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Sinzelle, le couteau suisse de La Rochelle

Par Jérôme Prévôt
  • Jérémy Sinzelle, le couteau suisse de La Rochelle
    Jérémy Sinzelle, le couteau suisse de La Rochelle Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Le Rochelais Jérémy Sinzelle est l’un des joueurs les plus brillants du début de saison. À trente ans, sa carrière n’a jamais été aussi impressionnante. Son éclectisme aussi puisqu’il peut jouer à quatre postes.

Jérémy Sinzelle est au cœur d’un petit jeu auquel on aime se livrer à la rédaction de Midi Olympique, ailleurs aussi sans doute. Former un XV des non-internationaux français et donner une sorte d’oscar informel. Celui du meilleur joueur français à n’avoir jamais porté le maillot bleu. En ce début de saison, on aimerait donc bien le donner au Rochelais d’adoption de 30 ans, 219 matchs professionnels dans les jambes, dont 168 en Top 14. Ses éclairs sont imprimés dans notre mémoire récente. Peut-être pas des essais en bonne et due forme, mais des interventions, des inspirations, des courses qui expriment ce truc assez impalpable qu’on appelle «talent» ou plus modestement, «sens du jeu».

Jérémy Sinzelle n’a marqué que deux essais cette saison pour La Rochelle, mais à chaque match il a joué les «facteurs X». On l’a remarqué, contre Bordeaux-Bègles par exemple le 25 octobre, au cœur de plusieurs déferlantes dévastatrices chercher à toujours jouer debout. Contre Brive aussi, le 28 novembre, il avait crevé l’écran. Son entraîneur adjoint Sébastien Boboul avait alors confié lapidaire : «Jérémy ? Très bon défenseur, très bon animateur, c’est une pièce essentielle dans notre ligne de trois-quarts. Il est capable de tout faire.» Mais au fait à quel poste joue-t-il ? Cette saison, il a joué trois fois à l’arrière et cinq fois au centre, quatre fois avec le "12", une fois avec le "13".

L’art de sentir les coups

La proportion était à peu près la même l’an passé. Mais entre 2017 et 2019, Patrice Collazo et Xavier Garbajosa l’avaient fait débuter onze fois à l’ouverture. Quand on observe sa dernière saison au Stade français en 2016-2017, on voit qu’il avait alors commencé quinze fois à l’aile en Top 14. À ses tout débuts professionnels à Toulon dans les années 2008-2010, il était vu comme un ailier exclusif. C’est à ce poste qu’il fut sélectionné dans les équipes de France de jeunes, quand il était pensionnaire du pôle France en 2008-2009 aux côtés des futurs internationaux Rémi Lamerat, Kevin Gourdon ou Romain Taofifenua.

C’est aussi le poste avec lequel il fut champion de France en 2015 avec le Stade français. Jérémy Sinzelle aura donc occupé au plus haut niveau toutes les positions des lignes arrière du 10 au 15, performance assez rare finalement. Une sorte de Jean Gachassin des temps modernes, qui aurait fait une carrière moins médiatique mais tout aussi exemplaire.

La question de la vitesse

Philippe Saint-André son premier manager professionnel se souvient très bien : «Il est originaire de Nice, il est arrivé à Toulon et je l’ai lancé. C’était une "éponge", il apprenait très vite et il avait un mental incroyable. Il était toujours positif. Il avait d’ailleurs fait la finale du Challenge européen avec nous comme titulaire face à Cardiff. Mais je lui avais dit qu’il manquait de vitesse pour faire une très grande carrière au poste d’ailier. Il lui manquait la vitesse pure et longue, celle qui dépasse les trente mètres de course. Je lui avais dit qu’on allait le former au poste de second centre, il était assez d’accord avec ça. Il a suivi ensuite l’évolution de son an. La suite de sa carrière ne m’a pas étonné. C’est un "couteau suisse", un très bon joueur qui ne lâche rien. Il a quatorze sur vingt partout, il ne passe jamais à côté de ses matchs. Je pense que s’il avait commencé sa carrière au centre. Il aurait compté au moins une ou deux sélections.»

Un passage à vide au RCT sous Laporte

Julien Dupuy, l’a longtemps côtoyé au Stade français et est l’un de ses meilleurs amis dans le milieu. «Je suis plutôt d’accord. Le manque de vitesse est son seul défaut. Mais c’est à l’arrière que je le trouve vraiment très fort. La plupart du temps, c’est lui qui crée les coups et qui fait la dernière passe. Je suis désolé, je ne me souviens plus contre qui c’était, mais j’ai en mémoire un match récent où il a été presque parfait. C’est incroyable, il a joué juste tous ses ballons, il avait décalé, il avait marqué. Ses qualités premières, c’est de savoir tout faire et surtout de… sentir les coups.»

Sentir les coups, ça reste donc encore le cœur du savoir-faire d’un attaquant de haut niveau. Plus que la puissance physique ou la rapidité, c’est avec un petit soulagement qu’on entend ça. Ce profil lui aura ménagé un parcours poussé par une brise favorable. Il a aussi gagné le Challenge européen avec 2017 avec le Stade français, joué la finale en 2019 avec La Rochelle (les deux fois comme remplaçant). Les observateurs de Marcel-Deflandre apprécient son franc-parler et son sens de la formule, pas si fréquentes dans un milieu souvent aseptisé. «Il faut savoir que c’est un gars très attachant, toujours de bonne humeur, qui vient à l’entraînement en souriant. Même s’il a un bon petit côté râleur qui le rend sympathique» reprend Julien Dupuy.

Mais comme toutes les carrières, celle de Jérémy Sinzelle ne fut pas sans moments de creux. Chez lui ça correspondit à l’arrivée de Bernard Laporte comme entraîneur du RCT. Il l’avait confié dans un entretien à rugbyrama.fr. «J’avais 20 ans et je sortais d’un management avec Philippe Saint-André où c’était un peu plus "cool" J’arrivais à enchaîner et Philippe ne me prenait pas trop la tête quand j’étais moins bien alors qu’avec Bernard, tout était carré et il fallait être bon le jour où il te donnait ta chance. Malheureusement, je n’ai pas été performant et c’était ce côté-là : tu n’as pas été bon, tu te fais engueuler à 20 ans, tu viens à peine de commencer et il te tombe dessus. Les réunions elles étaient vraiment dures et je n’étais pas prêt. Aujourd’hui avec plus d’expérience, je prends ça différemment. Pour être plus performant tous les week-ends, c’est ce management qui me plaît.»

Il ne lui manque que des sélections

À trente ans, de son propre aveu, il ne se sent plus au sommet quand on le fait jouer à l’aile (il y a évolué ce dimanche contre Montpellier car il n’y avait pas le choix). Si La Rochelle doit gagner des titres, ce serait plutôt avec Sinzelle à l’arrière ou au centre (il y aurait du monde à déloger à l’ouverture). On se dit qu’à une époque ce genre de destinée pouvait très bien déraper sur une sélection ou une invitation à une tournée estivale. Mais c’est vrai, qu’avec le projet 2023, à trente ans, le sens de l’histoire ne tourne pas en sa faveur. Julien Dupuy conclut : «Nous en avons très peu parlé. Mais j’espère qu’il y pense. On a besoin d’avoir des gars comme ça, qui jouent à tous les postes qui peut dépanner et être bon, même s’il ne va pas aussi vite que les autres. En plus, dans un groupe, il est très intéressant moralement et mentalement.»

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