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Mola : « On ne peut pas nous mettre le couteau sous la gorge »

  • Ugo MOLA head coach of Toulouse before the French Top 14 Rugby match between Racing 92 and Stade Toulousain at Paris La Defense Arena on February 16, 2020 in Nanterre, France. (Photo by Baptiste Fernandez/Icon Sport) - Ugo MOLA - Paris La Defense Arena - Paris (France)
    Ugo MOLA head coach of Toulouse before the French Top 14 Rugby match between Racing 92 and Stade Toulousain at Paris La Defense Arena on February 16, 2020 in Nanterre, France. (Photo by Baptiste Fernandez/Icon Sport) - Ugo MOLA - Paris La Defense Arena - Paris (France) Icon Sport - Icon Sport
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Face à l’actualité chaude avec l’allongement de la fenêtre internationale d’automne, il a choisi de sortir du silence, auquel il s’était astreint depuis cinq mois, pour partager ses craintes. direct, comme à son habitude, il tire la sonnette d’alarme sur le rugby des clubs et évoque son parcours.

On ne vous a pas entendu ces derniers mois. Pourquoi ?

Il me semblait que je n’avais pas à m’exprimer durant le confinement. À la limite, c’était le rôle de mon président et des institutions. On a pris beaucoup de recul, ce qui nous a évité de dire pas mal de bêtises, dans le sens où on a entendu tout et n’importe quoi.

L’actualité est chaude avec l’allongement de la fenêtre internationale d’automne…

La première étape, c’est le niveau d’informations qui est le nôtre. L’actualité colle avec ce qui a été fait depuis trois ou quatre mois. Des effets d’annonce, des prises de décision, sans qu’on ait pour autant le mode opératoire : comment ça va se passer, avec qui, quand, combien. Au-delà de la décision de World Rugby d’imposer cette fenêtre plus grande, les déclarations vont à contre-courant de ce qui pourrait être fait en termes de gestion des internationaux, pour ne pas repartir sur une année de Coupe du monde.

Est-ce le cas ?

Oui. Si la période de sept semaines et six matchs se confirme, on aura l’équivalent de treize doublons déguisés. Un demi-championnat sans les internationaux. Mais une année de Coupe du monde, tu l’anticipes, tu es censé la gérer au mieux avec les ressources internes et les "jokers Coupe du monde". Là, on nous pond dans l’urgence un joker de deux mois, une mesure de rustine. Le plus terrible, si je reprends l’histoire depuis le 16 mars où certains entraîneurs et présidents ont occupé le terrain médiatique en disant n’importe quoi sur la suite des événements, est qu’on a enchaîné les moments de flou. Aujourd’hui, la lumière commence peut-être à poindre au bout du tunnel et on continue à partir dans tous les sens. La voix de l’équipe de France et de la Fédération, c’est celle de Bernard Laporte, du sélectionneur ou du manager ? Elles semblent discordantes. Du moins, on n’a pas les mêmes retours. On a besoin d’un cap. Et rejouer une période internationale de six matchs, c’est quasi suicidaire pour une équipe comme la nôtre.

Surtout avec un quart européen dès septembre…

On joue quatre compétitions cette saison : deux Coupes d’Europe et deux Top 14 : un avec les internationaux et un dit "de doublons" où il faudra limiter la casse. Alors, annoncer que nos internationaux seront mis à disposition sept semaines à hauteur de 42 joueurs… Cette posture n’a rien de constructif.

Avez-vous été surpris par la sortie de Fabien Galthié ?

Surpris par le timing. Il est dans son droit et prêche pour ses intérêts. Aucun souci sur ça mais si on s’était vus, si on avait échangé avec les clubs concernés pour prendre le temps de communiquer sur ce qui avait été décidé… L’équipe de France veut compenser une tournée non jouée en Argentine et un match manqué du Tournoi. On a parlé des neuf rencontres de championnat et des phases finales ratées ? Il y a un aspect économique et aucune raison que la Fédé ne s’y retrouve pas. Avoir des matchs au Stade de France devant du public, notamment celui contre l’Irlande avec une potentielle victoire dans le Tournoi, est intéressant. Elle a été frappée par cette crise, ce qu’on reconnaît puisque les présidents ont acté un effort conséquent avec cinq matchs au lieu de trois.

