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Comba : « Domi détestait parler de son mal-être »

Par Rugbyrama
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    Comba : « Repose toi Domi... Je t'aime... »
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Franck Comba (49 ans, 13 sélections) a tout connu aux côtés de Christophe Dominici : Mayol, Paris, les titres, la gloire, la bringue et les soirées d’angoisse. Il revient, pour nous, sur une amitié de près de trente ans et un drame qui le laisse encore aujourd’hui hanté par mille questions.

Vous avez quelque peu disparu du monde du rugby. Que devenez-vous ?

J’ai longtemps géré une boîte de location de bateaux, puis des restaurants, sur la presqu’île de Giens… Aujourd’hui, je m’occupe d’une propriété - le Polo Club de Gassin - située dans le Golfe de Saint-Tropez où j’accueille des clubs professionnels, qu’ils soient de foot ou de rugby. Le RCT est d’ailleurs passé chez nous, avant le premier confinement.

Et le rugby, alors ?

Je me suis essayé à une carrière d’entraîneur : c’était il y a quelques années, aux côtés de Christian Labit, du côté d’Aix-en-Provence. On est monté en Pro D2 et, arrivés là, on s’est fait virer au bout de quelques mois (2015). […] Je suis trop dans l’affect, moi. Je n’étais pas fait pour prendre en mains une équipe de pros. Maintenant, je le sais…

Ce week-end, le XV de France affrontera l’Angleterre en finale de la Coupe d’Automne des Nations. Quelle impression la sélection nationale vous fait-elle, aujourd’hui ?

Pfft… Cette équipe, minot, c’est un bonheur sans nom… Mais pour elle, l’objectif reste le titre de champion du monde en 2023. La finale, le podium, on s’en branle ! On veut un titre de champion du monde et ces mômes ont les moyens de le conquérir.

Quel regard portez-vous sur Gaël Fickou et Virimi Vakatawa, les deux titulaires au centre de l’attaque tricolore ?

Ils sont hors-norme, irréels. Tu m’imagines, moi, à côté de ces gonzes-là ? On disait déjà que j’étais un ovni, à mon époque ; j’étais le joueur le plus petit du monde, à ce qu’il paraît ! Comment m’appellerait-on, aujourd’hui ? (rires)

Vous avez joué aux côtés de Fabien Galthié, à l’époque où vous portiez le maillot du Stade français (1997-2003). Quel homme était-il alors ?

Un vrai demi de mêlée : caractériel, meneur d’hommes… Sa réussite ne me surprend pas. Mais la route est encore longue…

Vous avez affronté les Anglais le 20 mars 1999, à Twickenham. Vous aviez même marqué un essai…

(Il coupe) Et ça n’avait pas empêché « Wilko » de nous assassiner ! (rires) Il avait 20 piges, nous avait collé sept pénalités et on n’avait jamais eu le temps d’y croire (défaite 21 à 10, N.D.L.R.). Je m’étais dit : « Il est pas mal, ce gosse… On entendra parler de lui, s’il garde la cadence. »

Et votre essai, alors ?

Bof… Un ballon perdu par les Anglais, un coup de pied à suivre et j’aplatis… Sur l’une des photos du match, on peut d’ailleurs voir Jonny Wilkinson me courir après : il s’accroche, donne tout mais ne me rattrape pas ! (rires)

Après ce Tournoi des 5 Nations, vous n’avez pourtant pas été retenu dans le groupe France pour la Coupe du monde 1999. Pour quelle raison ?

Tout ça reste une blessure, même aujourd’hui… La question du « pourquoi », je me la suis posée des dizaines de fois… Ce Mondial, c’est le grand regret de ma carrière…

Alors ?

J’étais fatigué, je crois… Je venais de traverser une carrière sans blessure particulière, sans absence notable. J’avais joué, week-end après week-end, sans ne jamais m’arrêter et mon corps s’est probablement rappelé à moi. […] Comme je suis un sanguin, un nerveux, j’avais l’impression d’être en forme. Mais ce n’était pas le cas. J’aurais parfois dû couper. C’est ce que je ferais, aujourd’hui…

Avez-vous terminé votre carrière, fatigué ?

