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Jalibert : « Je ne joue pas pour prouver que je suis meilleur que Ntamack ou Carbonel »

  • Matthieu Jalibert, Ouvreur de Bordeaux-Bègles et du XV de France. Matthieu Jalibert, Ouvreur de Bordeaux-Bègles et du XV de France.
    Matthieu Jalibert, Ouvreur de Bordeaux-Bègles et du XV de France. Icon Sport
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Juste avant la publication du groupe de Fabien Galthié pour le prochain Tournoi des 6 Nations, le demi d’ouverture du XV de France et de l’UBB fait le point sur sa jeune carrière. Son style de jeu, ses forces, sa marge de progression, mais aussi ses lacunes... Sa lucidité aussi par rapport à l’hypersensibilité de sa situation ouverte à toutes les critiques.  

Contre Toulon la semaine dernière, on vous a vu dans un registre sérieux, propre, presque rigoureux. Est-ce un nouveau Matthieu Jalibert ?

C’est le genre de match que j’apprécie : du haut niveau, face à un concurrent direct avec de très bons joueurs en face de nous. Même si nous n’en avons jamais joué, j’ai l’impression que ce type de rencontres ressemble aux matchs de phases finales. Après, est-ce que j’étais plus concentré sur ce match que sur un autre ? Je n’ai pas eu cette impression. Une chose est sûre, j’avais envie de rebondir après ma performance à Toulouse (défaite 45- 23 le 27 décembre). Ce jour-là, j’étais passé à côté de mon match sur quelques points, sur la gestion notamment. C’est ce qui explique que contre Toulon, je me suis appliqué à mieux gérer la fatigue de mes avants, par exemple. J’étais assez content de cette performance, aussi bien individuellement que collectivement. Je crois que c’était l’une de nos meilleures sorties de la saison.

Ce jour-là, vous étiez aussi dans un duel direct avec Louis Carbonel, avec qui vous risquez d’être en balance pour le poste de demi d’ouverture du XV de France…

Ce genre de débats m’énerve un peu. Je ne réfléchis pas comme ça. Je suis concentré sur ma performance au service de l’équipe, je ne joue pas un duel. Évidemment, quand on a un vis-à-vis, on a envie d’être meilleur que lui, mais c’est pour servir son équipe. Je n’ai pas envie de prouver que je suis meilleur que Ntamack ou Carbonel. J’ai juste envie de montrer que je suis capable d’être bon dans un collectif. Si je suis opposé à un adversaire australien de 33 ans, c’est la même chose.

Le match à Toulouse fut spectaculaire et de bonne facture mais perdu par votre équipe. Est-ce un cas d’école pour un ouvreur ?

Pendant 50 minutes, on avait tenu la dragée haute aux Toulousains. Nous les avons fait douter grâce à un plan de jeu précis. Après la 50e minute, nous avons déjoué, alors que nous avions le vent en notre faveur. Nous aurions pu jouer la carte de l’occupation et nous avons donné le bâton pour nous faire battre. On a « surjoué » et, au final, on s’est fait contrer. On leur a donné des essais trop facilement. On leur a même donné le bonus…

En disant cela, vous semblez toucher le cœur du poste d’ouvreur. Est-ce le point central pour un joueur de votre profil, attaquant : de ne pas se laisser griser ?

Oui, clairement. À Bègles, nous avons une identité de jeu. On peut jouer de partout, mais il faut aussi savoir contrôler ce qu’on fait. La difficulté, c’est de comprendre qu’on ne peut pas relancer tous les ballons de notre camp pendant 80 minutes. Sinon, il y a une perte de lucidité et on se consacre moins à certaines tâches. En jouant tout, on oublie trop vite tout le travail que cela demande à nos avants. C’est l’une des missions du demi d’ouverture : savoir faire souffler son pack, surtout sur les séquences où l’on n’arrive pas à avancer. On se doit d’utiliser le pied.

