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Roman d'un club - La folle transhumance niçoise

  • Pierre Pédeutour, François Pierre, Jean-Claude Ballatore et Tony Catoni, la génération niçoise des années 80. L’influence toulonnaise était toujours là, mais le club des Alpes Maritimes alignait des joueurs formés sur place. La greffe varoise avait bien pris.Ci contre : à droite : Nice, vainqueur du Challenge Yves Du Manoir 1985.En bas à gauche et à droite, André Herrero expulsé pour son dernier match en 1977. Il a marqué Nice de son empreinte après avoir marqué de la même façon Toulon.et même l’équipe de France.
    Pierre Pédeutour, François Pierre, Jean-Claude Ballatore et Tony Catoni, la génération niçoise des années 80. L’influence toulonnaise était toujours là, mais le club des Alpes Maritimes alignait des joueurs formés sur place. La greffe varoise avait bien pris.Ci contre : à droite : Nice, vainqueur du Challenge Yves Du Manoir 1985.En bas à gauche et à droite, André Herrero expulsé pour son dernier match en 1977. Il a marqué Nice de son empreinte après avoir marqué de la même façon Toulon.et même l’équipe de France.
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En 1971, entre Toulon et Nice, on vit la transhumance la plus étonnante de l’histoire du championnat. Une dizaine de talents émigrent de concert dans le sillage d’André Herrero sur fond de polémique. Nice devint un nouveau bastion du rugby pendant une quinzaine d’années jusqu’à frôler le titre.

Notre époque n’a rien inventé. Les querelles fratricides ont toujours été le nerf du rugby français, sport de fiefs voisins. Au début des années 70, la greffe toulonnaise sur le corps niçois en fut l’un des plus beaux exemples. Jamais on avait vu un tel transfert de richesses entre deux clubs, dix joueurs qui troquent soudain une tunique pour un autre et qui s’imposent 149 kilomètres de trajet pour s’entraîner et jouer. Ils s’appelaient Daniel Herrero, Ballatore, Vadella, Sappa, Hache, Irastorza, Carréras, Fabien et Giabbiconi. Très jeune lecteur, nous comprenions l’importance de l’affaire à travers des allusions de la presse qui abusait d’une expression : "Les frères de la Côte", avec en statue decommandant, un joueur d’exception : André Herrero. 22 fois international, visage taillé à la serpe, regard paralysant, numéro 8 des Bleus, mais jamais capitaine. On résume la situation. En 1971, André Herrero entraîneur-joueur avait annoncé que la finale du championnat serait son dernier match. Il était en conflit avec ses dirigeants et empêtré dans une rivalité avec Christian Carrère, autre Toulonnais devenu en 1968 capitaine du XV de France vainqueur du Grand Chelem.

Nous vivions tous à Toulon. Nous allions deux ou trois fois par semaine à Nice, et nous faisions une séance supplémentaire entre nous à Toulon

Toulon perdit cette finale dans des conditions dantesques et Herrero tint sa promesse. Pilier du RCT, Jean-Claude Ballatore le contexte : "Il était saturé, il voulait faire une pause avec le rugby. Toulon a nommé deux entraîneurs qui ne nous convenaient pas. (Jo Fabre et Louis Pierre, N.D.L.R.). Nous n’étions pas d’accord, on reçoit des pressions de nos dirigeants, et tout s’enchaîne." Une ambiance délétère s’installe. Ballatore la compare carrément à l’Affaire Dreyfus. Toulon était coupé en deux, pro et anti Herrero. Dans sa biographie écrite par Jacques Verdier, André Herrero parle sans fard de cette période ultra-troublée. "La mairie s’est mise au milieu du débat et politise en quelque sorte l’affaire en laissant courir le bruit que les joueurs avides d’autogestion veulent monter un club de gauche. La situation était irrespirable, des frères se sont fâchés, des journalistes se sont retrouvés au placard pour nous avoir soutenus." Herrero se prend le chou avec le maire, Maurice Arreckx en personne, et son bras droit Ange Sicardi.

