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Ntamack : « S’il y a une année pour faire un grand chelem, c’est bien celle-là »

  • Romain Ntamack, ouvreur de Toulouse et XV de France.
    Romain Ntamack, ouvreur de Toulouse et XV de France. MIDOL - Patrick Derewiany.
Publié le Mis à jour
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Victime d’une double fracture de la mâchoire fin décembre, le maître à jouer des Bleus sous l’ère Galthié va rater le début du Tournoi des 6 Nations. À la veille de l’ouverture de la compétition, il se livre sur sa frustration, l’espoir de retrouver au plus vite la sélection ou encore la concurrence à son poste.

Vous êtes absent depuis votre double fracture de la mâchoire contre Bordeaux-Bègles. Vous aviez été touché en première période mais étiez sorti à la 69e. Comment peut-on tenir 45 minutes avec une telle blessure ?

Déjà, je ne savais pas sur le coup que j’avais une double fracture de la mâchoire (rires). En général, je ne suis pas du genre à me plaindre. J’ai pris un coup, j’ai eu mal mais je me disais que ce n’était pas très grave, que ça allait passer. Je voyais bien que je saignais un peu de la bouche mais j’ai cru que je m’étais pété (sic) une dent ou quelque chose comme ça. Je n’ai pas trop fait attention dans un premier temps.

Et après ?

Disons qu’à la mi-temps, ça commençait à pas mal me lancer. J’avoue que je ne voulais rien dire car je n’avais pas envie de sortir. Je crois qu’Ugo (Mola) avait eu des doutes parce qu’il m’avait demandé deux ou trois fois : « T’es sûr que ça va ? » Et moi, je répondais : « Oui oui, pas de soucis. » Je suis reparti sur le terrain et, en deuxième période, j’en ai un peu plus ch… Je m’étais refroidi à la pause et je le sentais plus fortement. J’ai tenu jusqu’à la 70e mais, sans faire de mauvais jeux de mots, j’ai dû serrer les dents ! Pour être honnête, j’ai quand même souffert.

Ugo Mola avait dit que ça prouvait votre caractère et votre état d’esprit…

Je pense qu’il n’avait aucun doute là-dessus. Mais j’ai peut-être montré aux gens que je n’étais pas quelqu’un de fragile. Ne rien lâcher et être dur au mal, c’est dans mon tempérament. Mais ce n’était pas pour faire le beau et dire : « Regardez, je joue avec une double fracture de la mâchoire. » Si je l’avais su, je serais sorti de moi-même. D’ailleurs, quand je suis allé passer une radio le lendemain, j’ai moins rigolé.

Pour l’anecdote, vous êtes sorti en fin de match après un raffût de Pablo Uberti et vous avez tenu à vite clarifier les choses alors que la polémique commençait à enfler autour de ce geste…

Oui, j’ai vu rapidement que ça prenait des petites proportions. Je connais Pablo, que j’ai côtoyé en moins de 20 ans. C’est un mec très gentil, qui s’envoie (sic) fort sur un terrain. Il m’a juste mis une petite poussette dans le menton. Si, avec ça, il arrive à faire une double fracture de la mâchoire, il faut le sortir du terrain car c’est un danger public (sourires). Je voulais préciser que ça venait d’une action en début de match et qu’il n’y était pour rien. Il a été cité pour ce geste, je ne sais pas trop pourquoi d’ailleurs, mais a été blanchi de façon tout à fait logique.

Comment allez-vous aujourd’hui ?

Plutôt bien. J’ai été opéré il y a un peu plus d’un mois, j’ai repris la muscu depuis trois semaines, le cardio depuis quinze jours et j’ai pu reprendre la course cette semaine. J’ai fait quelques séances intenses avec Zeba Traore (un préparateur physique du Stade toulousain, N.D.L.R.), ce qui m’offre de belles matinées. J’ai retrouvé cette sensation de l’effort. Transpirer à côté des potes en salle de muscu fait du bien. J’ai même retouché le ballon mardi avec AB (Zondagh, coach des skills). C’est bon signe.

