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On ne devrait jamais quitter Montauban

  • Les Montalbanais emmenés par Yannick Caballero (en haut à gauche) ont livré pendant quatre ans dans leur cuvette de Sapiac des combats sans merci face aux tenors du Top 14, comme le Clermont de Thomas Domingo. Des succès qui permirent finalement au MTG XV d’atteindre l’apogée de sa progression en disputant la grande Coupe d’Europe lors de la saison 2008-2009, avec le redoutable honneur d’affronter le Munster pour l’inauguration du nouveau Thomond Park (en bas à gauche). Un parcours fabuleux qui doit évidemment beaucoup au binôme d’entraîneurs constitué par Laurent Labit et Laurent Travers (ci-contre), alors à ses prémices, dont le départ pour Castres précipita indirectement l’explosion du club. Mais leur permit aussi d’effectuer la carrière que l’on sait pendant quinze ans, riche de deux Boucliers de Brennus conquis sous les couleurs du CO puis du Racing 92... Photos MO
    Les Montalbanais emmenés par Yannick Caballero (en haut à gauche) ont livré pendant quatre ans dans leur cuvette de Sapiac des combats sans merci face aux tenors du Top 14, comme le Clermont de Thomas Domingo. Des succès qui permirent finalement au MTG XV d’atteindre l’apogée de sa progression en disputant la grande Coupe d’Europe lors de la saison 2008-2009, avec le redoutable honneur d’affronter le Munster pour l’inauguration du nouveau Thomond Park (en bas à gauche). Un parcours fabuleux qui doit évidemment beaucoup au binôme d’entraîneurs constitué par Laurent Labit et Laurent Travers (ci-contre), alors à ses prémices, dont le départ pour Castres précipita indirectement l’explosion du club. Mais leur permit aussi d’effectuer la carrière que l’on sait pendant quinze ans, riche de deux Boucliers de Brennus conquis sous les couleurs du CO puis du Racing 92... Photos MO
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Entre 2005 et 2009, le duo Travers-Labit réussit le petit exploit de ramener le club tarn-et-garonnais dans l’élite au terme d’une saison record, puis de l’y pérenniser jusqu’à tutoyer la Coupe d’Europe et livrer un duel homérique sur la pelouse du grand Munster. Une épopée qui constituait alors le premier fait d’armes d’un duo appelé à une grande carrière, mais également le chant du cygne d’un club rapidement condamné à retrouver les divisions inférieures.

C’est l’histoire de deux gugusses de Montauban, qui ne se sont pas contentés d’entendre chanter les anges, mais emmenèrent ce qu’on appelait alors le MTG XV au meilleur niveau qu’il atteint jamais depuis l’avènement du rugby professionnel. Miracle ? Il n’y en eut aucun, à en écouter Gérard Charissou, témoin privilégié de l’épopée dont il constituait le coordinateur général, qu’on appellerait aujourd’hui plus pompeusement « team manager ». « S’ils savaient rigoler, c’étaient avant tout des gens sérieux. Leur maître-mot, c’était travail, travail, travail… C’est par cela qu’on a grandi, et que l’on a été récompensés. Eux les premiers. » Eux ? Ce sont bien évidemment Laurent Travers et Laurent Labit, « Toto et Lolo » ou « les Trabit » pour les intimes, ce dernier mot-valise symbolisant mieux que de longs discours le degré de fusion atteint par les deux coachs, probablement jamais égalé depuis.

« Comme on rentrait chez nous de plus en plus tard en début chaque début de semaine, on a fini par installer deux clic-clacs dans notre bureau... On dormait littéralement au stade ! » 