La folle transhumance
La folle transhumance

Volot en émissaire de Mearelli

Jean-Claude Ballatore poursuit "Nous voulions partir à droite et à gauche, j’avais presque signé à Narbonne." Dans l’adversité, les dissidents décident de rester ensemble pour vivre une contre-aventure car un homme est venu à leur rencontre, Marcel Volot. Cet ex-international est devenu entraîneur à Nice, deuxième division, il est mandaté par son président Alfred Méarelli, prospère industriel. Il est prêt à engager tout le monde d’un coup… Ballatore insiste sur le fait qu’André, 33 ans, voulait couper avec la France et le rugby et qu’il était sur le point de partir en Argentine. Ce sont les dix dissidents qui l’ont convaincu de les accompagner, le choisissant comme leur chef incontesté. "Les Niçois voulaient devenir une place forte du rugby français avec le soutien que lui accordait sa municipalité." Jacques Médecin avait du poids, et le quotidien local, Nice-Matin était prêt à jouer le jeu. Ils franchirent le Rubicon. Ils se retrouvent embarqués dans une aventure rocambolesque et invraisemblable. Ce transfert massif se heurte aux contingences du rugby de l’époque : "Nous travaillions tous et habitions tous à Toulon. Nous allions deux ou trois fois par semaine à Nice, et nous faisions une séance supplémentaire entre nous à Toulon." Plus fort, les transfuges s’entraînent en sachant qu’ils seront privés de la majorité des matchs. La FFR surveillait les mutations comme le lait sur le feu : "Nous savions que pendant un an nous ne pourrions jouer qu’à deux en même temps sous notre nouveau maillot. Je crois qu’on appelait ça les licences blanches, ou rouges." C’était leur charme, ils ne manquaient pas de subtilités et d’exceptions : "André Herrero qui avait plus de 32 ans, pouvait jouer librement, tout comme Bernard Giabicconi qui avait une licence militaire car il faisait son service. Un autre Toulonnais, Jean-Pierre Mouysset, avait repris après avoir arrêté. Il échappait à la licence rouge."

On prenait parfois plus de plaisir à jouer à l’extérieur. En fait, on s’est fédérés sur la haine que les gens nous vouaient

Arrivés à Nice, les Toulonnais changent de monde. Ils avaient quitté une cité dont ils étaient les vedettes pour une grande ville qui n’était pas un bastion de l’ovale. Ils avaient échangé le bouillant Mayol pour le petit Saint-Augustin près des studios de la Victorine, avec son allée de Cyprès. Les joueurs tiquent dans cette atmosphère plus propice au repos salvateur qu’aux charges furieuses des avants. "L’ambiance était feutrée, même si je me souviens d’une poignée de passionnés locaux, finalement très excessifs", commente Ballatore. Mais la greffe va prendre, très vite, malgré les contraintes. En plus, André Herrero et ses disciples trouvent quelques éléments prometteurs, Gérard Verdoulet, Jean Fausto, et trois étrangers. La fin de la première saison est une réussite, le RCC Nice gagne son match de la montée face à Albi et joue la finale de deuxième division face à Carmaux. Le pari est réussi, la bande à Herrero retrouve l’Elite. "Des Toulonnais venaient à Nice pour nous encourager. Et puis, notre venue avait provoqué un petit engouement, l’école de rugby était florissante. Deux conseillers techniques en ont profité pour développer le rugby dans les écoles et les quartiers."

 

