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La confession de Denis Charvet : « Le rugby nous a rendus trop fiers et trop cons » (partie 2)

  • Denis Charvet lors d'une conférence de presse
    Denis Charvet lors d'une conférence de presse Icon Sport - Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Le beau gosse, flamboyant trois-quart centre qu'il fut à Toulouse, au Racing et en équipe de France, s'est métamorphosé après pas mal de nuits blanches et une thérapie salvatrice, en un bonhomme apaisé, heureux de vivre, porté par ce goût de la transmission qui éclaire son existence. Voici la seconde partie de son long entretien qu'il accorde à Midi Olympique, façon confession.

Pouvez-vous nous parler de cette thérapie engagée plusieurs années après l’arrêt de votre carrière ?

Bien sûr. Je n’ai pas peur d’aborder ce sujet. Je suis fier d’avoir pris ce chemin. Il faut un sacré courage pour aller voir quelqu’un, pour lui ouvrir son cœur et se mettre à poil devant lui. Cette thérapie était devenue indispensable pour moi.

Comment s’est-elle imposée à vos yeux ?

Il faut remonter à 2001. Je travaillais sur France 2 dans le cadre de Stade 2 avec Dominique Rocheteau. Sept millions de téléspectateurs nous regardaient tous les dimanches. Les responsables de la chaîne, Patrick Chêne, en tête, étaient contents, ma gueule passait bien. Mais je n’étais pas dupe.

Vous étiez le blond de service ?

Plutôt la cagole, je dis ça sans dénigrer personne. En vérité, à ce moment-là, j’étais en survie, j’allais droit dans le mur.

Pourquoi donc ?

Parce que je n’avais pas fait le deuil de ma carrière de joueur de rugby.

Vous auriez pu rester dans le rugby longtemps, consultant de Pierre Salviac, par exemple.

Pierre me détestait. Il pensait que j’allais lui faire de l’ombre. Il me voyait comme un ennemi. Je ne lui en veux pas. Je gagnais très bien ma vie mais je ne pouvais pas continuer. Tout à coup, mon inconscient m’a rattrapé.

Et comme l’inconscient n’oublie rien…

Oui et il porte tout. Le mur approchait. Je n’aimais plus l’homme que j’étais, celui qui se croyait encore joueur, cinq ans après avoir lâché le rugby. L’arrêt m’avait mis face au vide et à cette insupportable compassion qu’on me renvoyait sans arrêt. Les gens m’aimaient dans la lumière, une fois dans l’ombre, ils n’avaient plus rien à foutre de Denis Charvet. C’est humain. Il n’y a plus de vestiaire, d’odeur, de copains. Plus rien. Alors j’ai colmaté, bricolé. Autour de moi, je ne voyais que des personnes mettant le doigt sur ma faiblesse. Je n’étais que fragilité. Je m’accrochais à tout. J’ai rendu service à plein de monde, sans jamais rien récolter en retour. J’étais si mal que j’ai préféré arrêter la télé.

Alors ?

Je suis tombé par hasard sur un bouquin de Jacques Salomé «Passeur de vie». J’ai appelé l’auteur sans lui dire qui j’étais. On a parlé de ces énergivores, ces gens qui te pompent ton énergie, et d’autres choses. Je l’ai rappelé quinze jours plus tard, il a perçu mon désespoir et m’a envoyé chez une psychologue, Dominique Levadoux, spécialisée dans l’EMDR (intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires). Avec elle, j’ai entamé une thérapie qui m’a sauvé.

Sauvé cela veut dire qu’a contrario, sans ce traitement vous auriez pu mal finir ?

Non, j’ai toujours eu des ressources au fond de moi. Pourtant, avant de changer de cap, j’ai connu l’alcool et la drogue. Pas les drogues dures mais celles qu’on appelle festives.

La cocaïne ?

Oui. Je le dis sans honte. Ce fut une échappatoire, j’en suis sorti. J’ai dû me réincarner, accepter de devenir un homme comme les autres, privé de ce supplément d’âme qu’est le rugby. Joueur, je me sentais immortel, j’étais un dieu vivant. J’avais tout, l’argent était sans importance. Après, je fus seul au monde, comme un fauve de cirque lâché dans la jungle urbaine, destiné à mourir. J’ai pris des baffes de tous les côtés. J’étais comme œdipe sur la route, tourmenté. L’apaisement, je l’ai trouvé dans l’alcool et dans cette drogue festive. Alors, la réalité ne me faisait plus souffrir, je pouvais dire n’importe quoi, ce monde devenait moins agressif. Je m’enfuyais car je n’étais pas apte à cette vie d’après. Je n’avais pas les codes pour devenir un type normal qui cherche à redonner du sens à son existence. Un rugbyman de haut niveau n’a aucune responsabilité sauf celle liée au terrain. Mais en dehors… Quand j’ai arrêté, à 35 ans, j’en avais 15 d’âge mental. Je ne me voyais pas travaillant dans un bureau. Je me serais flingué, c’est une image. À 18 ans, on m’a fait cadeau d’un jouet que l’on m’a repris à 35 sans me dire pourquoi: ce fut tellement violent… J’aimerais que les joueurs de haut niveau soient pris en charge en fin de carrière pour les aider à retrouver le sens d’une nouvelle vie. Arrêter n’est pas une maladie et l’enjeu va bien au-delà d’un boulot à décrocher pour nourrir sa famille.