Raphaël Ibanez appelle à la solidarité…

On l’entend et on y est prêts mais le principe de solidarité, c’est la réciprocité. Là, les clubs se sacrifient encore pour l’équipe de France.

Entendez-vous l’argument du Mondial 2023 à préparer ?

J’entends que le XV de France a besoin de travailler avec un groupe, monter en compétences, donner de l’expérience du haut niveau, exposer dans des confrontations sous pression avec un rythme plus élevé. Mais l’argument "on me sucre un stage de trois jours en août"… Mieux vaut ne rien dire des fois. Ce stage ne sert à rien, on le sait tous.

Que préconisez-vous ?

Les postures me choquent. Prenons le temps de se voir, et on est d’accord ou pas. Là, on parle sans les infos. Les présidents se sont entretenus, par le biais de Paul Goze, avec la Fédé. Shaun Edwards et William Servat vont passer une journée avec nous en stage, Laurent Labit fera des entretiens au club fin août. Tout le monde a besoin des joueurs. Mais ce sont des gosses de divorcés et, pour l’instant, on n’est pas en garde partagée.

Entre la ligne manquante en bas du Brennus et deux matchs loupés en Argentine, c’est quoi le plus marquant ? Moi, je sais. Il n’y a pas de champion cette année, pas sûr que chacun en mesure la portée.

C’est-à-dire ?

Jusqu’à preuve du contraire, 80 ou 90 % des salaires sont assumés par les clubs. Si, demain, on peut faire autrement, les 50 % du temps que passent Dupont ou Ntamack en sélection paraîtront peut-être un peu moins durs. Je crois que cinq ou six doublons, c’est absorbable par n’importe quel club, en manageant, en exposant les jeunes joueurs… Mais on ne peut pas nous mettre le couteau sous la gorge en disant : "C’est comme ça, pas autrement."

Avez-vous été en relation avec le staff des Bleus depuis le déconfinement ?

J’ai eu Raphaël Ibanez une fois pour prendre des nouvelles sur les règles sanitaires. J’ai eu régulièrement Laurent Labit et William Servat. L’entraîneur de la défense a eu Shaun Edwards.

Et Fabien Galthié ?

Non, aucun contact. Mon président est en relation directe avec Bernard Laporte et Serge Simon. Il y a de la prise d’informations, de la lutte d’influence. Quand Laurent Labit me dit "j’ai besoin de rendez-vous formels avec huit mecs et je dois en voir trois ou quatre de manière informelle", pas besoin de faire polytechnique pour comprendre que j’ai entre huit et douze joueurs susceptibles d’être appelés. Notre faculté à sortir des jeunes est notre fond de commerce. Mais c’est parfois double ou triple peine.

Il y a pourtant des indemnisations…

Les 200 000 euros de dépassement du Salary Cap ? Une mesure de la LNR, pas un cadeau de la FFR. J’ai huit joueurs sur la liste qui offrent un dépassement de 1,6 million. Si t’as pas l’argent, tu fais quoi ? On sait combien de personnes seront dans les tribunes ? On navigue à vue alors qu’on essaye de prévoir un minimum. Et on te pond, de façon radicale, que la seule concession qu’on est prêts à faire est un stage de trois jours en août. En gros, ça fait quatorze semaines d’absence pour les joueurs, plus les congés à donner. C’est insoluble.

Réclamez-vous des concessions du XV de France ?

Et de la cohérence. Les clubs font des sacrifices. Entre la ligne manquante en bas du Brennus et deux matchs loupés en Argentine, c’est quoi le plus marquant ? Moi, je sais. Il n’y a pas de champion cette année, pas sûr que chacun en mesure la portée. On t’explique trois mois plus tard que ce n’est pas très grave mais que les deux matchs en Argentine mettent en péril le Mondial 2023. J’ai du mal à me dire qu’on vit dans le même monde. Le pas a été fait par les présidents qui ont donné deux matchs de plus. Pour moi, ils étaient déjà de trop. Eux veulent absolument les trois… Préparent-ils tous au très haut niveau ? Parce qu’on a l’impression de l’extérieur que, pour leur nouvelle compétition, il y a le chapeau 1 d’un côté et le chapeau 2 de l’autre. On va affronter l’Italie, l’Écosse et les Fidji. C’est vraiment indispensable ? Raisonnablement, un mec qui joue quatre matchs pleins durant l’automne, n’est-ce pas le maximum ? Je le crois. On parle d’économie, de mrisque de ésaventure sportive mais on oublie un truc majeur : la santé.

