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Yannick Bestaven (vainqueur du Vendée Globe) : « J'ai hâte de retourner à Marcel-Deflandre »

Par Propos recueillis par Romain Lafon
  • Yannick Bestaven a remporté « l’Everest des mers » la semaine dernière. À l’arrivée, on lui a remis un maillot du Stade rochelais, son club de cœur.
    Yannick Bestaven a remporté « l’Everest des mers » la semaine dernière. À l’arrivée, on lui a remis un maillot du Stade rochelais, son club de cœur. Photo DR
Publié le Mis à jour
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Il y a un peu plus d’une semaine, aux Sables-d’Olonne, Yannick Bestaven remportait le Vendée Globe, après plus de quatre-vingts jours passés en mer à bord de son bateau Maître Coq IV. Le skipper a un lien très particulier avec le rugby, le Stade rochelais mais aussi Christophe Laussucq. C’est l’occasion pour lui de se livrer sans filtre sur son amour de ce sport. Pas si loin que ça de la course au large. Paroles de champion…

Comment vous est venue cette passion pour le rugby ?

Tout naturellement car ma famille vient d’un territoire de rugby. Ma mère est dacquoise et mon père vient de Lévignacq, un petit village des Landes proche de Saint-Julien-en-Born. Il a lui même joué au rugby donc j’ai grandi avec ça. De mon côté, j’ai joué en scolaires, en universitaires et, surtout, j’ai partagé ma chambre d’internat, de la seconde à la terminale, avec un certain Christophe Laussucq. À l’époque, il évoluait à Mérignac et nous étions au lycée Gustave-Eiffel de Bordeaux. Du coup, on jouait ensemble en UNSS avec le lycée. Je suis parti ensuite à l’IUT Génie Civil à Talence et j’ai continué à jouer comme ça, avec des copains qui venaient des Landes et du Pays basque et qui, eux, jouaient au rugby en club.

Êtes-vous resté en contact avec Christophe Laussucq depuis vos années lycée ?

Avant le Vendée Globe, je lui ai envoyé des messages pour lui dire de ne rien lâcher puisqu’il connaissait une période difficile à Agen. Ça m’a fait de la peine en début de saison de le voir galérer comme ça, alors qu’il voulait tout donner pour la réussite du club. Je lui avais envoyé un message : «Moi aussi j’ai connu des tempêtes, lâche rien, ça va le faire.» Je connais ses qualités de joueur et de meneur d’hommes avec son caractère qui peut être un peu chafouin de temps en temps. Christophe est un garçon que j’aime bien et qui n’a pas changé par rapport à nos années lycée. Pendant la course, ma compagne l’a contacté et il m’a envoyé des petits messages vidéo, avec Philippe Sella d’ailleurs, pour me soutenir. On ne s’est pas vus depuis longtemps mais j’espère qu’on va se revoir physiquement très prochainement !

Quel souvenir marquant gardez-vous de votre relation ?

J’en ai plein mais je ne peux pas tout raconter. Ce sont des souvenirs de lycéens à l’internat (rires). Nous avons fait quelques conneries ensemble. On était comme Astérix et les Gaulois. On envahissait les dortoirs des uns et des autres, ça finissait souvent en batailles monstrueuses de polochons. Notre grand jeu, sinon, c’était des concours de « floating » nu. On remplissait l’internat d’eau et de savon jusqu’à inonder les salles en dessous de nous. Et c’était à celui qui allait le plus loin, qui faisait le plus de figures. Bref, des conneries, on en a fait dans tous les sens. Dans la chambre, nous étions quatre : deux sont devenus viticulteurs et deux sont sportifs, Christophe et moi. Un beau mélange…

Pourquoi n’avez-vous joué en club ?

Ma mère n’a jamais voulu. Le rugby était trop un sport dangereux pour elle. Du coup, j’ai fait de la course au large.

Est-ce un regret ?

Oui, tout à fait. C’est un sport que j’aurais bien voulu faire avec passion. Tous mes potes sur le bassin d’Arcachon jouaient au rugby, que ce soit à Biganos ou à La Teste-de-Buch. Il y avait notamment Olivier Armand, qui est ensuite parti à Bordeaux avant d’avoir un accident. Du coup, moi, je me suis retrouvé un peu à l’extérieur de ça. Quand je jouais en universitaires avec eux, ils me mettaient toujours à l’aile (rires).

