connaisseurs du rugby. La province d’Otago avait surclassé les Lions 23-9 avec une idée révolutionnaire, sortir la balle rapidement pour attaquer avec des joueurs qui prennent la balle à fond et si l’ailier était plaqué en bout de ligne, faire un ruck rapide pour négocier… une deuxième phase. "On l’a subi, on n’a pas su s’en inspirer avant le premier test" reprit Gus Black.

Malgré les défaites, ces Lions partirent le cœur léger, ils avaient joué leur rôle, avec quelques bons moments : une victoire magnifique face à la province d’Auckland 32-9 et un festival de Jack Kyle, malgré le traitement de faveur des avants locaux qui le piétinèrent à qui mieux mieux. Belle démonstration de Bleddyn Williams aussi, face à Wellington. Il y eut aussi cet essai de Ken Jones lors du quatrième test, qualifié de "plus bel essai jamais marqué à l’Eden Park". C’était presque du French Flair, mais les All Blacks étaient restés les maîtres. On félicita les Lions pour leur brio. Ils réembarquèrent sous les vivats, les rubans blancs et les chants d’adieux. La machine des tournées était bien (re)lancée grâce à eux, et l’onde créée se propage encore aujourd’hui plus que jamais. Un dernier chiffre pour la route : la tournée fit 90 000 livres de profit, pas mal pour l’époque. En 2017, on compte en millions, 16 à notre connaissance.

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