Franck Azéma parlait, dans ces colonnes, de sélection naturelle pour évoquer cet enchaînement et les blessures qui vont en découler…

Il a raison. Sa sortie a le mérite d’être presque désintéressée car il n’a que deux joueurs sur la liste. Mais si, dans six mois, l’ASM caracole en tête car elle a été moins touchée, il y en aura cinq de plus. Franck le sait. Bref, les blessures seront le moyen de se régénérer pour les joueurs. Antoine Dupont, ce n’est pas compliqué. Trois ans de sélection et il ne revient pas d’une période internationale sans blessure : le genou, le dos, l’épaule. Parce qu’il s’expose, qu’il est visé et qu’il ne joue pas à moitié. En moyenne, tu perds la moitié de tes internationaux, pour des blessures plus ou moins graves, sur les périodes en sélection.

Les entraîneurs du Top 14 se sont rapprochés…

À l’initiative de Pierre Mignoni, Toto Travers ou Franck Azéma, on a créé un point visio par semaine durant le confinement. C’était sain, enrichissant. On livrait nos doutes. Malgré la rivalité, il y a eu un drapeau blanc levé. On a partagé, certains plus que d’autres. J’ai eu des discussions que je n’aurais pu avoir sans cet épisode. La solidarité n’est pas de façade. Quand tu discutes avec Nico Godignon à Pau, Jeremy Davidson à Brive ou Mauricio Reggiardo à Castres, moins impactés pour les internationaux, ils veulent affronter les gros sur les doublons, c’est normal mais comprennent nos difficultés.

Les rapports avec le staff du XV de France sont-ils fragilisés ?

Nos présidents sont partis pour un affrontement plus sérieux qu’à l’habitude. Ils ne veulent pas entendre parler des sept semaines de mise à disposition, des six matchs et des 42 joueurs. Dès que je connaîtrai les règles, je pourrai dire mon analyse de la situation. On comprend la logique de vouloir se préserver, on y est confrontés au quotidien. Sauf qu’on a beaucoup donné. Aujourd’hui, si tu n’es pas parti sur Mars pendant six mois, tu sais que tout le monde a été touché. On peut jouer des coudes, gonfler les pecs et dire "c’est comme ça, pas autrement". Ou "les clubs sont aussi dans la m... et ne connaissent pas l’issue en termes de sponsors et billetterie".

Êtes-vous inquiet avant de débuter la saison ?

La commencer, en se disant qu’on va jouer treize doublons et passer quatorze semaines sans nos internationaux, est un vrai casse-tête. On a volontairement souhaité réduire l’effectif professionnel et on se met en danger sur certains postes.

C’est provocateur, mais faut-il avoir des internationaux ?

Certains me disent : "T’as qu’à pas en recruter." Tu fais quoi quand ils sortent du centre de formation ? D’une année à l’autre, tout change. Si World Rugby décide demain d’une fenêtre de quatre ou six mois ? Le moindre international est chassé de partout. Au vu de notre modèle économique, le seul moyen de conserver notre noyau dur est de s’inscrire dans la durée. On a, avec Didier Lacroix et Jérôme Cazalbou, organisé le recrutement et la stabilisation du groupe jusqu’à 2023 ou 2024, avec la majorité de nos jeunes joueurs qui avaient entre 19 et 23 ans. Tout est remis en cause.

Pourquoi ?

Je prends l’exemple d’Antoine Dupont car il est facile. Comment expliquer qu’il a passé 51 minutes sur Canal + cette saison ? Il y a les blessures mais il a été exposé trois fois plus sur BeIN Sport et France TV, par le biais de la Coupe d’Europe et de l’équipe nationale. On a une belle génération, qui a déjà gagné, on veut la garder et la mettre à un niveau de rémunération qu’elle mérite. Mais ici, il est inférieur de 20 à 30 %, car les joueurs s’inscrivent dans une autre dynamique, un effectif de leur âge, et le temps de monnayer leur carrière viendra plus tard.