Oui. J’avais un jeu explosif mais physiquement, je n’avais rien d’un monstre (1,74 m et 78 kg). Au centre, j’affrontais tous les week-ends des mecs de cent plombes et j’adorais plaquer. Je plaquais, plaquais et en demandais encore. J’ai probablement payé tout ça, sur la fin. Pourtant, je m’y étais vu et projeté, dans cette Coupe du monde. Avant qu’elle ne commence, Jo Maso (alors manager des Bleus) m’avait même dit : « On retrouve le petit Codorniou, c’est bien ! » J’y croyais un peu, ouais…

Avez-vous grandi dans une famille de rugbymen ?

Non. Je ne suis pas du sérail, moi. Dans ma famille, il n’y avait que des footballeurs et j’ai donc commencé par le ballon rond. […] Mon éducateur m’avait foutu gardien de buts, j’ai passé une après-midi horrible et, ce jour-là, j’ai regagné la maison en pleurs. Au salon, ma mère prenait alors le café avec la compagne d’André Véran (une figure du rugby du Sud-Est). Elle m’a parlé de l’école de rugby d’Hyères, tout a commencé comme ça…

On vous suit…

Le foot, c’était le sport de mon père. Je ne l’ai quasiment pas connu, il est mort dans un accident quand j’avais 3 ou 4 ans.

Votre trajectoire de rugbyman est assez tortueuse : vous avez rejoint le RCT en juniors, puis êtes revenu à Hyères, avant de filer à Rumilly pour finalement retourner à Toulon…

Quand j’étais Reichel au RCT, Daniel Herrero me prenait parfois avec les grands : pour les matchs de préparation, les matchs du challenge Du Manoir, les trucs comme ça, quoi. Mais voilà : à l’époque, ma famille était dans la merde, j’avais besoin de bosser pour gagner de l’argent.

Et ?

Le RCT ne m’a rien trouvé. Je suis donc reparti à Hyères, où j’avais un petit boulot. Sur le coup, Daniel (Herrero) était très en colère. Un soir au bar, il m’a dit : « T’as rien compris à la vie et au rugby, toi. » J’ai baissé la tête…

On vous comprend…

Quand j’ai quitté Toulon, mon premier match en première, je l’ai joué avec Hyères contre Didier Codorniou, qui venait de signer à Villefranche-de-Lauragais. Quel souvenir, putain… C’est le mec que j’avais toujours badé… […] Après ça, j’ai signé à Rumilly (1992) et bossé chez Tefal, où je vendais des téléphones.

Comment ça, des « téléphones » ?

(Il se marre) Ouais, j’étais commercial et je vendais les téléphones d’une marque de poêles ! Va expliquer ça aux clients, toi !

Comment avez-vous débarqué à Paris, alors ?

J’ai passé trois ans à Toulon, après avoir joué à Rumilly. C’est à cette époque que j’ai rencontré « Domi », d’ailleurs. Mais le projet sportif du RCT était alors inexistant, le club jouait la descente… Tous les deux, on en avait marre de jouer les seconds couteaux. On voulait des titres, on voulait gagner : on a décidé de partir.

OK…

Avec « Domi », on s’était mis d’accord sur un truc : « si un club te contacte, tu me vends avec toi. » Mais personne ne s’est vraiment manifesté !

Alors ?

On n’avait pas d’agent. On a appelé Max Guazzini, qui ne nous a jamais répondu. Au bout du bout, on a dû passer, pour faire le lien, par Pierre Trémouille (ancien joueur du RCT et du Stade français).

Ça a marché ?

Oui. On s’est pointé dans le bureau de Max (Guazzini) fringués comme des cagoles, chemise ouverte et gourmette au poignet. Tout le trajet, on s’était dit : « La capitale, minot… Putain, ça s’annonce compliqué… Quel bordel, là-haut, dis… » On y a pourtant passé les plus belles années de notre vie.

