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Grand entretien avec Victor Vito : « La France est dans mon cœur »

Par Romain Asselin
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Publié le Mis à jour
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Très à l’aise avec la langue de Molière, le Néo-Zélandais a l’amour de la France chevillé au corps. Le double champion du monde All Black n’exclut toutefois plus de retourner au pays, l’an prochain, à l’issue de son contrat. Fichue crise sanitaire.

Vous maîtrisez la langue française, ce qui n’est pas commun pour un All Black. Votre rapport à la France sort-il de l’ordinaire ?

Quand nous avons quitté la Nouvelle-Zélande avec ma femme, nous avons décidé de vraiment nous investir dans notre nouvelle vie. Si tu n’essaies pas d’apprendre la langue… Le langage, c’est la porte d’entrée, la culture. Le français est une belle langue. Même si c’est toujours un peu difficile de comprendre les blagues. Il y en a encore qui me passent au-dessus (rires).

Aviez-vous travaillé la langue de Molière avant votre arrivée au Stade rochelais, à l’été 2016 ?

Quelques semaines avant de partir de Nouvelle-Zélande, quand j’allais à l’entraînement (aux Hurricanes, N.D.L.R.), je mettais le CD d’un professeur de français dans ma voiture, la « méthode Michel-Thomas ». Dix minutes aller, dix minutes retour.

Et alors, une fois à La Rochelle ?

Il y avait une bonne ambiance dans l’équipe, on a pris beaucoup d’apéros en ville. Quand tu prends une ou deux bières, tu enlèves des barrières. C’est plus facile de parler. Les mecs autour de moi comme Mathieu Tanguy et Arthur Retière, le petit (sourire), me corrigent souvent. Kévin Gourdon aussi. C’est bien, j’ai besoin de ça. J’ai de la chance, franchement.

Vous l’avez provoquée, tout de même.

Je l’ai provoquée. J’avais vraiment envie de m’intégrer dans l’équipe, dans la ville. Quand tu gagnes beaucoup de matchs, comme on l’a fait lors de la saison 2016-2017, tout se passe bien. On se retrouvait souvent en ville, nous discutions souvent ensemble. C’est comme ça que j’ai progressé. C’était assez facile. Mais c’est grâce à mes coéquipiers.Tout seul, ça n’aurait pas été possible.

Le staff  impose aux étrangers de communiquer en français (voir encadré). Mais vous êtes le seul Kiwi à le faire face aux micros. Depuis 2019, d’ailleurs…

Les autres, comme Kerr-Barlow, peuvent aussi parler en français. Souvent, on fait quelques présentations devant l’équipe et ils le font en français. C’est un peu différent quand c’est en public. Moi, je suis un peu fou ! (il prend un air amusé) J’essaie quand même. S’il y a des fautes ou des erreurs, je m’en fiche. Je pense que tout le monde peut comprendre ce que je veux dire (rires). Après, c’est sûr que j’ai plus de vocabulaire en anglais. Je peux aller plus en « profondeur » dans mes phrases.

Le français semble vraiment perçu comme une langue difficile par les Néo-Zélandais. Est-ce le cas ?

Oui ! J’ai de la chance car je peux aussi parler en samoan et la construction des phrases est exactement la même qu’en français. Ça m’a un peu aidé.

Comme Uini Atonio, du coup ?

Il est faussement français, en fait (sourire). Il peut parler en samoan aussi et c’est pour ça que son français est très, très bon. Il avait déjà deux langues. La troisième est arrivée un peu plus facilement.

Plus jeune, auriez-vous imaginé vivre en France un jour ? Ce pays vous attirait-il ?

Pour le style de vie, bien sûr. Avant que nous ayons des enfants, j’avais envie de venir avec ma femme pour profiter peut-être de six mois de vie (rires). Mais jamais je n’aurais pensé y vivre une vraie vie autour du rugby. Maintenant, j’ai joué plus de cent fois pour La Rochelle en cinq ans. Je n’aurais jamais imaginé ça. Franchement, je n’ai aucun regret. Je suis très reconnaissant par rapport à tout ce que j’ai expérimenté ici.

Un homme a fait pencher la balance : Jason Eaton, capitaine du Stade rochelais avant votre arrivée. Lui aussi un All Black…

C’est lui qui m’a convaincu. J’avais d’autres propositions pour jouer en Irlande ou Angleterre. Mais Jason, mon ami, m’a expliqué qu’il y avait de bons mecs et de bons joueurs ici. Comme Levani Botia ou Gabriel Lacroix. Certes, le club jouait le milieu de tableau mais il me parlait des qualités de ces mecs-là. C’est devenu un vrai projet d’apporter mon énergie à ce groupe. C’est évident que nous avons bien grandi, depuis.