Nice trouva illico sa place dans le gotha du rugby français. Y trouva-t-il une vraie identité ? On a envie de dire oui selon nos souvenirs… Mais on peut en discuter car on eut l’impression que les Toulonnais exilés mettaient en point d’honneur qu’on pouvait faire du Toulon ailleurs qu’à Toulon. Le RCC Nice devient donc un "méta RCT", un bloc, un commando qui se motivait en interne puisque le soutien populaire lui faisait défaut. Dès la première année, les Azuréens forgent leur légende à l’issue d’un match infernal à Lavelanet (lire Midi Olympique du 9 avril), un vrai western de Sergio Leone avec Daniel Hache en Lee Van Cliff "l’homme qui n’avait peur de rien". Seule la pluie de sanctions qui en découla empêcha les Niçois de se qualifier. "On prenait parfois plus de plaisir à jouer à l’extérieur. En fait, on s’est fédérés sur la haine que les gens nous vouaient. Plus on était dans le conflit, meilleurs on était. Plus nos adversaires nous provoquaient, plus le public nous insultait, plus ça nous transcendait. Depuis toujours, les Toulonnais sont portés par un soutien populaire extraordinaire. Nous à Nice, on ne l’avait pas alors il fallait trouver autre chose. Notre groupe s’est construit sur une paranoïa terrible. Tous les jours, on se remontait là-dessus, on nous sanctionne, on ne nous sélectionne pas, on est mal arbitré… Ils ne nous aiment pas, ils nous excluent alors on va les battre", témoigna un jeunot niçois, admis au banquet des grands, Eric Buchet.

André Herrero était à la baguette de cet équipage de corsaires. Sa présence écrasante valait un seizième homme. On avait la curieuse impression qu’il commandait aussi bien ses partenaires que les arbitres et ses adversaires. Le Toulousain Gérald Martinez le confia un jour dans nos colonnes : " Sur la première touche, André a dit : "Michel (Sappa, N.D.L.R.) tu prends le ballon et on déroule en fond. Claude (Lacaze) tu viens dans le fermé." Il parlait à ses hommes comme s’il s’agissait d’un entraînement, poussait les nôtres d’un mouvement du bras comme s’ils n’existaient pas. Parfois, il s’arrêtait, criait "en avant" et l’arbitre sifflait immédiatement. Les choses se passaient comme il les demandait. Nice avançait, déroulait. André criait : "Attendez-moi ! À droite ! À gauche !" Et nous on reculait, on reculait… On n’en finissait plus de subir. À un moment, n’y tenant plus, je me suis exclamé : "Ça va, André ? Tu n’as besoin de rien ?"

1976, huitième d’anthologie face à Agen

Le Nice des années 70 était une attraction en soi, une référence en termes de rugby courage. Certains voulaient s’y mesurer de toutes les façons possibles et ça faisait des étincelles. Les Azuréens n’étaient pas là pour convoquer les muses du beau jeu, mais pour célébrer le Dieu Mars. Le bilan se passe de commentaires : un quart en 1974. Une demie en 1977 et un huitième d’anthologie en 1976 12-12 face à Agen. Écoutons l’Agenais René Bénésis. " On les a battus comme par miracle. André commentait, arbitrait, jouait, nous foudroyait de son regard bleu. Il avait une emprise incroyable sur ses hommes. On était tous tétanisés. On a d’ailleurs eu si peur, qu’on s’est réunis dans les jours qui ont suivi pour faire notre autocritique. Je crois bien que c’est grâce à lui qu’on a été champions de France cette année-là…"

La folle transhumance niçoise.
La folle transhumance niçoise.

Le président Méarelli mourut en 1976, en 1977, André Hérrero prit sa retraite à 39 ans, sur une expulsion, le même jour que Walter Spanghero qui l’affrontait avec Toulouse. Après sa sortie, à 9-16, ses coéquipiers trouvèrent l’énergie à quatorze pour renverser le score 17-16 avec un hommage paradoxal de ses trois-quarts (Gaby Giuliano et Roger Fabien).

L’aventure déjà magnifique aurait pu s’arrêter là. Mais le fils d’Alfred Méarelli prit les commandes : "Il m’a confié l’équipe, j’avais trente ans", poursuit Jean-Claude Ballatore. Commence ici un second chapitre de l’histoire niçoise, toujours animé par l’esprit toulonnais mais avec davantage de joueurs formés sur place. L’engouement de 71-72 avait porté ses fruits. Les Félix, Charpentier, Catoni, Pelloux, Tordo avaient pointé le bout de leur nez. Philippe Buchet était venu rejoindre son frère Eric. Le plus doué de tous Jean-Charles Orso, horticulteur à Cannes-La Bocca repéré dans un match universitaire, contacté un mardi, aligné un samedi. Le jeune talonneur Bernard Herrero était venu suivre les traces de ses deux frères aînés. Jean-Claude Ballatore avait tenu à recruter un autre ex-Toulonais, le demi de mêlée François Pierre, un mental terrible et une faculté à passer des drops dans un angle fermé.

