Roman d'un club - Albi : les années Béchu

  • éric Béchu fut la figuretotémique du Sporting Club Albigeois durant les années 2000. Très proche de ses joueurs dont il savait tirerla meilleure implication,il imprima un style sansfioriture au jeu de son équipe mais terriblement efficace face à ses adversaires jusqu’aux meilleuresformations de l’élite du rugby français.Il croisa ainsi son amiFabien Galthié qu’il rejointà Montpellier.Photos archives Midi Olympique
    éric Béchu fut la figuretotémique du Sporting Club Albigeois durant les années 2000. Très proche de ses joueurs dont il savait tirerla meilleure implication,il imprima un style sansfioriture au jeu de son équipe mais terriblement efficace face à ses adversaires jusqu’aux meilleuresformations de l’élite du rugby français.Il croisa ainsi son amiFabien Galthié qu’il rejointà Montpellier.Photos archives Midi Olympique
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Albi connut un extraordinaire âge d’or dans les années 2000. Une odyssée qui s’articulait autour d’un entraîneur spécial : Eric Béchu. Un homme que ses joueurs surnommaient l’ours. Sans son charisme parfois rude, rien ne serait arrivé. Rarement, un coach aura aussi bien façonné un club avec si peu de moyens.

S’il y eut bien dans le rugby professionnel des années 2000, une odyssée homérique, avec son Ulysse haut en couleur, c’est celle du Sporting Club Albigeois. Voilà un club qui, sans moyens particuliers, sans passé particulièrement riche, réussit à se hisser dans une élite resserrée pour y signer de beaux exploits, s’en faire virer sur tapis vert, et le retrouver à la force du poignet. Tout ça, en envoyant au passage, un joueur en équipe de France. Albi fut le chantre d’un certain style, pas le plus moderne, pas le plus spectaculaire, pas le plus rapide, ni le plus aérien. Mais un style qui a laissé son empreinte dans les mémoires. On a aimé cet Albi-là parce qu’il incarnait un rugby humain, donc imparfait. Avec le recul du temps, dans un sport où tout le monde se ressemble de plus en plus, on se demande si l’essentiel n’était pas là. Quand on n’a pas le budget des grosses écuries, à quoi bon les singer finalement ? Autant faire son bout de chemin en jouant de sa différence. Entre 1999 et 2010, Albi a conquis les cœurs des amateurs d’un certain rugby, il en a irrité quelques autres aussi. Derrière cette aventure presque anachronique, officiait un marionnettiste assez extraordinaire, Eric Béchu, technicien décédé prématurément en 2013, à 53 ans. Il a passé onze saisons chez les Jaune et Noir et, dix ans après son départ, son nom est encore sur toutes les lèvres dans la préfecture du Tarn.

Les années Béchu
Les années Béchu

Il n’en était pas originaire pourtant. C’était un Toulousain, formé au TOAC, ancien numéro 8 de Colomiers dans les années 80 (avant l’âge d’or du club), puis de Saint-Gaudens. Pas un très grand nom à la base, avant que son destin ne bascule en 1999, alors qu’il avait déjà 39 ans. Il entraînait alors Saint-Girons, sans le savoir il était dans le viseur d’une poignée de notables albigeois, dont Louis Barret, contrôleur principal des finances. Un fou de rugby, président frustré du SCA. "J’en avais marre de me traîner en Fédérale 1. Je trouvais anormal qu’une ville comme Albi n’abrite pas un club évoluant au moins en Pro D2. Jusqu’ici, nous avions fait confiance à des entraîneurs locaux, nous avons eu envie d’aller chercher quelqu’un à l’extérieur, mais un homme à la mesure de notre ambition." Albi était quand même la troisième ville de Midi-Pyrénées. Louis Barret était Narbonnais d’origine, ce que sa ville d’enfance avait vécu, il voulait le retrouver dans sa ville d’adoption. Il avait réuni son petit cénacle de dirigeants pour trouver l’oiseau rare : Jean-Claude Moulinier, Jean-Pierre Fournier, Pierre Chamayou, Jean-Pierre Jalibert ; plus un partenaire appelé à prendre de l’influence, Jo Mir.

"Nous avions affronté Eric Béchu avec Saint-Girons et nous avions compris que c’était un personnage spécial, avec un vrai impact sur un collectif." L’histoire retiendra que c’est Jean-Claude Moulinier qui donna le coup de fil décisif, celui qui fit venir physiquement Eric Béchu à Albi, d’abord au Café du Théâtre, là où tout s’est décidé. "Nous n’avions pas encore de siège. Nous avons rencontré un homme intelligent pragmatique. Il voulait savoir ce qu’on attendait, c’est normal. Il nous a dit oui, plus tard il m’a dit que dans les jours qui ont suivi, il l’avait regretté. Après, bien sûr, il a changé d’avis."

