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Lièvremont : « Clermont ne peut pas être favori sur ce match »

  • Marc Lièvremont, ancien sélectionneur du XV de France.
    Marc Lièvremont, ancien sélectionneur du XV de France. Amandine Noel / Icon Sport - Amandine Noel / Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Pourquoi le début de saison est-il à ce point ennuyeux ? Morgan Parra et Clermont sont-ils en fin de cycle ? Finn Russell sait-il gagner les grands matchs ? Et finalement, le XV de France a-t-il terminé le Mondial 2011 en autogestion ? Aujourd’hui consultant pour Canal +, l’ancien sélectionneur des Bleus revient avec la franchise qui le caractérise sur les grands sujets d’actualité…

Comment avez-vous vécu cette période de six mois sans rugby ?

Au-delà de l’empathie que je peux avoir pour mon sport, ses joueurs et ses dirigeants, je ne peux pas dire que ça m’a manqué : d’abord, parce que j’ai d’autres activités ; ensuite, parce qu’on a tous été écrasé par un truc inédit, un truc gigantesque et qui a fondamentalement changé notre façon de vivre.

Quel œil portez-vous sur la reprise du Top 14 ?

On ne peut pas dire que l’on est ébloui par le spectacle. Il y a beaucoup de pénalités, un nombre incalculable de cartons jaunes… Tout ça est un peu haché, quoi… Il va nous falloir être patient.

On est tous un peu abasourdi par ces nouvelles consignes entourant la zone du ruck et favorisant largement les gratteurs et la défense…

La volonté première de World Rugby est de protéger des joueurs (les nouvelles consignes sont censées éviter les déblayages trop violents, N.D.L.R.). […] On s’est aperçu, en Nouvelle-Zélande, que les premières rencontres avaient donné lieu à un nombre ahurissant de pénalités et que, petit à petit, les joueurs s’étaient adaptés, le tout débouchant sur ce match Nord/Sud (l’île du sud de la Nouvelle-Zélande face à l’île du Nord, en août dernier, N.DL.R.) en tout point somptueux.

Il suffit donc d’être patient, alors ?

Le problème, c’est que les enjeux ne sont pas les mêmes entre le Top 14 et le Super Rugby. Eux sont obnubilés par le spectacle et la production de joueurs, lesquels servent leur équipe nationale ; chez nous, l’adaptation risque d’être plus longue.

À qui la faute ?

La faute à un calendrier surchargé, totalement dingue ; la faute à la fatigue accumulée, au manque de préparation en aval de la compétition… J’ai aussi l’impression que les entraîneurs vont davantage se tourner vers l’utilisation du jeu au pied.

Pourquoi ?

Il y a moins de monde dans les rucks et par conséquent moins d’espaces, sur le terrain. Les joueurs n’ont pas vraiment d’autre choix que d’occuper au pied…

Vous avez quitté l’équipe de France en 2011 et n’avez plus jamais entraîné, depuis. Cela ne vous manque-t-il pas ?

J’ai pourtant eu beaucoup de touches, depuis. Très peu ont néanmoins débouché sur des discussions directes.

Pour quelle raison ?

La plupart du temps, ce fut un « non » catégorique de ma part, que ce soit pour des rôles d’entraîneur ou de président. Au moment de ces échanges, j’étais un peu bousculé dans ma vie personnelle et familiale. Je n’avais pas la tête à ça. Mais au bout du bout, j’ai l’impression d’avoir fait les bons choix.

Comment ça ?

Je n’ai aucun regret. Ma vie est équilibrée, dense, riche.

On vous suit…

Je considère que j’appartiens à une génération ayant vécu le meilleur du rugby. J’ai eu la chance de connaître la fin du rugby amateur, puis le passage en douceur vers le professionnalisme. Les belles années, quoi…

Vous aviez à peine 40 ans lorsque vous avez été nommé à la tête du XV de France, en 2008.

(Il coupe) Les choses sont allées extrêmement vite. Trop vite, diront certains… J’ai passé deux ans avec les Espoirs de Biarritz, puis il y eut l’équipe de France des moins de 20 ans, l’équipe « Une » de Dax et le XV de France, dans la foulée. J’ai entraîné huit ans, quoi. Ce n’est rien du tout.