Avez-vous changé de style vestimentaire, comme vous l’avait alors demandé Guazzini ?

Il nous a fait la guerre, putain… Toutes les semaines, il nous collait une amende de 300 francs (50 euros) parce qu’on avait oublié la cravate ou que notre chemise était mal repassée… […] On était « nature », ouais… Et on rigolait beaucoup… Au départ, on vivait tous dans un hôtel de la Porte de Saint-Cloud avec Cliff Mytton, « Domi », Christophe Moni et d’autres. Tu vois un peu le truc ?

Ce vendredi, Christophe Dominici sera inhumé au cimetière d’Hyères. Comment avez-vous appris sa disparition ?

C’est Christophe Moni qui m’a appelé… Il était sur les lieux, devant le corps… Moi, quand j’ai vu « Chris Moni » s’afficher sur mon téléphone, j’ai gueulé, tout content : « Allo, minot ? Ça fait plaisir, fan ! Quoi de neuf ? » Puis il a changé de voix, m’a tout expliqué… Voilà, quoi… (il fond en larmes)

Comment avez-vous réagi ?

Sur le coup, je n’ai pas compris, pas réalisé… Puis je me suis rapidement posé des questions : « Pourquoi était-il là ? Était-il à ce point malheureux ? » Il y avait tant de trucs bizarres, là-dedans. Christophe n’avait même pas laissé une lettre. (Il marque une pause) Mais bon… C’est « Domi », que veux-tu que je te dise… Il est comme ça… Avec lui, tu peux imaginer plein de choses et n’y rien comprendre, au final…

Avez-vous retrouvé le sommeil, depuis ?

Pendant trois jours, je n’ai répondu à personne. J’ai juste coupé le téléphone, je ne savais plus où j’étais. (Il fond en larmes) Il faut que je finisse par accepter. Mais ça prendra du temps…

Quel est votre dernier bon moment, avec Christophe Dominici ?

Tous les étés, il descendait me voir mais ces derniers mois, il avait été trop accaparé par l’histoire de Béziers.

Comment le sentiez-vous ?

Il disait que ça allait bien même si, au fond de moi, je savais ça n’allait pas… Mais je ne m’inquiétais pas plus que ça : c’était l’histoire de sa vie, ça ! Quand « Domi » était mal, il parvenait toujours à rebondir.

À quel point le rachat avorté de Béziers fut-il douloureux à encaisser, pour lui ?

Ouf… Il en a chié… « Domi », il a voulu faire ça à sa manière, prendre le truc et le rendre médiatique. Mais ça s’est mal passé et, derrière, il a pris tous les coups.

Vous parlait-il souvent de Béziers ?

(Il rit) Toutes les semaines, il me disait : « Tu vas venir avec moi ! On va bosser ensemble, comme avant ! »

Et que répondiez-vous ?

« Mais attends, Chris ! Prends d’abord le club et on verra ce qu’on fait ! » Tu parles, il ne m’écoutait pas. Il était lancé comme un cheval au galop. […] Vous savez, il ne jouait jamais, « Domi » : au toucher, dans un tournoi de cartes ou en Coupe du monde, il était toujours là pour gagner. Il avait un mental, putain…

Comment cela se concrétisait-il ?

Au début de sa carrière, on lui avait tellement dit qu’il était trop petit ou trop maigre qu’il a voulu prouver qu’en faisant différemment, il pouvait rivaliser avec les plus grands gaillards de la planète. Vous savez, il changeait de visage avant d’entrer sur un terrain ; ça se passait en une fraction de seconde.

Il a, malgré son physique atypique, réussi de grandes choses…

(Il coupe) Après la demi-finale de 1999, il a senti que sa vie avait changé. Il avait basculé dans une autre dimension. Il avait quelque chose en plus et les gens le savaient : ils l’adoraient.

