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2020, l'année de Dupont : l’avènement d’un phénomène

  • Antoine DUPONT of France during the test match between France and Wales at Stade de France on October 24, 2020 in Paris, France. (Photo by Sandra Ruhaut/Icon Sport) - Antoine DUPONT - Stade de France - Paris (France)
    Antoine DUPONT of France during the test match between France and Wales at Stade de France on October 24, 2020 in Paris, France. (Photo by Sandra Ruhaut/Icon Sport) - Antoine DUPONT - Stade de France - Paris (France) Icon Sport - Icon Sport
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Promis à un avenir rare depuis ses débuts en pro à 18 ans, le Bigourdan a eu le mérite de surmonter les obstacles pour se hisser à la hauteur de son potentiel.

C’était il y a cinq ans, jour pour jour, ou presque… On nous permettra cette anecdote toute personnelle, mais en ce mois de janvier 2015, c’est une évidence qui nous sauta aux yeux: celle d’avoir assisté, lors d’une réception des Harlequins par Castres, à la naissance d’un véritable phénomène, lancé quelques semaines plus tôt en Top 14 contre Toulon, une poignée de jours avant sa majorité. Malgré la large défaite des siens ce jour-là, du haut de ses 18 ans, Antoine Dupont avait, pour sa première titularisation en Coupe d’Europe, inscrit son premier essai en pro, au bout d’une accélération au ras d’un ruck qui allait devenir sa marque de fabrique. De quoi susciter pour ce joueur un enthousiasme qui ne s’est jamais démenti par la suite, malgré des hauts et des bas comme ce statut pesant de joker de luxe à Castres, son transfert à Toulouse pas franchement bien digéré par le CO, ou sa rupture des ligaments croisés en 2018.

Car il fut en effet patent dès ses débuts que, sous sa tignasse mal dégrossie qui camouflait mal ses pommettes saillantes, se cachait en Antoine Dupont le potentiel rare d’un champion. Pas le premier, on vous l’accorde. La différence, avec les autres ? Il est que le natif de Lannemezan sut répondre à toutes les attentes placées en lui, jusqu’à incarner aujourd’hui « le meilleur demi de mêlée d’Europe » à en écouter la référence all black Aaron Smith. Et du monde ? Peut-être bien, oui…

Régulier dans l’exceptionnel

Les récompenses sont là pour en attester, en tout cas : élu Oscar Midi Olympique en 2019, meilleur joueur du Tournoi des 6 Nations, Dupont a atteint cette saison une régularité dans l’exceptionnel tout bonnement extraordinaire, qui lui vaut de renouveler ses exploits tous les week-ends. De quoi incarner, mieux que personne, l’image d’un XV de France farouchement déterminé à retrouver les sommets mondiaux en vue de la Coupe du monde 2023, en s’appuyant de nouveau sur des joueurs qui comptent parmi les références mondiales à leur poste.

Le phénomène physique : un athlète hors du commun

Pour travailler au quotidien avec Antoine Dupont à Ernest-Wallon, le préparateur physique du Stade toulousain Allan Ryan connaît parfaitement le demi de mêlée des Bleus. Il explique en préambule : « Au rugby, les petits survivent parce qu’ils sont de superbes athlètes et Antoine fait évidemment partie de ceux-là. […] Il a le pouvoir de rendre ce jeu simple : il est très puissant et sait allier cette puissance à une coordination, une technique de course et un timing exceptionnels. » S’il est doté d’appuis incroyables et d’une accélération meurtrière, Dupont possède surtout une très bonne lecture du jeu et c’est ce que souhaite mettre en avant Allan Ryan, l’ancien directeur de la performance du club de Bath : « Son poste de numéro 9 l’oblige à être explosif sur des courtes distances, à travailler l’adversaire avec ses appuis et, surtout, prédire l’action du défenseur pour tenter de le déstabiliser. La puissance et la vitesse sans cette lecture-là seraient quasiment inutiles. » Ryan conclut ainsi : « Sur l’essai qu’il marque face à Bordeaux, tu as l’impression qu’il fait un footing et d’un coup, il allume la mèche, la bombe explose et on ne le revoit plus. »

Vu de l’étranger : la nouvelle star, « Made in France »