Laurent TRAVERS

Un duo qui se rôda évidemment sous les couleurs de Montauban où il se forma, comme dans toutes les belles histoires, sur un coup de hasard. « Dès le début de la saison 2004-2005, il avait été convenu que Xavier Péméja partirait à la fin de la saison, explique Laurent Labit. Le président m’a fait confiance au moment de choisir mon binôme. Comme je savais que Toto voulait revenir dans le rugby, j’avais missionné un copain avec qui je jouais à Béziers, qui habitait à Sarlat, pour me trouver son numéro de téléphone. C’est parti comme ça. » « Lorsque je suis reparti de Clermont, j’étais reparti travailler pendant deux ans dans le milieu bancaire où l’on m’avait proposé une promotion à un poste de cadre supérieur en tant que responsable de région, se souvient Laurent Travers. Mais le virus du rugby recommençait à me chatouiller… À ce moment-là, j’étais en contact avec le président de Grenoble, Alain Etiévent. J’étais proche de m’engager avec le FCG lorsque j’ai reçu ce fameux coup de fil de Laurent Labit. » Les prémices d’un coup de foudre qui se matérialisa comme de juste lors d’un repas, accompagné de leurs deux épouses. « C’était à l’Eskualduna, un restaurant à Albias, à mi-chemin entre Sarlat et Montauban, où Toto avait dévoré une côte de bœuf d’un kilo » se marre Labit. « Ce n’est au moment des phases finales que j’ai rencontré le président Patrick Bardot, se rappelle Travers. Au bout de dix minutes d’entretien, il m’avait dit : « OK, ce sera toi ». Et c’est parti comme ça…»

Caballero : « on était complètement cabourds ! »

Le début d’une aventure qui trouva ses racines dans une saison 2005-2006 fabuleuse, conclue par un titre de champion de France de Pro D2, record de 117 points à la clé qui ne sera égalé que par le Lou, huit ans plus tard. « Ils n’avaient jamais travaillé ensemble, mais on avait l’impression que leur binôme fonctionnait depuis toujours, témoigne l’ancien troisième ligne Yannick Caballero. L’équipe s’est construite à leur image : les joueurs ne se connaissaient pas en début de saison mais les victoires aidant, on est vite devenus une équipe de copains, et le mot est faible… C’était une équipe de village qui jouait en Pro D2. Les troisièmes mi-temps duraient jusqu’à pas d’heure, on sortait en semaine, mais c’était du donnant-donnant. Avec Toto et Lolo, tant qu’on était bon sur le terrain, on pouvait se le permettre. » Ces excès constituant même le ciment d’un groupe, jusqu’à en incarner sa marque de fabrique sur le terrain. « Avec le recul, je me rends compte que nous étions complètement cabourds, sourit Caballero. Tous les entraînements du capitaine, on attaquait à froid par un grand toucher sur tout le terrain, avant contre trois-quarts. Ça partait dans tous les sens et souvent, on ne faisait que ça… C’était fou. Rien que d’en parler, j’ai envie de prendre ma Delorean et de tout remonter le temps jusqu’à cette époque… C’était fabuleux. »

Reste qu’après l’accession en Top 14, il était désormais temps de grandir, sans se renier. Plus petit budget de l’élite à l’époque, les Montalbanais surent brillamment compenser leurs petits moyens par un recrutement intelligent, mené de main de maître par les Lolos. « On disait souvent « Sapiac, ça pique », et on se servait de cette image, s’amuse Laurent Travers. Il fallait tout le monde se souvienne de son déplacement à Montauban… L’équipe était constituée de joueurs qui avaient été quelque peu placardés en Top 14, des revanchards qui voulaient prouver quelque chose. Exister en élite, pour nous, c’était un immense défi. Je me souviens de notre premier match de Top 14, c’était contre Narbonne. Nous partions dans l’inconnue la plus totale, et nous avions gagné de quarante points… Je me souviens aussi d’un succès à Sapiac face au Stade français, qui nous avait vu mettre fin à une série de 10 ou 11 victoires des Parisiens. » Sans oublier un succès bonifié au Michelin par-ci, un autre à Aimé-Giral par-là… « Attention, on a pris quelques branlées, quand même, hein ! Nuance Caballero. J’ai le souvenir d’un match chez nous, où l’on prend cinquante points contre Toulouse, qui nous a fait très mal… Mais on s’accrochait, et nos supporters nous y aidaient bien. À part en phases finales, je n’ai jamais retrouvé l’ambiance de la cuvette de Sapiac. C’était un tout qui faisait que ce club était hyper familial, du président Patrick Bardot aux bénévoles, en passant par le public. Pour eux, on se dépouillait. »

