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Un jour, une histoire : 2008, Carter débarque à l’USAP

  • Lors de la présentation officielle en septembre 2008, Dan Carter est accueilli par des milliers de supporters. photo Icon Sport Lors de la présentation officielle en septembre 2008, Dan Carter est accueilli par des milliers de supporters. photo Icon Sport
    Lors de la présentation officielle en septembre 2008, Dan Carter est accueilli par des milliers de supporters. photo Icon Sport
Publié le Mis à jour
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En 2008, Dan Carter débarque à l’USAP. Un événement qui consacre la nouvelle puissance du Top 14 et qui symbolise l’entrée des clubs français dans une nouvelle ère. Retour sur cet épisode marquant par son coût, sa dramaturgie et son épilogue heureux… et paradoxal.

C’est vrai que depuis plus de dix ans, on s’est habitué… Mais en 2008, c’est un coup de tonnerre extraordinaire. Le Top 14 recrute un international sudiste en pleine force de l’âge. Le vieux championnat de France prend soudain conscience de sa propre puissance. Manifestement, il peut désormais briser la digue du protectionnisme néo-zélandais qu’on pensait si hermétique. Ses salaires sont trop alléchants, tout simplement. Et les clubs sont prêts à mettre au placard leurs traditions et leur ancrage local. Les équipes perpignanaises championnes ou finalistes de 1914 à 1977 étaient composées de 80 % de joueurs formés sur place. Depuis les années 2000, l’Usap joue désormais avec une dizaine d’Anglo-Saxons. Elle forme encore des jeunes, c’est entendu, mais sa "catalanité" n’est plus au centre de son projet. Les clubs français sont des écuries ambitieuses susceptibles d’attirer les meilleurs pur-sang de la planète. L’affaire avait été révélée en juin par le site Internet de la Fédération néo-zélandaise et avait pris tout le monde de court. Ce coup de tonnerre reste le chef-d’œuvre de Paul Goze… Le président de l’Usap était parvenu à garder le secret jusqu’au bout, préservant l’affaire de toutes les fuites. Pourtant, il ne parle pas anglais et dut passer par un intermédiaire qui sut lui aussi tenir sa langue alors qu’il parle tous les jours à la presse, c’est sa fonction de base. "Je servais de traducteur pour toutes les conversations. Quand j’ai enfin rencontré Carter à son arrivée à Perpignan, je lui parlais depuis six mois au téléphone. Il m’a toujours dit qu’il ne voulait aucun privilège", commente Benoît Brazès, attaché de communication du club. Goze a, de plus, réussi à rafler le joueur à Toulon qui le voulait absolument. Le fait de jouer la H Cup est déterminant, le RCT, qui arrive du Pro D2, ne jouant que le Challenge. Pourtant, Mourad Boudjellal était persuadé d’avoir l’accord verbal du joueur.

Mais ce n’est qu’une pige de sept mois. Dan Carter n’est que "prêté" par la NZRU. Il faudra attendre le mois de décembre pour voir "Le Monstre" chausser les crampons en Roussillon. On le sent tout de suite traité comme un tableau de prix qui ne voyage qu’entouré de mille précautions. Il joue d’abord les tests de novembre avec les All Blacks. Mais avant de lui laisser mettre le cap sur Perpignan, sa Fédération le retient au maximum pour qu’il participe à une rencontre entre les All Blacks et les joueurs du Milan AC, le 4 décembre. Un impératif marketing inscrit dans le marbre que Paul Goze n’apprend que très tard. On se souvient du président de l’Usap négociant pied à pied avec les Néo-Zélandais le dimanche 30 novembre.

Avalanche de chiffres

Les Catalans voulurent le faire débuter le 6 décembre à Leicester mais ils durent y renoncer, Dan Carter n’est libre que le 5 au soir pour faire connaissance avec ses coéquipiers à l’hôtel Mariott de la cité des Midlands. Goze préfère repousser l’échéance au match retour, le dimanche 14 décembre, à Aimé-Giral. Le joueur lui-même avertit son président provisoire qu’il n’est pas question pour lui de jouer sans s’être entraîné avec le groupe : "Pour ne pas être ridicule en cas d’erreur grossière et parce qu’il se sentirait gêné de prendre la place d’un coéquipier en arrivant la veille d’une rencontre." Dan Carter lui-même ne veut pas que son arrivée tourne au barnum. Pour ses grands débuts, il assura la victoire : 26-20 dont seize points inscrits de sa botte.