Un autre de vos proches, Christophe Bouvet, a lui aussi joué au rugby avant de faire de la voile…

Christophe a joué à un bon niveau, à Annecy-le-Vieux. Je ne sais plus en quelle division exactement mais c’était en Fédérale. Christophe, c’est un grand rugbyman ! C’est un ami très très proche. On se connaît depuis longtemps, nous avons été adversaires sur la Solitaire du Figaro avant de faire ensemble la Transat AG2R.

Vous avez donc toujours vécu avec le rugby autour de vous…

D’autant plus que, maintenant, j’ai la chance de vivre dans une ville où il y a un grand club de rugby: La Rochelle. Je vais à Marcel-Deflandre depuis longtemps. Je suis arrivé ici en 1998, j’ai donc connu le Stade rochelais en Pro D2. Mais même durant cette période, j’allais au stade.

Êtes-vous abonné ?

Je n’ai pas toujours été abonné, j’allais au stade comme ça aussi avant. Mais cela fait deux-trois ans que nous nous sommes abonnés avec Claire, ma compagne, qui est dentiste et qui a quelques joueurs parmi ses patients. Le problème, c’est que je ne suis pas souvent là. Dès que je peux, je vais aux matchs même si, en ce moment, c’est un peu difficile avec la pandémie.

On se doute que vous êtes arrivé à La Rochelle pour la voile ?

Oui. J’étais fonctionnaire au ministère de l’équipement et, en même temps, en équipe de France de voile. Avec la Fédération, j’avais pu avoir une dérogation pour être muté proche d’un centre d’entraînement. C’est comme ça que j’ai fait deux ans à Paris puis que, très vite, ils m’ont basculé à La Rochelle pour être près d’un pôle d’entraînement.

Comment expliquer cette ferveur autour du rugby ?

Le club est historique, il a toujours existé dans l’esprit des gens. C’est vrai que les Rochelais habitent au bord de l’océan mais ils restent très ancrés dans les traditions terriennes. Le rugby fait partie de ces traditions-là, notamment ici à La Rochelle. Il y a eu de grandes personnes comme la famille Elissalde - grand-père, père et fils - qui ont tout fait pour mettre en avant le rugby et la ville.

Quel est votre souvenir le plus marquant en tant que supporter ?

J’en ai plein. Le plus marquant reste peut-être la remontée en Top 14 en 2014, avec la victoire en finale contre Agen à Bordeaux. Ce n’est pas tout: le plus beau souvenir que j’ai du Stade rochelais, ce n’est pas à La Rochelle mais dans un petit village près de Toulon...

Expliquez-nous.

En 2017, quand Patrice Collazo et les Rochelais sont en demi-finale du Top 14 à Marseille contre Toulon, je faisais une course à côté de Porquerolles. Je suis avec ma compagne mais ça fait un peu trop loin pour y aller, puisque j’ai ma régate le lendemain. Nous ne pouvons pas aller à Marseille donc nous allons à Toulon, où ils doivent retransmettre le match sur un écran géant. On arrive devant le stade Mayol :  fermé ! C’est alors que nous croisons un petit mec avec un sac à dos plein de bières qui nous dit : «Je sais où il faut aller ! Il y a un petit village à côté où vous verrez le match.» Je ne me rappelle plus le nom du village mais il nous amène là. Le village était rouge et noir ! Nous étions les deux seuls supporters rochelais au milieu de cette marée humaine. Au final, cette demie s’est jouée sur un drop en toute fin de match de l’ouvreur Anthony Belleau. On a passé une super soirée même si c’était un peu dangereux avec les Toulonnais qui nous cernaient de près (rires). Malgré la défaite, ça reste un souvenir fort !

Avez-vous pu suivre les performances rochelaises du début de saison sur votre bateau ?

Carrément! Même en mer, j’avais les résultats des matchs. Pour le dernier qu’ils ont joué contre Bayonne, j’étais toujours en course. C’est Christophe Bouvet, justement, qui me résumait le match en me donnant les forces et faiblesses de l’équipe. J’étais au courant de tout !

Que pensez-vous de la saison des Jaune et Noir ?

Le Stade fait une très belle saison ! D’ailleurs, ma compagne m’a déjà offert des places pour la finale du Top 14 au Stade de France. Je pense et j’espère que La Rochelle y sera. Je les vois bien soulever le Bouclier de Brennus cette année.