C’est ce qui rend l’aventure Béchu encore plus impressionnante car on veut bien concéder que le SCA de l’époque n’était peut-être pas le club le plus sexy à relancer. Il fallait le façonner de A à Z. Il sut transformer la perle architecturale en tanière d’un ours, inhospitalière aux visiteurs…

Les mémoires les plus aiguës se souviennent que son périple commença par trois finales de Fédérale perdues : en 2000 contre Oloron (c’était en fait une division nationale qui ne faisait monter personne), 2001 contre Tours (une accession), et 2002 contre le LOU (deux accessions). Il fallut donc attendre la troisième tentative pour que le club découvre enfin le Pro D2 tant désiré. Louis Barret poursuit : "Je voyais travailler Eric, je le laissais faire, je le voyais faire progresser les joueurs et je savais qu’il pouvait nous amener très loin. Si vous aviez entendu ses motivations d’avant-match, vous seriez sortis des vestiaires surexcités, prêts à surgir sur la pelouse. En 2002, quand nous avons été reçus à la mairie, j’ai dit au maire, Philippe Bonnecarrère, qu’il nous retrouverait bientôt pour célébrer l’accession en Top 14." En 2002, le pari semblait totalement illusoire. En 2006, le maire se retrouva en face de Louis Barret : "Vous étiez le seul assez fou pour y croire." Albi venait de battre Dax en barrage d’accession pour retrouver l’élite après dix-neuf ans d’absence.

Si je retiens quelque chose de lui, c’est la façon dont il a su nous transmettre son ambition

L’aréopage des dirigeants albigeois avait vite pris conscience du spécimen qu’ils avaient engagé. Éric Béchu prenait de la place et savait se faire entendre, des arbitres des journalistes, de ses joueurs évidemment, jusqu’à jouer le rapport de force, même à l’intérieur de son groupe. Jamais le concept de la "bonne personne à la bonne place" n’a pris autant tout son sens. Dans un club qui attendait un homme providentiel, presque un messie, il ne pouvait pas mieux tomber.

Avec Béchu, une saison de rugby ne fut jamais un long fleuve tranquille. Il fallait sans doute ça pour sortir Albi de sa torpeur et lui forger un style à l’opposé de l’image de ce que la cité dégage. Si son centre historique respire la douceur de vivre, le jeu qui s’y pratiqua durant cette période dorée fut souvent celui d’un combat sans concession, assaisonné de vinaigre et de poivre.

Un caractère de cochon comme une donnée de base

Le caractère de cochon de Béchu s’imposa vite comme une donnée de base. Ses gueulantes partaient comme des coups de canon et les plumitifs qui se présentaient carnet à la main se retrouvaient souvent en première ligne : "Tu le diras ce qui s’est passé", hurla-t-il un jour (à Béziers) à l’endroit d’un confrère de la PQR qui suivait son équipe, comme si le reporter avait lui-même commis les erreurs d’arbitrage qui lui hérissaient le poil. "Toi, tu dois être un supporteur d’Albi. Tu dois nous soutenir !" tonna-t-il ensuite vis-à-vis d’un autre journaliste tarnais dont il trouvait les écrits trop tièdes. Un troisième, un peu impressionné, eut le malheur de faire un lapsus et de confondre son prénom avec celui de son adjoint : "Tu connais bien Albi, toi ! Va plutôt voir Toulon", asséna-t-il en montrant le vestiaire visiteur. Quelque temps plus tard, on fut touché par une de ses confessions dans nos colonnes : "Cela fait partie de mon personnage mais il ne faut pas croire que je sois un abruti. Les soirs de colère, je ne suis pas fier de moi. Mais je ne peux pas dire que je ne recommencerai pas si je croise l’injustice. Au fond, mes colères, elles ne salissent que moi."

Les années Béchu
Les années Béchu

Éric Béchu fut un entraîneur "total", pas au sens du rugby total en tant que forme de jeu (à la Deleplace). Mais au sens où sa personnalité infusait toutes les facettes de son club.

Jeu de fantassins assumé

Albi assumait son rugby de fantassins : "Il avait ses convictions, il cultivait le collectif. Il avait le sens aigu de l’analyse", résume pudiquement Louis Barret. Sur le terrain, ça se traduisait par un jeu assez monolithique, beaucoup de ballons portés et de phases resserrées, sans cadeaux pour un adversaire qui aurait traîné dans le camp adverse. On imagine des phases répétées au millimètre près en semaine, à l’opposé des grands principes de jeu cultivés par les équipes plus flamboyantes et les techniciens plus "grand public".

La vie quotidienne de ce SC Albi semblait placée sous le signe du labeur et de la souffrance ; destin d’un effectif qui avait finalement peu de marge de manœuvre, peu de talents éclatants en réserve.