N’en voulez-vous pas à ce sport de vous avoir amené si haut pour vous envoyer si bas ?

Vous plaisantez. Je dois tout au rugby. La balance penchera toujours du côté du plaisir qu’il m’a donné. Mais on ne sort pas indemne d’une telle aventure.

C’était comme une drogue ?

Pire que ça. Cette adrénaline que tu prends dans la gueule à longueur de carrière est tellement artificielle. Elle te met dans des états seconds. Après avoir marqué ce fameux essai contre Toulon lors de la finale de 1989, un essai de 500 mètres, comme l’avait dit Daniel Herrero, l’entraîneur du RCT, je vole, je suis quelqu’un d’autre. Moi qui suis athée, je joins mes mains et j’invoque les dieux de l’Ovalie. Incompréhensible. Si cette vie fut parfois d’une violence absolue, je souhaite à tout un chacun d’y goûter un jour. Les acteurs meurent sur scène, car ils peuvent jouer jusqu’à 75 ans, pas les rugbymen.

Et aujourd’hui ?

C’est comme si je n’avais jamais joué. Je ne me prends plus pour un autre. Je me vois en fan de rugby. En passeur, aussi. L’important, ce sont les actes. Je me sens comme en mission notamment avec les Barbarians. Je ne fais pas les choses pour être jugé mais pour avancer. L’homme qui m’a le plus apporté en rugby, me donnant tout, c’est Pierre Villepreux. Erik Bonneval et moi, il nous appelait les merveilles. Avant d’entrer sur le terrain, il nous disait: «Régalez-vous». Avec ça dans la tête, il ne peut rien t’arriver, seulement du bonheur. Cette confiance, offerte, c’est la meilleure des drogues. Seulement, tout le monde ne peut pas porter ces deux mots-là. Il faut les habiter, et Pierre Villepreux les habitait. Je lui saurais gré toute ma vie de m’avoir dit ça. Tu n’as pas besoin de l’amitié de ton entraîneur juste de sa confiance. Pierre l’avait compris.

Une autre personne a beaucoup compté dans votre vie, Serge Kampf.

Oui, il fut très généreux avec moi mais j’ai tout perdu. Peut-être parce que cet argent ne me parlait pas. Il résonnait mal en moi.

De quelle manière a-t-il été généreux avec vous ?

En me donnant, comme à d’autres, des actions de sa société Cap Gemini. Leur valeur a tout à coup beaucoup monté.

C’était gros ?

Très gros. J’ai fait des dépenses, des conneries, j’ai investi dans l’immobilier, je me suis enflammé. Le krach boursier de 2000 est passé par là et mes actions, en quinze jours n’ont plus rien valu, ou presque. J’ai beaucoup perdu.

Au point de devenir pauvre…

Non mais pas loin. J’avais un lien, une amitié incroyable avec Serge Kampf. L’argent, c’est anecdotique. Certes, il m’a aidé par moments. Connaissant son parcours, j’étais admiratif devant sa réussite. C’est perturbant de fréquenter des personnes aussi riches que Serge, cette relation m’a grisé. J’ai parfois déraillé. Ces voyages sans limites, ce n’était pas la vraie vie, sauf pour lui. Moi, je n’étais qu’un pion, je ne dis pas ça méchamment. Cela engendre un déphasage pour soi, des fantasmes et des jalousies pour les autres. Si j’avais été intéressé par l’argent de Serge Kampf, je serais devenu millionnaire. Je vis bien mais j’en suis loin.

Dans le rôle que vous teniez au sein des Barbarians, celui de directeur sportif, il vous a parfois taillé des costards, n’est-ce pas ?

Comme un père à son fils.

Il a dit que vous manquiez de rigueur, vous traitant presque de…

… De branleur, oui. C’est ce qu’il aimait chez moi. Mais si je n’avais pas été branleur, aurait-il été attiré par ma personnalité ? Je ne crois pas. J’étais l’antithèse de Serge Kampf. Après tout, il aurait peut-être adoré être moi.

De la petite mort insupportable, auriez-vous pu aller à l’autre, la définitive ?

