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Autopsie d'un coaching perdant pour le XV de France

Par Jérémy FADAT
  • Romain Ntamack, Baptiste Serin et Anthony Jelonch ne sont pas entrés en jeu face à l’Angleterre. Photos Icon Sport
    Romain Ntamack, Baptiste Serin et Anthony Jelonch ne sont pas entrés en jeu face à l’Angleterre. Photos Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Auteurs d’une prestation remarquable samedi, les Bleus ont laissé filer un exploit à Twickenham dans les ultimes minutes. Si l’apport des remplaçants anglais fut évident, Fabien Galthié a choisi, de son côté, de laisser trois joueurs sur le banc et d’en faire entrer d’autres tardivement. Analyse.

C’est injuste mais c’est ainsi : le résultat est toujours juge de paix, celui qui détermine si le management fut réussi ou pas. En ce sens, et même s’il en aurait été autrement si Maro Itoje n’avait pas aplati à trois minutes du terme à Twickenham, le coaching de Fabien Galthié fut perdant. D’abord parce que, comparaison oblige, l’apport du banc anglais a radicalement changé le cours des événements alors que les Bleus menaient de sept points à vingt-cinq minutes du coup de sifflet final. La grinta de Genge, la vitesse de Daly, les grattages d’Earl ou le dynamisme de George : autant d’éléments qui ont peut-être sauvé la tête d’Eddie Jones samedi. La différence fut significative avec les choix du sélectionneur français.

Depuis le début de son mandat, ce dernier ne veut pas entendre parler de "remplaçants" et a gravé dans le marbre le terme de "finisseurs", pour mieux insister sur le rôle immense des réservistes d’un jour, à la hauteur ou presque de ceux qui débutent. Une manière de mettre en relief leurs responsabilités au moment de peser sur une fin de rendez-vous international, d’aller gérer les dernières minutes ou, au contraire, de les faire basculer dans la folie selon les besoins de l’instant. À vrai dire, c’était pourtant la principale limite de ce XV de France voilà encore un an : si l’équipe de départ semblait capable de battre n’importe qui, le poids du banc avait parfois été trop léger durant le Tournoi 2020. Ce qui explique aussi pourquoi Galthié avait très peu modifié son ossature et pourquoi il avait régulièrement tardé avant de "coacher." Mais le bénéfice de la dernière Coupe d’automne des Nations était là justement : notre sélection savait enfin pouvoir compter sur un réservoir plus riche qu’elle ne le croyait initialement.

Trois des sept remplaçants restés sur le banc

En Angleterre, le staff des Bleus avait pris une décision rare à ce niveau, celle de placer six avants pour deux trois-quarts sur le banc. Plusieurs raisons à cela, la principale résidant dans l’énorme combat annoncé à Twickenham, lequel appelait des ressources supplémentaires devant. Ensuite, Galthié souhaitait sûrement, avec les présences combinées de Cazeaux, Woki et Jelonch, prendre des garanties en termes d’équilibre (sur la puissance et sur le secteur aérien) au sein de son paquet orphelin de Bernard Le Roux, l’un de ses cadres. Enfin, le retour du polyvalent Romain Ntamack lui permettait de couvrir tous les postes derrière (Ntamack comme 10 et 12 ; Jalibert comme 10 et 15, Fickou comme 12, 13 et ailier).

Alors, comment expliquer que trois des sept "finisseurs" français (Jelonch, Serin et Ntamack) n’aient même pas foulé la pelouse ? Pourquoi s’être privé de nouveaux recours physiques et stratégiques dans ces ultimes instants qui ont vu les Bleus souffrir et subir ? Le sélectionneur pourra rétorquer, à juste titre, qu’il avait procédé ainsi en Irlande déjà, et que cela avait été payant. Certes. Sauf que l’épisode covid est depuis passé par là, avec les conséquences que l’on sait sur les états de forme et le rythme. "Sur la fin, ils ont réussi à aller chercher la victoire, s’est contenté Galthié. On dira donc qu’ils ont mieux terminé." Constat lucide. Mais, comme les perdants ont toujours tort, la France n’a vraisemblablement pas mis tous ses atouts de son côté. Et c’est bien dommage.

Serin, le choix de défiance

Baptiste Serin va finir par trouver le temps long. Resté sur le banc en Irlande, il a vécu la même mésaventure samedi. Et, quand il entre, il doit se contenter de miettes. Pas question de remettre en cause le statut d’Antoine Dupont, l’actuel meilleur demi de mêlée du monde, tant de fois décisif en sélection. Fort de son grattage à Dublin à l’ultime seconde, le Toulousain n’est donc pas sorti samedi. Pourtant, si une occasion semblait idéale pour offrir davantage de confiance à son suppléant, c’est bien celle-là. Car Dupont sort d’une période durant laquelle il fut atteint par la Covid, ce qui l’a privé d’entraînement pendant quinze jours. Chassé comme jamais par les Anglais, il a montré des signes de fatigue en deuxième mi-temps, en étant contré à plusieurs reprises et en commettant malheureusement cet en-avant à la 80e minute. Surtout, Serin possède un profil de gestionnaire qui aurait pu être tellement bénéfique aux Bleus dans la dernière ligne droite. Un acte manqué.

