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Gachassin : « Je dressais des constats d’adultère »

  • Au cours d’une carrière riche entre le Stade bagnerais et Lourdes, Jean Gachassin a évidemment côtoyé l’équipe de France ou on le voit à l’image en bas à droite au stade Charléty avec à sa droite Jean-Pierre Mir et Guy Camberabero préparant une rencontre face à l’Australie en février 1967. Son double mandat à la présidence de la Fédération Française de Tennis l’a également amené à côtoyer les plus grand de ce sport comme Novak Djokovic, qu’il embrasse. Photos archives et Icon Sport
    Au cours d’une carrière riche entre le Stade bagnerais et Lourdes, Jean Gachassin a évidemment côtoyé l’équipe de France ou on le voit à l’image en bas à droite au stade Charléty avec à sa droite Jean-Pierre Mir et Guy Camberabero préparant une rencontre face à l’Australie en février 1967. Son double mandat à la présidence de la Fédération Française de Tennis l’a également amené à côtoyer les plus grand de ce sport comme Novak Djokovic, qu’il embrasse. Photos archives et Icon Sport
  • "Je dressais des constats d’adultère"
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    "Je dressais des constats d’adultère"
Publié le Mis à jour
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Aujourd’hui âgé de 78 ans, Jean Gachassin fait partie des personnages les plus attachants du rugby français. Drôle, fin et un poil hâbleur, il revient sans langue de bois sur les dates marquantes d’un destin qui le vit tour à tour recevoir un courrier du président Pompidou, traverser une garde à vue à Cardiff, faire la bringue avec Françoise Sagan, sympathiser avec "le Général" puis, au bout du bout, diriger et quitter dans des circonstances douloureuses l’une des plus puissantes fédérations de l’Hexagone. C’est à vous, Peter Pan !

Prenons les choses à la base. Qui êtes-vous, Jean Gachassin ?

Je suis né à Bagnères-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées) et je viens d’avoir 50 ans.

Un peu plus, non ?

(Il se marre) Ah, ça va ! Vous me connaissez un peu ! […] Moi, je suis issu d’une famille de sportifs : mon père était trois-quarts aile au Stade bagnérais quand ma maman faisait du tennis. À l’époque, dans les petits villages comme le mien (8 000 habitants), on jouait au rugby l’hiver et, début juin, nous étions nombreux à prendre la raquette.

Aviez-vous un bon niveau, au tennis ?

Oui, je me débrouillais bien. Mon meilleur classement fut 2.6.

Fond de court ou filet ?

Filet ? Malgré mon 1,90 mètre (il mesure 1,62 m), je ne pouvais monter au filet sans être lobé neuf fois sur dix. Non, moi, j’avais des jambes et un bon coup droit.

Quel était votre rêve de gosse ?

Comme tout gamin de Bagnères, je souhaitais d’abord être un rugbyman de l’élite. Mais le but ultime, c’était d’appartenir au FC Lourdes, le club phare de ces années-là.

Le jeu à la lourdaise est mythique, pour les connaisseurs. En quoi consistait-il ?

Quand j’ai signé à Lourdes à 18 ans, Jean Prat (alors entraîneur) m’a dit : "Petit, si tu es plaqué avec le ballon, tu ne joueras pas dimanche prochain".

Ah…

Et oui monsieur ! Pour être digne du grand Lourdes, il fallait savoir faire circuler le ballon. Le jeu à la lourdaise, c’était le décalage, le "+1" comme on dit aujourd’hui. Quand je jouais à l’ouverture, les frères Prat me demandaient de prendre une photo de l’équipe adverse, de compter combien les défenseurs étaient dans la ligne. Avec ce que mes coachs appelaient mon "troisième œil", il fallait alors que j’opte alors pour le bon côté.

Y parveniez-vous ?

Ce fut beaucoup de travail, au départ. Avant chaque entraînement, on se tapait une heure de passes à cent à l’heure. On disait souvent aux frères Prat qu’on en avait marre, qu’ils nous emmerdaient. Ils nous répondaient : "Tais-toi, petit ! Tu as perdu dix centièmes sur ta passe ! Ton geste n’était pas bon ! On repart pour un quart d’heure !" Ils avaient raison, in fine. Sur le terrain, on baladait les adversaires rien que sur la qualité de nos passes.

On vous suit…

Aujourd’hui, c’est le cirque Pinder. Les mecs sautent pour attraper la passe du copain et le temps que tu redescendes, l’adversaire a déjà fait deux mètres… Et toutes ces briques aux chevilles, ce n’est pas vrai…

La technique individuelle est-elle vraiment moins aboutie aujourd’hui ?

