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Lacroix : « J'étais considéré comme un dieu en Afrique du Sud » (1/2)

  • Thierry Lacroix sous les couleurs de Perpignan. Thierry Lacroix sous les couleurs de Perpignan.
    Thierry Lacroix sous les couleurs de Perpignan. MIDI-OLYMPIQUE - GARCIA BERNARD
Publié le Mis à jour
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L’ancien trois-quarts centre et ouvreur de l’équipe de France, longtemps consultant rugby sur France Télévisions et TF1 s’était volontairement éloigné de la sphère médiatique. À 53 ans, toujours tonique, sensible, engagé dans de nouveaux projets professionnels, il s’arrête sur plusieurs épisodes de sa vie familiale et sportive. Voici la partie 1 de son entretien.

Cela fait longtemps que vous n’aviez pas pris la parole, pourquoi être sorti des radars ?

J’ai fait ça volontairement à la fin de la Coupe du monde 2015. Le rugby que je commentais m’avait fait perdre mon enthousiasme. Sur le terrain, je ne voyais plus de flair, plus d’intelligence. L’analyse situationnelle si chère à Pierre Villepreux, Jean-Claude Skréla et Robert Bru, entraîneurs au Stade toulousain, s’était volatilisée. De mon poste de consultant, je ne vibrais plus. J’ai préféré me retirer. J’ai dit stop par lassitude. Je commentais depuis 1998, et pour faire vibrer les téléspectateurs, il faut vibrer soi-même. Ce n’était plus le cas. Je suis quelqu’un de très droit, sincère : je ne pourrai jamais vendre un produit que je ne sens pas.

Le consultant est-il là pour vendre le produit rugby ?

Lui non, mais le journaliste qui l’accompagne oui. La chaîne qui l’emploie a acheté les droits et ça lui met la pression.

Pierre Salviac votre binôme était-il comme ça ?

Non, sur la chaîne publique, que vous fassiez un spectateur ou 18 millions, le résultat est le même. Sur une chaîne privée, type Canal ou TF1, c’est très différent. Il faut faire de l’audience. Quand je suis arrivé sur TF1 pour la Coupe du monde, j’ai senti de suite que j’étais sur une chaîne commerciale, ce qui n’avait pas été le cas pendant les douze ans passés sur France Télévisions.

Quel statut aviez-vous dans le service public ?

Je n’avais pas de contrat, je travaillais à la pige et touchais un défraiement. Ça payait une bringue, c’est tout. Le premier à avoir bien gagné sa vie comme consultant, c’est Fabien Galthié. Sur TF1 pendant la Coupe du monde, j’ai eu droit à de vrais contrats. J’ai découvert le business lié à un rugby. Ce sport était devenu mercantile.

Vous aviez toutes les cartes en mains pour rester la voix du rugby à la manière d’un autre Dacquois, Pierre Albaladejo. Mais vous avez dit stop.

Je n’ai pas eu de mal à disparaître car je m’étais déjà fait un nom et un prénom dans le rugby. La télévision m’a permis de faire durer ce que j’avais connu sur le terrain. Au moment de lui succéder, Pierre Albaladejo m’avait dit que je ne vivrais jamais de mes commentaires mais qu’ils me permettraient de bien gagner ma vie en dehors. C’est ainsi que j’ai pu ouvrir un cabinet de kiné à Dax avec mon frère jumeau, Pascal.  

Mais vous n’êtes pas resté longtemps kiné.

Cinq ans. J’ai adoré ce métier mais je n’étais pas fait pour ça. Avoir joué en équipe de France m’avait permis de rencontrer beaucoup de monde et être enfermé entre quatre murs ne m’allait pas, ne me servait à rien. Il fallait que je sois disponible pour monter d’autres projets. Plein de gens venaient jusqu’à Dax pour me rencontrer. Certains patients, ne présentant aucun symptôme, venaient même au cabinet avec une ordonnance de quinze séances juste pour que je m’occupe d’eux.

Vous avez préféré une forme de vie au grand air.

L’être humain vit sous l’effet de stimuli. C’est sa manière de les absorber qui va en faire un homme différent d’un autre. J’ai prouvé lorsque en qualité de buteur, que je pouvais supporter la pression. Je ne suis pas un gars hyper sensible. Mais la sensibilité peut avoir de nombreuses expressions. Quelqu’un m’a dit un jour : « Tu es tellement pur que jamais tu pourras faire de politique. » J’ai répondu que ça m’allait très bien ainsi.  

Pur, qu’est-ce que cela signifie ?

