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Partie 2 - Mias : « Je réssusciterai en phénix »

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    Partie 2 - Mias : « Je réssusciterai en phénix » Midi Olympique
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C’est chez lui à Aussillon, tout près de Mazamet, que nous a reçus l’ancien capitaine de l’équipe de France, leader incontesté de l’équipe de 1958 qui avait créé l’exploit en remportant la série de tests en Afrique du Sud. À 90 ans passés, Lucien Mias, alias Docteur Pack ou Papidoc, a toujours cette voix forte et ce goût de la joute oratoire. C’est un homme simple et génial, bienveillant et mordant, cultivé et sensible. Il est, pour toujours, une icône du rugby français. Retrouvez la secondes partie de son entretien ici.

À présent stimulons votre mémoire. Vous souvenez-vous de ce que vous avez dit à vos coéquipiers après le deuxième test, victorieux, de la tournée de 1958 en Afrique du Sud ?

Non. On avait été bons, c’est tout. J’avais perdu contre les Boks en 1952, une lourde défaite, de plus de 25 points. ça, je m’en souvenais. Je m’étais juré que plus jamais, je n’encaisserais autant de points.

Comment l’équipe de France qui avait récolté la cuillère de bois lors du Tournoi 1957, a-t-elle réussi à remporter la série de tests en Afrique du Sud l’année suivante ?

Ceux qui sont partis en tournée en 1958 étaient très bons tous les dimanches. Pour que ça marche, il fallait changer des méthodes, à commencer par minimiser l’influence de Roger Lerou sur cette équipe (Roger Lerou, dirigeant Racing Club de France, était aussi très proche de l’équipe de France, N.D.L.R.). À propos de rugby, la plupart du temps, il ne disait que des conneries.

Pendant presque trois ans, vous n’avez pas été sélectionné et en 1958 vous fîtes votre grand retour en équipe de France.

J’avais refusé la sélection afin de me consacrer à fond à mes études de médecin. Je continuais à jouer pour Mazamet.

Quelle leçon technique aviez-vous retenue de ce revers contre les Boks ?

Qu’ils nous avaient balayés par des avants qui jouaient groupés. J’ai dit à l’entraîneur de Mazamet d’en faire autant. Il fallait arriver par vague. J’ai transposé ça à l’équipe de France. Devant, notre pack était composé de bourougnes, d’hommes issus du monde paysan, agricole, des durs.

Comment êtes-vous arrivé à agréger pendant cette tournée ce groupe constitué de joueurs aux cultures rugbystiques très différentes ?

Michel Célaya faisait les discours et moi je me positionnais en leader. En tournée, nous nous sommes entraînés comme des professionnels. Mis à part André Frémaud et André Haget, deux joueurs du Puc, personne ne parlait anglais. On vivait entre nous à ne parler et à ne penser qu’au rugby.

La discipline, c’était votre affaire.

Je m’occupais des avants, et Roger Martine des trois-quarts. Les compétences se sont additionnées. Le coup de génie était venu de Jean Prat. Il avait réussi à convaincre René Crabos, le président de la FFR, de mettre sur pied un pack costaud avec les trois-quarts de Lourdes. Et ça a marché. Nous avions été bons au premier test et meilleurs encore au deuxième.

1958, est-ce l’année zéro du rugby français ?

Suite à nos résultats en Afrique du Sud, le regard des autres nations sur le rugby français a changé. Un seul avait cru en nous, le journaliste de L’Equipe Denis Lalanne. Les autres pensaient que nous allions prendre volée sur volée. L’équipe s’est révélée et même révoltée comme ce fut le cas contre les Juniors springboks à Port-Elizabeth. L’arbitrage n’était pas correct, alors, à la demande de mes avants, j’ai lâché les chiens. Et c’est tombé sur le pauvre Labuschagne qui n’était pas plus responsable qu’un autre. Il a eu du mal à se relever.

Martine était votre alter ego dans la direction de l’équipe.

Nous étions tous égaux. Je m’occupais de la touche et du jeu de mouvement après cette phase de jeu. Elle était inexploitée. On a surpris les Boks de cette façon. Mais que cette tournée fut dure.