Car le SC Albi de ces années 2000 ne capitalisa jamais sur un recrutement tapageur. "Nous sommes montés avec un effectif composé de joueurs que personne ne voulait," poursuit le président. C’est un peu sévère, c’est une image, mais il est exact que les Franck Maréchal, Yohann Misse, Vincent Clément par exemple étaient plutôt en stand by quand Béchu les contacta. Le deuxième ligne emblématique Arnaud Méla, jouait quant à lui à Tours en Fédérale 1*. Il reste la plus belle réussite de cette aventure, puisqu’il se retrouva en équipe de France durant le Tournoi 2008. Aucun Albigeois n’avait connu semblable honneur depuis Bernard Mommejat en 1963. Mais pour certains, son plus beau joyau s’appelait Philippe Guicherd deuxième ligne de devoir, justicier patenté sur les points de rencontre, sans peur et presque sans reproche.

Cet équipage conscient de ses limites réussit à finir dixième club français en 2007 avec une double victoire face au voisin castrais, nettement plus fortuné. Et des succès face à Agen, Perpignan et un match nul 13-13 face à Toulouse qui fit enrager Guy Novès, mécontent de certains coups de vice.

Ça nous parait désormais si loin… On se demande si de nos jours, un club pourrait jouer comme ça, sans concession pour l’esthétisme. "Éric Béchu, c’était un magicien. Dans ma nouvelle vie de chef d’entreprise, je m’inspire de son management", explique Yogane Correa, un autre de ses "fils spirituels". Il savait appuyer sur les bons boutons, et allier des joueurs complémentaires. Je me souviens qu’il a compris très vite qu’on pouvait viser plus haut que le Pro D2. Mais on l’appelait l’ours car il pouvait être très dur avec nous, et ensuite devenir une vraie pâte. Si je retiens quelque chose de lui, c’est la façon dont il a su nous transmettre son ambition et l’idée que le rugby ça demandait d’abord, excusez-moi du terme : une bonne paire de c... Il voulait des avants très lourds on disait en plaisantant qu’à moins de cent kilos tu ne pouvais pas jouer dans son pack."

Cet Albi des années 2000 savait parfaitement ce qu’il faisait. Les jours de match, Eric Béchu pouvait parler aux arbitres sans aménité, il y récolta quarante jours de suspension en 2009. Mais en semaine, il savait aussi les consulter pour peaufiner ses stratégies. "Il savait jouer avec les règles. Nous avions expérimenté les "mauls fantômes". On savait se sortir au bon moment pour faire pénaliser l’adversaire", continue Yogane Correa. "Je pense qu’Eric a inventé le pick and go. Je me souviens très bien du moment où il a expliqué qu’à cinq minutes de la fin quand on menait, il ne fallait que conserver le ballon. Parce que tant qu’on l’avait, l’adversaire ne pouvait pas nous mettre en danger. Évidemment, que ce n’est pas du beau jeu. C’est l’éternel débat. Mais le beau jeu, nous n’avions pas les éléments pour le pratiquer."

Les années Béchu
Les années Béchu

Cet Albi-là fut évidemment obligé de se décarcasser pour financer son aventure. "On me disait qu’on aurait jamais les moyens de monter. On me disait que comme j’étais fonctionnaire, je n’avais pas le sens des réalités économiques. Je répondais qu’avec les résultats et les victoires, il y aurait un effet cascade et qu’on trouverait des financements." La prophétie de Louis Barret s’est réalisée jusqu’à la limite des 9 millions, le budget de la montée mais en 2008, le SCA commença à tirer la langue sur le plan financier. "Nous avons été relégués car il nous manquait 300 000 euros alors que sportivement, nous nous étions maintenus."

Selon Yogane Correa, c’est à ce moment-là que le savoir-faire d’Eric Béchu fit vraiment merveille. Le vaisseau tanguait, le club avait changé de président, Bernard Archilla avait remplacé Louis Barret. "Méla et Guicherd, deux hommes de base, sont partis à ce moment-là. Jamais une équipe reléguée n’était remontée dans la foulée. On n’avait recruté personne, on faisait monter des espoirs. J’ai dit à Vincent Clément, oh la, là, on va se faire fracasser. Nous étions tous les deux inquiets. Alors, il nous a convoqués dans son bureau pour nous dire. J’ai l’impression que vous doutez. Ceux qui doutent peuvent s’en aller tout de suite. Moi je vous dis qu’on va remonter... Faite moi confiance !" Pari tenu en juin 2009 après une ultime victoire au forceps face à Oyonnax. Dernier tour de magie de l’ours. Il quitterait Albi la saison suivante pour rejoindre son pote Fabien Galthié à Montpellier et vivre une finale de Top 14. Puis son mal se déclara.

Louis Barret croit qu’il pensait déjà au XV de France. À Albi, vous ne pouvez pas vous imaginer combien les gens parlent encore de lui. Vers la fin 2012, il est revenu discrètement régler ses affaires chez un notaire de la ville. Puis, accompagné d’un ami qui le conduisait, il fit une dernière visite au Stadium municipal, un dernier tour de terrain, les adieux d’un tragédien à la scène qui l’avait consacré. Il pensait qu’en réussissant à Albi il avait réussi le plus dur.

*Le pilier Pierre Correia fut aussi international lors de la tournée 2008 en Australie. Mais à cause d’un doublon, les joueurs des grands clubs étaient absents. Et le joueur venait de signer au Stade français.

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