Évidemment. Devant ma télé, il m’arrive de me mettre en colère : deux contre un, le type rentre dans le lard du mec d’en face ! La supériorité numérique, tu n’as pourtant pas le droit de la gâcher. C’est impensable.

Quelles études avez-vous suivies ?

J’ai d’abord obtenu une maîtrise au CREPS (Centres de Ressources, d’Expertise et de Performances Sportives). Au départ, je voulais être prof de sports, comme un paquet de mes copains. Puis un jour, un type m’a dit : "Tu te vois mimer des abdos face à tes élèves quand t’auras 55 balais ?" Du coup, je me suis réorienté vers le droit. J’ai repris l’affaire de mon père. Il était huissier de justice.

On ne vous imagine pas huissier de justice…

(Il se marre) Et pourtant ! J’étais spécialiste en "constats d’adultère". J’arrivais à 6 heures du matin chez les gens, accompagné du commissaire de police ; je tapais à la porte et, vu que je connaissais tout le monde à Bagnères, il m’arrivait souvent de dire à des copines : "Jamais je n’aurais pensé ça de toi ! Non ! Pas toi ! Ce n’est pas vrai !" Qu’est-ce qu’on rigolait…

Comment étiez-vous accueilli ?

Souvent, les gens me disaient : "Tu ne dis rien, hein Jean ?" Mais j’étais obligé de constater ! C’était mon métier ! Qu’aurais-je dit au commissaire à côté ? (rires) Cela dit, j’étais un huissier assez conciliant.

En quel sens ?

Je donnais souvent des délais à des gens qui ne pouvaient pas s’acquitter tout de suite de leurs dettes. La plupart du temps, tout se réglait au Café des Coustous, après nos matchs. Ce bar, c’était le siège du Stade bagnérais et souvent, des supporters m’arrêtaient : "Maître, super match aujourd’hui ! Belle attaque ! Bon… J’ai 100 francs (15 euros) sur moi, je vous donnerai le reste dans quelques jours !" Je leur faisais alors un reçu sur un carton de bière et tout le monde était content.

Qui vous a surnommé Peter Pan ?

Roger Couderc et Denis Lalanne (un ancien journaliste de L’équipe). J’ai tout de suite trouvé le surnom sympathique, il relatait bien mon état d’esprit : jongleur, créateur, tout en esquive… […] J’avais la forme, à l’époque. J’étais champion des Pyrénées de slalom géant et d’athlétisme, spécialité 100 mètres.

Quel temps ?

10, 8 secondes aux 100 mètres ! Et sans préparation !

Quel est le témoignage vous ayant le plus touché, au fil de votre carrière ?

Une lettre du président Pompidou, en 1966. Je venais d’être évincé du XV de France après une passe manquée, au pays de Galles. Peu de temps après, je recevais ce courrier du président, qui disait : "Restez dans cet état d’esprit, Peter Pan. Continuez dans cette voie, vous me donnez beaucoup de plaisir". C’était la lettre d’un bon père de famille, quoi. Elle m’avait beaucoup touché.

Autre chose ?

Oui. Un jour, à l’Insep (Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance) le Général de Gaulle est venu me voir et m’a dit : "J’aime votre façon de jouer, Monsieur Gachassin. Je vous suis à la télévision et vous admire". Dans mon bureau, j’ai gardé cette photo où le Général me serre la main : la sienne fait trois fois la mienne, tu verrais ça…

Pourquoi avez-vous été "viré" de l’équipe de France en 1966 ?

Ce jour-là, on jouait à Cardiff, contre le pays de Galles. Il y avait, en jeu, le premier grand chelem de l’histoire du XV de France. Avec les Boni (André et Guy Boniface), on attaquait de partout. Il restait cinq minutes, on était dans les 10 mètres adverses et on continuait à envoyer des passes : "bim, bim, bim !" À un moment donné, j’ai cru voir un bon coup sur l’extérieur. J’ai accéléré, fait une passe lobée vers Guy Boniface et Stuart Watkins, l’ailier d’en face, a intercepté.

Pas de chance…

Claude Lacaze, notre ailier, a reçu une pommelle au moment de plaquer Watkins, le Gallois a marqué l’essai de leur victoire. […] Le soir, Guy Basquet (un dirigeant influent de la FFR), qui haïssait les Boni et moi, nous a écartés du XV de France sans oser nous le dire.

