L’honneur du champion, la liberté de dire « merde »

  • Alun Wyn Jones
    Alun Wyn Jones PA Images / Icon Sport - PA Images / Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Il arrive qu’un commentateur sportif compte, dans le bassin où il patauge, plus d’ennemis que d’amis. En réalité, il arrive même très souvent qu’un bougre ayant pour vocation de juger les performances d’autrui n’ait pas d’amis du tout, parmi ceux qu’il note, sacre ou destitue, via l’absurde pouvoir qu’on lui a conféré. En quinze années passées autour du rugby pro, il m’est donc arrivé plusieurs fois d’avoir maille à partir avec des gens de la « famille », qu’ils soient entraîneur, joueur ou président. Parmi ce flot d’algarades, trois m’ont plus marqué que d’autres.

La première fois, c’était en 2010 en Argentine, où le XV de France disputait sa tournée d’été annuelle. Ce matin-là, je m’étais approché de Florian Fritz, lui avais demandé si on pouvait causer cinq minutes. Il s’était retourné, avait dit : « Non. » J’avais demandé : « Pourquoi ? » Il avait répondu, sans hausser le ton : « Tu m’as niqué y a dix ans. Tu me niqueras pas une deuxième fois. » En fait de « niquer », j’avais à l’époque rencontré Florian Fritz dans une brasserie toulousaine pour dresser le portrait du centre des Bleus ; au gré de celui-ci, j’avais écrit qu’à un moment de l’entretien, ledit Fritz s’était grillé une Marlboro. Ce que je considérais naïvement comme un détail de l’histoire (je jure aujourd’hui qu’il ne me semblait pas choquant, début 2000, qu’un sportif de haut niveau grille parfois une cigarette…) s’est rapidement transformé en affaire d’état du côté d’Ernest-Wallon, Guy Novès n’ayant visiblement pas le même rapport à la nicotine que moi à l’époque…


La deuxième fois, c’était avec un talonneur du Top14, aujourd’hui devenu entraîneur. J’avais écrit, au crépuscule d’un Paris - Toulouse et dans un cliché certes pathétique, que les quelques « pizzas » distribuées par le joueur en question avaient probablement desservi son équipe. Lui m’avait appelé, le lendemain, me glissant simplement ceci : « Puisque tu me fais passer pour un abruti, tu vas imprimer ton CV, j’imprimerai le mien et on se retrouvera dans la semaine, sur une aire d’autoroute. Si ton curriculum est moins bon que le mien, je te file un grand coup de tronche. » On n’a jamais été jusque-là, bien sûr. Mais j’avais trouvé l’initiative originale…


La dernière fois, alors ? C’était la semaine dernière, à l’occasion des Oscars Midol. Ce lundi matin, je m’étais donc avancé vers Mathieu Bastareaud, lui demandant s’il avait cinq minutes. Il répondait « non », je demandais « pourquoi ? ». Il disait : « Il y a dix ans que tu me chies dessus. Je n’ai pas envie, c’est tout. » En fait de « chier dessus », j’ai plusieurs fois écrit, comme d’autres, que la défense du trois-quarts centre Bastareaud n’était plus adaptée à la vitesse du rugby international et, franchement, le réécrirai sans problème. Au bout du bout ? Je me dis aujourd’hui qu’on a tellement reproché au sport pro de lisser les caractères et de changer les fauves en chevreaux, que la réaction de Mathieu Bastareaud ou Florian Ftitz est saine, participe à un mécanisme instinctif de défense et fait à n’en pas douter partie de ce que l’on appelle « l’honneur du champion », soit la saine liberté de dire « merde ». Et celle-ci en vaut beaucoup d’autres…

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