Parfois, vous laissez-vous prendre par une forme d’ivresse ?

J’aime le jeu et j’aime attaquer. À Toulouse, pour reprendre votre exemple, ces intentions ont abouti à un match que vous avez jugé plaisant, avec quelques beaux mouvements servis par de fortes individualités. Mais c’est aussi le problème : contre un adversaire comme le Stade toulousain, il faut être plus gestionnaire. Il faut penser aux turnovers dont les Toulousains se nourrissent si bien. C’est d’autant plus vrai quand vous êtes proche au score. À un moment, nous étions à trois points (26-23, 50e). On y a cru, on a trop joué et au final, on en prend 45…

En équipe de France, on sait le staff et Fabien Galthié très attentifs au jeu au pied, justement, jusqu’à assumer du « ping-pong rugby ». Est-ce un style de jeu difficile à domestiquer pour vous ?

Au niveau international, il y a plus de jeu au pied qu’en championnat, c’est vrai. C’est dû au fait que les défenses sont plus efficaces et plus agressives, plus structurées aussi. Le principe de jeu devient le suivant : utiliser le jeu au pied pour se dégager de la pression, mais aussi remettre la pression sur l’adversaire en espérant qu’il nous donne des possibilités de contre-attaquer. Fabien Galthié et son staff ont une bonne vision de l’exigence du niveau international. L’idée, c’est donc de ne pas trop jouer dans notre camp car on sait qu’à ce niveau, le moindre ballon perdu débouche sur des points encaissés.

Vous avez débuté trois des tests automnaux. Quel bilan en tirez-vous ?

C’est un excellent souvenir, un bel apprentissage. Je n’avais pas eu l’occasion de débuter beaucoup de matchs avec le maillot bleu. Ce fut l’occasion de montrer ce que je savais faire sur la scène internationale mais aussi d’apprendre. Dans ma palette d’ouvreur, je le répète, je dois progresser sur la gestion des matchs. Le niveau international est une excellente occasion de le faire.

On se souvient de cette « défaite héroïque » à Twickenham (22-19) avec cet essai que vous offrez à Brice Dulin. Pouvez-vous nous en parler ?

On cafouille en touche mais Killian Geraci nous remet dans l’avancée. J’ai vu que ça montait fort en défense, sur les extérieurs alors j’ai opté pour la feinte de passe. Ça m’a réussi, tant mieux et j’ai pu servir Brice Dulin. Cet essai nous a mis en confiance et ça nous a tout de suite montré qu’on pouvait trouver nous aussi des solutions, face à une équipe d’Angleterre annoncée plus forte que nous.

Quid des deux autres matchs, contre l’Écosse et l’Italie ?

Ils ont eu chacun leur identité. En Écosse, nous avons connu des conditions climatiques très difficiles, il était compliqué de prendre des initiatives. On s’est contenté d’appliquer notre plan de jeu, on a joué chez eux pour attendre leurs fautes en défendant bien. Contre l’Italie, c’était encore autre chose. On affrontait une équipe qui n’avait rien à perdre et qui jouait tous les ballons, on voulait justement éviter de prendre des risques dans notre camp. Dans le Tournoi face au même adversaire, on avait été punis par deux fois en faisant cette erreur. On a su leur mettre la pression chez eux et ensuite multiplier les bonnes séquences sur nos ballons. Ces deux matchs nous ont bien servis, ils nous ont mis en confiance avant Twickenham. On avait juste ce qu’il fallait d’insouciance et de connaissance du niveau international pour aller là-bas. En fait, nous étions prêts à en découdre.

Je ne joue pas pour prouver que je suis meilleur que Ntamack ou Carbonel. J’ai juste envie de montrer que je suis capable
d’être bon dans un collectif. Si je suis opposé à un adversaire australien de 33 ans, c’est la même chose. 

Est-il vrai que vous considérez Owen Farrell, votre adversaire direct à Twickeham, comme un modèle ?

