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Carbonel : « Si tu ne crois pas en tes rêves, personne ne le fera... »

Par Pierrick ILIC-RUFFINATTI.
  • Louis Carbonel avec le maillot bleu lors du Tournoi des 6 nations des moins de 20 ans 2018. Depuis son plus jeune âge, le demi d'ouverture du RC Toulon est considéré comme un phénomène.
    Louis Carbonel avec le maillot bleu lors du Tournoi des 6 nations des moins de 20 ans 2018. Depuis son plus jeune âge, le demi d'ouverture du RC Toulon est considéré comme un phénomène. Patrick Derewiany. Midi olympique. - Patrick Derewiany. Midi olympique.
Publié le Mis à jour
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Double champion du monde de moins de 20 ans et devenu indiscutable à Toulon, « le petit prince de la Rade » s'impose comme l'un des plus grands espoirs du rugby tricolore. Son enfance, l'obligation de se réinventer pour le plus haut niveau et son rêve bleu, le maître à jouer s'est confié à Midi Olympique. 

Comment êtes-vous venu au rugby ?

J’ai été biberonné au ballon ovale par mon père et mes oncles, je suis donc tombé amoureux de ce sport dès la naissance. Il a toujours fait partie de ma vie, et d’aussi loin que je m’en souvienne, je n’ai jamais passé une demi-journée sans penser au rugby.

On imagine que vous avez donc rapidement pris votre première licence…

Pas tant que ça : mon père refusait que je fasse du rugby (rires).

Pourquoi votre père, champion de France en 1987 et en 1992 avec le RCT, ne voulait pas vous voir jouer au rugby ?

Ce n’était pas lié à la notion de combat, mais il ne voulait pas m’imposer un sport. Il avait peur que ce soit une passion par procuration, pour « faire comme papa ». Il m’a donc inscrit à d’autres disciplines, mais il était inconcevable pour moi de ne pas faire de rugby. J’ai finalement signé ma première licence à 5-6 ans, au Pradet. Puis l’année suivante, nous avons déménagé à Toulon et j’ai rejoint le RCT.

Quelles autres disciplines avez-vous pratiquées ?

Un peu de judo, de foot, de taekwondo et beaucoup de tennis, mais toujours en double licence avec le rugby. Puis avec le temps ce dernier a pris de plus en plus de place, et j’ai finalement coupé avec le tennis vers 13-14 ans.

Qu’est-ce qui vous plaisait au rugby ?

Très jeune, j’ai été pris de passion par le « fait stratégique » et la notion d’évitement. J’aime l’idée qu’on puisse faire croire à un adversaire, par une attitude, un mouvement ou un regard qu’on va prendre une décision, pour faire un geste complètement différent. J’ai toujours adoré le jeu de dupe, de bluff, qui te permet de gagner ton duel. J’aime également l’élégance d’un crochet qui casse le rideau défensif.

Quel est votre premier souvenir rugby ?

Les heures passées devant la télé à ne louper aucun match : ceux du RCT, des Blacks, du XV de France, de Super Rugby et également de Pro D2. Vraiment tout.

Et ceux de votre papa, Alain, qui a mis un terme à sa carrière avant votre naissance ?

Il refusait catégoriquement que je les regarde. Alors, je piquais les cassettes et je les regardais en cachette (sourire). Je suis né trop tard pour le voir jouer mais j’étais fier de lui. J’ai essayé de rattraper mon retard.

Alliez-vous à Mayol ?

Dès que j’en ai eu l’âge, mes grands-parents m’ont abonné au RCT. De mes 6 ans à mes 17 ans, quand je n’avais pas match, j’allais systématiquement au stade Mayol. Que ce soit avec mon grand-père, mes potes ou ma famille, j’ai vu passer le club du Pro D2 au triplé européen.

Quel était le rêve de Louis Carbonel à 6-7 ans ?

J’étais ce minot qui allait à Mayol et qui se disait « et imagine si un jour… ». Sauf que ce jour est arrivé : je suis passé des tribunes au terrain et j’ai réalisé mon rêve de gosse.

Cela vous semblait-il envisageable, malgré le nombre infime d’élus ?

Si tu ne crois pas en tes rêves, personne ne le fera pour toi… Je savais que ce serait dur, qu’il y avait énormément d’éléments que je ne maîtrisais pas, mais je ne voulais avoir aucun regret. Depuis mon plus jeune âge, je suis déterminé : vivre du rugby est la seule chose qui m’intéresse. Alors je me suis accroché à ce rêve. J’ai bossé, j’ai écouté les conseils et j’ai cru en moi.

Aviez-vous des idoles, à cet âge-là ?

Oh que oui! Je n’ai pas eu besoin d’aller très loin pour les trouver : Jonny Wilkinson et Matt Giteau. Le mix de ces deux joueurs serait à mes yeux la perfection, l’ouvreur ultime. Dans mes rêves les plus fous, j’aimerais avoir la constance, la fluidité et la maîtrise de Wilkinson, couplées à la vista et la folie de Giteau…

On dit que plus jeune, vous ne teniez pas en place. Comment cela se traduisait sur le terrain ?