Il n’y a jamais de bon moment pour se blesser mais celui-ci était vraiment mauvais, avant le Tournoi des 6 Nations…

Oui, c’est vrai, le Tournoi approchait et j’avais envie d’y participer. Surtout que je n’avais pas pu faire mon dernier match avec les Bleus à cause d’un petit pépin physique durant l’automne. Là, j’étais en pleine forme avec mon club… C’est comme ça. Je pourrais peut-être revenir pour la fin de la compétition mais ça ne dépend pas que de moi.

Avez-vous fixé une date de retour ?

Pas vraiment. Cela dépend de l’évolution de la fracture. Je vais passer une radio de contrôle la semaine prochaine ou d’ici quinze jours. Sans trop m’avancer, j’aimerais être disponible dans un mois. Mais je n’ai pas encore assez de vision là-dessus.

Si c’est le cas, vous postuleriez donc pour la deuxième partie du Tournoi…

C’est ce que j’avais en tête. Mais il y a beaucoup d’interrogations même si je reviens à ce moment-là. Est-ce que je serais appelé sans avoir eu de temps de jeu en club ? Je me dis que j’ai plus de chances de passer par la case du Stade toulousain. Mon objectif est donc déjà de bien me remettre, sans me précipiter, et de retrouver les terrains.

Mais vous voir dans le Tournoi reste une hypothèse…

Oui, je ne l’écarte pas. La décision me dépasse aujourd’hui mais je le garde dans un coin de la tête.

Etes-vous en contact avec le staff des Bleus ?

Bien sûr. Notamment avec Laurent Labit, mais aussi avec les joueurs. Les choses sont bien coordonnées entre la sélection, mon club et moi.

Vous êtes installé depuis deux ans au poste d’ouvreur chez les Bleus. Que ressentez-vous alors qu’une compétition s’ouvre sans vous ?

Cela me fait bizarre de ne pas y être. Je regarderai avec un œil très attentif mais je crois que ça va quand même être un moment assez compliqué pour moi de voir jouer le XV de France. Même si ce n’est pas la fin du monde, loin de là, j’avais pris l’habitude d’y être.

Mais vous avez déjà vécu cette situation à la fin de l’automne…

Ce n’était pas pareil car, avec la limitation à trois feuilles de match, je n’étais pas le seul dans ce cas-là. Cette fois, c’est plus difficile à vivre. Je me sens un peu seul. Il va falloir que je ronge mon frein, que je patiente et que je fasse le boulot pour y revenir.

Etes-vous stressé quand vous regardez un match à la télévision ?

Non, vraiment pas.

Comme sur le terrain en fait…

C’est ça. Enfin, en match, j’essaye de l’être le moins possible. Devant la télé, je suis comme un supporter. Même si, forcément, je garde un œil de joueur professionnel en observant ce qui a été travaillé dans la semaine.

Où allez-vous voir le match de samedi ?

Sûrement chez moi, avec des amis. Ce sera assez calme.

Inconsciemment, quand vous n’êtes pas sur le terrain, votre œil se porte-t-il plus sur l’ouvreur ?

Non, je ne me focalise pas sur un joueur et j’ai un regard plus global. En direct, je ne suis pas non plus dans la posture du mec qui analyse tout. Avec du recul, il m’arrive de revoir le match de manière plus personnelle pour davantage entrer dans les détails.

En clair, vous n’allez pas scruter la performance de Matthieu Jalibert en Italie ?

Non, pas du tout.

Mais vous savez très bien, quoi qu’il arrive, que le parallèle sera fait entre lui et vous…

Oui, que ce soit avec Matthieu ou avec Louis (Carbonel) mais c’est légitime. Pour une fois qu’on parle en bien de joueurs français au poste de numéro 10, que ce soit dans notre pays ou dans le monde maintenant, on ne va pas s’en plaindre. Il faut en profiter, surtout que cette concurrence tire tout le monde vers le haut. La finalité, c’est que ça reste du positif et du bonus pour le XV de France.

Cela ne vous dérange donc pas d’entendre systématiquement ces comparaisons dès que Matthieu Jalibert fait un bon match ?

Non. Je trouve même que c’est presque flatteur en ce moment. Je suis blessé, je ne suis pas sur le terrain et on continue à me comparer à un garçon qui joue tous les week-ends. Dans un sens ou dans l’autre, c’est une bonne chose. Je le répète, je retiens surtout qu’il y a beaucoup de potentiel à l’ouverture en équipe de France. Tant mieux.

