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Petit Poucet, grands exploits - Graulhet 1986 et 1987, quel beau chant du cygne

  • en 1986 , Henri Sanz, Gérard Durand, Didier Gontier, Eric Montels et Gilbert Spanghero. en 1986 , Henri Sanz, Gérard Durand, Didier Gontier, Eric Montels et Gilbert Spanghero.
    en 1986 , Henri Sanz, Gérard Durand, Didier Gontier, Eric Montels et Gilbert Spanghero. Gérard Durand
Publié le Mis à jour
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Une demie en 1986, un quart en 1987. Graulhet tenait encore le haut du pavé dans les années 80 avec les Laporte, Revallier, Sanz et ... Moscato. Mais en arrière-plan, l’industrie qui le soutenait commençait à décliner. Sans s’en rendre compte on assistait à la fin d’une époque.

« Il va remplacer son père », alerta Francis Deltéral consultant. En direct sur Canal +, on vit alors cette scène extraordinaire, Jean-Philippe Revallier, 19 ans, qui entre en deuxième ligne à la place de Daniel son père, 38 ans, artisan en son temps du Grand Chelem 1981. Ce passage de témoin entre générations n’eut pas pour théâtre un match amical d’avant saison, mais bien un quart de finale du championnat entre Graulhet et le Stade Toulousain en 1987. Un père et son fils qui jouent de concert au plus haut niveau, la scène ne s’est jamais reproduite, et à notre connaissance, elle n’avait jamais eu lieu auparavant mais les supporteurs graulhétois y étaient presque habitués, ils les avaient déjà vus jouer une dizaine de fois ensemble. La scène nous semblait presque trop belle pour être vraie, comme l’apogée d’un certain rugby, ou plutôt, d’un certain championnat. Avec quarante clubs dans l’élite, les petites cités étaient encore reines et Graulhet, 13 000 habitants, tenait parfaitement son rang. Canal + avait su mettre en valeur ce duel du pot de terre contre le pot de fer. À la pause, le discours du capitaine à ses troupes avait été retransmis en gros plan : « Les gars, c’est pas perdu ! », tout comme le « câlin » viril dans les vestiaires de Revallier père à son fiston.

Moscato, 19 ans et une tignasse prolixe

Ce quart de finale fut finalement perdu 20 à 9, sur une interception assassine de l’ailier toulousain Jean-Michel Rancoule. Mais Graulhet n’avait pas démérité : « On sentait qu’on pouvait faire quelque chose. Nous n’étions pas largués au score et on pilonnait, on pilonnait depuis dix minutes avant ce coup de poignard. On était bien en mêlée, et avec Vincent on leur avait même marché dessus deux ou trois fois. On ne sentait pas les Toulousains comme d’habitude », celui qui s’exprime, c’est Gérard Durand, pilier droit et recordman des matchs sous le maillot du SCG : « 260 apparitions, donc cinq comme talonneur mais je n’étais pas souple. Je me faisais piquer les ballons, alors on relevait les mêlées illico. » Le Vincent dont il parle, c’est… Vincent Moscato talonneur de 19 ans, venu en voisin de Gaillac via Albi. Il arborait alors une tignasse prolixe, style voyou de Starmania : « Quand on arrive en ville ! » : « Il est arrivé précédé d’une réputation sulfureuse, un vrai bad boy. Je construisais une maison et je l’avais embauché, je lui offrais quatre ou cinq repas chauds par semaine », se souvient son pilier droit.

Ce quart de finale 1987 a laissé des regrets, même s’il ne fut pas littéralement le sommet du Sporting des années 80. L’année précédente en 1986, le club avait rallié les demi-finales déjà face au Stade Toulousain. Mais la défaite avait été plus nette même si finalement le score n’avait pas été plus sévère, 21-12. « Nous avions été secoués, rien à dire. En plus on avait perdu Didier Gontier et Gilbert Spanghero sur blessure. À Graulhet, les gens vous parleront plutôt du quart de finale, 15-12 face à Clermont à Aurillac, avec un gros engouement avec un train spécial de supporteurs. Aujourd’hui encore on me parle de cette micheline. »

