L'envol des « tucanes » colombiens

Par Midol Mag
Publié le Mis à jour
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En à peine dix ans de vie légale, la Fédération colombienne de rugby franchit les étapes à vitesse grand V. Son prochain objectif : viser le professionalisme avec une équipe engagée dans la nouvelle Super league sud-américaine.

L'envol des « tucanes » colombiens
L'envol des « tucanes » colombiens Matias Arraez / FeCoRugby

En Colombie, le rugby est une histoire de confiance. Ce pays andin, à qui Christophe Colomb a un jour lointain cédé son nom, pose depuis dix ans les fondations d’un projet pour porter le rugby dans les plus hautes sphères du sport. Au four et au moulin, la FeCoRugby, peut compter sur des éléments charnières : son président, Andrés Gomez, son bras droit, Catalina Palacio (récemment élue première femme au conseil directeur de Sudamerica Rugby) et le volet sportif incarné par Sebastian Mejia, le sélectionneur, et John Carlos Alvarez, le capitaine de la sélection. Un état-major resserré qui a, en une décennie d’existence, battu des records de précocité. Une qualification olympique en 2016 pour les féminines en Sevens, quelques matches arrachés contre l’Argentine ou l’Uruguay pour les masculins, autant de trophées de guerre qui donnent de l’espoir à toute une nation… qui garde les pieds sur Terre.

« On se donne des objectifs réalisables » reconnaît de son propre aveu le sélectionneur, Sebastian Mejia. En 2010, les rivaux s’appelaient Pérou ou encore Venezuela. Trois ans plus tard, ce sont les Paraguayens que visaient les Tucanes (Toucans), surnom des joueurs et joueuses de la sélection colombienne. Si en 2013, le Paraguay comptait un avantage de 10 points au tableau d’affichage, en 2019, ce sont bien les Colombiens qui gagnaient par 50 pions au compteur. Une progression qui leur a valu une ascension fulgurante jusqu’au poste numéro 33 du classement de World Rugby. Pour autant, toujours pas d’enflammade dans la bouche du Président, Andrés Gomez : « Aujourd’hui, on est encore à un cran ou deux en dessous de la doublette Chili-Brésil, eux-mêmes, logiquement derrière l’Uruguay et l’Argentine. Notre idée reste de les dépasser pour obtenir une qualification pour le Mondial de 2031. Si la Coupe du monde passe à 24 équipes, nous pourrions accrocher ce troisième ticket synonyme de qualification directe. » Alors, comment être sûr d’avoir dans ses rangs les meilleurs éléments dans un pays quatre fois plus grand que la France, avec plus de licenciés, mais sans réels clubs structurés ? Pour compenser ce manque, la Fédération, principalement pilotée depuis Medellín, dans le département d’Antioquia, se donne les moyens en implantant en région des centres de performances. Ceux-ci, sont chargés de recevoir 300 garçons et filles des catégories moins de 20, moins de 18 et moins de 16, de leur faire passer des tests, de les mesurer, de les peser et de faire remonter toutes ses informations à la Fédération. Un véritable vivier comme l’explique Sebastian Mejia : « Lorsque l’on souhaite ajuster à un poste, on cherche dans le fichier : telle taille, tel poids, telle expérience et on le fait venir à Medellín pour le voir. »

Cafétéros Pro, la locomotive

En 2021, les Tucanes veulent prendre leur envol afin de « tirer la Fédération vers le haut », comme le souligne Catalina Palacio, directrice de la FeCoRugby. Pour cela, les Colombiens ont accepté la main tendue par Sudamerica Rugby. Ils intégreront la nouvelle Super ligue sud-américaine. L’équipe, Cafétéros Pro – le pays est l’un des principaux producteurs de café au monde – sera « à 90 % » composée de joueurs de la sélection actuelle, d’après la dirigeante. « C’est l’exigence du haut niveau qui nous emmène aujourd’hui au professionnalisme » déclarent d’une seule voix Andrés Gomez et Catalina Palacio. Si les futurs Cafétéros ont pu participer dès 2020 au tournoi (édition depuis annulée à cause de la pandémie mondiale), ils ont préféré prendre leur temps dans un pays où les démarches administratives sont longues et parfois laborieuses. Grâce à ses nouveaux statuts, approuvés par le Ministère des Sports, et votés le 31 octobre, la Fédération Colombienne de Rugby devient seulement la quatrième entité fédérative à pouvoir pratiquer du sport professionnellement. D’après le président de la Fédération, « cette fenêtre qui s’offre à nous est une chance de faire vivre beaucoup de monde, sur et en dehors des terrains, grâce au rugby ».