Entre une victoire sur le Vendée Globe et un Brennus pour La Rochelle, ce serait une année 2021 de rêve pour vous ?

(il rigole) À force de s’en approcher année après année, il va falloir le ramener !

Avez-vous hâte de retourner dans un stade de rugby ?

Ah carrément ! D’autant plus que cette année, entre le « Vendée » et la covid-19, je n’y suis pas allé. J’ai hâte surtout de retrouver le stade plein. À La Rochelle, il y a cette puissance du public. Tous les matchs sont à guichets fermés. Les dirigeants ont agrandi les tribunes, elles sont déjà pleines. L’ambiance à Marcel-Deflandre, c’est quelque chose d’unique et j’adore ça !

On peut s’attendre à vous voir donner un coup d’envoi ?

Je n’en sais rien mais ce serait avec grand plaisir !

Vous attendez-vous à ce que les gens vous reconnaissent davantage au stade ?

Certainement, il y aura une petite notoriété. Il va y avoir une association qui va se faire. Quand le maire Jean-François Fountaine est venu à mon arrivée, il a fait l’association entre le Stade rochelais, qui représente fièrement les couleurs de La Rochelle, et mon Vendée Globe.

Avez-vous un joueur que vous admirez particulièrement ?

J’en côtoie quelques-uns donc je ne voudrais pas commettre d’impair (sourire). Il y a un joueur qui m’a marqué, que j’ai côtoyé de loin et que j’aurais voulu amener en bateau, c’est Brock James. Quand il est arrivé à La Rochelle, c’était pour moi la star internationale avec beaucoup de classe, qui me rappelait Jonny Wilkinson. C’était un gros travailleur, un buteur avec un pied magique qui a fait beaucoup pour Clermont et qui a apporté énormément à La Rochelle. Je regrette qu’il n’ait pas été gardé au sein du staff. Il était installé sur l’île de Ré avec ses enfants, sa famille. Il était plus que Rochelais ! Nous nous sommes croisés sur la fin et on ne s’est pas connu assez, c’est dommage. C’est un joueur qui me plaisait beaucoup par son jeu et ce qu’il a apporté au club.

Êtes-vous toujours en contact avec les joueurs ?

Je connais bien Kevin Gourdon puisque ma compagne est amie avec sa femme. Après, il y a Benjamin Ferrou (ancien demi de mêlée, N.D.L.R.) qui m’a envoyé des messages durant toute la course. Je connais aussi Franck Jacob (ancien deuxième ou troisième ligne), qui s’est reconverti dans la voile et qui fait de la compétition. Comme quoi le rugby mène à tout (rires).

Vous avez aussi côtoyé des joueurs durant votre préparation…

En effet, j’ai fait une préparation physique avec un indépendant en tête à tête, qui prépare aussi les joueurs du Stade rochelais. Cet été, j’ai pu notamment me préparer avec Vincent Rattez et Alexi Balès, avant qu’ils ne partent à Montpellier et Toulouse. M’entraîner et échanger des ballons avec eux, c’était magique ! Ce furent de beaux moments d’échanges.Moi, je les faisais rêver en leur faisant visiter le bateau. Ils ne comprenaient pas trop ce que représentait mon sport, la course au large.

Et alors, qui était le plus fort ?

Par rapport à moi, ils sont plus jeunes donc des fois, je leur disais, pendant la préparation physique : «Les gars, calmez-vous un peu que j’arrive à suivre !» C’était marrant car il y a des exercices qui correspondaient à mon activité, où j’étais plus à l’aise. Le gainage, par exemple, et les exercices pour les bras. J’arrivais à bien m’en sortir. On faisait pas mal de petits exercices pour se mettre en difficulté. Ils ont pu se rendre compte comment notre sport peut être physique, entre la manœuvre des voiles qui sont assez lourdes. Il faut les transporter d’un bord à l’autre, faire tourner les manivelles sur les winchs (treuil à main pour manœuvrer les voiles d’un bateau). C’était bien de leur faire découvrir ce sport.

Y a-t-il des similitudes entre les deux disciplines ?

Je pense qu’il y en a beaucoup, notamment dans les mentalités. D’ailleurs, les meilleurs en voile restent les Néo-Zélandais (l’équipage Emirates Team New Zealand est notamment tenant du titre de la Coupe de l’America) qui sont aussi les meilleurs en rugby. Ça prouve bien qu’il y a un lien entre le rugby et la voile. Il y a aussi beaucoup de rugbymen en fin de carrière qui se tournent vers la voile, de par leurs capacités physiques. Ils viennent combler des équipages. Franck Jacob en est le parfait exemple. Ça leur plaît d’avoir cette deuxième carrière sportive, certes moins professionnelle, mais quand même de haut niveau pour certains.