Oui, c’est un modèle. Comme d’autres, je me suis toujours inspiré de ce qui se fait ailleurs. Mais j’apprécie vraiment Farrell. D’abord pour ses qualités de joueur de rugby. Sur le plan technique, il est au-dessus de la moyenne par ses passes, son jeu pied tactique. C’est aussi un très bon défenseur. Mais c’est surtout sa mentalité et l’emprise qu’il exerce sur son équipe qui m’impressionnent, que ce soit avec l’Angleterre ou les Saracens. Vraiment, c’est ce qui m’impressionne le plus chez lui : son leadership. C’est justement là-dessus que je dois progresser. J’ai donc eu la chance de l’affronter mais je vous rassure, une fois que le match commence, j’oublie tout. Je joue face à lui comme devant n’importe quel ouvreur.

Matthieu Jalibert, Ouvreur de Bordeaux-Bègles et du XV de France.
Matthieu Jalibert, Ouvreur de Bordeaux-Bègles et du XV de France.


Défensivement, avec votre petit gabarit, ne craigniez-vous pas de souffrir au plus haut niveau ?

Si j’avais peur, je ne jouerais pas au rugby. Mon gabarit n’est pas le plus imposant, je vous l’accorde, mais j’essaie de compenser par ma vitesse de glisse. Aussi, j’essaie de me baisser le plus rapidement possible. Au niveau international, le plus difficile, ce n’est pas les impacts en eux-mêmes. C’est davantage la lecture, l’analyse du jeu adverse, savoir prendre les bonnes décisions dans la vitesse. C’est sur ce facteur qu’on ressent vraiment la différence entre le Top 14 et le niveau international : il faut se décider plus vite, on a moins le droit à l’erreur. Je m’étais d’ailleurs fait surprendre au match aller en écosse. Par Stuart Hogg, je crois, à l’extérieur.

Avec la blessure de Romain Ntamack et avant la révélation du groupe du Tournoi qui pourrait être celui de votre titularisation, ressentez-vous une pression supplémentaire ?

Je n’ai pas de pression particulière. Évidemment, j’espère y être, mais j’arrive à ne me concentrer que sur le match du week-end suivant de l’UBB, sans aucun problème.
Après, bien sûr que je pense à la sélection car je peux vous dire que ce qui se passe dans le groupe France actuellement, c’est extraordinaire. En plus, j’y ai retrouvé récemment les gars de la génération que j’avais connus dans les sélections de jeunes. Nous avions déjà des liens avec les Geraci, Carbonel, Delbouis, Baubigny entre autres, on avait déjà vécu des bons moments. Mais je le répète, je sais faire la part des choses entre les devoirs de mon club et ceux de la sélection.

Justement, en ce qui concerne votre club : quel bilan tirez-vous de la première partie de saison ?

Je la trouve assez mitigée. On a été capable de faire du bon mais aussi du très mauvais. Avec le recul, je pense que la demi-finale perdue en Challenge Cup à Bristol nous a mis un coup derrière la tête. Mais au moment où je vous parle on est au pied du top 6, avec un match en retard. Le mois de janvier sera crucial pour notre saison. Si on le négocie bien, on vivra enfin le grand objectif du club : des phases finales du Top 14. Je n’oublie pas non plus qu’on est en course pour se qualifier pour un quart de finale de Champions Cup. J’ai envie de dire que pour l’instant, on est dans les clous. Il n’y a rien d’affolant.

Quel fut le meilleur moment de ce début de saison ?

Peut-être ce quart de finale de Challenge Cup contre édimbourg (23-14, le 19 septembre). Il a vraiment représenté quelque chose dans l’histoire du club. C’était le premier match de phase finale de l’UBB. Au-delà du niveau de jeu lui-même, on a vraiment ressenti quelque chose de spécial.