 Avec de la rage, bien sûr, mais aussi un fond de jeu et un brin de talent, celui des Laurent résidant dans le fait de maximiser les points forts de leur équipe. « Il n’y avait peut-être pas de stars, mais beaucoup de mecs très intelligents, souligne Gérard Charissou. Karim Ghezal a rejoint Lolo Labit dans le staff du XV de France, Romain Sazy est capitaine de la Rochelle, Mathias Rolland manager de Castres, Matthew Clarkin de Biarritz… Il y avait des joueurs comme Scott Murray ou Marc Raynaud qui avaient une vraie science du jeu. » Tout sauf un hasard, à en croire Yannick Caballero, lui-même titulaire d’un BE validé dans la même promotion que l’ancien talonneur Brice Mach, désormais coach de Chambéry. « Le duo Travers-Labit a eu une influence sur la vision du jeu de leurs joueurs. Particulièrement au niveau du management et de la vie de groupe, où ils se sont rarement trompés sur les hommes et la manière de les accompagner. » Le temps passé ensemble expliquant en grande partie cela, puisqu’à l’apogée de l’épopée montalbanaise, les deux hommes allaient littéralement jusqu’à dormir dans leurs propres bureaux... « Laurent résidait à Revel, moi à Sarlat, se souvient Travers. Et on voyait que certains soirs, généralement le lundi et le mardi, on finissait de plus en plus tard… Du coup, on a décidé de rester sur place certaines nuits. Dans un premier temps, on a dormi à l’hôtel. Puis lorsque la nouvelle tribune a été construite, nous avons eu des bureaux avec davantage de place. » « Nous y avons installé deux clic-clacs, et on dormait là, se souvient Labit. On ne rentrait chez nous que le mercredi ou le jeudi, en fonction des jours off que nous accordions aux joueurs. Ça a évidemment beaucoup contribué au bon fonctionnement de notre binôme, qui a duré pendant 15 ans.»

Un morceau de bravoure à Thomond Park

Un mode de vie spartiate qui alla tout de même, à la grâce d’une 7e place décrochée en 2008 et du titre du Stade Toulousain, permit au MTG XV de se hisser dans le gratin européen au point de disputer la Champions Cup. Avec le redoutable honneur d’affronter en ouverture de la compétition le Munster, tenant du titre, pour l’inauguration du nouveau Thomond Park. Drôle de bizutage, qui prit finalement des allures de chant du cygne… « Il y avait de la trouille, bien sûr, parce qu’on ne savait pas vraiment ce que nous faisions là, rigole Caballero. Personne de chez nous n’avait jamais joué au plus haut niveau, et on se retrouvait à affronter le pack de l’Irlande. » « Avant de partir, à l’aéroport de Blagnac, on avait croisé le Stade toulousain, se souvient Gérard Charissou. Un de leurs entraîneurs nous avait dit : « je ne vois pas ce que vous pouvez faire là-haut, vous n’avez même pas deux ou trois mecs à la hauteur…» ça avait vexé tout le monde. » 

« Au matin de la rencontre contre le Munster, le titre du journal local était "another French farce ?" Même sans parler anglais, on comprenait ce que ça voulait dire... Je peux vous dire que j’en ai souvent reparlé avec Ronan O’Gara, de ce match-là ! »