Ce modèle est-il en danger ?

Est-ce que ça vaut la peine ? Ne vaut-il pas mieux avoir les quatorze étrangers autorisés sur ma liste professionnelle pour faire une équipe bis non française sur les doublons s’ils représentent la moitié de la compétition ? En le disant, je n’y crois pas, ce n’est pas ma conviction profonde. Mais on peut vite prendre ce raccourci, puisque ce serait plus simple. Un jeune Français, qui fait un stage du lundi au jeudi, car il y a quatre blessés, sans apparaître sur une feuille de match, vaut 30 % de plus. Et il n’est même pas international. C’est la réalité du marché. On essaye de s’en protéger avec des grilles et des étapes à franchir chez nous. Mais, si un mec ne l’accepte pas, il part. C’est déjà arrivé.

Vous avez, comme la plupart des clubs de Top 14, baissé les salaires…

La politique du club fut de dire que chacun, à son niveau, devait faire un effort. Le staff s’est positionné sur des tranches plus importantes que les autres salariés. C’est normal. Mais le choix le plus marqué a été de ne pas recruter. Humainement, je n’aurais pas été à l’aise avec le fait de demander à l’ensemble de l’effectif de baisser les salaires pour prendre un mec à la première opportunité. On a perdu Arthur Bonneval sur blessure et on a décidé de ne pas prendre de joker.

D’autres clubs ont quand même recruté…

On a eu des opportunités, notamment avec le rugby argentin. Un polyvalent deuxième-troisième ligne ou un centre-ailier auraient été bienvenus. Mais il en était hors de question dès lors qu’on réclamait un effort conséquent au groupe. La seule chose qui nous fera recruter, ce sont d’autres blessures ou une période internationale trop longue.

2023 doit-il rassembler le rugby français ?

On y sera costauds. Pour en connaître la majorité, on a une génération pour faire quelque chose. Et après ? Le rugby ne s’arrêtera pas en 2023. Celui des clubs, que j’appelle identitaire, n’a jamais été aussi en danger. Je crois au culte de l’identité de l’équipe de France mais, ce qui fait notre particularité, c’est celle des clubs. Si on finit par avoir des joueurs trop identifiés "sélection nationale", on arrivera au même système de provinces qu’en Irlande, au pays de Galles ou en Nouvelle-Zélande.

C’est une autre culture…

La culture du club fait notre force. Prenez les stades où il y a des provinces. Chez les Gallois, il n’y a plus personne en tribunes. Ce n’est pas le niveau de jeu qui fait suivre le Top 14, mais l’identité des équipes. Toulon en a une, Clermont, Castres, Toulouse ou le Racing aussi. On cherche la confrontation de ces philosophies autour du jeu, de la formation, des hommes. Quand le RCT recrutait à tour de bras des mecs vieillissants pour réamorcer la pompe et remporter trois Coupes d’Europe… On a le droit de gagner ainsi ! Ce mélange est la richesse de notre rugby. Les provinces néo-zélandaises jouent toutes pareil parce que le cadre est donné par les Blacks.

Vous êtes justement très identifié en tant qu’entraîneur : d’idéaliste, vous êtes devenu précurseur depuis le titre de 2019…

Je ne fais pas attention à l’image. Mais quand je vois comment certains la font évoluer, ça mériterait de s’y pencher (rires). J’ai été éduqué au rugby d’une certaine manière, qui ne m’empêche pas de penser qu’on peut gagner différemment. On m’a souvent opposé aux autres, par le biais du rugby utopiste, du mouvement, de la capacité à déplacer les hommes, le ballon, à jouer debout, etc. Je ne suis pas le seul à penser ça, et quelques-uns se sont même convertis à ce jeu.

Je ne ferai plus l’erreur commise plus jeune. J’ai évolué à Toulouse et à Dax, où je collais à l’état d’esprit, puis j’ai signé à Castres où je n’ai jamais collé.

Parce qu’il gagne ?

Ce sont parfois les mêmes qui, en 2019, avaient le toupet de dire qu’on ne peut pas gagner en jouant. Si, on peut ! On le peut de plusieurs manières. Juste, je suis capable de porter un projet autour d’un rugby en adaptation, en prise d’initiatives et en vitesse. Celui plus âpre, où tu fais déjouer l’adversaire, en étant plus costaud, est aussi respectable mais je ne peux pas le porter. Notre envie est d’amener un groupe à pratiquer un rugby qui colle avec notre inconscient culturel et l’environnement.