Vous perdez finalement à Bristol, en demi-finale, malgré un match superbe…

On a donné tellement sur cette partie que nous étions dégoûtés de ne pas nous retrouver en finale. On avait l’impression qu’il y avait vraiment la place de s’imposer. Ce fut dur à digérer. Commencer une saison par des phases finales et une élimination, c’est spécial. On a mis deux ou trois matchs pour se remettre la tête à l’endroit. Si on avait joué la finale du Challenge, notre début de saison aurait été sans doute différent.

Votre début de saison, c’est aussi cette victoire in extremis à Castres. Avec cette polémique qui vous a concerné, personnellement, en fin de match…

C’est la première fois que je vais m’exprimer sur ce moment précis. Il faut savoir que durant tout le match, je me suis fait chambrer. Je reconnais qu’après le coup de sifflet final, je me suis laissé entraîner par l’euphorie de la victoire. J’ai eu un mauvais geste, que je regrette. On ne doit pas voir ça sur un terrain de rugby, surtout de la part de quelqu’un qui a la chance de jouer en équipe de France. Évidemment que je regrette. Je ne veux pas qu’on retienne ça de moi.

Êtes-vous souvent victime de provocations sur les terrains ?

Oui, il y a forcément du chambrage et sur tous les terrains. De l’intimidation, aussi, pour faire sortir les adversaires de leurs gonds. Généralement, ça ne va pas trop loin, ça n’atteint pas des proportions extraordinaires. À mon poste, je sais que je serai visé, qu’on va venir me chercher. J’essaie de garder mon « self-control ». Je suis conscient que si moi, dans ma position, je m’énerve, alors ça peut devenir très compliqué pour l’équipe. Même si je suis agacé, je fais tout pour rester stoïque. Je me dis que l’adversaire ne doit surtout pas déceler que je suis en passe de perdre mon sang-froid.

Malgré votre éclosion précoce, vous n’avez pas un parcours linéaire chez les jeunes. Vous ne faites pas partie de ces joueurs promis de longue date au plus haut niveau…

C’est vrai, je n’avais pas été sélectionné au pôle espoirs et j’avais manqué les premières sélections de jeunes. Je ne les avais pas vécues avant les moins de 19 ans.

Vous donnez l'impression d'être très détaché quand vous jouez. De ne pas tomber souvent dans la fébrilité...

Il m'arrive parfois de me poser  des questions. Sinon, on ne pourrait pas avancer dans la vie. Mais je pars du principe que si on se prépare bien durant la semaine, il n'y a pas de raison que ça se passe mal le jour du match,.  Mon idée, c'est aborder les matchs concentré mais assez libre d'esprit pour ne pas me prendre la tête avec trop de choses. 

Vous cohabitez cette saison chez les professionnels  avec des gars que vous avez connu dans les équipes de jeunes de Bègles, Lamothe et Gimbert. Quel effet ça fait ? 

J'ai vécu une finale Crabos avec eux. C'est très plaisant  de se retrouver en Top 14 avec des  gars  qu'on a vu grandir. Quand on se retrouve alignés  tous ensemble alignés, c'est très réjouissant, on sait qu'on aura des souvenirs. 

Ressentez-vous le besoin de parler de vos matchs dans les heures qui suivent avec des proches ? 

Après les matchs, mes proches savant que je 'n ai pas besoin qu'on me dise si j'ai été bon ou pas. Je sais très bien  ce que j'ai bien fait et ce que je n'ai pas bien fait.  Mais je peux en parler avec des amis qui connaissent bien le rugby, avec  mon père aussi. Il  a joué, il regarde les matchs, il me suit. Il assiste à quasiment  toutes les rencontres  à domicile, mais il ne me prends  pas la tête. Si j'ai envie d'en parler, il m'en parle, sinon, on évoque autre chose 

A côté de votre carrière, quelles sont vos activités ? 

Je fais des études d’anglais. Sur le plan des loisirs, je  me suis mis au golf, ce qui me permet de passer des moments avec  mes potes. J'aime bien aussi promener  mes chiens dans la forêt  pour me retrouver seul et me vider la tête. 

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