Êtes-vous revenu en sélection, après ça ?

Oui, quelques mois plus tard. Avant un match contre l’Italie, j’ai voulu lever quelques verres à la santé de Dédé et Guy (Boniface), qui me manquaient beaucoup. J’étais avec Denis Lalanne et Benoit Dauga, je n’ai pas vu le temps passer. Quand je suis rentré à l’hôtel Louvois, où logeait l’équipe, il était 8 heures. Le bus était déjà parti à l’aéroport… Je les ai rejoints en taxi, la cravate de travers… On n’était pas inquiet, hein…

Certes…

Une autre fois, les gros pardessus de la fédé avaient placé deux gorilles à l’entrée de l’hôtel pour nous empêcher de sortir la veille du match. J’étais avec Jo Maso (Narbonne) et Jean Salut (Beaumont de Lomagne), ce soir-là. J’avais 28 ans, à l’époque. Je détestais qu’on me dise ce que je pouvais et ne pouvais pas faire. Tous les trois, on est donc monté dans ma chambre. On a noué les draps et on s’est fait la malle, par le balcon.

Et ?

Au retour du Lido, les gorilles étaient toujours là. Heureusement, qu’on avait laissé les draps au balcon ! Et puis t’imagines, si un drap avait pété ?

Avez-vous déjà eu peur, au fil de l’une de vos virées nocturnes ?

Peur, non. Honte, oui.

Que voulez-vous dire ?

Au pays de Galles, après un match à l’Arm’s Park (l’ancêtre du Principality Stadium), on a tous filé en boîte de nuit. Au petit matin, le trois-quarts centre du Racing, Lagrange, fut le premier à quitter les lieux, un peu fatigué… Il est tombé sur quelques bobbies. Il s’est amusé une fois avec le casque de l’un d’entre eux, puis deux fois et à la troisième, le mec l’a un peu secoué.

Alors ?

Au même moment, Eli Cester, Benoit Dauga et Guy Boniface sont sortis de la boîte de nuit. En voyant ça, ils sont devenus fous.

Que s’est-il passé ?

Bagarre générale contre les flics ! […] Dépassés, ceux-ci ont appelé des renforts, ont fini à plus de 100 et ont embarqué Guy (Boniface). Ça a plongé son frère dans une rage folle : André a commencé à mettre des coups de pompe dans le panier à salade et les flics l’ont embarqué.

Dur…

Ils nous ont tous embarqués, au final. Au commissariat, Guy Boniface s’est rendu compte que sa montre était brisée. Ça l’a foutu en rogne et là, il a collé une crêpe au premier bobby qu’il a croisé. La bagarre est repartie. C’est Roger Frey, le ministre de l’intérieur de l’époque, qui nous a finalement libérés. On avait honte, si tu savais…

On raconte que les fêtes chez Castel, dans le Paris des années soixante, étaient mythiques. Pour quelle raison ?

Le premier qui nous a amenés chez Castel, c’est Guy Boniface. Jean Castel était un ancien deuxième ligne du Puc. Là-bas, on ne payait jamais un verre. Après les matchs à Colombes, Papa Castel disait : "Table ouverte, messieurs ! L’équipe de France, c’est sacré !" Autour de nous, il y avait Françoise Sagan, Antoine Blondin, Louis Malle, Carlos, Philippe Lavil, Olivier de Kersauson et quelques célébrités de l’époque. La chanteuse Dani, aussi, était une grande amie de Jo Maso. Pendant dix ans, Jean Castel nous a reçus comme des Milord. Mais j’ai su le remercier.

De quelle manière ?

Je l’ai un jour invité à Bagnères-de-Bigorre, pour mon tournoi de tennis. […] Avant de rejoindre Paris à l’adolescence, Jean Castel avait grandi dans le petit village de Lortet, près de Lannemezan. Il y est resté jusqu’à ses 10 ans. Quand j’ai appris ça, je suis allé voir les propriétaires de la maison en question et leur ai expliqué la situation. Quand Jean est arrivé à l’aéroport, je l’ai emmené à Lortet, dans la maison où il avait grandi. Il a fondu en larmes. C’est toute son enfance qui lui sautait au visage.

Où se terminaient vos soirées, après être passés chez Castel ?

Dans des restos où les forts des Halles (les manutentionnaires du marché des Halles) avaient leurs habitudes. Des gaillards, hein ! André Boniface les pliait pourtant tous un par un au bras de fer. Et le perdant payait la tournée…

Avez-vous eu des problèmes, parfois ?