Avez-vous échangé cette semaine avec Matthieu Jalibert ?

Non, je ne suis pas du genre à envoyer un message avant les matchs. Matthieu avait pris de mes nouvelles après ma blessure mais rien de plus. On s’entend bien mais je ne peux pas dire que nous sommes très proches. Chacun fait son boulot, en club et en équipe de France, avec du respect pour l’autre.

Le XV de France s’est adapté au contexte actuel en renforçant la bulle sanitaire et en ramenant le groupe à 31 joueurs. Vous dites-vous que ce sera plus dur de l’intégrer en cours de compétition ?

Je n’ai pas encore compris tous les détails de cette bulle sanitaire, à savoir qui pouvait y entrer ou en sortir. Je n’ai pas toutes les cartes en mains. J’espère juste que ça ne bloquera pas certains qui peuvent prétendre à aller dans le groupe.

Etes-vous étonné de voir certains pays citer la France comme favorite du Tournoi ?

Cela montre qu’on commence à faire peur et que les autres équipes ont du respect pour nous, ce qui n’était pas forcément le cas il y a quelques années. Mais je crois aussi qu’ils ont tendance à brosser la France dans le sens du poil en espérant qu’on prenne la grosse tête et qu’on se sente arrivés.

Vous pensez à Eddie Jones ?

Il y a bien sûr ce coach-là, mais il y en a d’autres. Dans l’ensemble, les pays britanniques sont très forts pour ça, pour dire que la France est favorite. Il y a certainement une part de réalité, dans le sens où on a bien joué au rugby et on a gagné des matchs. Mais gagner des titres, ce serait mieux désormais. C’est ce qui forgera encore ce groupe et montrera au monde qu’on sera difficiles à battre.

Dans Midi Olympique, Robbie Deans, Steve Hansen ou Micheal Cheika ont aussi été dithyrambiques avec les Bleus…

Oui, je l’ai lu et je ne suis pas le seul (sourires). C’est là encore flatteur que de si grands techniciens pensent que l’équipe de France a du talent et va monter en puissance sur les prochaines années. Quand un champion du monde comme Steve Hansen le dit, ça fait plaisir… Mais il faut le prendre avec des pincettes. On n’a réalisé qu’une belle année ensemble et il reste beaucoup de chemin jusqu’à la Coupe du monde 2023. Je connais notre groupe et s’enflammer n’est pas notre style.

Nous sommes en année impaire et il y aura donc trois déplacements sur ce Tournoi. Le huis clos change-t-il fondamentalement les choses ?

Domicile ou extérieur, ça ne veut plus rien dire avec le huis clos. Tout est différent. Vous vous doutez bien que jouer à Twickenham avec 80 000 Anglais qui vous insultent ou y jouer avec pas un chat dans le stade, cela n’a rien à voir. Je pense même qu’il est plus dur d’évoluer à domicile qu’en déplacement.

A ce point ?

Oui, parce que vous n’avez pas les supporters pour vous pousser mais il y a toujours cette pression de l’équipe qui reçoit et n’a pas le droit de perdre. Vous avez les inconvénients sans les avantages. Donc, s’il y a une année pour faire un gros coup et s’offrir le grand chelem, c’est bien celle-là.

Que vous évoque l’absence de Virimi Vakatawa ?

La ligne de trois-quarts sera un peu chamboulée avec l’absence de Virimi et la mienne. Mais je n’ai aucun doute sur la capacité des joueurs alignés à répondre présent dans les semaines à venir. Que ce soit Arthur (Vincent), Pierre-Louis (Barassi) ou Julien (Delbouis). Après, « Viri » reste « Viri ».

Est-il remplaçable en vérité ?

S’il est sur le terrain ou s’il ne l’est pas, ce n’est pas pareil… Je me mets surtout à la place des défenseurs adverses. Quand « Viri » n’est pas là, c’est un soulagement pour eux. C’est l’un des meilleurs trois-quarts centre de la planète et il est craint par tout le monde.

Il y a un vrai débat actuellement sur l’utilisation du jeu au pied, qui est de plus en plus prégnant au niveau international. En tant qu’ouvreur du XV de France, vous êtes d’autant plus concerné. Quelle est votre position ?