Vous comparez souvent La Rochelle à Wellington, d’où vous êtes originaire, de par la proximité de l’océan. Vous êtes-vous tout de suite senti bien, ici ?

C’est toujours cool d’avoir une nouvelle expérience. J’étais un peu naïf, j’étais juste très content d’être là. Pour moi, il n’y avait pas d’autres attentes. Je ne pouvais plus jouer pour les All Blacks. J’étais juste là pour créer une autre vie avec ma famille et donner le meilleur de moi-même pour cette équipe. Ce n’est pas venu immédiatement. En fait, les trois-quatre premiers mois, je n’étais pas à mon vrai niveau, celui qui fut le mien à la fin de la saison (il sera sacré meilleur joueur de la saison 2016-2017).

Pour quelles raisons ?

J’étais plus « intéressé » par le fait que ma famille s’intègre bien. Ma femme était enceinte quand nous avons débarqué ici. Mon fils est né six semaines avant le terme, donc j’étais plus inquiet par rapport à ça. J’ai mis un peu de temps à vraiment me mélanger à mes coéquipiers. Après, c’est incroyable comment nous avons été reçus. Par le groupe, le staff et en ville.

Votre arrivée, en 2016, coïncide avec le changement destatut du club. Beaucoup d’observateurs y voient un lien de cause à effet. Et vous ?

Les joueurs étaient déjà là. Il y avait du monde, beaucoup de bons joueurs. Patrice Collazo (le manager) a changé son comportement, sa façon de diriger l’équipe. Ce n’était pas que moi. L’équipe était très solidaire. Et puis nous avons enchaîné deux-trois victoires à l’extérieur. Gagner à l’extérieur, le club ne l’avait plus fait depuis presque deux ans. (Il prend un air étonné) à Grenoble (2e journée), les joueurs ont vraiment célébré la victoire comme s’ils avaient gagné une finale !

Vous semblez encore surpris, cinq ans après !

Je trouvais ça bizarre. En Nouvelle-Zélande, tu ne vois pas ça. C’était un truc de fou ! J’ai ressenti beaucoup de fierté d’être dans une équipe qui prenait autant de plaisir à gagner juste un match à l’extérieur. C’était cool de trouver cet esprit-là. Petit à petit, nous y avons tous cru. Donc ce n’est pas forcément lié à moi. Je suis arrivé au bon moment, je pense. Ils étaient déjà en train de créer quelque chose. Je suis arrivé, j’en ai profité.

Vous avez forcément amené votre pierre à l’édifice, avec votre expérience de double champion du monde…

Peut-être dans l’approche mentale des rencontres contre les grandes équipes. Quand on regardait le prochain adversaire, certains disaient : « Cette semaine, les gars, on va jouer contre Toulouse. Ça va être difficile. » Moi, mon comportement, c’était de dire : « Je respecte l’histoire de cette équipe mais les gars, pourquoi pas ? On va essayer quand même. On ne va pas aller là-bas juste pour participer, mais pour se battre ! »

Et ?

Ils ont trouvé ça bizarre, ils me disaient : « Tu n’as pas de respect pour cette équipe, toi ! » Après, les victoires à l’extérieur se sont enchaînées. Les joueurs ont commencé à croire en eux.

Quid de votre apport sur le terrain ?

Parfois, quand il y avait une pénalité, Jason (Eaton) disait : « On prend les trois points. » Moi : « Non, allons en touche ! » Les gars se disaient : « Nous sommes qui pour prendre la touche contre Toulouse ou le Racing ? » Après, Romain Sazy et d’autres ont commencé à y croire davantage. On a grandi, on a adopté une attitude de vainqueurs.

En signant à La Rochelle, aviez-vous la conviction de pouvoir batailler pour le Brennus ?

Je pensais que La Rochelle pouvait, au moins, être dans les six. Après, tout était possible. D’être premiers à la fin de l’année, c’était un peu bizarre. Mais nous n’étions pas prêts, je pense, quand nous avons affronté Toulon.

Parlez-vous de cette demi-finale du Top 14, au printemps 2017 ?

Ils ont gagné à la dernière seconde, sur un drop, à l’expérience. Contrairement à nous. Depuis, nous avons beaucoup appris. J’espère que ça va enfin nous diriger vers un titre. On doit toujours viser ce titre. Nous ne pouvons pas nous satisfaire d’être cinquièmes ou sixièmes. Nous voulons être premiers mais pas seulement de la phase régulière. Nous voulons réellement gagner des titres.