L'envol des « tucanes » colombiens
L'envol des « tucanes » colombiens Matias Arraez / FeCoRugby

Avec un budget qui devrait tourner autour des 90 000 euros, en comptant également sur un soutien financier de la part de World Rugby (effectif en 2020, à confirmer en 2021), Andrés Gomez, espère donner à boire et à manger à sa future formation pro. Mais ne vous y méprenez pas, ce n’est pas la ruée vers l’or que recherchent les Tucanes. John Carlos Alvarez (33 ans, deuxième ligne), capitaine de la sélection et en pôle position pour conserver le brassard avec les Cafétéros, y voit surtout la possibilité de faire grandir le sport : « Le fait de jouer face à des équipes argentines, uruguayennes, brésiliennes, de haut niveau va forcément nous faire évoluer. Vivre comme des professionnels, en groupe, ensemble, va aussi jouer un rôle dans notre développement. » Un projet similaire à ce qu’a pu connaître par le passé l’Argentine avec les Pampas XV ou plus récemment les Jaguares. Dans ce cas précis, les Colombiens, qui rêvent évidemment d’un destin comme leurs voisins albicelestes, veulent aussi en profiter pour développer leur championnat domestique. « Nous formons tous les clubs. Cette équipe doit appeler des clubs colombiens à aller chercher le professionnalisme » précise Catalina Palacios. S’ils ne spécifient pour le moment pas d’horizon à cette envie, sur et en dehors du rectangle vert on espère voir un jour un Super 20 colombien avec des divisions, des ascensions et des descentes.

Des têtes d’affiche

La Colombie est un pays qui a besoin de hérauts pour voir grandir ses disciplines. Les grands sportifs s’érigent rapidement au rang de héros nationaux comme James Rodriguez au football ou encore Egan Bernal sur la petite reine. En Ovalie, quelques joueurs pourraient représenter des vecteurs permettant de donner le goût du rugby. Andrés Zafra, deuxième ligne du SU Agen (Top 14) est « la fierté nationale ». Brayan Campiño, centre/ailier, évoluant au SCA Pamiers (Fédérale 1) le talonne de près. Julio Giraldo, Johan Larrota (New York Rugby United), Giovanni Carvajal, Danny Giraldo et Diver Ceballos (Peñarol Rugby) sont également des éléments attractifs. Sept joueurs internationaux avec un vrai rôle pour le groupe. « Même si (Andrés) Zafra, n’est pas revenu en sélection depuis 2015 et son départ en France, on a l’occasion d’échanger parfois. Ils nous aident vraiment », explique John Carlos Alvarez.

Pour Sebastian Mejia, le moment viendra : « On ne va pas l’embêter avec des matches contre des équipes avec un niveau inférieur. Le jour où on jouera des matches décisifs pour peut-être une place en Coupe du monde, oui nous l’appellerons. » Pour l’heure, le sélectionneur colombien compte au quotidien sur un groupe élargi de 50 éléments. « Nous travaillons avec ce groupe depuis 2019. Il y a un gros suivi » détaille Sebastian Mejia. L’objectif d’une victoire symbolique face au Chili en 2024 est dans toutes les têtes. Pour cela, il y a derrière ce leitmotiv tout un staff qui d’arrache-pied espère voir d'ici là un effectif de haut niveau composé de 75 joueurs. « Il nous faut des 2000, 2001 et des 2002 pour rêver du Mondial 2031. » répète frénétiquement Sebastian Mejia. À l'image de sa Fédération, jeune dans le milieu, John Carlos Alvarez (33 ans) aura en dix ans découvert le rugby, porter le maillot et le brassard de son pays et sera devenu joueur professionnel. Une carrière à vitesse grand V, et même s'il sait que 2031 ne sera pour lui, il aura, d'une certaine manière, contribué à faire voir la vie un peu plus ovale en Colombie.

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