 

Panne de finisseurs :  autopsie d’un coaching perdant
Panne de finisseurs : autopsie d’un coaching perdant

Jelonch, le chaînon manquant

C’est certainement l’élément le plus marquant du dernier quart d’heure : pourquoi Anthony Jelonch n’est-il pas entré en jeu ? À vrai dire, cette question est revenue dans nombre de discussions avec des techniciens et observateurs ces dernières heures et elle fut même l’objet de débats à l’intérieur même du groupe des Bleus. Car ces Français, héroïques pendant plus d’une heure en Angleterre mais à bout de souffle en fin de match, ont constaté qu’ils commençaient à souffrir physiquement face aux assauts anglais. Alors, ils auraient sûrement vu d’un bon œil l’apport du monstre de puissance qu’est le Castrais…

Il y a un peu plus de trois mois, le futur Toulousain avait rayonné dans le même stade en finale de la Coupe d’automne des Nations et imposé le combat à ses adversaires avec une autorité incroyable. Une des raisons qui ont poussé Fabien Galthié et son staff à le placer sur le banc samedi. Formidable guerrier et excellent défenseur, Jelonch pouvait effectivement être très utile en cours de rencontre… Comment s’est-il donc passé de ses services alors que le « money time » était taillé sur mesure pour lui ? Pour beaucoup, c’est assez incompréhensible.

Plusieurs options s’offraient au sélectionneur. La première était de privilégier Jelonch plutôt que Woki pour suppléer Cretin à la 72e minute. Si les qualités du Bordelais ne sont pas à remettre en cause, il ne possède pas la dimension physique de son concurrent et c’est lui qui a subi le plaquage sur l’essai de Maro Itoje. Surtout, des garanties avaient été apportées dans l’alignement par le remplacement de Taofifenua par Cazeaux. Il existait aussi la solution de faire sortir Ollivon (certes capitaine mais récemment touché par la Covid) ou Alldritt, qui a paru émoussé sur la fin. Bref, il y a de quoi être navré.

Panne de finisseurs :  autopsie d’un coaching perdant
Panne de finisseurs : autopsie d’un coaching perdant

Cretin, « Tao », Haouas… au bon moment ?

Il est facile, forcément, de dire ce qu’il aurait fallu faire ou pas une fois le match terminé. Nul doute qu’avec du recul et après analyse, Fabien Galthié doit avoir quelques regrets d’ailleurs… Si c’était à refaire, opterait-il pour les mêmes décisions ? Pas sûr. Changerait-il les mêmes hommes ? Réponse identique. Beaucoup se sont émus de voir sortir Romain Taofifenua à la 59e minute, alors que le deuxième ligne toulonnais, royal dans le combat au sol, a signé son meilleur match en équipe de France samedi. Reste que le joueur, qui n’a peut-être pas le coffre pour tenir une rencontre entière au niveau international, se serait plaint de douleurs dorsales. Voilà qui justifie amplement son remplacement. Mais l’entrée mitigée de Cyril Cazeaux entretient le débat.

De la même façon, Dylan Cretin était-il l’homme à sacrifier en troisième ligne ? Déjà, il faut rappeler que le staff s’appuie sur des données en direct que nous ne possédons pas, lesquelles sont censées informer en temps réel sur l’état physique des joueurs. Toujours est-il que Gregory Alldritt, qui avait encore rendu une copie remarquable d’efforts et d’investissement, et surtout Charles Ollivon semblaient empruntés dans les derniers instants. Ce sont deux cadres du pack, dont l’un est capitaine et l’autre aurait dû l’être contre l’écosse, ce qui rend le choix de s’en passer d’autant plus cornélien.

Quid enfin de la gestion de la première ligne, sur laquelle il est dur d’apporter une critique constructive tant le secteur de la conquête est particulier. Le staff a choisi de laisser longtemps Cyril Baille et Julien Marchand (pourtant touchés récemment par la covid) sur le terrain. Logique vu leur rendement encore impressionnant à Twickenham. Mohamed Haouas est sorti plus tôt (59e) et son suppléant, Dorian Aldegheri, a souffert, notamment en mêlée. Mais Haouas, à l’activité débordante, avait également été pénalisé dans ce secteur dans le second acte.

 

Ntamack, le confiné

Pour Romain Ntamack, le constat est sensiblement le même que pour Baptiste Serin sur ce match. Dans son ensemble, la charnière alignée a réussi sa partition. De manière encore plus probante que Dupont, Matthieu Jalibert est ainsi à créditer d’une très bonne prestation à l’ouverture. Mais, alors qu’il fallait trouver un moyen de conserver l’avance des Bleus au tableau d’affichage, le profil du Toulousain aurait été intéressant dans cette fin de rencontre. De la même façon que Serin, Ntamack, dont on a tant loué la maturité précoce, a plus d’expérience internationale que son concurrent et des qualités de gestionnaire sûrement supérieures. Le staff aurait pu faire un changement poste pour poste. Ou, Jalibert se montrant à son avantage, associer les deux hommes et bénéficier d’un autre pied long sur le terrain. Dans ce cas, « NTK » pouvait entrer au centre, ce dont il a l’habitude, pour décaler Fickou ou Vakatawa à l’aile. Il n’en fut rien.

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