On en revient à l’identité…

C’est essentiel. On ne gagne pas à Toulon ou Castres comme à Toulouse. C’est le sens de nos rivalités. Je sais que le combat est primordial dans ce sport, qu’on ne fait rien sans conquête et sans défense. Mais c’est un état d’esprit. Quand Thomas Ramos, qui fait 50 % au pied et pas une bonne demi-finale de Top 14, joue vite la première pénalité en finale à 5 mètres face aux poteaux, 90 % des gens disent : "Il est complètement jojo". Moi, j’ai dit à William Servat : "Il a des c… en plomb le gosse." Il est allé au bout de son truc et ne s’est pas renié. On n’a pas marqué et cette pénalité devait le rassurer. Mais ça ne l’a pas empêché de mettre la suivante.

C’est l’idée du désordre, qui vous est si chère…

Il y a des mecs qui préparent tout, qui foutent des paper-boards, des diapos, du stabylo partout. Et il y a ce qui transpire. Je crois en ça, en ce qui se vit. je ne crois pas à l’artificiel, aux stages commando ou de cohésion. Car ça me faisait ch... quand je jouais. Je voulais être sur le terrain. À Toulouse, on y passe du temps. Ce n’est pas le physique qui me gêne le plus dans les six mois d’arrêt. C’est que le ballon n’était plus entre les mains des mecs, et on n’en a jamais autant fait tomber qu’en ce moment. N’empêche, quand je vois Clermont, je me dis qu’on devrait être capable d’avoir un peu plus d’ordre dans notre jeu. Quand je vois Toulon occuper et mettre sous pression, on doit s’en rapprocher parfois. Mais quelle part entre ordre et chaos ?

Trouverez-vous un jour la réponse ?

Il est certain qu’on travaille plus le désordre. C’est déstabilisant pour les joueurs qui se rassurent par la faculté à être organisé. Mais à haut niveau, c’est 60 % de jeu déstructuré et 40 % de structuré. On veut aller plus loin, être capable de provoquer ce jeu. On est tombés sur des équipes hyperorganisées qui ne donnent rien à manger comme le Leinster. Notre question est : comment arriver à mettre un peu de désordre chez eux ?

Vous ne pourriez donc pas ou plus entraîner partout ?

Mon parcours d’entraîneur, ce fut le compagnonnage (rires). Il y a les opportunités de la vie… J’ai beaucoup appris à Brive, ou à Albi en un an. Pourrais-je partir n’importe où aujourd’hui ? Des rugbys m’attirent, comme les deux Paris sur leurs terrains synthétiques, où tu vas pratiquer un jeu ultrarapide une majorité de la saison. Mais je ne ferai plus l’erreur commise plus jeune. Il y a des endroits où tu ne colles pas. C’est l’histoire de ma carrière de joueur. J’ai évolué à Toulouse et à Dax, où je collais à l’état d’esprit, puis j’ai signé à Castres où je n’ai jamais collé. Je n’en veux pas au club ou aux gens, mais je ne correspondais pas à l’identité. On pouvait mettre un essai de cent mètres, ça n’avait pas le même effet qu’un brave ballon porté ou un pressing défensif tout terrain. Tu as plus de chances de réussir dans certains endroits que d’autres.

À Toulouse pour vous ?

J’y suis arrivé gamin et, quand je suis parti, je n’ai pas mesuré la conséquence. Des propositions, on peut en avoir mais je suis là où je voulais être. Comme les joueurs, je sais que ce n’est peut-être pas le meilleur environnement financièrement mais je m’en fous. On prend du plaisir à vivre dans ce club, ça vaut des gros contrats ailleurs.

Même quand on lit qu’un milliardaire veut vous faire un pont d’or à Paris ?

(Sourires) Quand tu as gagné, il suffit d’un club riche pour qu’on te dise : "Ils ont dû t’appeler". Des fois, oui. D’autres, c’est pour sonder et connaître ton état d’esprit. Mais, dans mes rêves les plus fous, je ne pouvais imaginer mieux que gagner avec Toulouse.