Mais avec le recul, on se rend compte que jamais auparavant, on avait commenté l’arrivée d’un joueur avec une telle avalanche de chiffres : son salaire est très vite annoncé : 700 000 €, soit 100 000 € par mois, chiffre record évidemment. On s’amuse à calculer le coût du joueur pour chaque match joué : 32 000 € a priori si l’Usap allait au bout en championnat et en Coupe d’Europe. 42 000 si l’Usap était éliminée. On rappelle qu’il est lié par un contrat d’images avec Adidas qui lui assure 300 000 € annuels. Dans Midi Olympique, on fait remarquer que Canterbury, l’équipementier (néo-zélandais) de Perpignan, profite de l’occasion pour prendre une petite revanche sur Adidas qui vient de lui piquer les All Blacks. À peine Carter arrivé, Canterbury sort d’ailleurs un maillot spécial aux couleurs proches de celle Barça, floqué du 10 et du patronyme mythique. "Il se vend comme des petits pains", tambourina tout de suite l’Usap. On comprendra ensuite que les deux sociétés avaient signé un accord particulier, condition sine qua non de la faisabilité du transfert. On imagine les gens d’Adidas prenant leur téléphone en refusant d’être pris pour des lapins de six semaines.

Le coup de cœur des actionnaires

Pour être précis, la première incursion de Carter à Perpignan a lieu le 21 septembre. À sa descente de l’avion à Barcelone : ses premiers mots furent empreints de modestie : "Je ne suis pas une rock star, je ne suis pas Maradona." Mais pour la première fois de son histoire, le club avait mis en scène l’arrivée d’un joueur à Aimé-Giral, devant trois mille mordus aux anges, soutien populaire sans précédent pour un événement déconnecté d’un match. Le principal intéressé, habitué à une certaine austérité néo-zélandaise, ne s’attendait pas à une telle exubérance. "C’était fou de recevoir un accueil comme celui-ci. En entrant sur le terrain, je me souviens de ces enfants qui portaient des drapeaux sang et or, une partie du stade qui scandait mon nom, je n’avais jamais vécu ça auparavant. En Nouvelle-Zélande, les gens sont fans de rugby mais à Perpignan, c’est encore plus fou", déclara-t-il plus tard. Benoît Brazès se souvient : "Cette présentation, je m’en souviens d’autant plus que Paul Goze n’était pas chaud pour la faire. Cela n’avait jamais été organisé dans le rugby français. Il pensait qu’une conférence de presse avec poignées de main et deux ou trois autographes suffirait. J’ai eu une double pression sur les épaules. Je suis allé chercher Dan à Canet où était son hôtel. En arrivant aux abords du stade, j’ai compris que ça marchait, en pleine semaine à 18 heures, ça n’avait rien d’évident. Ce fut un grand souvenir, on n’a pas vécu une autre cérémonie comme ça pour l’arrivée d’un joueur en France. Je crois que Dan était en recherche d’une équipe avec une vraie identité. Tous ces drapeaux catalans, le capitaine qui lui remet le maillot, ça l’a touché. Il pensait que s’il avait rejoint Toulon, il aurait évolué dans une sélection d’Anglo-Saxons exilés." Sur le terrain d’Aimé-Giral, Goze et Carter savourent, les deux portent désormais le même maillot avec trente ans d’écart. "Si je te bats au sprint, tu joues gratuitement", plaisante le président.