Les « Ultras » de Graulhet n’avaient pas été déçus du voyage. Midi Olympique avait titré : « Le rugby du fond des tripes. » Guy Laporte avait passé la pénalité décisive. Et en plus, c’était le Sporting qui avait marqué le seul essai par le regretté Geoffrey Abadie (futur champion de France avec le Racing et le Stade français) sur passe au pied de Marcel Salsé. De cet après-midi de vérité, on a retenu l’entame salée de Pierre Verdet envoyé spécial du journal, expliquant qu’il manquait un chromosome à Clermont pour se sortir de son train-train mais que les Graulhétois, eux n’avaient pas besoin d’aller chez le docteur. Daniel Revallier avait, paraît-il, livré un travail d’hercule, à 37 ans. Le chroniqueur complétait son podium avec le demi de mêlée Henri Sanz (on y reviendra) et le troisième ligne Eric Montels, héros d’un interminable épisode de 110 minutes conclu par des larmes de joie, surtout celles de Francis Bellot, le coach, porté en triomphe par ses hommes. Il formait un tandem avec Henri Auriol. Le premier s’occupait plutôt de l’humain, le second était un technicien plus pointu. On se souvient d’une conversation au début des années 90 avec Bellot, qui évoquait les accusations d’«archaïsme » qu’ont lui lançait, sans vraiment s’en défendre.

Guy Laporte s’apprête à buter sous l’œil de Gérard Durand lors du quart de finale  de 1987 face à Toulouse.
Guy Laporte s’apprête à buter sous l’œil de Gérard Durand lors du quart de finale de 1987 face à Toulouse. Gérard Durand

Pas d’exigence de style

À reparler des combats du passé, on avoue un faible pour le huitième aller-retour face à Narbonne, toujours en 1986, victoire 15-12 à l’aller, défaite 9-10 au retour, amateurs de duels serrés, bonsoir ! À la surprise générale, la météo s’était soudain alliée aux Graulhétois car au retour une averse avait frappé le stade de Narbonne et les Audois de Codorniou, jugés supérieurs, avaient été réduits à la portion congrue offensive. Le labeur graulhétois avait été récompensé au prix d’un suspense insoutenable. Guy Laporte qui semblait si flegmatique vu de loin avait interpellé l’arbitre : « Siffle la fin ! Siffle. Ou tu vas me faire péter un infarctus. » Guy Laporte était alors le Graulhétois le plus connu. Pour le grand public, Graulhet, c’était lui car il avait été le grand artilleur du Grand Chelem de 1981, avec comme spécialité les drops lointains qui claquaient impeccablement. Il avait 33 et 34 ans en 86 et 87, mais Fouroux le jugerait encore digne de faire la première Coupe du monde. Avec son port altier, il avait du style et il avait la réputation à Graulhet de donner le meilleur de lui-même dans les matchs décisifs. Vu de loin, on le cataloguait parfois comme un « demi de fermeture », un mauvais cliché car il avait montré chez les Bleus qu’il savait attaquer (voir l’essai à 23 passes du France-Irlande de 1986), mais sous le maillot rouge et noir, sans talents d’exceptions à ses côtés, il savait s’en tenir à certaines consignes.

Guy Laporte lance l’attaque graulhétoise lors du quart de finale de championnat perdu en 1987 face à Toulouse sous le regard de Gérard Durand et Daniel Revallier.
Guy Laporte lance l’attaque graulhétoise lors du quart de finale de championnat perdu en 1987 face à Toulouse sous le regard de Gérard Durand et Daniel Revallier. Gérard Durand

Gérard Durand reprend : « Il faut bien le dire, on n’avait pas spécialement de style, on n’était pas Mont-de-Marsan, Agen, Toulouse ou Lourdes. Contre Clermont en 86 par exemple, on avait su se montrer efficaces à défaut d’être spectaculaires. Je ne vais pas vous dire qu’on jouait toujours très bien, mais notre demi d’ouverture Guy Laporte savait taper de bonnes chandelles. Au bout de la troisième, il y avait toujours une faute de l’arrière ou de l’ailier, où on arrivait à le croquer et derrière on partait en dribbling. » Gérard Durand est peut-être un peu trop modeste, même si c’est vrai, le Sporting ne pratiquait pas le rugby fandango. « À Graulhet, on était besogneux, on le savait. Quand il venait nous parler, Marcel Batigne nous rappelait à nos devoirs vis-à-vis de ceux qui venaient nous voir jouer, un public d’ouvriers évidemment. Ils voulaient nous voir gagner, c’est tout, peu importe la manière. Mais ils savaient fêter nos victoires. » Le SC Graulhet jouait avec environ cinquante pour cent de produits vraiment locaux complétés par des talents venus des alentours. Guy Laporte venait de Rieumes (Haute-Garonne) et Henri Sanz du TOEC. Henri Sanz, c’est un nom qui ne dit plus grand-chose aux plus jeunes générations… Il s’agissait d’un demi de mêlée au profil de neuvième avant qui serait plus tard sélectionné à onze reprises chez les Bleus dont une fois comme capitaine. Pour les joueurs graulhétois, c’était un phénomène : « Franchement, on s’arrêtait presque pour le regarder jouer reprend Gérard Durand. J’ai rarement vu une telle présence physique à son poste. Il pouvait plaquer trois fois dans la même action, il avait une capacité terrible à franchir les défenses. Il est parti à Narbonne après le quart de 1987, mais je reste persuadé qu’il n’a pas fait la carrière qu’il aurait dû faire. »