Étiez-vous persuadé que cette génération allait gagner ?

Je me souviens avoir fait une interview avec Pascal Dupraz (ex-entraîneur de football à Toulouse, N.D.L.R.) en 2017, après notre saison très difficile. Ce n’était pas simple de claironner, je n’étais pas la personne la plus appréciée de Toulouse. Je lui avais dit : "Sous deux ans, on fera un dernier carré et on gagnera quelque chose." Je revois la tête du journaliste à côté. Je n’étais pas devin mais j’y croyais viscéralement, comme je crois que cette génération a encore une grosse marge de progression.

En 2019, c’est Christophe Urios qui avait dit qu’on ne peut pas être champion en jouant. Votre opposition assumée vous fait-elle avancer ?

J’ai l’impression que Christophe a besoin de se chercher des ennemis et le fait très bien. Ses compétences sont remarquables, je suis très admiratif du professionnel. En ce qui concerne l’homme, je le garde pour moi. Mais ça fait partie du jeu. Cette rivalité a du sens. Pour Bordeaux, son président et Christophe, quel plus beau ennemi que le Stade toulousain ? De là à dire que ça nous fait avancer… Je n’y crois pas. Notre milieu a mis en tête de gondole les entraîneurs, qui cultivent leurs images et un business autour. Il y a un marché derrière. Mais je ne suis pas trop là-dedans.

Le compte Twitter ou Instagram de Mola n’est donc pas pour demain ?

Ce n’est pas ma génération, pas mon truc. J’ai assez de choses à penser sans organiser mon image. Ma faiblesse est d’avoir du mal à faire plusieurs choses à la fois. Je me concentre sur une et je ne vais pas mener deux cents guerres. La plus importante aujourd’hui, c’est la survie des clubs de Top 14, donc du Stade toulousain.

À ce point ?

On ne se rend pas compte de la difficulté qui sera la nôtre si on dévalorise le Top 14, avec ses défauts et un jeu qui fait parfois plus flop que top. On est en train de se tirer une balle dans le pied, de creuser notre propre tombe. On doit être en mesure de réagir, pour avoir un championnat de haut niveau.

Par quoi passe-t-il ?

Malheureusement, il ne prépare pas toujours aux joutes internationales. C’est un débat autour de l’arbitrage, des conditions de jeu, des temps de jeu effectifs. À Toulouse, on sait que, si on dépasse 32 minutes de temps de jeu, on a quatre chances sur cinq de gagner. En dessous, on a une chance sur deux de perdre. On ne peut plus avoir des matchs de 28 minutes de temps de jeu. Le rugby de haut niveau doit nous amener vers d’autres standards. Penser au rugby d’hier, c’est se tuer. Il y a eu des problèmes de commotions graves et une adaptation de la règle fréquente. On va tendre vers un rugby plus spectaculaire et, j’espère, moins dangereux. Il faut se demander comment on va jouer demain. Ce sont de vraies discussions qu’on n’a pas en France.

Et qui existent ailleurs ?

Le corporatisme des entraîneurs néo-zélandais est incroyable. Ils ont créé le réseau le plus performant au monde. Sur nos réflexions, on est toujours à courir derrière, à imiter. La préparation du XV de France fut un temps les Watt Bike, quatre ans après les autres. Le rôle du sélectionneur et du manager du XV de France est primordial. Je leur accorde beaucoup de crédit car on a commencé ces discussions : "Les standards internationaux, c’est ça." À nous d’y amener les mecs. On peut le faire, même avec des équipes aux caractéristiques différentes. Sur vingt-six matchs de Top 14, tu devrais en avoir vingt de haut niveau. Aujourd’hui, on en a un tiers. On est quatorze sur la ligne de départ à se mettre sur la gueule, un seul gagne à la fin. Malgré cette structure concurrentielle, on doit tous aller vers la haute performance. Je ne dis pas un rugby ambitieux, sinon on va me répondre : "Ce con vit dans un autre monde."

Est-il là l’intérêt commun avec le XV de France ?

Oui. Je veux garder l’identité de Toulouse, me confronter à ce qui se fait de mieux ailleurs. Pour le XV de France, tout est ouvert, dès l’instant qu’on connaît les règles.

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