Perpignan apparaît alors comme un club puissant et ambitieux mais sans mécène plein aux as. On se demande donc comment le club avait bien pu financer une telle opération. On entendra dire par la suite qu’elle avait plombé ses comptes. Ce ne fut pas vraiment le cas car en fait, c’est un groupe d’actionnaires historiques qui avait accepté de mettre chacun personnellement la main à la poche en signant une caution et en réglant l’intégralité de l’opération : 800 000 € sortis tout droit du portefeuille de notables locaux. Certains ont payé les dernières échéances très récemment. Ce fut donc un vrai coup de cœur. En termes purement économiques, l’opération Carter ne fut pas vraiment un succès. Écoutons ce que disait, en 2014, Bernard Sobraquès, vice-président de l’Usap de l’époque : "Nous n’étions pas prêts économiquement à accueillir un joueur de cette trempe. Nous n’avions pas les structures nécessaires pour faire le sponsoring qui s’imposait : attirer des partenaires nationaux et internationaux. Il a fait marcher les boutiques de maillots. Mais il n’est pas resté assez longtemps pour capitaliser. Je ne regrette rien mais c’est vrai qu’on n’a pas eu le temps d’en profiter. Aujourd’hui, je ferai les choses différemment, même si ça dépend du prix. Aujourd’hui, les clubs ne se trompent plus et recrutent des stars sur une durée plus longue." Carter aura fait, au final, peu d’opérations publicitaires d’envergure, peu de séminaires, révélant que Perpignan n’était pas encore entré de plain-pied dans le professionnalisme. Six ans après, le Racing ne fera pas la même erreur. Il se donnera le temps de rentabiliser un Carter désormais retraité international ; et payé 1,5 million d’euros par an, soit 125 000 € mensuels : le prix de la disponibilité commerciale.

En termes purement sportifs, on connaît le triste épilogue : le joueur se blessa au Stade de France contre les Parisiens le 31 janvier après seulement cinq matchs joués (mais zéro défaite), tendon d’Achille rompu, soit six mois d’absence. "Il fallait voir l’inquiétude de la Fédération néo-zélandaise qui a tout de suite appelé", se souvient Vincent Couture qui suivait le club pour le quotidien L’indépendant. La France entière prend aussi conscience des risques que prenaient les joueurs vedettes. Venir jouer en Europe pour un All Black, c’était aussi sacrifier ses vacances et son intersaison, donc son temps de repos salvateur. Un mal de plus pour le rugby ultra-professionnel. Du coup, le coût du joueur au match joué s’avéra faramineux.

Vincent Couture reprend : "Mais pourtant, il y a bien eu un effet Carter. Par sa seule présence, les autres joueurs se sont sentis obligés de s’investir à 150 %. Ils ne voulaient pas passer pour des peintres. Dès sa présentation à Aimé-Giral, on a ressenti qu’il se passait quelque chose d’impalpable mais de puissant. Il débarquait dans une équipe déjà très forte, demi-finaliste en 2008 et il a amené un plus. Je me souviens de son premier entraînement, quand il a tenté cinquante coups de pied du bord de la touche du centre au poteau de corner, pour en mettre quarante-neuf. Les autres le regardaient comme des fans. Il s’est tout de suite bien intégré, il a été testé à Brive (après une victoire à l’extérieur où il avait été royal, N.D.L.R.), dans le restaurant de Damien Chouly. Un joueur m’a dit : "Il a bu ses dix bières. Il est des nôtres." Benoît Brazès confirme : "Lors des premiers entraînements, pas un ballon ne tombait. Même après sa blessure, les joueurs se sont dit, si notre club a été capable d’attirer le meilleur joueur du monde, nous pouvons être champions."

On connaît aussi l’épilogue de l’épilogue, le titre 2009 gagné par l’Usap, le premier depuis cinquante-quatre ans après que quatre ouvreurs se sont successivement blessés : Dan Carter, Nicolas Laharrague, Steve Meyer et Ignacio Mières. Perpignan était devenu une machine de guerre avec les Mas, Le Corvec, Freshwater, Marty, Mermoz et consorts., plus Jacques Brunel au coaching. Mais les joueurs et les suiveurs l’ont juré : même s’il n’avait pas joué, il y avait bien eu un effet Carter. "Après la finale, les propos de Bernard Goutta m’ont marqué. Il a déploré la blessure mais il a fait remarquer que les joueurs s’étaient aussi motivés, en se disant que si Carter avait été valide, on aurait dit que le titre venait principalement de lui. Ils se sont dit qu’ils étaient capables de le faire sans lui." À part Éric Champ en 1992, jamais un joueur en civil (ou carrément torse nu) n’avait été aussi influent pour la conquête d’un Brennus. Tout le monde avait voulu se mettre au diapason d’une aussi brillante compagnie. L’investissement des actionnaires valait donc le coup d’être fait. Même pour un "joueur-fantôme".

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