Fin 2018, fortement courtisé par Bristol, vous faites finalement le choix de prolonger à La Rochelle. Pourquoi ?

C’était une période un peu turbulente, avec le départ de Patrice (Collazo). C’est lui qui m’avait recruté ici. Il est parti et on ne savait pas qui allait venir. Je pensais à l’opportunité d’une autre expérience mais en fait, je savais qu’on avait une vraie chance d’être champions. J’y ai toujours cru et c’est toujours dans mon cœur. Avec ma famille, nous nous sommes beaucoup investis ici. Dans ce pays, dans cette ville. J’avais déjà vécu des périodes de turbulence avec les Hurricanes.

Lesquelles ?

Lors de la saison 2011, beaucoup de joueurs très expérimentés, mes meilleurs amis, ont été remerciés pour des raisons politiques. Je suis resté et nous avons été plus exigeants. Dans les moments durs, ici, je pensais à ça. Je me disais que ça allait tourner du bon côté. Aujourd’hui, La Rochelle est bien placée. On n’a pas encore de titre mais nous sommes sur le bon chemin.

Vous serez en fin de contrat à l’été 2022. Avez-vous pris une décision pour la suite ?

J’ai plusieurs options. J’aurai 35 ans. Pour l’instant, je reste très concentré sur la saison en cours. Je reviens de blessure. Après, peut-être que je prendrai ma retraite. Peut-être pas. Ça dépendra de mon corps.

Aimeriez-vous rester vivre en France ?

Avant la covid, j’avais très envie. Maintenant, avec ce qu’il s’est passé… Avec mes trois enfants, si loin de ma mère… Elle m’attend, je suis un enfant unique. Même mon père, aux Samoa, a très envie de nous voir. Mes priorités sont un peu différentes maintenant. Si j’avais la chance de les amener ici, bien sûr que l’on pourrait rester. Mais avec la pandémie et la distance, je trouve qu’il y a trop de risques. C’est plus facile pour moi de me projeter là-bas.

Quand êtes-vous rentrés au pays pour la dernière fois ?

Je n’y suis pas retourné depuis février 2020. En juin, ça fera déjà presque dix-huit mois. Ma fille a presque 2 ans, ma mère n’a pas été témoin de ses progrès. Après le rugby, il doit peut-être y avoir un changement de disquette (sourire). Je n’ai pas encore arrêté ma décision.

Qu’est-ce que vous aimez en France ?

Le pain, le fromage, les huîtres (rires) ! Je suis aussi très content d’avoir trouvé une autre manière de penser, de voir le monde. C’est une arme. Vous, les Français, n’êtes pas « stricts ». Il y a des règles, bien sûr, mais ce n’est pas « comme ça, comme ça et comme ça ». Tu ne peux pas vivre toute une vie comme ça, sinon tu deviens fou. Il y a une mentalité différente. Vous êtes plus tranquilles, vous dites souvent : « C’est la vie. » Ça m’aide beaucoup de penser comme ça.

Si vous deviez quitter la France, serait-ce avec un certain pincement au cœur ?

Bien sûr. La France est dans mon cœur, forcément. J’ai deux enfants qui sont nés ici. J’ai bien profité de la vie, j’ai appris la langue. Les gens sont très aimables. La Rochelle a le meilleur public du monde. Deflandre à 16 000 personnes, c’est un truc de fou. Ma meilleure expérience.

Partir pour mieux revenir, donc ?

(rires) Il y a la Coupe du monde 2023 ! Ce serait une très, très belle occasion. J’aimerais revenir profiter comme supporter, pas comme joueur.

Ce France - Nouvelle-Zélande dès les poules vous fait forcément de l’œil…

Exactement ! Peut-être que je vais mettre de côté un peu d’argent pour revenir voir le match (rires). J’espère que j’aurai des amis ici, en France, qui auront assez de place pour nous accueillir, ma famille et moi. Nous sommes cinq ! Mais je sais qu’il y aura toujours une place pour nous, ici, à La Rochelle.

Alors, France ou Nouvelle-Zélande ?

Nouvelle-Zélande, bien sûr. Mais avec Bourgarit, Dulin, Alldritt ou Atonio, mes coéquipiers en club, c’est difficile. Je serai content, peu importe qui gagne en fait ! (rires) La France a une très grande réserve de talents. Pour moi, c’est l’équipe la plus « dangereuse » du monde en ce moment.
 

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