Je voulais jouer de partout, de mon en-but aux 5 mètres adverses. Je demandais à mes coéquipiers de mettre de la vitesse, de relancer. C’est ce que j’aime dans ce sport. Grandir ne m’a pas changé : j’aime quand l’équipe envoie du jeu.

Votre père demeure le joueur le plus capé de l’histoire du RCT (401 matchs). Quel rôle a-t-il joué dans votre carrière ?

Beaucoup de parents sont réticents à l’idée que leurs enfants souhaitent devenir sportif pro, mais pas les miens. Au contraire, mon père était à l’écoute et avait bien compris que je n’avais qu’une option de carrière. Plutôt que de me décourager, il me donnait des conseils, plus ou moins techniques par rapport à mon âge. Il me faisait avancer, me permettait de prendre conscience de certaines attitudes à avoir ou non. C’était un conseiller privilégié.

Quel a été votre parcours chez les jeunes ?

J’ai fait toutes mes classes au RCT, puis je suis entré au pôle de Hyères à 15-16 ans. À cette époque, j’ai également découvert les équipes de France de jeunes.

À quel moment comprenez-vous que le rugby pourrait devenir votre métier ?

C’est quelque chose que tu ne vois pas arriver. Tu es jeune, tu fais tes classes, chaque échéance te semble plus déterminante que la précédente : l’équipe de France des moins de 16, moins de 17 et ainsi de suite jusqu’en moins de 20 ans. « Cette année, je passe un cap, c’est la saison à ne pas manquer, je vais mettre les bouchées doubles. » Et finalement tu mets les bouchées doubles chaque saison (sourire). Jusqu’au jour où tu arrives aux portes de l’équipe pro. Là, rebelote. Tu te dis : « O.-K., tout ce qui s’est passé avant n’avait aucun sens si je ne franchis pas ce palier ». C’est un cercle vertueux : tu bosses, encore, toujours, et finalement, tu vois le bout du tunnel et le rugby devient ton métier.

Avant de découvrir le Top 14 avec le RCT, on vous prêtait des contacts avec plusieurs clubs. Les portes de l’équipe une ne s’ouvraient pas aussi vite qu’on pouvait l’imaginer, et pourtant vous êtes resté fidèle à Toulon. Pourquoi ?

Toulon a connu dix ans de recrutements stratosphériques et de stars du monde entier, mais j’ai eu la chance d’avoir 18 ans au moment où le RCT changeait de philosophie et décidait de faire confiance à ses jeunes. Ça se serait peut-être déroulé différemment cinq ans plus tôt. Ou pas, d’ailleurs, on ne le saura jamais. Mais j’ai eu la chance d’arriver à une époque où les jeunes étaient au cœur du projet.

Était-ce important pour vous de réussir au RCT ?

Toulon est mon club de cœur, mais mon rêve était avant tout de devenir pro. Je suis heureux que les portes se soient ouvertes à Toulon, mais si elles avaient été fermées à double tour, j’aurais accepté de changer mon fusil d’épaule.

On raconte que, plus jeune, vous étiez nettement au-dessus du lot, au point de traverser le terrain et de marquer trois-quatre essais par match. Mythe ou réalité ?
 

C’est arrivé, mais pas si régulièrement que ça (sourire).

Plus on grandit, moins on traverser le terrain. Il faut alors se réinventer : comment y êtes-vous parvenu ?
Chaque fois que tu montes d’une catégorie, tu vois l’étau se resserrer. Il ne faut alors pas se sentir en situation d’échec, mais faire preuve d’intelligence et comprendre les missions qui incombent à ton poste. Tu as un rôle à jouer et si tu marquais des essais plus jeune, on attend désormais de toi que tu dictes le jeu, que tu sois décisif par d’autres gestes. En Top 14, tu n’as que des bons joueurs face à toi. Tu ne peux plus aller jouer des 1 contre 1 sur chaque action… Alors tu dois prendre conscience qu’il existe des alternatives collectives pour transpercer le premier rideau.

Comment avoir cette prise de conscience ?

Au début, être contrarié sur des gestes qui fonctionnaient jusqu’alors peut surprendre. Il faut prendre du recul. J’ai beaucoup parlé avec mon père, mes coachs, pour comprendre comment progresser et m’adapter à chaque palier. Il était indispensable de repenser mon jeu.

Combien de temps vous a-t-il fallu pour comprendre cela ?

Ce sont des choses qu’on te rabâche toute ta jeunesse, mais tant que tu n’es pas confronté à ces difficultés, tu ne le comprends pas. « Tu ne pourras plus traverser », tu traverses. « Tu ne pourras plus traverser », tu traverses. Et un jour, tu montes d’une catégorie et tu es pris quoi que tu tentes. Là, tu comprends qu’il va falloir rapidement trouver d’autres solutions.

Et ?

La meilleure façon de progresser a été de faire des erreurs, de me tromper sur des choix stratégiques. Il vaut mieux une mauvaise expérience qu’un bon conseil. Au plus haut niveau, c’est ta vitesse d’assimilation qui détermine ta valeur de joueur. Si tu continues de croire que tu feras les mêmes différences en pro qu’en Crabos, tu vas prendre un mur.