Que je suis capable d’arrêter la télé à un moment où j’aurais pu en vivre très bien.  

Qui est la voix du rugby aujourd’hui ?

Il n’y en a pas. Plus personne ne dure. Roger Couderc, Pierre Albaladejo et Pierre Salviac ont été en leur temps les voix du rugby. Il n’y avait qu’une chaîne qui donnait toutes les compétitions. « Bala », qui ne m’a jamais imposé pour le succéder, m’a dit un jour : « Je n’aurais pas pu commenter le rugby pro car je n’avais pas la crédibilité nécessaire que tu as toi, Thierry, qui a connu le monde amateur et pro. » En commentant trente week-ends par an sur France Télévisions comme je l’ai fait, ce fut plus facile de s’imposer. Comme Pierre Albaladejo, je me suis toujours placé dans le registre de la pédagogie. Peut-être les gens en ont-ils eu assez de cette manière de commenter ? Les téléspectateurs ont changé, les chaînes se sont adaptées à ce nouveau consommateur rugby. L’abonné de Canal se fout de la pédagogie, il veut plus de technique, de stats et de stratégie. À TF1, si par exemple on m’avait demandé de parler à la ménagère de moins de 50 ans, je l’aurais fait.

Commenteriez-vous à nouveau ?

Le break m’a fait du bien. L’envie est revenue.

C’est un appel du pied aux patrons de chaînes ?

Non. Je continue à prendre la parole dans des entreprises où je rencontre des gens de 40-60 ans qui m’ont connu consultant. Ils m’avouent que ma voix leur manque. Pour eux, le rugby à la télévision est devenu linéaire, lisse.  

Vous avez été joueur, commentateur. Auriez-vous pu être entraîneur ou agent ?

Entraîneur, je n’avais pas les diplômes. Agent, certainement pas car le côté mercantile passe trop avant l’humain. Vendre un joueur comme une boîte de cassoulet, ça non. Il n’y a ni pureté ni sincérité dans cette activité. Je ne me voyais pas « discounter » un joueur juste pour gagner plus d’argent. J’ai préféré voyager, partir, en Australie, notamment pour les laboratoires Fabre. Là-bas, j’ai rencontré d’anciens très grands joueurs, John Eales, Michael Lynagh, Grant Fox, Sean Fitzpatrick. Ils m’ont dit : « Tu es le seul Français à avoir terminé meilleur réalisateur d’une Coupe du monde, en 1995. Tu dois avoir une statue chez toi en France. » J’ai dit non. Quand je suis rentré d’Afrique du Sud en 1995, je n’ai eu ni un coup à boire de mon club, l’US Dax, ni de la Fédération. J’avais même marqué le 1000e essai de l’équipe de France, face à l’Irlande.

Comment expliquez-vous ça ?

J’y vois de la jalousie venant de certaines personnes. Partout le meilleur réalisateur d’un Mondial est honoré, pas moi. Je ne suis pas amer. Je vis ça comme une incompréhension. Comme dans le cadre de l’affaire de Bègles-Bordeaux. Je n’ai pas voulu entrer dans la polémique, pourtant j’ai pris beaucoup de coups. J’ai préféré m’effacer.

L'international français a évolué sous les couleurs des Saracens durant sa carrière.
L'international français a évolué sous les couleurs des Saracens durant sa carrière. MIDI-OLYMPIQUE - GARCIA BERNARD


Quand vous étiez joueur on vous a vu souvent soutenir la polémique, notamment quand il était reproché à l’équipe de France de Pierre Berbizier de ne pas bien jouer.

Je n’ai jamais dit que j’avais bon caractère, sinon, je ne serais pas arrivé là où j’en suis. J’ai parfois changé de numéro de téléphone quand un journaliste devenait trop chiant avec moi. J’ai un grand défaut, je suis rancunier. Je serais du genre à ne pas oublier.

Vous devez traîner quelques boulets ?

Je suis rancunier sur l’humain, et rien d’autre. En vieillissant, j’ai tendance à oublier. Dans la vie, il y a des leaders et des suiveurs, il y a aussi des caractériels et des gens qui ont du caractère.

En 1995, à votre retour de la Coupe du monde, vous décidez avec Olivier Roumat  de repartir en Afrique du Sud pour disputer la Currie Cup avec le Natal alors que le rugby n’était pas professionnel...