Dans les Cahiers de l’Equipe qui présentaient la saison 1959-1960 (ancêtre de l’almanach Rugbyrama), on trouve, un long texte de vous qui parle de technique, de stratégie. Quelque chose de pointu, d’argumenté.

J’adore qu’on me dise qu’à 29 ans je n’étais pas trop idiot. (il se penche sur sa photo dans ce magazine) En plus, j’étais beau gosse à l’époque.

Dans cette équipe de 1958 vous n’étiez pas juste un deuxième ligne de devoir, il y avait de l’entraîneur en vous, on en veut pour preuve que votre invention du demi-tour contact.

Vous allez finir par dire que je n’étais pas trop con (il éclate de rire). D’autres le pensaient, je me suis pas mal disputé avec eux. Dans ce pack de 1958, les gars ne s’exprimaient pas trop. Jean Barthe et les autres n’avaient pas fait d’études. Alors, parce que j’étais médecin, ils me badaient. Pour les récompenser de leurs exploits sur le terrain, je les faisais passer à la télévision. Les journalistes voulaient sans arrêt du Mias, je leur donnais aussi du Roques et du Quaglio. Je faisais de la psychologie de groupe avant l’heure. Et nous nous sommes montrés inventifs. J’avais l’habitude de dire qu’un pack, qu’une équipe, c’était comme une contagion.

En 2008, lors d’un rassemblement de glorieux anciens qui avait eu lieu, chez vous, à Mazamet. Jeanjean Barthe, le colosse, s’approchant de vous s’était exclamé : « Lucien, comment as-tu fait pour générer autant d’amour ? » Vous n’aviez rien répondu. Aujourd’hui, que lui diriez-vous s’il était toujours vivant ?

Rien. J’ai fait ce qui allait de soi. Jeanjean, qui avait ensuite quitté le XV pour jouer à Roanne XIII, a dû tomber dans des équipes au climat plus individualiste. Dans ce groupe, il y avait un trublion, Papillon Lacaze. Je ne l’ai jamais compris.

De l’équipe qui s’imposa lors du deuxième test, quatre joueurs sont encore en vie : Pierre Danos, François Moncla, Jean Carrère et Lucien Mias. Vous appelez-vous parfois ?

Un jour, je deviendrai peut-être le vétéran (Pierre Danos, né en 1929 est le plus ancien). Il faudra avoir du respect pour ma personne et m’appeler sire (il éclate de rire). Je les ai parfois au téléphone. Nous nous étions vus aux 90 ans de Denis Lalanne.

Sans que vous l’ayez voulu, le best-seller de Denis Lalanne « Le grand combat du quinze de France » fait de vous un héros à la fois simple et génial. Vous n’aviez pas aimé cette mise en avant.

Je n’en avais rien à foutre. Ni de flamber, ni du reste. J’ai toujours été le premier à déconner au Lido après les matchs en équipe de France. Je me suis même retrouvé en tutu au Tagada avec Dupuy sous une cascade. La photo a paru dans France Soir le lendemain. Je n’avais qu’une trouille, qu’un Mazamétain ait acheté ce journal. Aujourd’hui, cette photo ferait scandale.

Selon une source tout à fait sérieuse, il y a dans les archives de Paris Match, une photo en petite tenue après le deuxième test contre les Boks.

Je ne m’en souviens pas. En Afrique du Sud, à cette époque-là, il n’y avait rien pour s’amuser. C’était strict. On ne parlait pas anglais et ils parlaient tous anglais, ces cons-là. Ils ne pouvaient pas apprendre le français ? (il éclate de rire)

Pourquoi avoir arrêté en équipe de France si jeune, à 28 ans à peine ?

J’en avais marre. Quand j’arrivais en service de neurologie, j’avais presque droit à une haie d’honneur. Les soignants me parlaient plus du match du week-end que de médecine alors que nous étions là pour bosser. Certains étaient même étonnés de me voir au boulot le lundi matin. Ce vedettariat me gênait. Et puis, je n’étais plus aussi bon sur le terrain. André Momméjat était meilleur que moi en touche, Jeanjean Barthe était plus puissant. Je suis parti sur une victoire dans le Tournoi en 1959. Pour la première fois la France remportait cette compétition seule à la première place. Que pouvais-je espérer de plus, devenir président de la République ? Non, je ne voulais pas. J’ai décidé d’arrêter avant de me faire virer. Cela dit, porter le maillot de l’équipe de France est un devoir, pas une promotion.