Vous découvrez finalement le Top 14 en 2017-2018, mais vous ne jouez pas autant que vous le souhaiteriez. Doutez-vous ?

Le problème c’est que, le jour où tu touches du doigt un niveau dont tu as toujours rêvé, ça ne te rassasie pas… Tu pourrais te dire : « O.-K. on m’a fait une faveur, je continue de bosser en silence ». La réalité, c’est que ça décuple ton envie de jouer. D’autant qu’à cette époque il y avait des Nonu, Ashton, Radradra, Fernandez-Lobbe… Tu ne peux pas te contenter d’avoir mis un pied dans la porte : tu veux la franchir complètement, même si tu as 18 ans.

Vous semblez être prédestiné à jouer au plus haut niveau depuis votre plus jeune âge. Pour autant on ne vous a jamais rien donné. On pense notamment au Mondial junior 2018 que vous démarrez sur le banc, avant de le finir titulaire indiscutable à l’ouverture, aux dépens de Romain Ntamack…

Je reconnais avoir souvent eu le sentiment de devoir me battre un peu plus que les autres. Je me suis beaucoup remis en question, car les choses ne se passaient pas comme je l’espérais… J’ai dû m’accrocher, on ne m’a jamais fait de cadeau. On ne m’a rien donné alors je me suis battu, mais quand tu as l’impression de bien faire, d’être décisif et qu’on te dit « tu dois faire plus », ça fait grincer des dents. Rien n’est jamais acquis, qu’importent tes performances passées.

C’est aussi parce qu’on attend toujours plus des joueurs dont on est convaincu du talent.

Peut-être, mais au moment où tu sors du groupe alors que tu as l’impression de répondre aux attentes, ça peut faire mal. Ça m’a agacé autant que ça m’a fait progresser, j’en ai parfois voulu au monde entier. Je ne sais pas si c’est lié à un quelconque potentiel, mais on m’a souvent mis dos au mur, pour voir ce que j’avais dans le ventre. Alors, je me surpassais pour prouver qu’on s’était trompé sur mon compte…

Vous avez remporté deux titres de champion du monde avec l’équipe de France moins de 20 ans en 2018 et 2019. Que vous ont apporté ces titres ?

Plus encore que de la confiance ou de la légitimité, être champions du monde des moins de 20 ans nous a offert un peu de reconnaissance et des souvenirs immenses, avec les copains. Pour le reste, nos carrières restent à construire. On peut être champion du monde en moins de 20 ans et ne jamais signer pro : nous avons encore tout à prouver.

Il y a 10 ans, vous rêviez de jouer en Top 14. De quoi rêvez-vous aujourd’hui ?

Après avoir goûté au Top 14, je rêvais de devenir un joueur régulier et maintenant j’aimerais aller chercher le niveau supérieur… Je rêve de remporter un titre avec le RCT. Ce serait incroyable.

Si vous discutiez avec le Louis Carbonel de 7 ans qui rêvait de devenir pro, serait-il fier de vous ?

Il serait fier, mais c’est un compétiteur. Il me demanderait d’aller encore plus loin (rires). On ne connaît pas la limite, on va essayer de voir où cela peut me mener. J’en veux toujours plus.

Dans quels secteurs aimeriez-vous encore progresser ?

Je suis un attaquant, c’est évident, mais il faut que j’apprenne aussi à mettre le pied sur le frein, afin de mieux alterner entre l’attaque et la gestion.

Quid de la défense ? N’auriez-vous pas intérêt à vous économiser par moments ?

Je ne peux même pas l’imaginer. Tout le monde doit plaquer. Je déteste quand un mec se cache, alors comment imaginer devenir ce joueur ? On m’a souvent demandé de me protéger, mais ça fait partie de mon rugby : si on me vise, je réponds. Je n’accepterais jamais de moins défendre. Je ne peux pas concevoir de laisser ma part en défense. D’autant que ça correspond aux valeurs du RCT : si on te pique, ne te laisse pas faire !

Justement, que représente à vos yeux le RCT ?

Je suis attaché à la région, à mon mode de vie, à mes amis et à tout ce que j’ai construit depuis vingt ans à Toulon. Mais je n’ai pas plus de rêves au RCT que j’en aurais ailleurs. J’ai toujours porté les couleurs Rouge et Noir, j’en suis fier, mais si demain pour une raison X ou Y le RCT ne veut plus de moi, ce sera ainsi… Maintenant je n’ai pas envie de changer d’air, tout se passe bien et Toulon est mon club de cœur. Que j’y joue ou non.

Pour conclure, avec la blessure d’Anthony Belleau, vous êtes l’unique ouvreur, le buteur numéro 1 et le vice-capitaine du RCT. Comment appréhendez-vous cette pression ?

J’aime les responsabilités et celles qui me sont confiées en ce début de saison me plaisent. Je me sens bien, j’espère que ça va continuer. Le plus dur n’est pas d’être performant, mais de conserver un niveau constant tout au long d’une saison. C’est mon objectif cette année.n

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