En termes de préparation aussi ?

Il y a beaucoup d’exercices qui peuvent autant servir les skippers que les rugbymen, notamment sur la proprioception. Les marins, nous faisons des efforts physiques sur un support qui est tout le temps en mouvement, donc c’est très important. De mon côté, j’ai axé ma préparation sur les cuisses et les jambes. C’est assez paradoxal mais après les différentes courses de la saison, je me rendais compte que j’avais toujours mal aux jambes. Comme on ne peut pas courir sur le bateau, on perd beaucoup après une course au niveau des jambes. J’ai donc vraiment axé là-dessus, davantage que les bras que l’on utilise toujours dans notre sport. On a donc fait des exercices de squats, de gainage dynamique, pour travailler la puissance musculaire plus que l’endurance.

La course au large est, en quelque sorte, un sport de combat contre les éléments naturels, le vent et les vagues...

C’est un vrai combat. Quand il faut porter les voiles dans des positions pas possibles, les traîner, les pousser avec toutes les parties de son corps, je pense souvent aux rugbymen dans une mêlée. Quand « ça tape » sur le bateau, je compare souvent ça à un plaquage au rugby. Quand il faut manœuvrer, c’est comme s’il y avait en face de toi un adversaire qui voulait te renverser. Pour les skippers, les vagues jouent le rôle de l’adversaire.

Vous avez dû recevoir des centaines de messages de félicitations. Y en a-t-il un qui vous a marqué plus particulièrement ?

J’ai reçu un message de Raphaël Ibanez, qui a passé le nouvel an avec ma cousine. C’est quand même une référence du rugby qui m’a écrit un texto alors qu’on ne se connaît pas plus que ça.

Ironie de l’histoire, vous avez gagné le Vendée Globe devant Charlie Dalin, skipper d’Apivia, le nom du centre de performance du Stade rochelais…

(Il rigole) C’est vrai ! Je suis allé plusieurs fois à l’Apivia Parc, surtout pour la partie médicale avec les kinés, la cryothérapie, les médecins, etc. Arriver avec la mention « Maître Coq » sur mes vêtements n’était pas forcément évident pour eux, vis-à-vis d’Apivia. Je suis hyperfier de terminer devant Apivia (sourire).

Il paraît que Benjamin Dutreux, un autre skipper du Vendée Globe, vous a fait vivre le dernier France - Angleterre de la Coupe d’automne des Nations via votre groupe de messagerie au milieu des mers australes. C’était un moment de décompression au milieu de votre course ?

C’était marrant de vivre ça en direct. Tous les bateaux étaient éparpillés entre l’Atlantique Sud et l’océan Indien et Benjamin nous mettait, à la minute près, toutes les actions jusqu’à la fin du match, qui a été serré. Il y avait des Anglais sur le groupe. Alors, au début, nous, Français, on faisait les malins puisqu’on se voyait gagner. Mais les Anglais ont vite repris le dessus en nous chambrant gentiment. Ça a permis de réunir quelques marins français et anglais autour de la rencontre alors que nous étions dans les mers du Sud. Nous n’avions pas les images mais c’était tellement bien commenté par Benjamin que nous avions l’impression d’y être (rires).

Qui était le plus chambreur ?

Les Anglaises ! Miranda Merron et Pip Hare se moquaient bien de nous. Elles devaient déjà être à la tireuse à bières, je pense.

Le chenal des Sables-d’Olonne est-il le plus beau stade à ciel ouvert ?

Carrément ! Dans notre sport, c’est quand même assez rare d’avoir des regards directs. Lors de notre effort, nous sommes au large et il n’y a personne, à part notre équipe pour nous pousser. On a rarement le public autour de nous, cette chaleur humaine. Alors qu’en rugby, tous les week-ends, le stade pousse derrière son équipe. C’est vrai que ce sont des moments rares pour nous, et donc encore plus forts ! Même s’il y avait moins de monde qu’en temps normal, il y a quand même eu cette communion avec les spectateurs, les bénévoles le long du chenal. Comme tu peux avoir dans un stade lors d’un match.

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