On l’évoque de plus en plus sur la scène internationale. Si on dit juste « jeu au pied », ça ne donne pas forcément envie de regarder un match de rugby. Mais tout dépend de ce que l’on y met derrière.

C’est-à-dire ?

Prenons notre exemple. Avec le XV de France, je crois que l’utilisation du jeu au pied a été faite à bon escient en 2020. Parce qu’on s’est nourri ensuite de superbes ballons de contre-attaque. On a loué nos beaux mouvements, nos magnifiques essais, mais ça résultait souvent d’un jeu au pied bien placé de notre part, sur lequel l’adversaire nous rendait la possession car il était sous pression. C’est en fait un jeu de possession et de dépossession, comme on l’entend beaucoup.

Ce serait donc d’abord une question de volonté ?

Le jeu au pied, ce n’est pas forcément se débarrasser du ballon. ça dépend de la stratégie qu’on met en place derrière. Quand c’est bien fait, c’est quasiment imparable pour remettre la pression dans le camp adverse et avoir de bons ballons de récupération à exploiter ensuite, ou même placer dans l’adversaire dans un angle impossible pour l’obliger à trouver une petite touche.

Au Stade toulousain, la stratégie est différente sur cet aspect avec le souhait de tenir au maximum le ballon. Est-ce simple, en tant que numéro 10, de basculer du club à la sélection ?

J’ai réussi à bien m’adapter au jeu du XV de France. Il est vrai qu’au Stade toulousain, notre philosophie première n’est pas de se débarrasser du ballon pour le récupérer derrière. D’autres équipes le font, très bien d’ailleurs, mais ce n’est pas notre style. On adore tenir le ballon à mort (sic), le lâcher le moins possible, et jouer dans le désordre. Au début, quand j’ai découvert la stratégie de l’équipe de France, c’était nouveau. Mais nous sommes un paquet de Toulousains dans le même cas, et on l’a bien assimilé, notamment avec Antoine (Dupont) à la charnière. Ce n’est pas dur de passer de l’un à l’autre.

Si on vous demande ce que vous préférez, vous n’allez pas répondre ?

Ce que je préfère, c’est gagner (sourires). Là, les deux fonctionnent vu qu’on gagne en sélection et en club.

L’incertitude, liée à la situation sanitaire, concerne aussi les compétitions de clubs avec la Coupe d’Europe ou le Top 14. Comment le vivez-vous ?

C’est particulier. Il y a par exemple une Coupe d’Europe qui est arrêtée et on ne sait pas comment elle va reprendre, ni dans quel format, qui sera qualifié ou non au vu des forfaits lors des deux premières journées. Le Top 14 avance mais on n’a pas de vue sur sa finalité. L’avenir est flou. On peut gagner des matchs toute la saison mais l’objectif reste de remporter des titres. Et si les compétitions ne vont pas au bout… Mais les joueurs doivent s’adapter à ce qu’on leur dit. S’entraîner une semaine entière et apprendre un report la veille du match, c’est forcément frustrant. Mais bon…

Quoi ?

Je sais que nous, rugbymen professionnels, ne sommes pas à plaindre. Nous sommes même bien lotis. On a la chance de jouer, d’exercer notre métier et d’avoir à notre disposition des gens qui se saignent pour nous. De nombreuses personnes sont bien plus en difficulté que nous.

Pour finir sur un sujet d’actualité, votre compère du XV de France Teddy Thomas ne prolongera pas son contrat au Racing 92 et sera libre en fin de saison. Son nom avait circulé à Toulouse ces derniers mois. Avez-vous envoyé un texto à Ugo Mola ou Didier Lacroix pour les convaincre ?

Non. Mais avec « Toto » (surnom de Dupont, N.D.L.R.), on a pas mal branché Teddy là-dessus ces derniers mois, pour lui dire de nous rejoindre. Il est venu deux ou trois fois en vacances à Toulouse et il se plaît bien dans la ville. Ce n’est pas très loin de Biarritz, alors pourquoi pas le voir en rouge et noir ? Teddy va être convoité par tout le monde, c’est logique, et il fera le meilleur choix pour lui. Mais, s’il veut marquer encore plus d’essais, je sais très bien où il doit signer (rires).

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