Laurent LABIT

Le point de départ d’une rébellion assumée par Laurent Travers. « On était révolté contre le fait que personne ne croyait en nous, on se construisait là-dessus et, je peux le dire aujourd’hui, on en a beaucoup joué. Il faut reprendre le contexte : certes, des joueurs comme Diarra ou Caballero ont connu l’équipe de France par la suite, d’autres ont fait de très belles carrières. Mais à l’époque, à l’exception de Marc Raynaud qui nous apportait énormément de confiance et de sérénité, personne n’avait jamais joué à ce niveau-là. Pour certains, c’était l’équivalent d’une sélection. » Laurent Labit abonde. « Une fois de plus, il s’agissait de contredire tout ce qui était dit ou écrit sur tout. Au matin du match, en Irlande, le gros titre nous concernant était « Another French farce ? » Même sans parler anglais, on comprenait ce que ça voulait dire. Je peux vous dire que j’en ai souvent reparlé avec Ronan O’Gara, de ce match-là ! » Son résultat ? Une défaite 19-17 sur le fil, après avoir fait la course en tête durant 75 minutes… « On était passé devant au score sur un malentendu, se marre Caballero. Rida Jahouer fait une tête en plaquant un mec, Sylvain Jonnet marque là-dessus et on reste devant au score jusqu’à la fin ou presque. On était fouzingue, jeune, on voulait trop bien fait. Cette dernière faute, avec de l’expérience, on ne doit jamais la faire. Il suffisait de sortir de notre camp, tranquillou… » « Je revois encore M. Barnes prendre Brice Mach pour un bridging, alors qu’il n’en avait pas sifflé un seul de la partie, grince Travers. En tant qu’entraîneur, c’est à la fois une de mes plus grandes fiertés et un de mes plus gros regrets. Plus de douze ans après, cette pénalité, je le trouve toujours aussi cruelle. »

« Leur départ a été le début de la fin »

Cruelle ? Sûrement. Mais moins, à vrai dire, que l’épilogue de cette épopée montalbanaise dont le départ des deux Laurent pour Castres, en 2009, fut incontestablement le point de départ, couplé à la démission du président Patrick Bardot. « On a fait comme nous avons toujours fait par la suite, le plus proprement possible, en annonçant très tôt que nous partions et qui nous allions emmener avec nous, précise Laurent Labit. Tout avait été transparent vis-à-vis du club, c’est pourquoi on a été très affecté de ce qui lui est arrivé par la suite, avec la fameuse histoire de la tribune… (à l’issue de la saison 2009-2010, la SASP du MTG XVfut dissoute en raison d’une dette de 9 millions d’euros, le club se voyant rétrogradé financièrement en Fédérale 1, N.D.L.R.) Je crois que le départ de Patrick Bardot a pesé lourd, car nous étions et sommes encore très liés. Je crois qu’humainement, il ne se voyait pas repartir avec quelqu’un d’autre. Son départ a coûté cher au club. » « Leur départ a été le début de la fin, confirme Gérard Charissou. Bien sûr, les gars s’en sont sortis sportivement la saison d’après avec Marc Raynaud comme entraîneur, puisque c’est Bayonne qui devait descendre sur le terrain. Mais on sentait que le ressort était quand même cassé, et puis il est arrivé ce qui est arrivé au niveau des finances…. Ça a été triste pour les supporters. » 

Lesquels en veulent toujours, pour les plus ultras, à leurs deux coachs, accusés d’avoir pillé le navire avant de le quitter, puisqu’emportant en effet dans leurs bagages quatre joueurs et une bonne partie du staff en place… « Bien sûr que je comprends le sentiment des supporters, c’est vrai que ça faisait un peu pirate, assume Yannick Caballero, qui fit partie du voyage à Castres. Mais il ne faut pas leur en vouloir, c’est simplement la loi du système dans le rugby pro, où il faut faire les bons choix au moment opportun. Dans ce milieu, tout est cyclique, même les gros clubs ont des passages à vide. Rien ne dit qu’ils auraient fait la même carrière s’ils étaient restés une saison de plus à Montauban. « Ce qu’il faut en retenir, c’est que nous avons vécu grâce à eux quatre années extraordinaires, conclut Gérard Charissou. Quatre années qu’on ne peut pas nous enlever. » Quand bien même les liens entre Laurent Travers et Laurent Labit se sont eux-mêmes distendus ces derniers mois sur fond de départ de l’un pour l’équipe de France sans l’autre, ajoutant une once de mélancolie au moment de conclure cette histoire qui, malgré les apparences, subsiste bien au-delà des souvenirs. Le meilleur témoignage en résidant peut-être dans le trophée Ibrahim-Diarra, trop tôt disparu, que se disputeront la semaine prochaine Castres et Montauban dans la cuvette de Sapiac, sous les yeux de la plupart de ses partenaires de l’époque. Parce qu’au vrai, on ne quitte jamais tout à fait Montauban…

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