En vingt ans, le statut avait changé

Mais ces années dorées 86-87 ressemblaient à un chant du cygne et pour le club et pour la ville. La prospérité de l’un allait de pair avec celle de l’autre on s’en doute. Dans notre esprit, Graulhet, c’était d’abord un dirigeant hors norme, Marcel Batigne, très proche de Ferrasse, président pendant deux ans de la FFR. Une vraie statue du commandeur. Mais à cette époque, il n’était plus vraiment aux affaires à Graulhet, il était à la FFR et à la FIRA. « Nous ne le voyions que quand les circonstances l’exigeaient, en général c’est quand elles étaient mauvaises. Il venait nous rappeler à nos devoirs. Quand il parlait, personne ne mouftait. » Il faut bien comprendre que ce Graulhet des années 80, était vu comme le successeur du premier grand Graulhet celui des années 50-60, trois fois demi-finaliste, les années Zizi Vidal, Francis Rouzières, André Larrue, Alain et André Abadie. Comble de cruauté, en 57, les Tarnais avaient été privés de la finale au bénéfice de l’âge face au Racing. Dans les années 60, le SCG de Batigne était alors le club le plus puissant de Midi-Pyrénées, un club riche d’une économie, celle des mégissiers, florissante. Bien plus puissant alors que le Stade Toulousain ou le Castres Olympique. Mais vingt ans après, le rapport de force s’était inversé, Graulhet faisait désormais partie des petits.

Le président des années 80, c’était Roger Bousquet. Comme Batigne, il était mégissier, c’est-à-dire qu’il travaillait le cuir, une matière première dont Graulhet s’enorgueillissait d’être la capitale mondiale. « Il y a eu jusqu’à 120 mégisseries à Graulhet, pas une à moins de cent employés. Celle de Bousquet employait 300 personnes. Tous ces mégissiers étaient garants de l’avenir du club. Mais en 86 et 87 on sentait bien que tout déclinait. Entre le début et la fin des années 80, l’activité avait bien baissé des deux tiers. » Gérard Durand connaît son Graulhet sur le bout des doigts. « Nous récupérions la matière première, c’est-à-dire les peaux. À l’époque, les pays producteurs comme l’Inde ne maîtrisaient pas le savoir-faire du tannage. Nous si. À l’origine, cette industrie s’est implantée chez nous grâce à la qualité des eaux du Dadou, un cours d’eau qui a reçu, c’est vrai, beaucoup d’effluents. On disait que tant que le Dadou sentirait mauvais, tout le monde aurait du travail. » Le SC Graulhet fut l’un des derniers petits bastions à fréquenter le dernier carré du championnat. Il avait trouvé son équilibre entre formation et recrutement raisonné. « J’ai connu en 1970 la création de l’école de rugby, une génération a émergé, elle a fait la finale Reichel en 1977 perdue face à Bègles, puis elle a constitué l’épine dorsale de l’équipe des années 80, » poursuit Gérard Durand.

Puis un jour, les pays du tiers-monde ont acquis le savoir-faire des Graulhétois, ils ont donc franchi un cran dans le processus industriel. Et la cité du Tarn a perdu son avantage. Le marteau de cordonnier a disparu du logo du club (c’est Batigne qui l’y avait mis), il subsiste sur celui de la ville, comme symbole d’une prospérité déchue. Graulhet a résisté vaillamment, fort de son poids historique et de ses réseaux. Pendant quelques années, les jeunes espoirs de la région viendraient se frotter aux joutes de l’élite avec la certitude d’avoir du temps de jeu. Ce fut encore le cas d’un certain… Fabien Pelous, entre 1991 et 1995 ou encore de Yannick Jauzion entre 1995 et 2000. « Graulhet restait une planche d’appel, » enchaîne Durand alors au crépuscule de sa carrière d’avant de devoir. En 1990-1991, le Sporting manqua le coche dans un championnat à 80 clubs (celui qui sacrerait Vincent Moscato passé sous les couleurs de Bègles-Bordeaux). Après une première phase loupée dans une poule de cinq. Il fut exclu du groupe A : « On était tellement vexés qu’on a été champions du Groupe B face à Rumilly. » Pour quelque temps encore, Graulhet semblait maîtriser son destin.

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