Denis Lalanne avait une affection sincère pour vous.

Notre amitié datait d’un événement un peu particulier. J’avais eu une discussion avec Amédée Domenech, un bon pilier mais qui se croyait un peu au-dessus des autres et qui avait l’habitude de pérorer. C’était le chouchou de Lerou, dont j’ai parlé plus tôt. J’avais demandé à Domenech de se plier à mes directives mais il n’a pas voulu. Alors, on l’a viré.

C’est qui « on » ?

C’est moi. J’ai demandé qu’on prenne Aldo Quaglio et Alfred Roques. Ils furent de la tournée de 1958 en Afrique du Sud. Pour que Momméjat, qui n’avait pas la cote, puisse être pris en sélection, j’ai même dit avant une rencontre internationale que j’étais blessé. Ce n’était pas vrai. Alors André a joué contre l’Italie à ma place. Il avait été très bon et était devenu titulaire à part entière.

Quel regard portez-vous sur le rugby d’aujourd’hui ?

Je regrette que la spontanéité ait disparu. Les joueurs font ce que demande l’entraîneur.

Vous dites ça car vous appartenez à une génération qui n’avait pas d’entraîneur.

Oui, le jeu était l’affaire des joueurs. Maintenant, si tu n’obéis pas, on ne te garde pas. À 50 000 € par mois, ça peut paraître normal. Il y a eu un transfert de responsabilité et le rugby est devenu un travail.

Si l’on compare le temps de jeu des matchs des années 60 et celui d’aujourd’hui, il y a quand même une énorme différence.

Mais de quel temps de jeu parlons-nous ? Je ne vois que des gars qui tombent au sol. À part Clermont, le Racing, Toulouse et Bordeaux, les autres font du gagne-petit. Toutes les équipes devraient se faire des passes, comme à VII. J’aime cette forme de rugby. C’est un autre sport, sans véritable mêlée, et c’est peut-être mieux ainsi. Je vois que des anciens du VII, comme Barraque ou Vakatawa, brillent à XV.

Comment expliquez-vous que la Nouvelle-Zélande puisse dominer à ce point le rugby mondial.

En 1984, l’année où j’ai été consultant pour France 2 - j’avais été mauvais dans cet exercice - je me suis rendu en Nouvelle-Zélande pour y découvrir son rugby lors d’une tournée de l’équipe de France. J’ai compris comment cette nation fonctionnait. Loin de tout, les Néo-Zélandais s’emmerdaient, alors ils jouaient au rugby. C’était un monde paysan. Leur jeu se nourrissait aussi de la culture maorie. Ces gens sont des insulaires, ça forge différemment le caractère.

Qu’est-ce qui était mieux avant ?

J’avais 20 ans, je découvrais le monde.

Qu’est-ce qui est mieux aujourd’hui ?

La richesse de la France est plus grande. Je vois des gens pas heureux, pourtant, nous vivons dans un beau pays.

Politiquement, de quel côté va votre sensibilité ?

Vers le socialisme. Pas l’actuel, mais le radical-socialisme. Je suis saint-simonien en ce sens que s’il n’y a pas d’entreprise, il n’y a pas d’emploi. On l’a oublié. Il faut des usines ici, et non pas en Chine. Je suis d’ailleurs séduit par le principe des start-up.

Êtes-vous croyant.

Non, je suis baptisé mais laïque. Chacun fait ce qu’il veut, seulement, les croyances ce sont des conneries. L’église a fait tellement de bêtises. Comme le Vatican, main dans la main avec le troisième Reich pendant la deuxième guerre mondiale : ces millions de juifs morts sans que Rome ne réagisse. Pour ma génération, l’église s’est discréditée.

La fin, vous la voyez comment ?

Brutale. Le cœur pète. Tout est prêt, même le trou. Je me suis occupé des papiers pour soulager ma fille.

Et le jour même ?

Le moins d’emmerdements possible. J’ai eu une très belle vie, je veux une belle mort.

Et le jour d’après ?

Je ressusciterai en phénix.

Mais d’ici là ?

Même si c’est un peu court, on se revoit dans dix ans. Pourquoi pas quinze ? Chaque jour est un cadeau, et la fête continue…

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