S’il est un joueur que la planète nous envie, c’est celui-ci. Car après des années d’omniprésence du fabuleux Aaron Smith à la mêlée du XV de l’année élu par nos confrères anglo-saxons - laquelle ne fut interrompue que par celle de son rival Faf de Klerk, grand artisan du titre mondial remporté par les Springboks l’année dernière au Japon - c’est enfin un Français, en l’occurrence Antoine Dupont, qui fait l’unanimité dans les suffrages : « Même si Aaron Smith excelle toujours avec les All Blacks, Antoine Dupont est très certainement le meilleur demi de mêlée au monde à l’heure actuelle », écrivent ainsi nos confrères de la rédaction de Planet Rugby, basée en Angleterre. Ils évoquent ainsi sa « compréhension innée du jeu, qui lui permet de prendre constamment la bonne décision autour des rucks. » Ils reconnaissent aussi ses qualités athlétiques hors du commun qui font de lui « une menace permanente pour les défenseurs ». Ailleurs, notre confrère gallois Simon Thomas classe Antoine Dupont à la sixième place des dix meilleurs rugbymen du moment, juste derrière le Néo-Zélandais Beauden Barrett : « Peu de joueurs sont aussi dangereux que lui, écrit Thomas, ses qualités sont telles que si vous lui laissez le moindre espace, vous le faites au péril de votre défense. Perdez-le du regard une seconde et il n’est plus là. » Et le Gallois de se fendre de quelques mots de français pour clore ses louanges : « Dupont, c’est magnifique. » On ne dira pas le contraire.

Marketing : Dupont, future icône ?

Antoine Dupont peut-il devenir la star préférée des marques françaises ? Il faut bien distinguer le joueur de l’homme. Le sportif charismatique, meneur, aboyeur, talentueux qui en impose et l’individu discret, tout en retenu, un brin timide. S’il n‘est pas naturellement à son aise sur le terrain des relations publiques, son côté « gendre idéal » avec sa petite fossette a de quoi à susciter de vifs intérêts. « Il a un côté rassurant, solide, les pieds sur terre. Ce sont autant d’atouts pour de nombreuses marques, qui touchent le grand public, assène un spécialiste français, en charge de marques. Mais il va falloir qu’il travaille sur lui-même, pour se dévoiler davantage sans que cela ne perturbe sa carrière, s’il veut quitter le champ traditionnel des partenaires du rugby pour interpeller de grands groupes reconnus. » S’il ne rivalise pas pour l’heure avec les Carter, Wilkinson ou encore sur le terrain français les Chabal, Michalak et Clerc qui ont trouvé leur place, Dupont a pour lui le temps. Il bénéficie, en outre du soutien et des conseils de CSM France, qui gère sa carrière. Un gage de développement marketing pour l’avenir. Dupont est déjà engagé avec Adidas jusqu’en 2024, d’autres contrats courent avec quelques marques références comme Orange, Land Rover ou Blanco. En 2021, une fois la Covid passé, l’ascension devrait se poursuivre avec, dans l’objectif des marques, la Coupe du monde 2023.

Technique : l’emprise stratégique, son principal sujet d’amélioration

Qu’il semble loin ce temps où Christophe Urios, ci-devant manager du Castres Olympique, avait qualifié du terme de « duponade » les embardées de son demi de mêlée. Une façon de provoquer et de trouver des brèches au ras des rucks qui constituait alors à la fois le point fort et la limite du jeune Dupont. Lequel se révélait comme un athlète exceptionnel, mais dont la recherche de l’exploit individuel pouvait parfois s’avérer préjudiciable à son équipe face à des défenses bien en place au ras des rucks…

Depuis ? Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, et Antoine Dupont a su faire évoluer son jeu, à la grâce de son passage au Stade toulousain. Car s’il conserve cette faculté rare à traverser les défenses, Dupont a désormais la sagesse de ne plus garder pour lui que « les ballons de merde » ainsi qu’il l’exprimait lui-même dans nos colonnes. Ces ballons qu’il peut sans aucun scrupule se mettre sous le bras pour chercher des solutions tout seul.

Face à des défenses bien en place, en revanche, Dupont a eu la bonne idée d’évoluer en devenant plus éjecteur, consentant au passage de gros efforts dans le travail de sa passe. Des progrès qui ont incontestablement payé en termes de vivacité des transmissions, même si certains puristes regretteront un léger manque de souplesse au niveau du poignet gauche et qui rend son geste moins pur et sa passe (un chouïa) moins fluide… Du pur pinaillage, en somme, qui ne doit pas masquer l’essentiel, à savoir le fait qu’en se mettant davantage à disposition de ses partenaires, Antoine Dupont en retire par ricochets des bénéfices de par son incroyable faculté à coller au ballon. Inspiré par sa référence Aaron Smith, Dupont présente en effet un sens du jeu à nul autre pareil pour anticiper ses courses dans le dos de la défense adverse, dans l’espoir qu’un de ses partenaires franchisse pour se présenter à son intérieur.