Non. Nous étions des branleurs respectueux. On voulait s’amuser, c’est tout ! Mais je me souviens qu’une fois, lors d’une soirée, Marc Cécillon (ancien numéro 8 du XV de France) a commencé à nous emmerder. Il avait l’alcool mauvais, je lui ai donc demandé de rentrer se coucher. Il m’a écouté, on en est resté là.

Sur le terrain, respectiez-vous toujours les plans de jeu ?

Quand Michel Crauste (le capitaine de Lourdes) me disait quelque chose, je le respectais. Parce que le Mongol me protégeait sur le terrain.

De quelle façon ?

Un après-midi, un troisième ligne me cassait les couilles : chaque fois que je passais la balle, il me chopait à retardement. Je m’en suis ému auprès de Michel (Crauste). Il m’a dit : "Je m’en occupe, petit". Je ne sais pas ce qu’est devenu ce mec… Mais il ne m’a plus jamais emmerdé…

Avez-vous souffert, d’une manière ou d’une autre, de la dictature des blazers de la fédé ?

Par ricochets, oui. Les Lourdais et les Agenais se détestaient. Jean Prat aimait l’attaque. Guy Basquet aimait le jeu structuré. Avant le match, il nous disait : "On joue sérieux, aujourd’hui, les petits !" Puis sur le terrain, Michel Crauste nous réunissait et annonçait : "On les emmerde ! On fait ce qu’on veut !"

Regrettez-vous de n’avoir jamais eu de responsabilités dans le rugby français ?

J’ai été président du Stade bagnérais, quand même ! J’y ai fait signer Roland Bertranne, Jean-Michel Aguirre… Puis, le jour où j’ai senti les choses basculer, je suis parti.

Comment ça ?

Un jour, à Tournay (Hautes-Pyrénées), je suis allé voir le père d’un pilier que je trouvais bon. Il m’a répondu : "Pas de problème, Monsieur, mon fils vous rejoint à Bagnères. Mais qu’est-ce que vous me donnez, à moi ?" Au final, j’ai dû lui acheter un cochon. C’est rien, un cochon. Mais ça m’a permis de comprendre que les mentalités avaient changé. L’amateurisme était fini. Tout était beaucoup moins léger. J’ai quitté la présidence, peu après cet épisode.

De 2009 à 2017, vous avez été président de la Fédération Française de Tennis. Pour vous, la fin de règne a semble-t-il été douloureuse…

Non ! J’ai juste décidé d’arrêter. Je ne voulais pas être la caricature du dirigeant qui s’accroche, du président qui termine à 80 balais. Après tout, les gros pardessus m’avaient assez emmerdé dans ma jeunesse… […] J’ai fait deux mandats extraordinaires mais je n’ai pas voulu faire le match de trop.

En 2016, le Canard Enchaîné révélait que vous aviez vendu des billets de Roland Garros à un ami voyagiste, lesquels les revendaient plus chers et vous invitait, dans la foulée, au Tournoi des 6 Nations. Qu’en est-il réellement ?

J’ai l’esprit tranquille, par rapport à tout ça. Je n’ai pas fait de commerce. J’ai simplement renvoyé l’ascenseur à un ami. […] Il me disait : "Tu peux m’avoir quelques places payantes pour Roland ?" J’insiste bien sur le mot "payantes". Je donnais alors ordre à une secrétaire de donner les places en question. Je le faisais avec plaisir. Mais je n’ai jamais touché quoi que ce soit derrière.

Pourquoi vous invitait-il au Tournoi des 6 Nations ?

Mais il nous invite tous les ans, avec Jean-Pierre Garuet et Philippe Dintrans, depuis vingt ans ! Soit bien avant que je ne sois président du tennis ! […] Lui, ça lui faisait de la pub de nous avoir dans l’avion. Nous, ça nous permettait de passer un bon moment, de raconter quelques conneries dans le milieu du rugby… Je ne me suis pas enrichi avec ça, si c’est ce que vous voulez savoir. Il payait juste l’avion et l’hôtel. Récemment, il m’a même dit : "Vous me manquez, les gars. Maintenant, si je veux un international, il faut que je le paye !"

Il y a des moments que vous n’oublierez jamais, de ces quelques années passées à tête de la fédération de tennis ?

Des dizaines, oui. Quand il me croisait, Roger Federer me disait par exemple : "Jean, je sais que tu as été un grand champion. J’adore le rugby, j’ai beaucoup de respect pour toi". C’était un sacré hommage, venant de lui…

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