Non. J’ai connu des détresses mais rien de suicidaire. Par connerie, j’ai flirté avec le danger.

Question méchante, auriez-vous pu finir clodo ?

Non. Il n’y a rien de méchant. La question mérite d’être posée. Les frontières sont fragiles mais j’ai en moi une force intérieure qui m’a permis de me relever à chaque fois. Je dis ça sans prétention. Le courage, c’est ce qui permet de ne jamais renoncer.

Serge Blanco dit que vous êtes un caméléon. Comment le prenez-vous ?

Je sais qu’il me voit ainsi. Je peux cacher mon jeu, disparaître et réapparaître paré de mes plus belles couleurs. Cette image me va bien.

Êtes-vous loin de Serge aujourd’hui ?

Non. Serge Blanco, Jean-Pierre Rives, président à vie des Barbarians, et moi, avons les mêmes idées sur cette équipe. Ces deux hommes comptent beaucoup. Jean-Pierre est l’homme le plus brillant que j’ai rencontré, intellectuellement parlant. Surtout dans sa lecture de la vie. Ça ne veut pas dire qu’il n’a pas de défauts, il a même un caractère bien trempé. Il fait partie de mes maîtres, comme Serge Kampf et Richard Bohringer.

On suppose que ce dernier vous a pris par la main pour de grandes virées dans les nuits parisiennes…

Quand nous étions aux Bains Douches, une boîte de nuit à la mode, il me donnait des coups de savate pour me faire rentrer chez moi. Il m’engueulait mais j’étais satellisé dans ce monde de la nuit. Richard est un de mes anges gardiens, comme le psychanalyste Charles Melman, un génie de la vie.

Auriez-vous aimé sauver la vie de Geoffrey Abadie qui s’est suicidé en 2015 ?

La question ne se pose pas comme ça. Je ne pouvais pas le sauver. Je l’ai toujours su. Ça m’est difficile d’en parler. (Ses yeux se troublent) Les larmes ne peuvent pas couler, c’est fermé. J’en parle dans mon dernier livre «Balle de match». Je vois les enfants de Geoffrey, l’été. J’ai aidé Esteban, joueur de rugby à Brive.

Pour revenir à Serge Blanco, comment arrivez-vous à rester proche de lui alors que vous êtes dans le camp de Bernard Laporte ?

Ce n’est pas ça du tout. Serge et Bernard sont mes amis, je ne les mets pas en confrontation même s’ils sont dans des listes opposées dans l’élection fédérale. Jamais Serge n’a dit du mal de Bernard en ma présence et inversement. Je ne parle jamais de politique sportive avec Bernard. Il a intégré les Barbarians au projet fédéral du haut niveau mais ce fut une fausse bonne idée, une grosse connerie même. Elle a entraîné une perte d’identité, pourtant sa proposition était sympa. Les Barbarians vont perdurer sans l’aide de Serge Kampf qui, arrêtons les fantasmes, ne nous a pas laissé d’héritage. C’est peut-être mieux ainsi. Pour revenir à Bernard Laporte, je n’ai pas été d’accord avec lui quand il a viré de l’équipe de France, un autre de mes amis, Guy Novès. J’aurais aimé qu’ils s’entendent après s’être longtemps combattus. Bernard a pris une décision. Je ne la cautionne pas mais le président de la FFR, c’est lui. Je pense que la mésentente entre la FFR et la Ligue est une autre grosse connerie. On est toujours dans cette guerre d’ego qui prend le dessus sur le bon sens dont le rugby manque. Dans notre milieu, l’excès prédomine. Il faut exister à tout prix, revendiquer, monter un rapport de force sans chercher à s’entendre au final. Il y a aussi cette fierté. Le rugby nous a rendus trop fiers et trop cons. Je m’inclus dans cette sentence. Ma mère disait que dans la vie, pour avancer, il fallait savoir avaler des couleuvres. Pas toutes, une de temps en temps. Les choisir. Rester systématiquement dans le combat, c’est s’envoyer dans le mur, c’est oublier ce devoir de transmission qui me tient tellement à cœur.

Êtes-vous un homme apaisé aujourd’hui ?

Pas totalement mais je suis sur le chemin d’une forme de sagesse, un homme différent tous les jours. Ma boulimie de vie s’est calmée. Mon boulot de consultant sur RMC me plaît. J’ai maintenant le goût des choses simples. Je me sens davantage relié à la nature. J’espère réaliser le rêve de devenir metteur en scène. Je travaille à l’adaptation à l’écran de mon premier livre «La dernière passe».

Dernière question, si l’on vous met dans une foule comment vous reconnaîtra-t-on ?

On me reconnaîtra. (Il éclate de rire) Je sais, c’est très prétentieux. On va le prendre comme un «joke» (un jeu).

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