L’hommage à « Domi » a été national : le ministre de l’éducation Jean-Michel Blanquer a parlé de lui à l’assemblée nationale, le chanteur Vianney lui a fait une dédicace, Patrick Sébastien en a fait de même…

Ça lui plaisait. Le showbiz, la lumière, tout ça… Il a même été conscient, à un moment de sa vie, de s’y être un peu perdu…

Quelle est l’anecdote que vous n’avez jamais racontée, concernant Christophe Dominici ?

En 1998, on est champion de France (avec le Stade français) et on décide, avec un ami navigateur, de descendre le Bouclier de Toulon jusqu’en Corse, par la mer. On grimpe dans le voilier et on prend le large. Putain, il n’y avait pas de vent ce jour-là, on faisait tout au moteur. « Teuf ! Teuf ! Teuf ! Teuf ! Teuf… » C’était long, nom de Dieu !

Alors ?

Quand on est arrivé au grand large, alors que le sondeur nous annonçait mille mètres de fond et que des dauphins commençaient à nous suivre, mon copain navigateur s’est foutu à l’eau, accroché au bateau par une corde. Quand je l’ai vu nager avec les dauphins, tu imagines bien que j’ai voulu faire de même. Sauf que…

Oui ?

Ce con de « Domi » a coupé la corde… Le bateau m’a laissé quelque temps en pleine mer, au milieu de ces gros machins et avec 1200 mètres de fond sous les pieds… La mer était toute noire, j’étais en panique et je hurlais, le traitais de tous les noms. (Il soupire) Et je revois son sourire d’enfoiré, là, au moment où il desserre le nœud…

Vous êtes-vous vengé ?

Tous les oursins qu’on avait pêchés ont fini sur lui !

Christophe Dominici croyait en l’invisible, aux choses qui nous dépassent. Vous en parlait-il, parfois ?

Oui et non. Il a toujours su que j’étais quelqu’un de terre à terre. La seule fois où j’ai partagé ce genre d’expérience avec lui, c’était au début des années 2000, quand il a commencé la kinésiologie (une technique d’équilibration émotionnelle et énergétique du corps par le test musculaire, N.D.L.R.) avec Pierre Césano, décédé depuis. J’avais d’ailleurs trouvé ça très intéressant.

Peu après l’assassinat de Robert Fargette (le frère de Jean-louis, l’ancien caïd du milieu varois) à La Valette, vous avez été tous les deux convoqués au commissariat. Vous en souvenez-vous ?

Oui, évidemment… On a été entendu deux fois par les policiers du Quai des Orfèvres. D’abord, parce qu’on connaissait « Ber » (Robert Fargette), avec qui on jouait parfois aux cartes. La seconde fois, c’était parce qu’on avait bu un coup dans le bar de Francis Le Belge (le parrain du milieu marseillais). Voilà… C’était une autre époque, quoi…

La semaine dernière, plusieurs des amis du disparu nous confiaient que Christophe Dominici, qui a suscité tant d’hommages, est pourtant mort seul…

(Il soupire) C’est « Domi » qui a voulu ça. Il a voulu être seul. Je culpabilise d’ailleurs beaucoup, depuis quelques jours. Je me dis : « pourquoi ne l’ai-je pas appelé davantage ? Est-ce que ça lui aurait fait du bien, changé quelque chose ? » Mais dans ces moments-là, il n’y avait que Jeannot (son père) pour le raisonner. « Domi », il détestait parler de son mal-être. Il voulait aider les autres et ne supportait pas qu’on lui tende la main.

Vous parlait-il parfois de sa sœur, décédée d’un accident de la route quand il avait 14 ans ?

Il faisait des sous-entendus, oui. Mais il ne s’est jamais vraiment épanché là-dessus… […] Il était pourtant d’une sensibilité rare : il aimait les chanteurs à texte, les trucs un peu mélancoliques ou les déclarations d’amour…

Quelle phrase Christophe Dominici vous disait-il le plus souvent ?

« Tu me casses les couilles, minot ! »

Qu’avez-vous envie de lui dire, aujourd’hui ?

« Repose-toi bien, minot. Je t’aime. »

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