Au téléphone, Jacques Brunel nous confiait il y a deux semaines que la Coupe du monde avait été une expérience particulièrement éprouvante. Qu’en fut-il pour vous, en 2011 ?

Une seule fois, au cours de mon mandat, j’ai manifesté un gros ras-le-bol. Mais globalement, j’ai toujours très vite rebondi dans le combat, l’espoir, même si les médias et le grand public ne voyaient alors que la face sombre de mon personnage […] J’ai pleuré de colère, de tristesse… Mais je suis sorti de cette Coupe du monde sans le moindre regret, la moindre aigreur envers qui que ce soit.

Vous parliez d’un moment de « ras-le-bol ». C’était quand ?

Le jour de notre défaite en Italie (22-21), quelques mois avant que nous ne partions en Nouvelle-Zélande. Je me revois dans les chiottes du stade de Rome, humilié, en colère. Dans les vestiaires, c’est le chaos. Là, je dis à Pierre Camou (alors président de la FFR, N.D.L.R.) que je n’en peux plus, que je n’ai plus de solution…

Que vous dit-il ?

(Il sourit) Il me regarde avec sa bonhomie, sa bienveillance… Il ne dit pas grand-chose mais me pousse à poursuivre. Paradoxalement, ce moment reste un très grand souvenir […] La vie c’est ça. C’est cette intensité-là.

Et en Nouvelle-Zélande, avez-vous oui ou non laissé les clés de l’équipe aux joueurs ? Étaient-ils en autogestion sur la fin de la compétition ?

En aucun cas.

Vraiment ?

Peut-être ont-ils eu le sentiment de prendre ce leadership collectif, à un moment ou à un autre de la compétition. Peut-être ont-ils voulu jouer ensemble et surtout contre moi, après le Tonga. Mais je n’ai jamais eu l’impression d’être largué en Nouvelle-Zélande. Jusqu’au bout, aidé par un staff extraordinaire, j’ai fait les compos d’équipe et construit les entraînements.

Tous les amoureux du XV de France pensent encore à cette finale de Coupe du monde, à l’Eden Park d’Auckland. S’est-on oui ou non fait « enfler » par Craig Joubert, ce soir-là ?

Il ne nous a pas aidés… J’ai souvenir, au matin de cette finale, d’une discussion avec lui et Joël Jutge (ancien arbitre international, N.D.L.R.). Assis à cette table, Craig Joubert m’avait dit dans les blancs des yeux : « Marc, je t’assure que pour moi, ce sera ce soir quinze noirs contre quinze blancs. »

Qu’avez-vous répondu ?

Je lui ai dit que je lui faisais confiance et qu’à aucun moment je ne critiquerais son arbitrage. Quelques jours après, j’ai pourtant bien aimé ce que lui a dit Joël Jutge : « Craig, tu as arbitré l’équipe de France et managé l’équipe de Nouvelle-Zélande. » (Il soupire, reprend) Nos joueurs ont été magnifiques à l’Eden Park mais les All Blacks, sur l’ensemble de la compétition, méritaient leur titre de champion du monde.

Évoquons à présent les quarts de finale de Coupe d’Europe, si vous le voulez bien. Les Clermontois semblent en difficultés en ce début de championnat. Comment jugez-vous leur opposition à venir face au Racing 92 ?

J’ai vu les deux matchs des Clemontois, contre Toulouse puis Bayonne. Il n’y a pas de maîtrise collective, il y a beaucoup de fautes… En face, le Racing affiche une profondeur d’effectif exceptionnelle et un équilibre évident dans ses lignes.

En clair ?

Clermont ne peut pas être favori sur ce match.

On est tous d’accord pour dire que Finn Russell, le numéro 10 du Racing 92, est le meilleur animateur de la planète. Mais sait-il gagner les matchs importants ?

Moi, je me souviens d’un Ecosse - Angleterre, il y a deux ou trois ans, où Finn Russell avait réalisé un match de rêve, dans l’animation mais aussi dans la gestion. Qu’on ne vienne pas me dire qu’un match du Tournoi n’est pas un match important… Quand Russell est dans de bonnes conditions, il est irrésistible.

Qui l’accompagne le mieux ? Teddy Iribaren ou Maxime Machenaud ?