Pourquoi le cacher, nous avons beaucoup aimé ce Nice-là, auteur de trois saisons de feu 83-84-85. Le rugby avait sans doute évolué, les affrontements étaient un peu moins folkloriques. Mais il émanait de cette phalange une maîtrise et un sang froid qui forçèrent notre admiration. Ballatore était toujours aux manettes, toujours citoyen toulonnais "dans le civil" : "J’ai dû faire dix fois le tour du monde avec tous ces allers-retours sur l’autoroute." La demi-finale de 1983 à Clermont face à Agen fait figure à nos yeux de médaille d’or. Menés 12-3 avec un essai d’entrée de Dupont grâce à Sella, pas déstabilisés pour un sou, les Niçois conservent leur concentration pour revenir inexorablement : "Avec un pack au sommet de son art", écrivit Jacques Verdier. Mais aussi un essai en bout de ligne de Méry, sur une sautée de Trautman. Ce petit piment, Jean-Claude Ballatore s’en délecte encore : "Il m’a valu une lettre d’André Boniface, quel bonheur pour l’ancien pilier que j’étais. Mais Claude Lacaze m’avait bien aidé."

1983 : Seuls face à la foule biterroise

On s’en souvient, on se prit à espérer que ce Nice-là, avec douze joueurs sur vingt et un formés à l’école de rugby, pouvait surprendre Béziers en finale. Nice champion, la touche d’exotisme, nous plaisait. Mais le sort vint s’en mêler. Cette finale, Jean-Claude Ballatore la décrit comme un "pur scandale, peut-être le plus gros de l’histoire du championnat." Oui, Nice fut condamné à vivre la fin du match sur une pelouse envahie par les supporteurs biterrois, spectateurs des débats à quelques mètres : "5 000 gars qui nous entourent pendant vingt minutes. L’arbitre et la fédération n’ont pas voulu arrêter le match. Les médias ont été particulièrement discrets sur cette affaire. Mais j’ai refusé de quitter le terrain comme mes dirigeants me l’ont suggéré. Ça, j’ai refusé, je ne suis pas là pour faire sortir mes joueurs pour espérer gagner un titre sur tapis vert !", martèle-t-il encore tout à son refus de quitter le champ de bataille. Ce final, ce fut peut-être la rançon que paya le RCC Nice pour ne pas être un club hyper populaire. Que faire face à une marée biterroise à ce point déchaînée ?

La folle transhumance
La folle transhumance

Nice revint donc sur la côte avec une défaite 14-6 et un essai refusé sévèrement à Vallet. Jean-Claude Ballatore a toujours du mal à cacher son amertume. Pourtant par goût du paradoxe, il avoue apprécier certaines défaites. "Notre meilleur match en termes de qualité, ce fut la demie de l’année suivante, en 84, perdue à Bordeaux face à Agen. Devant, on les a écrasés, et jamais l’arbitre ne nous accordera l’essai de pénalité que nous méritions. Si vous saviez ce qu’il m’a répondu l’arbitre après le match quand je lui ai demandé des comptes…" On n’en saura pas plus, malgré notre insistance, même si l’on suppose que le coach niçois fut mis face à sa non -appartenance aux cercles les plus influents. De quoi renforcer la paranoïa légendaire des rugbymen du Sud-Est… Dans ce domaine aussi Nice voulait égaler Toulon.

Elle fait leur charme et si l’on en veut encore une rasade, Jean-Claude Ballatore nous la sert avec plaisir. "On a quand même gagné un titre, le Du-Manoir 1985 face à Clermont. Mais je n’avais pas le droit d’être sur le bord de la touche. J’étais conseiller technique et comme par hasard, la Fédération avait pondu un règlement pour interdire à ma profession d’entraîner en première division. J’avais le bon portrait-robot, non ? Je crois que je payais mes déclarations de l’année précédente."

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