Cette science de l’anticipation lui valut de la part des réseaux sociaux le surnom un brin pompeux de « Ministre de l’Intérieur » valable aussi bien à Toulouse qu’avec le XV de France, où son entente avec des joueurs comme Ntamack ou Vakatawa fait merveille…
Le plus fort ? Il est qu’en plus de son talent offensif, Dupont s’avère un joueur tout à fait estimable dans des aspects moins « sexys » mais tout aussi importants, comme son jeu au pied qui est clairement sous-côté. Doté d’une belle longueur sur son pied droit qui lui permet d’assurer des sorties de camp très propres, Dupont sait aussi utiliser son pied gauche avec bonheur lorsque les circonstances l’exigent, quand bien même il ne l’utilise pas encore assez à en écouter ses entraîneurs. Car là réside peut-être le seul point où Dupont possède encore une marge de progression nette: son emprise stratégique sur les matchs.

Ses instincts de joueur archi-offensif, toujours en éveil et à la recherche du moindre coup à jouer rapidement (une pénalité, une touche ou un renvoi aux 22 mètres…), l’en éloignent parfois. Le défaut de tant de qualités qu’il s’agira bientôt de soigner, en somme, tout comme « Toto » a pris sur lui depuis quelques mois de s’affirmer en termes de leadership, où ses prises de parole sont devenues de plus en plus nombreuses et pertinentes.

De quoi lui promettre à plus ou moins court terme de prendre davantage de responsabilités dans les capitanats ? C’est en tout cas déjà le cas à Toulouse, et notre petit doigt nous susurre qu’il ne s’agit probablement là que d’un début. Dupont n’ayant jamais, après tout, que 24 ans… 

Ses cinq faits d’arme en 2020

France - Angleterre : 2 février

Stade de France, première journée du Tournoi des 6 Nations. On joue la 55e minute d’un crunch savoureux côté tricolore. Les Bleus, euphoriques, mènent 17 à 0 face aux vice-champions du monde quand, soudain, sur un ballon quelque peu cafouillé derrière une touche, Antoine Dupont surprend tout son monde en partant petit côté. Après une accélération et deux crochets extérieurs sur Sinckler et Youngs, il sert idéalement Charles Ollivon venu à sa hauteur. Le sommet d’une prestation offensive remarquable avec deux franchissements et huit défenseurs battus à son actif.

Toulouse - Ulster : 20 septembre

Les matchs couperet appartiennent aux grands joueurs. Ce quart de finale à Ernest-Wallon l’a encore rappelé avec un Antoine Dupont de gala. Ce jour-là, le demi de mêlée est devenu le cauchemar de la province nord-irlandaise après avoir fait étalage de toutes ses qualités d’attaquant : on l’a d’abord vu servir Cheslin Kolbe d’une merveille de passe sautée sur le premier essai stadiste, se lancer dans un ébouriffant slalom de soixante mètres dans la défense adverse puis conclure avec opportunisme un mouvement d’ampleur. What else ?

France - Galles : 24 octobre

Après sept mois d’attente, Antoine Dupont retrouve le maillot bleu dans un Stade de France vide. Quel dommage car le public aurait apprécié sa brillante copie et son premier doublé en sélection. En quatre minutes, le talent des Thomas et Vakatawa avait permis au numéro 9, toujours au soutien dans la zone de marque, de faire parler ses qualités de finisseur et de frapper deux fois. Son plus bel exploit du soir reste sa percée au cœur de la défense, entre cinq Gallois, pour lancer Charles Ollivon vers l’en-but sur un de ces ballons de récupération qu’il affectionne tant.

France - Irlande : 31 octobre

Une semaine après sa prestation décisive face aux Gallois, Antoine Dupont, alias le Ministre de l’Intérieur, récidive d’entrée : après un numéro de funambule de Gaël Fickou sur son aile, Antoine Dupont se retrouve encore au bon endroit au bon moment pour aller conclure au terme d’un sprint rageur. Au retour des vestiaires, on reprend les mêmes ou presque : sur un jeu au pied du centre-ailier, le demi de mêlée remet acrobatiquement en bord de touche à son associé Romain Ntamack. Une action spectaculaire et payante, comme souvent avec le Toulousain.

Toulouse - UBB : 27 décembre

Antoine Dupont termine l’année par un chef-d’œuvre dont il a le secret. À la 49e minute d’un match jusque-là accroché, il se retrouve balle en main au milieu de terrain face à un mur de défenseurs bordelais. La suite tient presque de la magie : il démarre une course à contresens d’un crochet vers la gauche, mettant trois adversaires dans le vent, puis il prend l’intervalle, franchit le rideau en se jouant de la troisième ligne grâce à un raffut et signe une merveille de cadrage-débordement sur le dernier défenseur d’un coup de reins désarmant. Un authentique exploit.

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