Machenaud a les qualités que l’on connaît mais en termes de fluidité et de vitesse, Iribaren semble un peu plus coller aux qualités de Finn Russell. Et puis, il y a le facteur X Vakatawa sur l’extérieur, des soldats extraordinaires comme Lauret ou Le Roux, des finisseurs fabuleux comme Imhoff… En conclusion, j’adore Finn Russell et il me semble assez bien entouré au Racing pour actuellement réussir tout ce qu’il entreprend.

À Clermont, Morgan Parra semble en fin de cycle. Aurait-il dû quitter l’Auvergne à un moment ou à un autre de sa carrière en Top 14 ?

Il me semble… J’ai le sentiment que Morgan est aujourd’hui trop estampillé « Clermont ». Peut-être me donnera-t-il tort, ce week-end, allez savoir…

Pour l’avoir lancé en équipe de France, vous le connaissez bien…

Oui. C’est une personnalité, un joueur à part. Mais aujourd’hui, à l’ASMCA, il subit aussi une dimension collective en délicatesse. Morgan Parra n’est pas un sauveur. Et puis, il a tellement donné… Jouer dix, douze, quinze ans au plus haut niveau dans ce rugby-là, c’est dur. Quelle que soit la fin de son parcours, Morgan Parra pourra se retourner en étant fier de ce qu’il a accompli.

On sait que Morgan Parra a parfois du mal avec la concurrence. La concurrence de Sébastien Bézy va-t-elle mettre le bazar dans le vestiaire clermontois ?

Je ne l’espère pas… Le choix de Sébastien Bézy est courageux. Et puis, tu ne peux pas jouer tous les matchs aujourd’hui. J’espère donc qu’ils vont bien s’entendre, qu’ils vont partager… Je souhaite le meilleur à Clermont, à Sébastien Bézy et à Morgan Parra.

Le Stade toulousain, lui, affrontera la province irlandaise de l’Ulster. Que pensez-vous du jeu toulousain ?

C’est le rugby à la française. Les périodes où l’équipe de France a été la plus grande ont toujours correspondu à des époques où elle avait su pratiquer un jeu à la toulousaine, du jeu debout, un jeu rapide, créatif, dynamique… Toulouse est aussi la preuve qu’une certaine forme de continuité entre le rugby des années 80 et celui d’aujourd’hui est possible. C’est l’héritage, la transmission.

D’accord…

Au-delà de compter aujourd’hui quelques pénibles comme Joe Tekori et les frères Arnold, les Toulousains s’appuient aussi sur une charnière (Antoine Dupont et Romain Ntamack) en passe de devenir la meilleure du monde. À mes yeux, le Racing et Toulouse possèdent donc les plus beaux effectifs.

Les deux effectifs dont vous parlez vont pourtant subir de plein fouet la réquisition de leurs internationaux, lors des tests d’automne. Comprenez-vous la colère des clubs, lesquels viennent de déposer plainte contre World Rugby ?

Oui, bien sûr. Et d’un autre côté, je comprends aussi les intérêts sportifs de Fabien Galthié et ceux, économiques, de la Fédération […] Depuis que le Top 14 a repris, j’ai néanmoins l’impression qu’il y a une forme d’apaisement, de noblesse et de solidarité dans les déclarations des uns et des autres.

Agustin Pichot, qui s’est récemment présenté face au patron de World Rugby Bill Beaumont, avait semble-t-il beaucoup d’idées pour aménager le calendrier international. Regrettez-vous qu’il n’ait pas été élu ?

Oui, je le regrette… Comme souvent en politique rugbystique, il y a eu des petits arrangements entre amis, des manipulations, des trahisons. Peut-être même que les votes de certaines fédérations démunies ont été achetés… […] Au final, l’élection de ces dirigeants-là conforte les décisions en direction des nantis. La volonté de Pichot, elle, était d’aller vers les nations mineures, les petits.

En gros ?

On a fait le choix du pognon avec cynisme, au détriment d’une main tendue vers les pays de l’Océanie, par exemple, qui restent les grands animateurs du rugby professionnel.

Vous êtes dur…

Peut-être… Mais je regrette que les dirigeants du rugby mondial n’aient pas davantage l’attitude de missionnaires, ne veulent pas transporter notre sport dans des endroits de la planète où il n’existe quasiment pas : parce que je reste persuadé que le rugby est un formidable vecteur d’éducation et de développement.