Transgression que nous avons payée au prix fort en écopant d’une licence rouge pendant six mois. Pourtant, Bernard Lapasset, le président de la FFR, avait assuré le président dacquois, Jean-Louis Bérot, qu’aucune sanction ne serait prise à notre retour. Olivier et moi étions dans le bureau au moment de la discussion entre Lapasset et Bérot. Nous étions les premiers de l’ère pro à tenter l’aventure. Personne n’avait prévu qu’Olivier et moi, allions remporter quatre mois plus tard la Currie Cup. Et on a pris six mois d’interdiction de rugby en équipe première. À cause de ça, j’ai manqué les Blacks à Toulouse. Je m’en souviens encore. Je me revois dans les tribunes, administrativement sanctionné, et ça, c’était dégueulasse. Je l’ai vécu comme une injustice de la part de Bernard Lapasset, qui n’a pas tenu parole, et Jean-Louis Bérot qui ne s’est pas rebellé. Il y avait de quoi taper sur la table en criant bien fort : « Je veux récupérer mes joueurs. » Mais non, Olivier et moi avons pris six mois de frigo.

Peut-être le fait d’avoir gagné trop d’argent trop tôt, en Afrique du Sud, est une explication cachée ?

Les rands sud-africains ne valaient pas mieux que des billets de Monopoly. Je touchais un défraiement après chaque entraînement et un peu d’argent en plus. J’étais considéré comme un dieu dans un pays où j’ai ouvert, par exemple, des hôtels en présence du ministre du Tourisme de l’époque. À mon retour en France, je n’étais plus rien (...) Le président de Dax m’a dit lorsque j’ai annoncé mon nouveau départ pour l’Af’ Sud qu’il ne pouvait pas faire autrement que de couper mon salaire par deux. Comme un con, j’ai dit oui alors que j’avais un contrat pro. J’aurais pu l’amener aux prud’hommes.

Sauf que votre course ne s’est pas arrêtée en Afrique du Sud...

Après la deuxième expérience au Natal où j’ai commenté mon premier match international de rugby, pour Canal, en 1996, je suis parti en Angleterre, aux Saracens. Là, j’ai découvert le professionnalisme naissant, ses contrats et ses salaires élevés. J’y ai même animé une émission « Inside rugby ».

Dax était devenu trop petit pour vous ?

Non, je devais partir car j’y avais vécu une déception. Je ne pouvais pas avoir battu des records en équipe de France pour rien. Je n’ai rien fait de mal : je ne suis ni un salopard ni un vicieux.

Pourquoi être rentré en France au bout de cinq ans alors que vous gagniez bien votre vie ?

Pour le soleil. Pas pour l’argent, la livre valait dix euros à l’époque. Ce retour s’est engagé d’une drôle de façon. Jean-Louis Calméjane, qui commentait un match à Perpignan, avait dit à Marcel Dagrenat, le président de l’Usap que j’allais quitter l’Angleterre. Une semaine plus tard Dagrenat était chez moi à Londres pour me faire signer.

Bonne personne, Marcel Dagrenat ?

Super mec. Très carré.

Pas vraiment branché sur l’humain.

C’est vrai mais lorsqu’il promettait, il tenait. Quand je suis arrivé, Olivier Saïsset entraînait, je me suis glissé à l’arrière pour ne pas perturber l’équipe. Puis j’ai terminé à l’ouverture. Je devais boucler ma carrière à Perpignan où je m’étais bien intégré...

Mais vous avez finalement terminé à Castres.

Un coup de téléphone de Pierre-Yves Revol m’a fait sortir de ma retraite. Après six mois d’arrêt, j’ai intégré le groupe premier au bout de quinze jours d’entraînement. Et l’équipe s’est remise dans l’axe. Je me suis pété les croisés en fin de saison, c’est ainsi que j’ai terminé ma carrière à 37 ans.

Ces dernières années, on vous a vu du côté des clubs de Chambéry et d’Orléans, deux expériences que l’on pourrait qualifier de douloureuses.

On ne peut pas toujours réussir. Les deux histoires sont différentes. J’avais besoin de revenir au rugby et de le comprendre mieux, de retrouver le terrain. Je me suis occupé de marketing, pas de sportif. J’ai créé des produits qui ont marché, ils continuent à fonctionner. Ça s’est arrêté. Je ne parlerais d’échecs.

Que faites-vous aujourd’hui ?

Je travaille pour la société DataSolution, expert de la transformation digitale et de tout ce qui est e-commerce : le B to B pour la vente à une entreprise, et le B to C pour la vente au client. Nos ingénieurs et nos développeurs créent des sites internet internationaux de A à Z. Les clubs sportifs, suite aux problèmes liés à la pandémie, se sont rendu compte qu’il était crucial à défaut de billetterie, de loges, de buvettes, d’avoir un site propre pour compenser ses pertes.

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