Dernièrement, le sélectionneur Fabien Galthié a laissé entendre que son destin était lié à celui de Bernard Laporte et qu’il ne poursuivrait pas son mandat, si son candidat était battu par Florian Grill. Qu’en pensez-vous ?

Au-delà de son rôle de sélectionneur, Fabien (Galthié) a tout à fait le droit d’exprimer la confiance en un homme qu’il côtoie depuis vingt ans. Mais dans le texte, c’est du Galthié tout craché… Sa phrase est pleine de sous-entendus… Quel que soit le résultat de l’élection du 3 octobre, je peux vous jurer que Fabien Galthié restera le sélectionneur du XV de France pendant encore de très longues années et, entre nous soit dit, c’est une très bonne nouvelle pour le rugby français.

Le soir d’une fête organisée en l’hommage du Stade français et des joueurs qui ont écrit son histoire, il se dit que vous avez eu une altercation avec Serge Simon, le vice-président de la FFR. Ce serait d’ailleurs au cours de cette même soirée que Christophe Dominici aurait appelé Guy Novès en pleine nuit…

Au moment du coup de fil piège, je n’étais plus là. Cette attitude est puérile et plus que regrettable […] Au-delà de ce qui s’est dit sur Serge Simon et moi, je retiens juste que vingt ans après la fin d’une formidable aventure, trente-cinq mecs de tous les coins du monde se sont retrouvés pour fêter le Stade français et qu’on a passé, ce soir-là, une soirée inoubliable. Pfft… Le reste n’a tellement pas d’importance…

On a longuement parlé de Morgan Parra au fil de cette interview. Un autre de vos « enfants » en équipe de France, François Trinh-Duc, connaît lui aussi une fin de carrière difficile. Quel regard portez-vous sur lui ?

Des « enfants », j’en ai eu beaucoup d’autres au cours de ma carrière d’entraîneur. François Trinh-Duc, ça reste quand même un beau parcours : il compte 50 sélections (66 en réalité, N.DL.R.) en équipe de France, une finale de Coupe du monde, une autre de Top 14 (avec Montpellier) […] À l’époque où j’étais sélectionneur (2008-2011), je trouvais que c’était un excellent joueur ; pour lui, pour nous, je souhaitais qu’il apprenne plus rapidement de ses erreurs. Mais François est aussi un personnage complexe, qui n’a pas été épargné par les blessures. (Il coupe) Je n’ai pas envie d’en dire plus.

Il y a eu fracture entre lui et vous après la Coupe du monde 2011. Vous lui avez reproché de ne pas assez « transpirer » à l’entraînement et, après ça, il a contre-attaqué dans un livre. Vous êtes-vous reparlé depuis ?

Non. On s’est appelé après la Coupe du monde en Nouvelle-Zélande : il était très fâché, en colère […] Autant, je suis revenu à maintes reprises sur l’aventure néo-zélandaise avec de nombreux joueurs de l’équipe de France de l’époque, autant je ne l’ai jamais fait avec François […] À son sujet, je continue à penser que j’aurais pu faire autrement. Mais à ma manière, j’ai aussi essayé de l’accompagner, de le protéger. Et puis, je lui ai fait jouer une finale de Coupe du monde. Voilà… Tant pis s’il a une mauvaise image de moi…

Vous avez remporté un Grand Chelem en 2010 avec un trois-quarts centre (Mathieu Bastareaud), depuis devenu numéro 8. Le rugby français, comme l’ont sous-entendu les sélectionneurs étrangers Joe Schmidt ou Eddie Jones, a-t-il ramé à contre-courant en s’évertuant à faire jouer Bastareaud au centre, en équipe nationale ?

Le rugby français se construit sur une dualité entre une équipe de France qui cherche à séduire et la puissance d’un Top 14 qui vaut par ses matchs à suspens, sa rudesse, son âpreté. Mathieu Bastareaud est fait pour le combat du Top 14. Malgré tout, il a existé au niveau international. Il est peut-être l’antithèse du trois-quarts centre élégant, l’opposé des Boniface, Maso ou Codorniou, mais il a été performant.

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